dimanche 31 août 2008

Plus vive la vie en haut débit


Découvrez L'orphéon!



Les lecteurs et trices attentifs et tives auront remarqué que mon dernier billet comportait quelques éléments caractéristiques d'un retour dans un monde où est accessible l'internet en haut débit: images et vidéo.

Il ne manquait que le petit lecteur diseur (Deezer, pour les puristes franglosaxons) et on aurait pu s'y croire...

C'est aujourd'hui chose faite: j'ai posté une petite chansonnette à caractère explicite et gastronomique, de manière à rappeler mon opération survie-cholestérol-en-danger dans cette très belle région rouergate, abandonnée de Dieu, des hommes et de France-Télécom.

Car, disons-le rugueusement, il est plus facile de survivre à un excès non négligeable de bonne bouffe, qu'à un manque évident de connexion rapide...

J'en ai profité, certes, pour me livrer à des études pointues sur le stockfish, l'estofi, l'estofinado et l'estofinade. J'ai conçu la géniale idée de créer l'association manger-bloguer.fr, qui ne pourra recevoir que de grasses subventions du ministère de la Santé.

Mais pendant ce temps, le blog n'a guère progressé.


Alors, c'est décidé: en septembre, nom de Dieu, j'explose les statistiques.

samedi 30 août 2008

Hérisson dans le brouillard

Enfant, j'aurais bien aimé croiser un hérisson sur le chemin de l'école, en ce jour d'angoisse qu'était pour moi la rentrée scolaire...

J'aimais déjà beaucoup les hérissons.

Longtemps, je n'en ai vu que sur les routes, transformés en crêpes complètes, avec du ketchup autour, par les roues des automobiles (eh oui! il y en avait déjà) et des tracteurs. Ce n'est que tardivement que j'ai pu rencontrer une petite famille en vie, prenant le soleil près de la réserve de bois d'un de mes oncles.

Depuis ce temps, j'ai pu en voir assez souvent (y compris au même endroit, une bonne trentaine d'années plus tard, en compagnie de mon fils; ce qui montre que la vie comme l'histoire peut joliment bégayer...). Mon jardin normand en abrite épisodiquement quelques exemplaires, patauds, bruyants et rêveurs, qui partent en promenade à la tombée de la nuit ou traversent en diagonale la pelouse au lever du jour.

Comme pour beaucoup, l'image du hérisson évoquera plus tard pour moi ce fragment d'Archiloque :


"Il sait bien des tours, le renard.
Le hérisson n’en connait qu’un, mais il est fameux."


que
Jorge Semprún (La montagne blanche) traduit par:

"Le renard sait beaucoup de petites choses,
le hérisson en sait une seule
mais c'est une grande chose."

J'ai retrouvé cette citation
en exergue du livre de Stephen Jay Gould (1941-2002), An Urchin in the Storm: Essays about Books and Ideas (traduit sous le titre Un hérisson dans la tempête; Le Livre de Poche) qui est paru en 1987, et où l'auteur fait allusion à son refus de croire à l'annonce qu'on lui fit (en 1982), au nom des statistiques médicales, de sa condamnation à une mort prochaine, par suite d'un cancer estimé incurable.


Cette salutaire aptitude à se mettre en boule, le brillant scientifique que fut Stephen Jay Gould, a dû la cultiver avec bonheur durant tout sa vie: en témoignent sa lutte incessante contre les "créationnistes" et les partisans de l'intelligent design, ses querelles avec Richard Dawkins (auteur du Gêne égoïste) ou son livre The Mismeasure of Man (La mal-mesure de l'homme), paru en 1981, véritable machine de guerre intellectuelle contre les prétentions de la "science" à définir et mesurer l'intelligence...

Au départ, le hérisson Gould a dû être titillé par un article d'Arthur Jensen intitulé "Le QI et la réussite scolaire", publié en 1969, dans la Harvard Educational Review, où l'on trouve cette "tarte à la crème" encore trop souvent énoncée selon laquelle le caractère héréditaire du QI est d'environ 0,8 (80%) chez les blancs d'Amérique et d'Europe.

La publication par Richard J. Herrnstein et Charles Murray de The Bell Curve: Intelligence and Class Structure in American Life, en 1994, qui reprend le refrain de l'intelligence héréditaire sur le mode ultralibéral, l'a conduit à revoir et compléter son livre en 1997. Cette version est traduite aux éditions Odile Jacob (vous pouvez en trouver une très bonne fiche de lecture sur le site de l'académie d'Orléans-Tours).

Stephen Jay Gould fut aussi un passionnant vulgarisateur, que l'on peut découvrir dans des dix livres de la série "Réflexions sur l'histoire naturelle", sélections d'articles parus mensuellement, sans interruption de janvier 1974 à janvier 2001, dans la revue Natural History. Chaque article est un véritable petit essai autonome, abordé avec sérieux mais écrit avec malice, à la portée de tout le monde et d'une remarquable intelligence.

S.J. Gould dans Les Simpson.


Malgré mon grand âge, j'aime toujours les hérissons.

Et parmi mes préférés, celui que Youri Norstein a animé en 1975 dans cette pure merveille poétique: "Le Hérisson dans le brouillard", où je ne sais trop ce que je préfère des images magiques ou du rythme de la langue russe qui m'évoque parfois la pulsation d'un coeur de hérisson battant un peu trop vite.


scénario S. Kozlov
mise en scène F. Iarboussova
musique M. Méerovitch
son B. Filtchikov
montage N. Trétchtchéva
doublage V. Névinny M. Vinogradova
réalisation et animation Y. Norstein


jeudi 28 août 2008

Carte postale: Ma recette

Avant que de retrouver de manière provisoirement définitive les plaisirs et les jouissances sans nom de l'ADSL, voici une dernière carte postale culinaire, qui mettra en outre un terme à cette "somme" sur l'estofinade du Rouergue.

Voici donc le modus operandi que je suivrai à la lettre pour organiser, à la demande générale, le grand repas de stofi qui devrait marquer le congrès fondateur et constituant de l'association "manger-bloguer-point-effaire" qui se tiendra l'hiver prochain à une date incertaine, dans un lieu imprécis, mais avec une assistance drastiquement choisie.

