mercredi 11 avril 2012

Fermeture momentanément définitive

... ou définitivement momentanée, allez savoir.

Mais pour l'instant, c'est comme ça.

PS : L'image a été empruntée à la galerie de Grand'Pa, où il est possible de l'admirer en haute définition.

dimanche 8 avril 2012

Faciès au profil potentiellement similaire

En bonne déontologie journalistique, il serait souhaitable que les correctifs, voire les démentis, soient publiés à la même place, en même taille de caractères et sous la même signature que l'initiale fausse (bonne ou mauvaise) nouvelle...

On sait que c'est bien loin d'être le cas.

Monsieur Christophe Cornevin, qui est, avec son confrère monsieur Jean-Marc Leclerc, l'un des journalistes du Figaro accrédités auprès du ministère de l'Intérieur, annonçait en fanfare, le 4 avril, une "vaste opération anti-islamiste", avec dix interpellations. Il précisait, comme probablement on lui avait demandé de le faire, que cette "opération (...) n'a[vait] pas de lien direct avec l’affaire Mohamed Merah", mais il tenait à ajouter, comme probablement on lui avait demandé de faire :

Les dix djihadistes présumés interpellés ce matin par le Raid et la Direction centrale du renseignement intérieur pourraient juste présenter un "profil potentiellement similaire" avec le tueur au scooter. 

Et :

Selon une source policière, l’un des objectifs de l’opération est de "purger des dossiers de salafistes soupçonnés de graviter dans la mouvance radicale" et de "neutraliser d’éventuels passages à l’acte".

A la mi-journée, le même Christophe Cornevin co-signait avec Jean-Marc Leclerc un article un peu plus détaillé. On y présentait "les dix suspects" comme des  "djihadistes présumés et n'agissant pas en réseau, s'étant déjà rendus dans des camps d'entraînement en zone paskistano-afghane ou s'apprêtant à emprunter des filières pour rejoindre des zones tribales où sont implantées des structures d'al-Qaida".

Et puis, il y avait une photo...


La photo, non créditée, datait d'une autre "opération".
Pas grave, c'était juste pour meubler, et rassurer les lecteurs.

Inutile de chercher sous l'une des deux grandes signatures du Figaro l'information, pourtant essentielle, de la remise en liberté de tous les "suspects", "djihadistes présumés", au "profil" si opportunément "potentiellement similaire" à celui du "tueur au scooter". Une dépêche de l'AFP a dû sembler suffisante à nos deux professionnels...

Et c'est par un simple copicollage de l'AFP dans le FlashActu du quotidien qu'on peut apprendre que maître Thierry Sagardoytho, qui défend deux frères arrêtés mercredi et gardés à vue pendant 37 heures, avait l'intention de demander réparation au civil. Ce qui donne, dans le style inimitable de l'agence :

"Jetés en pâture à l'opinion publique", ils "ont été victimes d'une opération de communication judiciaire qui consiste à vendre la chasse aux islamistes à quinze jours des élections présidentielles", a-t-il encore tempêté, dénonçant une garde à vue "digne d'un western".

Le tempétueux avocat est allé jusqu'à dénoncer une "bavure"... 

Contrôle d'une voiture au profil potentiellement similaire à celui d'un scooter.
(Photo : Gérard Julien / AFP.)

Sans trop de précautions, la République des Pyrénées a annoncé, mercredi matin que "deux frères, âgés de 23 et 28 ans", avaient été interpellés au domicile de leurs parents, à Pau, au cours d'une "opération dans les milieux islamistes radicaux". Avec beaucoup de tact et de discrétion, la rédaction avait choisi d'illustrer cette brève par un cliché représentant une rue garnie de petits immeubles, avec, au premier plan à gauche, bien lisible, la plaque indiquant le nom de cette voie...

Le lendemain, un article d'Evelyne Lahana revenait sur cette information. Il était devenu inutile d'ajouter du floutage : la rue était bien identifiée, située dans "un petit quartier tranquille situé à proximité de la mosquée", où "tout le monde se connaît". Donc, tout le monde aura pu reconnaître Farid et Saad, désignés nommément, et leur père, et leur mère, et leur sœur...

En bonne professionnelle, la journaliste n’omet pas de signaler que Farid, le plus jeune, était "était connu des services de police pour une condamnation, en décembre 2007, par le tribunal de grande instance de Pau pour des faits de recel, dégradation, violences sur personne dépositaire de l'autorité publique, outrage et port d'arme de 6e catégorie". Mais elle n'omet pas non plus de dire que "depuis, il n'avait plus jamais fait parler de lui" et que "le casier judiciaire de son frère aîné, qui exerce les fonctions de conseiller chez Pôle Emploi, ne porte aucune mention".

