Tendancieux et ludique

Ce début de mai est bien maussade, et, avec les élections européennes qui s'annoncent, cela ne risque pas de s'arranger. J'ai déjà dû vous dire que les élections me déprimaient périodiquement depuis une quarantaine d'années... Je redoute une nouvelle phase aiguë de ma maladie.

Je ne manquerai pas de vous tenir informé(e)s.

Malgré ces perspectives démoralisantes, j'ai repéré une lueur d'espoir de saine et franche rigolade qui s'est glissée dans l'actualité: je veux parler de ce nouveau jeu désopilant que vient d'inventer un habitant d'Abbeville ou de sa région. Cela peut se jouer à peu près avec n'importe qui, des amis ou des pas-amis, n'importe où, à l'atelier, au bureau, au café, à la maison, et n'importe quand, matin, midi, soir, nuit.

Le but du jeu est d'envoyer une personne judicieusement choisie en garde à vue, en lui envoyant un SMS suffisamment tendancieux pour inquiéter son opérateur, puis les autorités...

C'est très amusant.

(Cela comporte le risque de vous retrouver également en garde à vue, mais il faut savoir prendre des risques et surtout être beau joueur.)

C'est un article très pédagogique de Fabrice Julien, dans le Courrier Picard qui décrit la première partie gagnante, qui a eu lieu à Abbeville.

Pour des raisons qui m'échappent, Fabrice Julien ne précise pas le nom, ni le prénom, du gagnant, initiateur de cette impayable farce, alors qu'il donne le prénom du perdant, Stéphane.

Quidam envoie à Stéphane le SMS suivant:

C'est le Courrier Picard qui a fait cette reconstitution très didactique,
et qui en réclame le copyright. Dont acte: merci Courrier Picard.

La date de réception de ce SMS, qualifié de "tendancieux", n'est pas précisée, mais c'est le 14 avril que Stéphane est convoqué au commissariat, où il est placé en garde à vue pour 24 heures.

La chaîne a bien fonctionné: l'opérateur a repéré le SMS, a alerté le procureur, et ouala...

Sur instruction du parquet, Stéphane est placé en garde à vue à 16 heures. « C'était un véritable choc. En deux secondes, j'ai eu l'impression de devenir un vulgaire criminel. Je me retrouve dans une belle cellule jaune qui sent la pisse, j'ai l'impression d'être traité comme un chien. » Au petit matin, les auditions se poursuivent. Les vérifications sont longues et Stéphane ne retrouve la liberté qu'à partir de 16 heures, soit au bout de 24 heures de garde à vue. L'auteur du SMS est également libéré.

Monsieur Eric Fouard, le procureur d'Abbeville, a participé à cette bonne blague avec un sérieux inébranlable de pince-sans-rire professionnel. Ses déclarations sont renversantes de drôlerie contrôlée:

« L'opérateur a le droit de consulter ces messages et le devoir d'alerter les autorités s'il estime qu'un crime ou un délit est susceptible d'être commis .»

Ou encore:

(...) une affaire presque banale aux yeux du procureur de la République, qui justifie le placement en garde à vue. « La procédure pénale est la même pour tout le monde, que le risque soit probable ou peu probable », rappelle Éric Fouard, mettant en avant le principe de précaution qui prévaut en matière de terrorisme.

D'autant que depuis l'affaire de Tarnac (Corrèze), et l'arrestation d'un groupe de terroristes présumés soupçonnés d'avoir saboté des caténaires SNCF, les autorités sont particulièrement vigilantes. « Cette actualité récente a certainement joué en sa défaveur, admet le procureur. Je comprends que, de son côté, la garde à vue puisse paraître violente mais, dans ce genre d'affaire, on ne peut prendre aucun risque. »

Le motif de la garde à vue était: « non dénonciation de crime ».

Mort de rire, non ?

Un autre aspect ludique du téléphone portable,
développé par Nokia, c'est écrit dessus.

Pour réussir ce jeu, il faut, vous le comprenez bien, réunir un certain nombre d'éléments essentiels.

D'abord, trouver un "bon" message, en veillant à ne pas tomber dans l'insupportable vulgarité que serait une dénonciation explicite du type "corbeau". Cela doit être léger, subtil, allusif... Cela demande une préparation minutieuse.

Ensuite, il vous faut passer par un opérateur téléphonique doté d'un civisme en béton, qui vérifie les SMS qui arrivent chez lui, pour que la subversion ne passe pas par lui. On ne nous dit pas quel opérateur utilisait Stéphane... Disons qu'il faudra faire des essais.

Enfin, il semble important que l'affaire soit prise au sérieux par un procureur très au fait des dernières tendances sécuritaires. Cela se trouve assez aisément.

Maintenant: à vous de jouer !