L'estofinade du Rouergue mérite bien cette place inaugurale. Servie en plat unique, elle a toutes les qualités requises pour alimenter ces conversations irremplaçables où l'on bouffe en parlant de bouffe: si la liste des composants est assez simple, on pourra indéfiniment débattre de l'origine du stofi dans la région (dragonnades, commerce fluvial, transport du minerai...), du berceau géographique de la recette (Villefranche-de-Rouergue, Decazeville, Capdenac, Figeac, voire Almont-les-Junies). Les spécialistes des corps gras pourront disserter quelque temps sur le grand danger encouru en portant de l'huile de noix à ébullition... L'observateur gastronomique avisé pourra faire remarquer la très grande singularité de ce plat unique: alors que les potées, cassoulets, garbures et kig ha farz sont de toute évidence d'origine rurale, l'estofinade est très probablement d'origine urbaine, et même ouvrière: je n'ai pas, au cours de mes modestes recherches, trouvé de traces écrites de ce fait, mais il se dit à Decazeville que l'estofinade est une acclimatation, avec les produits du cru, d'une recette apportée par des mineurs polonais.


La première difficulté de cette recette est de trouver du stockfish. J'ai parfois essayé d'en demander à mon poissonnier normand, mais l'œil arrondi de merlan frit que ce digne descendant des Vikings opposa à ma requête m'a conduit à délaisser cette source d'approvisionnement. Désormais, je monte une expédition en direction de Villefranche-de-Rouergue, Figeac ou Decazeville, vers la Toussaint, où je suis sûr de trouver, en poissonnerie, en grande surface ou sur les marchés, le précieux poisson séché. Il suffit de l'empaqueter soigneusement et hermétiquement pour lui faire effectuer sans trop de nuisances odoriférantes le voyage de retour. Car il faut bien avouer que, même sec, le poisson sent. C'est même à cela qu'on le reconnait...

Il faut alors le découper en tronçons pas trop longs pour le mettre à tremper. J'utilise pour cela une scie à métaux (la scie à bûches déchiquette trop la chair). Certains préférerons l'égoïne... mais ça leur passera avant que ça ne me reprenne.

Le trempage doit durer une bonne semaine, à l'eau claire, renouvelée deux fois par jour. Au fil du temps, vous constaterez que l'eau "usée" s'éclaircit, mais ne sent pas vraiment meilleur.

Les morceaux seront alors cuits dans une marmite d'eau. Vous maintiendrez l'ébullition pendant une bonne heure et demie, puis vous dépiauterez le poisson, ôterez les arêtes et l'épine dorsale, de manière à ne conserver que la chair que vous détaillerez en copeaux sans chercher à en faire une bouillie pour votre chat.

A ce moment de la préparation, il est bien évident qu'il n'y a plus personne aux alentours: tout le village a fui, je suis abandonné de ma famille et de tous mes amis, et il n'est pas question de préparer un plat si prestigieux pour ces lâcheurs. Aussi, répartis-je la chair du stockfish partiellement réhydraté en tas de 500 grammes que je mets à congeler, en attendant des jours meilleurs.

Donc, un jour meilleur, je remets à l'eau le contenu d'un sac congélation (500 g, pour ceux qui n'ont pas pris de notes) et le soumets à un ébullition d'une dizaine de minutes. Dans la même eau, débarrassée du poisson, je fais cuire en salant légèrement un petit kilo de pommes de terre à purée.

J'égoutte les pommes de terre, en gardant l'eau okazou, et je les écrase à la fourchette, ou au pilon à purée (que vous trouvez sur tous les marchés à côté des célèbres machines à couper les œufs durs en zig-zag). Je mélange cette purée grossière avec le stofi, trois ou quatre œufs durs coupés en rondelles et une solide persillade faite d'un bouquet de persil (simple) ciselé et de cinq gousses d'ail hachées. Je rectifie généreusement l'assaisonnement en sel et surtout en poivre.

Il arrive que la fin de la préparation se fasse sur la table, sous les regards médusés des convives.

Pendant que mon assistant mesure et fait chauffer deux verres d'huile de noix, je dresse le plat de service sur un chauffe-plat et je creuse un puits au centre de la préparation. J'y verse deux ou trois œufs frais battus en omelette et j'y ajoute la moitié de l'huile de noix bouillante. Je touille avec une cuillère en bois et toute l'énergie qui me reste, je creuse à nouveau un puits pour y verser le reste d'huile et je retouille (ou je passe la cuillère au trentenaire invité spécialement pour cela). Si le mélange me paraît trop sec, j'ajoute un peu d'eau de cuisson des pommes de terre (refusant d'ajouter, comme la Catinou, un verre de lait).

Après avoir évacué les victimes de projections d'huile bouillante, je prends ma plus belle voix d'Oncle Ben's pour lancer "Bon appétit, mes ami(e)s" et nous pouvons passer à table en remerciant, sur un air de gospel, le Seigneur de tous ses bienfaits.

En résumé:

500g de chair de stofi
1 kg de pommes de terre
3 ou 4 œufs durs
2 ou 3 œufs frais
bouquet de persil plat
5 gousses d'ail
2 verres d'huile de noix
sel, poivre.

Note pour le sommelier:

L'estofinade réalise une solide alliance de trois goûts forts (la morue, l'ail et l'huile de noix), alors le vin choisi doit se faire une place... En général, je bois un rouge régional un peu vigoureux (Marcillac, Cahors ou Gaillac).


lundi 25 août 2008

Carte postale : Le « poisson-bâton »

Le périple du « poisson-bâton »

Le cabillaud (qui ne devient morue qu’une fois séché ou fumé) est un poisson des mers froides que, depuis le Moyen Age, les Vikings pêchaient alentour des îles Lofoten. Revenus au port, dans ces petits villages aux maisons de bois peintes en rouge et marron, ils fendaient le poisson en deux, le vidaient, l’étêtaient avant de le saler. C’était (c’est toujours, mais aujourd’hui venue de plus loin) la morue. D’autres fois, le poisson après avoir été saigné, étêté et éviscéré, était simplement pendu en rangs d’oignons à des râteliers de bois. L’air pur et le froid du cercle arctique rendaient celui-ci dur comme du bois : c’était le poisson-bâton, le stockkfisk. Anglicisé et internationalisé depuis sous le nom de stockfish.