Un article ultérieur, mis en ligne à la mi-journée, donne davantage la parole au père des deux frères. Il raconte l'intervention des hommes du GIPN et des policiers de la DCRI. Une photo le montre devant la porte bleue de sa maison, la serrure démantibulée et rafistolée. On le regarde, et l'on sait que, si on lui avait demandé, il aurait ouvert...

Pour lui, "la seule explication à cette interpellation ne peut être que les voyages effectués par ses garçons d’octobre 2011 à janvier 2012 : « Mes gosses sont partis en Inde, Malaisie, Thaïlande, Birmanie, Vietnam et Cambodge. Ils ont travaillé pour payer leur voyage. Mais ils ne sont jamais allés en Afghanistan »".

Dans Sud-Ouest, un article de David Brian, posté le même jour,donne le point de vue des voisins :

Ces gamins, je les ai vus grandir. Ce qui leur arrive me révolte. C'est une honte pour la France, qui les stigmatise simplement parce qu'ils sont musulmans. Saad est un garçon gentil, très travailleur et croyant. Il est pieux, mais c'est tout sauf un extrémiste. Il a vu son petit frère prendre une mauvaise pente, faire des bêtises, fumer des joints. Il a décidé de réagir. Pour le remettre sur le droit chemin, il a eu l'idée de partir en voyage avec lui, pour lui faire voir du pays, qu'il grandisse et sorte de ses mauvaises fréquentations. Il a pris un congé sans solde et ils sont partis tous les deux en Asie. Ils ont fait la Thaïlande, le Vietnam, l'Inde, etc. Et c'est ça qu'on leur reproche aujourd'hui ! L’État est en train de foutre leur vie en l'air pour rien. C'est scandaleux !

Des copains :

« Et dire que j'ai failli partir en voyage avec eux. Un peu plus, je me retrouvais à manger dans la gamelle moi aussi », confie, consterné, un jeune garçon. « Saad, c'est le genre de personne qui se bouge pour les autres. Qui dit aux jeunes d'aller bosser quand il les voit glander. Il en a d'ailleurs aidé beaucoup à décrocher un entretien pour du boulot », insiste un autre. « En fait, ils ont pris le meilleur d'entre nous », enchaîne l'un de ses copains.

On peut penser que, si tout cela est vrai, les deux voyageurs pourront garder la tête haute dans le quartier.

Mais ailleurs ?

L'ainé a repris son travail à Pôle Emploi, mais le cadet, qui avait commencé un boulot d'intérim à Oloron, l'a bien sûr perdu. Il s'est rendu à l'agence où il avait obtenu une mission :

« Ça s'est bien passé, mais j'ai quand même senti un peu de suspicion. J'ai dû m'expliquer. On m'a dit "on vous rappellera"... »

Bientôt peut-être lui dira-t-on qu'il n'a pas le profil...


vendredi 6 avril 2012

Des provisions pour un mois, et Mozart.

Voilà sans doute ce qu'il faudrait pouvoir faire, avec des provisions (de lecture) pour un bon mois, et de la musique : une virée dans les collines du Ngong.

Genre.



Out of Africa, film de Sydney Pollack qui a été, en français, pour qu'on comprenne bien, sous-titré Souvenirs d'Afrique, est une adaptation très partielle de La Ferme africaine, de Karen Blixen - toujours disponible en folio/Gallimard -, qui apprend aux jeunes générations qu'au temps des gramophones dans la savane, les amoureux avaient besoin de flinguer du gros avant de passer à l'acte.

A part cela, depuis que je l'ai vu, de bien belles images façon National Geographic viennent interférer avec l'écoute du concerto pour clarinette et orchestre, K. 622, de Mozart.

Comme si j'avais besoin de cette nostalgie-là en plus !

Si la romance de Pollack a popularisé le Queuchelle Six-Deux-Deux, c'est un autre film, beaucoup moins populaire, qui l'éclaire le mieux. Il s'agit du documentaire Le concerto de Mozart, tourné par Jean-Louis Comolli, avec la complicité de Francis Marmande, et sorti en 1997. On y voit Michel Portal travailler avec sept jeunes musiciens sur ce fameux K. 622. Le montage de ces séances, à mi chemin entre master class et répétitions,  finit par dessiner la méditation d'un grand interprète aux prises avec la mystérieuse beauté  d'une musique qui toujours le dépassera.



Le film est disponible dans le coffret de 2 DVD, Le Cinéma de Jean-Louis Comolli,

Fervent mozartien, Michel Portal est aussi un improvisateur généreux. Il termine ces jours-ci une série de concerts, en prélude au festival Europa Jazz, que les organisateurs ont cru bon de baptiser "acoustic tour". Cette tournée l'a mené, le 3 avril, à l'Espace Ronsard, au Lude, Centre culturel de Monjean-sur-Loire, qui se trouve dans la Sarthe, où il avait pour complices Bernard Lubat. Arte Live Web a eu la bonne idée d'en poster la vidéo (*), qui restera en ligne pendant encore 181 jours et 8 heures.



Michel Portal (clarinettes, saxophones, bandonéon), Bernard Lubat (batterie, piano, voix, jouets).
(Samedi soir, ce sont les heureux spectateurs de Dompierre, dans l'Orne, 
qui pourront les voir à la Salle Normande.)


(*) Pour n'oublier personne :
Réalisateur : Stéphane Sinde
Cadreurs : Jérémie Clément, Patrick Berthou, Célidja Pornon
Son : Nicolas Titeux
Production : Armor TV, Mezzo et Oléo Film.





mercredi 4 avril 2012

Bonne qu'à ça

Devant un tel titre - Vrouz, qui n'est qu'un condensé du nom de l'auteure Valérie Rouzeau mais sonne comme un départ sur les chapeaux de roues -, je ne me suis senti conforté dans mes mauvaises habitudes de liseur de poésie.

C'est-à-dire que, découvrant un nouveau livre, il me faut le lire une première fois à toute vitesse, et si possible d'une seule traite. Histoire de voir d'abord si cela chante ou pas. Une deuxième lecture, plus nonchalante, me permet d'entendre si en chantant cela me dit quelque chose. Ensuite la (re)lecture picore ici ou là, cherche à retrouver une page mais s'égare en maraudes... cela peut durer longtemps, et le livre finit par se faire à ma main, mon œil et mon oreille...

Je sais que les recueils de Valérie Rouzeau supportent bien ce genre de traitement.


Celui-là aussi bien que les autres.

Vrouz rassemble 151 sonnets qui sont autant de brèches poétiques creusées dans la prose quotidienne du monde.

Comme dans ce sonnet 11, où s'entend l'effet du gynéco, ou l'écho du gynécée :


J'ai rêvé que mentais sur mon tour de poitrine 
En disant comme avant mais avant quoi au fait 
Bien bien installez-vous sur mon tapis volant 
Glousse la gynécologue dans la réalité 
Robert et puis Robert ça sonne un peu Dupont 
Beaucoup Dupont Dupond mais pas si rigolo 
Parce que le cœur battu en a sur lui trop gros 
Et je recycle ici l'expression d'un poteau 
Belles athlètes aux maillots de couleurs vives battantes 
Avec un numéro gagnant à votre buste 
Salut à vous toujours lancées toujours partantes 
Réveillée merle et zut il faut encore aller 
Chercher une ordonnance bonnet blanc blanc bonnet 
ABC la culotte pieds dans les étriers.

Ou dans ces "autoportraits sonnés" :


Bonne qu'à ça ou rien 
Je ne sais pas nager pas danser pas conduire 
De voiture même petite 
 Pas coudre pas compter pas me battre pas baiser 
Je ne sais pas non plus manger ni cuisiner 
(Vais me faire cuire un œuf) 
Quant à boire c'est déboires 
Mourir impossible présentement 
Incapable de jouer ni flûte ni violon dingue 
De me coiffer pétard de revendre la mèche 
De converser longtemps 
De poireauter beaucoup d'attendre un seul enfant 
Pas fichue d'interrompre la rumeur qui se prend 
Dans mes feuilles de saison.
(Sonnet 1)


Non je ne reviens pas vers vous je viens c'est tout 
 Je ne vous dirai rien autour d'un verre à pied 
Ne suis pas très causante encore moins conviviale 
Quand vos paroles sont tellement toujours les mêmes 
Interchangeables et creuses formules des tics en toc 
Vive les chiens éperdus les chats égratignés 
Les âmes errantes les fantômes distingués 
Le sourire à l'envers de la lune dans ma tasse 
J'ai l'amour spontané de mon prochain sauf quand 
Mon prochain s'intéresse de trop près à mon goût 
À ma personne gentille et froide et solitaire 
Alors là je m'éloigne à grandes enjambées 
Du buffet dînatoire où j'étais conviviée 
Et je rentre chez moi savourer mon congé.
(Sonnet 146)


Le Matricule des Anges de mars 2012 
consacre son dossier à Valérie Rouzeau.
(Et - c'est exceptionnel dans le Matricule -
le photographe n'a pu lui donner un air sinistre...)


dimanche 1 avril 2012

Le biniou tordu

Incapable, malgré des années d'étude, d'articuler proprement trois notes sur un instrument aussi simplet que le saxophone alto, j'éprouve la plus béate admiration pour les musicien(ne)s qui arrivent à maîtriser un biniou aussi tordu que la clarinette basse.