Nourriture éminemment roborative, ce stockfish était, de conservation facile, la cargaison idéale des voiliers et la nourriture quotidienne des marins. Ces marins norvégiens, suédois, danois, anglais même, lorsqu’après une longue traversée durant laquelle la morue séchée et les légumes secs avaient été quasi leur seule nourriture, n’avaient qu’une hâte : manger frais. Il n’est pas étonnant alors, le troc restant la base du commerce des humbles, qu’ils échangent le stockfish contre les légumes verts, les fruits du pays, voire la viande fraîche.

C’est pourquoi nulle nourriture venue au nord n’a, comme celle-ci, gagné et conquis le sud. Par tous ses ports, si j’ose écrire !

Bordeaux, Vigo, Porto, Lisbonne, Cadix, Alicante, Valencé, Barcelone, Marseille, Nice, Gênes… Les femmes du pays firent connaissance de ce nouveau produit, imaginant de l’apprêter selon les ressources et les coutumes locales. Et comme le nom était difficile à prononcer, elles en firent, de leur bel accent, des mots nouveaux. A partir de ce stockfish qu’elles prononçaient « estofi ».

Et n’est-il pas amusant de noter que le Groenland (où les marins basques et bretons allèrent pêcher la morue jusqu’au début du XVIème), sur certaines cartes, porte le nom … d’Estofiland ?

Périple ? En ces temps où le mot est employé à tort et à travers il est ici exact puisque, comme Hannon, c’est par eau que le poisson-bâton a pénétré jusqu’au cœur de la France. L’histoire de l’estofinado en témoigne.

L’estofinado est un plat rouergat, né à Decazeville au siècle dernier.

Lorsque sous l’impulsion du duc Decazes, la métallurgie s’implanta en la ville aveyronnaise portant le nom du ministre de Louis XVIII et que les premiers fours furent mis en marche, le minerai de fer traité venait d’Espagne. Il arrivait par bateau, à Bordeaux, d’où on le chargeait sur des chalands qui, suivant le Lot, arrivaient à la nouvelle ville industrielle. Or Bordeaux était alors le premier marché de France pour la morue. Les bateliers achetaient aux entrepôts de Bègles ce stockfish peu coûteux qui, pour devenir comestible, doit tremper au moins huit jours en eau courante. Huit jours ? C’était juste le temps nécessaire aux chalands pour arriver de Bordeaux à Capdenac, et l’on assure que les mariniers attachaient le stockfish derrière le bateau sans avoir à se préoccuper, arrivant ainsi à bon port avec la morue amollie qu’ils apprêtaient en salade chaude, une fois cuite, avec pommes de terre, œufs durs, ail pilé, persil et huile de noix.

C’est le dessalage* qui compte. Ramadier, président du conseil et député de Decazeville, mettait, dit-on, le poisson-bâton dans la chasse d’eau de ses W.C. toute la semaine pour son estofinado du dimanche.

(…)


* Notre auteur oublie que son « poisson-bâton » n’est pas salé, mais simplement séché…


Robert J. Courtine, aka La Reynière, ancien chroniqueur gastronomique du journal Le Monde.

Extrait d’un article paru je ne sais où, je ne sais quand, et trouvé dans les archives d’une très chère amie de l’Aveyron, ancienne (mauvaise) élève de cours particuliers en latin, dispensés par son voisin Paul Ramadier (alors replié en son fief électoral de Decazeville, après avoir eu la mauvaise idée de ne pas voter les pleins pouvoirs au Maréchal Pétain).



NB : Je suis à peu près persuadé que les opinions politiques de Robert J. Courtine avaient de quoi couper l’appétit à un vieil humaniste prolétarien et sentimental tel que moi, mais son texte, malgré ses naïvetés versaillaises (le troc, "base du commerce des humbles" !) et ses imprécisions concernant la recette (l’estofinado, une "salade chaude" !), expose cette légende du stockfish remontant le courant du fleuve attaché aux lents chalands - que je trouve d’un réalisme poétique assez appétissant.

dimanche 24 août 2008

Carte postale (en couleur locale, traduite) : L’estofi

Afin de ne pas perdre mes élégantes lectrices et distingués lecteurs du nord et (surtout) de l’est du territoire hexagonal, je me suis acharné à faire un semblant de traduction-trahison du texte du billet précédent.

Ce travail a nécessité l’usage de quatre dictionnaires, un litre et demi de café corsé et une bouteille de calvados 12 ans d’âge, ainsi qu’un demi tube de paracétamol 1000 mg effervescent pour combattre les courbatures provoquées par la manipulation frénétique des dictionnaires.


L’estofinado est une manière tout à fait originale de préparer la morue qui nous est certainement venue du nord de l’Europe. En fait la morue ainsi préparée n’est pas la morue salée que l’on utilise pour préparer la « brandade », mais une morue séchée appelée « stockfish » (devenu « estofi » dans le Rouergue).

S’il faut remercier les inconnus qui nous apportèrent cette recette, il faut aussi féliciter les cuisinières rouergates qui surent l’adapter à leur goût en y ajoutant ce petit quelque chose qui fit de ce plat nordique un plat portant bien la marque de notre région. Et qui est un régal.

Comment s’y prendre pour faire une « estofinade » ?

Il vous faut au moins une livre (500 grammes) d’estofi – qui se présente comme un bout de bois bien sec et si dur que vous aurez besoin d’une scie pour le détailler en morceaux.

Ces morceaux, vous les mettrez à tremper pendant une semaine pour que la chair desséchée retrouve, en gonflant, son naturel. Vous veillerez à changer l’eau le plus souvent possible. Au moins deux fois par jour. (Autrefois, à la campagne, au temps où l’eau n’était pas encore polluée, nous les mettions à tremper dans le courant d’un ruisseau, attachés à une branche de saule.) A la fin de la semaine, les morceaux auront doublé en poids et en volume : avec une livre de poisson sec, vous aurez à présent un bon kilo trempé.

Ensuite vous mettrez ce kilo d’estofi dans une marmite pleine d’eau froide et monterez cette marmite sur le feu. Et quand vous aurez atteint l’ébullition, vous laisserez bouillir pendant une heure et demie. Au bout d’une heure et demie vous modérerez le feu, mais vous laisserez à mijoter dans l’eau chaude pendant encore un quart d’heure.

Un kilo de pommes de terre pour un kilo d’estofi

Ensuite vous retirerez l’estofi cuit de la marmite et, dans la même eau, vous mettrez à cuire un kilo de pommes de terre épluchées. Vous relancerez le feu et les laisserez bouillir pendant une bonne demi-heure.

Pendant ce temps vous dépiauterez la chair de l’estofi qui s’émiette aisément en petits copeaux. Vous retirerez toutes les arêtes, la colonne vertébrale, ainsi que la peau.

Ce travail méticuleux terminé, vous vous occuperez des pommes de terre qui seront assez cuites pour être écrasées en purée pas trop fine à l’aide d’une fourchette.

Puis vous mélangerez les pommes de terre et l’estofi dans une terrine en ajoutant sel et poivre à votre convenance (mais en sachant que ce plat demande à être bien relevé) en écrasant toujours avec la fourchette. Surtout gardez-vous bien de passer le tout au mixer ! Dans la purée ainsi préparée il faut que l’on trouve sous la dent les petits morceaux de chair d’estofi comme de petits grumeaux.

Ce qui fait la différence avec la brandade de morue

Maintenant il vous faudra donner à l’estofinade ce qui achève de faire son originalité. Pour cela vous ferez cuire cinq œufs durs que vous couperez en petits morceaux. Et vous préparerez une persillade en hachant cinq ou six gousses d’ail et un bouquet de persil. Vous disposerez œufs durs et persillade sur l’estofinade. Puis vous casserez deux œufs frais dans un bol, les battrez et les répandrez sur le tout.

Enfin vous ferez chauffer un verre et demi d’huile de noix ou, si vous n’en avez pas, d’huile d’olive, et quand l’huile sera sur le point de bouillir, vous la verserez sur l’estofinade en remuant fermement avec une cuillère de bois. Si vous trouvez le mélange trop sec, vous pourrez l’amollir avec un verre de lait bouillant qui le rendra plus onctueux.

Servez de suite avec des croûtons grillés.

samedi 23 août 2008

Carte postale (en couleur locale) : L’estofi



L’estofinado del Rouergue

Longtemps strictement limité au Nord-Ouest du Rouergue, (région de Decazeville et Villefranche–de-Rouergue) la réputation de l’estofinado, grâce au développement du tourisme, ne connaît plus aujourd’hui de frontière.



L’estofinado es un biais tout a fèt ouriginal d’aprestar la merlusso que nous es vengut, al sigur, del Nord de l’Europo. De fèt la merlusso atal aprestado es pas la merlusso salado que servis a preparar la « brandado », mès uno merlusso baptejado « stockfish » (devengut « estofi » en Rouergue).

Se dibèm remerciar aquelis (noun couneguts) que nous pourtèron aquelo recètto, dibèm tanben coumplimentar las cousinièros rouergatos que sachèron l’adoubar a lour counvenenço en i ajustant un pichot quicom que fa d’aquel plat nourdique un plat que porto pla la marquo de nostre païs. E qu’es un regal.

Coussi vous i prene per faire uno « estofinado » ?

Vous cal al mens uno liouri (500 grammos) d’estofi – que se presento coumo un barroul de bouès pla sec e taloment dur que vous caldra uno ressègo per ne faire de trosses.

Aquelis trosses lous mettretz a trempar pendent uno setmano per que la carn dessecado retrobe, en couflant, soun naturèl. Velharetz a cambiar l’aigo lou mai souvent poussible. Al mens dous cops per joun. (Autris cops, a la campahno, al temps ount las aigos èron pas encaro polluados, lou mettion a trempar dins lou courent d’un riou, estacat a uno branco de sauce.) A la fin de la setmano aura doublat de voulume e de pes : d’uno liouro seco, aro n’abetz un brave kilo trempat.

Alabes mettretz aquel kilo d’estofi dins uno oulo pleno d’aigo fredo e mountaretz l’oulo sul fioc. E quand aura attrapat lou boulh, lou laissaretz buhlir pendent uno e mièjo. A cap d’uno ouro e mièjo tamparetz lou fioc, mès lou laissaretz coufir dins l’aigo caldo pendent un quart d’ouro encaro.

Un kilo de patanos per un kilo d’estofi

Pèi tiraretz l’estofi cuèit e, dins la mèmo aigo, mettretz a coire un kilo de patanos pelados. Tournaretz lançar lou fioc e las laissaretz buhlir pendent uno grosso mièjo-ouro.

D’aquel temps estroucinaretz (dépiauterez) la carn de l’estofi que s’amenuco (s’émiette) aisidoment en pichots estelous (petits copeaux). Ne tiraretz toutos las espinos (arêtes) lous osses del rastèl (colonne vertébrale) e tanben la pèl.

Aquel travahl espepissaire (méticuleux) acabat, vous occuparetz de la patanos qu’auran prou boulhit per estre espoutidos (écrasées) e ne faire uno poutourlado (purée) pas trop fino, en las prestiguent amb uno fourquetto.

Pèi mesclaretz patanos e estofi dins un grand grasal (terrine) en ajustant sal e pebre a vostro counvenenço (mès en sachent qu’aquel plat demando a estre prou rellevat) e toujoun en prestiguent ambe la fourquetto. Sustout gardatz-vous pla de lous passar al « mixer » ! Dins la poutourlado atal prestido cal que l’on trobe joust la dent lous estelous de carn d’estofi coumo de pichots grumèls.

Ço que la fa differencio ambe la brandado de merlusso

Aro vous la caldra dounar a l’estofinado ço qu’acabara de faire soun ouriginalitat. Per aquo faretz coire cinq uoùs durs que couparetz en pichots talhous. E prepararetz uno persilhado en talhounant cinq ou sièis granos d’ahl e un bouquet de persil. Uoùs durs e persilhado, pausaretz tout sus l’estofinado. Pèi trincaretz dous uoùs fresques dins un cassol, lou battretz e lou vuidaretz sus tout aquo.