J'ai donc beaucoup d'estime pour mes chers compatriotes Michel Portal et Louis Sclavis, qui me semblent actuellement en être les meilleurs spécialistes.

Ce très court cocorico ne me fait pas oublier que c'est à Eric Dolphy que l'on doit d'avoir fait sortir la clarinette basse des fosses d'orchestre, où sa sonorité boisée ajoutait une belle profondeur à la section des anches. Avec lui, le biniou tordu de fabrication composite, est devenu instrument soliste sur la scène du jazz :




God Bless the Child, Billie Holiday et Arthur Herzog Jr., 1939.
Solo d’Eric Dolphy enregistré à Berlin en août 1961.

Si ce solo permet à Dolphy de déployer la variété des timbres de la clarinette basse, c'est peut-être dans son dialogue burlesque et virtuose avec Charles Mingus sur What Love ? - qui figure sur l'indispensable Charles Mingus Presents Charles Mingus, de 1960 - qu'il fait la preuve des qualités expressives de l'instrument. Ce titre, qui suit la grille d'accords du What Is This Thing Called Love ? de Cole Porter, se retrouve également sur l'enregistrement du concert donné par Mingus à Antibes en juillet 1960. L'échange entre les deux solistes y est toujours aussi tonique, inventif et drôle, mais, s'il a été filmé, les sites de strimigne l'ignorent...

Sur la pochette du 33 tours Musidisc,
une photographie de J. P. Leloir.

On a dit que cette conversation animée transcrivait musicalement les discussions réelles entre les deux musiciens autour du projet qu'avait Dolphy de quitter le groupe de Mingus. C'est peut-être seulement une de ces légendes qui ne déparent pas vraiment l'histoire du jazz, car il y en a de plus tragiques...

De cette histoire du jazz, Eric Dolphy a été un acteur essentiel, en compagnie de divers grands noms. Membre, depuis 1959, du Workshop de Charles Mingus, il fait partie, à la clarinette basse, du double quartet d'Ornette Coleman qui enregistre, en 196o, l'historique Free Jazz. L'année suivante, il se joint à la formation de John Coltrane, où on l'entend au saxophone alto, à la clarinette basse et à la flûte. De nombreux disques de cette période témoignent de cette collaboration, marquée par la série des concerts donnés en 1961 au Village Vanguard et en 1962 dans quelques capitales européennes.

Cela n'empêche pas Dolphy, au cours de cette période, d'enregistrer et de se produire avec ses propres formations. Il est alors en pleine possession de ses moyens, et souvent entouré d'excellents musiciens, mais on a parfois l'impression qu'il lui manque, de la part ceux-ci, une certaine stimulation.

A se demander, en comparant ses diverses prestations, si la formation idéale pour lui n'était pas ce Workshop de Charles Mingus dont il ne s'éloignait que pour y revenir.

En 1964, il entreprend une tournée en Europe avec le groupe de Mingus. Il était entendu qu'il se séparerait de l'orchestre en fin de parcours pour rester en Europe.

(Il devait y rester définitivement : à trente-six ans, il mourait à Berlin, des suites d'une crise de coma diabétique - bien ou mal diagnostiquée et soignée, on en discute...)

Beaucoup de ces concerts ont été enregistrés et gravés. Celui d'Oslo a été filmé, et on peut le trouver intégré dans un billet sur Mingus.

Le 19 avril 1964, en Belgique, Mingus et ses musiciens étaient filmés en studio. Ils interprètent So Long Eric, Peggy's Blue Skylight et Meditations On Integration. Les deux premiers titres permettent d'entendre la sonorité incisive et le phrasé vertigineux de Dolphy au saxophone alto ; dans le dernier, qui démarre à 11.10, Dolphy joue de la flûte et prend un éloquent, et convaincant, solo à la clarinette basse :




Charles Mingus, contrebasse, Jaki Byard, piano,
Eric Dolphy, saxophone alto, flûte et clarinette basse,
Clifford Jordan, saxophone ténor, et Dannie Richmond, batterie.