Enfin faretz calfar un veire e mièg d’oli de nouze (noix) ou, se n’abetz pas, d’oli d’oulivo, e quand sera sul punt de buhlir la vuidaretz sus l’estofinado en barrejant ferme amb un culhèr de bouès. Se la trouvatz trop seco, poudetz l’azoulhar amb un veire de lait boulhent que fara la pasto mai moustouso.

Serviretz de suito ambe de croustets grasilhats.

Charles Mouly, La cuisine de Catinou, Loubatières, 2000.


NB: Il se peut que le courage me vienne de vous en proposer une traduction... Patience!

jeudi 21 août 2008

Carte postale: Le stockfish



Aperçu de la "bête" en grande surface.

Le stockfish est une spécialité du Rouergue et du Quercy oriental. Les historiens locaux pensent que son introduction dans ces régions fut une conséquence directe du commerce international de la laine au Moyen Age, époque à laquelle Villefranche-de-Rouergue et Figeac étaient d'importantes cités marchandes. Cette variété de morue séchée aurait été apportée par des marchands norvégiens venus acheter de la laine. Étant donné son caractère très régional, ce plat figure rarement dans les livres de cuisine française. On le retrouve cependant dans d'autres régions du Languedoc et en Provence, bien qu'il n'y jouisse pas de la même estime qu'à Figeac d'où provient ma recette et où il est considéré comme le plus exquis des mets.

Le poisson lui-même est peu salé, contrairement à la morue séchée ordinaire qui sert à faire la brandade. Il s'agit, en fait, d'une brandade pour gourmet.

Il faut tout d'abord faire tremper le stockfish séché pendant dix jours durant lesquels il s'en dégage une odeur tout à fait nauséabonde. S'il ne s'agit pas d'eau courante, le bain doit être fréquemment renouvelé. L'eau de pluie convient le mieux à cette opération et, selon une vieille coutume, il fallait le laisser tremper dans des tonneaux placés sous les gouttières des cours de Figeac. Dans les temps anciens les ruelles humides empestaient ainsi le stockfish pendant tout novembre et décembre. Au bout de quelques jours, la chair du poisson est incisée jusqu'à la peau, ce qui permet un trempage plus efficace.

Le jour de la composition du plat, on le met dans une eau froide que l'on porte à ébullition. Les pommes de terre avec lesquelles on va le mélanger (trois fois le poids du stockfish séché, à raison de 100 grammes par personne) sont bouillies séparément, puis écrasées avec le poisson bien égoutté. On assaisonne cette purée de sel, de poivre, de persil haché, d'ail, et on y incorpore lentement un œuf par personne. Ceux qui ont une digestion à toute épreuve y ajoutent parfois du beurre et des quantités de crème fraîche, bien que, selon les autres, ce ne soit pas nécessaire et rende le plat trop riche. On tient la purée bien au chaud tandis que l'huile, et de préférence de l'huile de noix, est portée jusqu'à évaporation (à raison d'un demi-litre pour 2 kilos de pommes de terre). On peut, par économie, la remplacer par une huile de maïs, mais ce serait dommage car le robuste parfum de la noix, aussi moelleux que l'odeur d'un vieil atelier de charpentier, et son arrière-goût légèrement sucré confèrent au poisson un mordant que l'on qualifierait de graveleux s'il s'agissait de vin. J'imagine que les Provençaux y mettent de l'huile d'olive, ce qui est sans aucun doute bien moins excitant.

Le stockfish étant un repas complet, on ne sert jamais rien avant ou après. Mais il faut le conserver à la bonne température sur un chauffe-plats et le remettre au feu entre chaque service, tout en veillant à ce qu'il ne roussisse pas. On l'accompagne de vin nouveau, et c'est l'une des raisons de sa consommation au début de l'hiver, quoique ce soit également la coutume d'en manger pendant la Semaine sainte.

Feu le docteur Solignac en était particulièrement friand, mais il se plaignait du fait que "c'est un plat cher. Il est gourmand d'huile", et c'est sans doute ce souci d'économie qui fut en partie à l'origine de la conservation remarquable de ses capacités de digestion. Ainsi, par un heureux équilibre de deux des sept péchés capitaux parvenus à se modérer l'un l'autre, il dépassa allègrement les quatre-vingts ans, avec. une digestion qu'aurait pu lui envier un jeune homme.

Si l'estomac du lecteur est conforme à la moyenne, je lui recommande d'agir avec grande prudence lorsqu'il désirera se mesurer au stockfish et peut-être de s'armer d'un sachet de Bourget Inositol, ou de tout autre remède traditionnel que pourrait lui recommander un bon pharmacien du Sud-Ouest pour combattre la débâcle digestive.

Pour ceux qui désirent avant tout goûter au stockfish dans son cadre naturel, il peut être utile de préciser qu'une symbiose toute naturelle existe dans cette France méridionale entre le pharmacien et le meilleur restaurant de la ville, et que le premier est donc par conséquent la meilleure source d'information sur le second! Ne vous attendez pas cependant à trouver du stockfish au menu: il faut toujours le commander à l'avance, car sa préparation réclame de l'attention et un désagrément certain (odeur comprise). Mme Lacoste, la femme de l'épicier, a coutume de dire: "Le stockfish, c'est dégoûtant à préparer! A table, lorsque c'est moi qui l'ai fait, je peux à peine le regarder. Remarquez, j'en mange, mais pas avec le même appétit que si quelqu'un d'autre l'avait fait..."

Ceux qui ont goûté à un bon stockfish concéderont volontiers qu'un tel résultat vaut bien le travail que l'on se donne et un certain désagrément, mais le mystérieux prestige qu'il possède échappe peut-être au domaine des considérations purement culinaires. C'est l'alimentation interne du groupe. Jamais servie pendant la saison touristique et masquée aux regards étrangers, c'est friandise des festins domestiques que l'on mange à la cuillère dans les réunions familiales. Son inélégance en regard des critères parisiens et son manque de conformité aux modèles diffusés par les magazines ne font qu'accroître sa valeur de rite d'une convivialité intime. Il se pourrait que son mystère provienne en fin de compte de sa position anormale dans le triangle culinaire de Lévi-Strauss: séché et salé lorsqu'il est cru, c'est quand il est trempé qu'il sent le pourri. Il est bouilli et mélangé au plus humble des tubercules en même temps qu'il est frit de l'intérieur par addition d'huile bouillante, pour être rôti ensuite, sans toutefois pouvoir roussir. Il se compose d'ingrédients très humbles: de la morue séchée, le poisson des pauvres, des pommes de terre, de l'ail et de l'huile locale que les paysans fabriquaient eux-mêmes avec leurs propres noix, car ils ne pouvaient s'offrir de l'huile d'olive. Mais le stockfish coûte aujourd'hui beaucoup plus cher que la morue ordinaire, et l'huile de noix, qu'il faut en abondance, coûte une fortune à Paris. "Un plat cher, gourmand d'huile", répète Mme Lacoste, certainement sans savoir que c'était là la maxime du docteur Solignac. Apparemment rustique et autochtone, c'est en fait un luxe formidable. Il date de l'époque où Figeac était immensément riche, où ses rues étaient bordées d'arcades gothiques et, comme toute chose sanctifiée, il vient de très loin - la Norvège - et porte un nom aux consonances fort étrangères lorsqu'il est prononcé "stoquefishe" avec l'accent du Midi. On l'appelle aussi plus simplement stofish et, en Languedoc, estoufinade. Et lorsqu'on dit à Marseille de quelqu'un qu'il est "maigre comme un estoquefishe", c'est une façon très désobligeante, mais pittoresque, de dire qu'il est vraiment fort décharné!


Julian Pitt-Rivers (1919-2001)


Extrait de "La cuisine des ethnologues"; sous la direction de Jessica Kuper, Bibliothèque Berger-Levraul, 1981.

lundi 11 août 2008

Je vous enverrai des cartes postales





Depuis qu'il a décidé que j'avais atteint l'âge où il est de mise de surveiller son capital-santé, mon médecin a inventé de m'imposer régulièrement un dosage de mon taux de cholestérol et de mon taux de triglycérides.

Les résultats sont en général calamiteux.

Particulièrement les derniers.

Alors j'ai décidé de m'imposer une sorte d'épreuve d'effort.

Il faut préciser, pour mes lecteurs en bas âge, qui ont autre chose à faire que de vieillir à plein temps, le principe du test d'effort.

Vous prenez un présumé cardiaque, ou un présumé futur cardiaque, vous le faites grimper sur un vélo d'appartement et vous lui demandez de pédaler... Pendant ce temps-là, vous surveillez le rythme cardiaque de votre patient: le but du jeu est de voir s'il peut parvenir à sa limite théorique savamment calculée en fonction de son âge, de son poids et des taux d'usure habituels. Il arrive que le cycliste explose, et c'est toujours ça de gagné pour la Sécu.

Bien sûr, mon médecin m'a offert une sortie vélo pour mes cinquante ans...

La secrétaire, qui s'était fait un maquillage rassurant et précompassionnel, a pris soin de me faire payer avant. J'ai croisé un chariot médicalisé poussé par un infirmier rassurant et bodibildé qui est venu se placer en embuscade près de la porte. Et j'ai vaillamment pédalé dans un vide de plus en plus compact sous l'œil rassurant et professionnel d'une cardiologue, qui a eu le culot de me demander, une fois la limite théorique atteinte, si je voulais continuer, "pour le sport".

C'était le mot à ne pas prononcer...


Je me prépare donc à soumettre mon organisme à une épreuve analogue, afin de déterminer s'il peut supporter un "effort" limite dans la production du mauvais cholestérol et des triglycérides.

J'abandonne donc mes dix légumes crus ou étuvés par jour, mes portions de saumon calibrées au pèse-lettre et les tisanes dosées au compte- goutte, pour aller me réfugier auprès d'amis gourmets, dans une région où l'on peut se gaver de farsous, tripous et cabécous, ainsi que de stofi, aligot et quartiers à l'oseille...


Pendant ce temps, l'escalier restera à peu près vide.

Mais, c'est promis, si je croise une connexion où il ne faut pas trop pédaler pour obtenir de l'ADSL, je vous enverrai des cartes postales.

PS: Les illustrations sont des exemples des productions des éditions Plonk & Replonk, dont le site est présenté comme "une oasis de niaiserie"... On n'est pas obligé de les croire sur parole...

dimanche 10 août 2008

Encart spécial dimanche

Il ne vous aura pas échappé que le billet d'hier était illustré de photographies d'un bien photogénique ensemble musical.

Et que ces photographies, dues à Flo Py, étaient en couleur (je précise pour le lecteur anonyme qui me regarde en gardant ses raibannes).

J'aurais bien aimé ajouter, en illustration sonore, le joyeux bordel charivarique produit par les membres de la fanfare Droit dans l'mur, qui se définit comme "fanfare punk à tendances circassiennes ", mais je n'avais rien trouvé sur le ouaibe.

Cependant délimochionne possède bien des ressources cachées qu'une recherche scientifiquement menée par un bibliothécaire virtuose des escaliers peut difficilement mettre en évidence...

Le hasard, et le hasard seul, d'une recherche d'images sur une charmante bourgade gersoise, connue (horresco referens) pour ses fêtes tauromachiques, me fit atteindre les vidéos postées par MilieVolt .

Je vous en propose trois.

Que voici, que voilà.

7 avril 2007, à la Miroiterie, Paris.




14 mai 2007, à Vic-Fezensac.




20 janvier 2007, à l'espace autogéré des Tanneries à Dijon.




A les entendre, malgré une prise de son peu avantageuse, j'imagine que les murs des centres de rétention administrative ne tiendraient pas longtemps devant leurs éminentes qualités poliorcétiques...

[Nota Bene pour les esprits mal tournés: C'est une sorte d'image, ça, monsieur Hortefeux, pas une suggestion, encore moins une incitation... ]



samedi 9 août 2008

P'tit bal sauvage à Bellevill'montant, 6 mai 2012

Ce billet est une pochade fictionnelle rédigée en réponse à Kamizole qui a eu l'étrange et amusante idée de m'inscrire dans une "chaine" bloguistique demandant réponse à cette question: "Où serez-vous le 6 mai 2012 ?"




Dimanche 6 mai 2012.

L'aube est un peu fraîche dans mon pigeonnier de Ménilmontant, mais le ciel là-bas, vers Charonne, est d'un bleu délavé bien printanier.

Comme il y cinq ans, jour pour jour, le petit bal sauvage de la commune libre de Bellevill'montant va déployer ses drapeaux noirs et rouges au pied de l'église de Ménilmontant.


Mais personne aujourd'hui ne tendra l'oreille aux rumeurs de résultats d'une élection présidentielle quelconque, c'est tout juste si quelques ruminants mémoriels dans mon genre vont évoquer entre eux l'ambiance plombée d'alors.

Les prochaines présidentielles auront lieu dans deux ans et demi.

Devant mon café, je remâche quelques souvenirs de la tragique comédie qui aboutit à ces élections de décembre 2009 où le petit Béarnais tenace descendit de son tracteur pour sauver la France du désastre.

La première perte de contrôle dramatique du président eut lieu pour le second anniversaire de son élection, en direct, sous l'œil fuligineux et le sourcil arcbouté d'une Arlette Chabot trop paniquée pour choisir entre le voussoiement et le tutoiement en voulant ramener au calme un Nicolas Sarkozy hors de ses gongs. L'image de sa blonde collègue ne pouvant contenir son fou rire, que le réalisateur ne put couper à temps, fit le tour du monde à la vitesse de l'internet…

L'opération de curetage des médias qui suivit fut finement, mais respectueusement, analysée par l'insubmersible Laurent Joffrin dans ses éditoriaux du Figaro, et par l'incontournable Bernard-Henri Lévy dans son bloc-note hébergé sur une pleine page de Charlie Hebdo (alors que Philippe Val, à la fois directeur de publication, rédacteur en chef et responsable de la machine à café, se contentait de remplir poussivement ses deux colonnes).

Seul le Contre-Libé, né sur les ruines du journal Libération en regroupant l'équipe du Contre-Journal et les rédactions régionales, osait dénoncer les dérives manifestes d'un pouvoir assez ivre pour croire les peuples impassibles.


Quelques semaines plus tard, l'hospitalisation du chef de l'Etat au Val de Grâce à la suite d'une rupture du tendon d'Achille dura plus longtemps que nécessaire. Les ironistes de tout poil prétendirent que l'accident était dû à l'effondrement d'une talonnette présidentielle en descendant l'escalier menant à la bibliothèque de l'Elysée. Les journalistes d'investigation et les commentateurs éclairés démentirent cette rumeur en rappelant que Nicolas Sarkozy n'avait jamais lu quoi que ce soit.

La réapparition publique de Nicolas Sarkozy étayé par deux cannes anglaises en fibre de carbone plaquées or, fut saluée par une spectaculaire remontée dans les sondages, alors que le train des réformes menées par un premier ministre de formule un mettait le pays au bord d'une grève générale toujours repoussée par des syndicats très satisfaits d'être parfois consultés.

Un spécialiste étasunien de paléoanatomie de la voûte plantaire, qui s'était rendu célèbre pour avoir reconstitué la démarche des premiers hominidés, analysa les premières vidéos accessibles sur YouTube et en conclut que le président ne pouvait pas avoir été opéré du tendon d'Achille.

Pendant ce temps, les tensions au sein de l'UMP atteignaient un point insoutenable et le PS cherchait toujours une raison de survivre...

Au cours de son intervention télévisée, enregistrée à l'Elysée et diffusée le 14 juillet, Nicolas Sarkozy apparut pâle et amaigri, les yeux éteints au fond d'orbites creusées et comme maquillées à la teinture d'iode.

Personne n'eut le loisir de commenter ses propos un peu pâteux: quinze jours plus tard, il avait disparu.

Son absence au dernier conseil des ministres fut "couverte" d'un communiqué laconique de Matignon expliquant le départ anticipé du président en vacances "pour raisons de santé". Mais il fut impossible de cacher longtemps la vérité: au terme d'une folle équipée autoroutière, Nicolas Sarkozy s'était retranché au fort de Brégançon et menaçait de se faire sauter avec la réserve de munitions.

Personne n'était en mesure d'évaluer l'état de ladite réserve: interrogé sur ce point, Jacques Chirac répondit qu'il pouvait donner un état descriptif très précis de la cave, mais qu'il ne s'était jamais intéressé aux munitions, n'étant pas consommateur... Valéry Giscard d'Estaing voulu donner des détails, mais aucun journaliste n'eut la patience d'attendre qu'il termine sa péroraison.

Les communiqués fermes et rassurants pleuvaient. La continuité de l'Etat était assurée. François Hollande demanda une réunion extraordinaire du Parlement. On laissa entendre que le forcené avait été depuis belle lurette dépossédé des codes de la force nucléaire française. François Hollande menaça de déposer une motion de censure.


Quand, après avoir passé une nuit entière à négocier avec son ami, Brice Hortefeux apparut, en bermuda et gilet pare-balles, tenant par la main un Nicolas Sarkozy échevelé, livide, noir de barbe, hirsute mais pas menaçant du tout (la camisole de force fut inutile), on tomba dans un imbroglio juridico-constitutionnel atterrant.

Jack Lang offrit ses services de spécialiste du Droit et de sauveur de la Patrie. Il fut aussi pitoyable que d'habitude.

Les élections confirmèrent la résistible progression de François Bayrou, le miraculé, qui l'emporta de deux voix, dont celle de Jack Lang.

Comme prévu, Jack Lang ne fut pas nommé premier ministre.





Avertissement:

"L'apparition (…) de personnages réels (…) ne signifie pas qu'ils ressemblent au portrait brossé dans cette nouvelle. L'auteur n'a pas le plaisir de les connaître personnellement et réserve par conséquent son jugement. Toutefois il les connaît en tant que héros de papier ou de l'écran, et il se contente de manipuler ce qui, par essence, n'est qu'une manipulation consentie par les manipulés."

Manuel Vázquez Montalbán, préface à Histoires de familles, 1987.
Traduction française par Alain Petre, Christian Bourgois Editeur, 1992.



PS1: Les photographies du petit bal sauvage, édition 2008, m'ont été aimablement prêtées par Flo Py.

On y reconnaitra la fanfare anarcho-punk Droit dans l'mur.

PS2: Puisque j'ai répondu à la question de Kamisole, je peux la repasser à quelque ami(e)s bloguesques, assavoir: Cochon Dingue, JR, Mademoiselle S., Flo Py et Françoise.

A vous de jouer.

vendredi 8 août 2008

De l'utilité d'un bouc émissaire


« Les gens qui viennent à la porte de ce ministère avec une sébile dans une main et un cocktail Molotov devront choisir. »

Maurice Druon, 1973

Cette déclaration de l'immortel Maurice Druon, qui était alors ministre des Affaires Culturelles et menaçait de supprimer les subventions aux directeurs de théâtre "subversifs", provoqua à l'époque une belle indignation et conduisit à l'organisation d'une manifestation grandiose pour marquer l'enterrement de la liberté d'expression.

Durant ce défilé, pas si silencieux que le dit Wikipédia puisque rythmé par des tambours marquant la cadence d'une marche funèbre, je me souviens avoir scandé au tuba les notes du troisième mouvement de la deuxième sonate, en si bémol mineur, op. 35, de Frédéric Chopin.

J'en garde comme des remords, qui me conduisent à vous le proposer, interprété par Jerome Rose:


Découvrez Jerome Rose


Moulage de la main gauche de Frédéric Chopin.

J'ai bien peur que la liberté d'exprimer et de manifester ses opinions ne soit encore plus menacée maintenant qu'à l'époque du sinistre Druon... mais que l'enterrement de la liberté d'expression, de nos jours, n'aurait lieu que dans une fort restreinte intimité...

Alors, dans l'intimité de ce blogue, je relaye ce constat fait par six associations reconnues par les pouvoirs publics.



Communiqué de presse commun
Cimade - Gisti - RESF - Anafé - Pastorale des Migrants - LDH


mercredi 6 août 2008

Incendies dans les CRA : le gouvernement cherche un bouc émissaire

« Suite à l’incendie partiel du centre de rétention administrative du Mesnil-Amelot samedi 2 août, le ministre de l’Immigration, Brice Hortefeux, vient de déposer plainte contre le président de l’association SOS soutien aux sans papiers. En juin, après l’incendie du centre de Vincennes, c’est le Réseau éducation sans frontières qui était accusé.

Les associations signataires rappellent que la situation dans les centres de rétention administrative se dégrade depuis plusieurs années et en particulier depuis l’instauration des quotas d’expulsion. La pression qui s’est installée sur les étrangers et la réduction croissante de leurs droits génèrent un sentiment d’humiliation, d’angoisse et de révolte.

Dans des centres de rétention de plus en plus nombreux et de plus en plus grands, les actes de désespoir et de colère se multiplient. Automutilations, tentatives de suicide, grèves de la faim, débuts d’incendies sont fréquents. Les tensions et la violence sont permanentes. A Vincennes le 22 juin, comme au Mesnil-Amelot ce week-end, c’est cette colère qui s’est exprimée.

En désignant tel ou tel militant associatif et en faisant interdire une manifestation, les pouvoirs publics s’exonèrent de leur responsabilité et refusent de faire l’analyse des effets de la politique qu’ils mettent en œuvre.

Avec de telles manœuvres d’intimidation, le ministre de l’Immigration s'en prend au travail de toutes les associations de soutien aux sans-papiers. Il tente, devant l’opinion publique, de trouver un bouc émissaire et porte ainsi atteinte à la liberté d’expression et de manifestation.

La critique de la politique de l’immigration est-elle encore possible en France ?»


Ce communiqué m'a été transmis par un lecteur, Dorémi (que je remercie), dans un commentaire à un billet sur le début d'incendie au CRA du Mesnil-Amelot.

Il ajoute:

Et puis-je oser vous demander de signer cette pétition-ci, en faveur de mon filleul qui se trouve au Mesnil-Amelot depuis le 27 juillet… C'est la deuxième fois en moins d'un an qu'il se trouve en rétention. Bien le merci.

Bien sûr qu'il faut oser !

jeudi 7 août 2008

Un pistolet électronique qui sauve des vies


Découvrez John Zorn


Les lecteurs fanatiques de ce blogue qui suivent pas à pas mes déplacements savent que ceux-ci sont dominés par une bougeotte compulsive qui me fait osciller entre Belleville et Trifouillis-en-Normandie.

Nul n'ignore que Trifouillis est situé dans ce département d'une exquise ruralité qui fut autrefois connu pour avoir la plus grande surface de gazon tondu par habitant. Les opinions politiques et le climat y sont modérés et les seules graves controverses s'élèvent lorsque la température y dépasse les 23°C.

- Fait beau et chaud, hein, ma'ame Dugenou.

- Fait mêm' lourd!

(Avec un net tombé plombé des épaules sur la dernière syllabe...)

En Haute-Normandie, nous avons un quotidien régional qui semble encore plus régional que les quotidiens régionaux, il s'appelle Paris-Normandie.

C'est à peu près la seule source d'information sur la blessure par un tir de taser d'un jeune homme de 26 ans, à Vernon, tout près de chez moi. (Je signale aussi cette source au N-Obs.fr)

D'un premier article de Melanie Favreau, on peut tirer ce résumé des faits:

Ce soir-là, selon le substitut du procureur à Evreux, Elodie Blier, « des policiers de la BAC (brigade anticriminalité) auraient été insultés par une bande de jeunes à Vernonnet. Ils ont donc voulu procéder à une interpellation ». Oui mais voilà, l'intervention tourne au vinaigre. Une bagarre éclate entre les policiers et les jeunes. David s'en mêle et écope d'une décharge de Taser en pleine tête. Echappant ensuite aux autorités, il part se faire soigner au centre hospitalier. Très vite, les radios dévoilent une réalité alarmante. « L'arme a transpercé la voûte crânienne frontale droite et l'os crânien de plus de huit millimètres au total », explique le radiologue et conseiller municipal de la mairie de Vernon, Emmanuel Colletis. « Imaginez la puissance de cette arme pour faire des dégâts pareils ! »

(...)


Selon Fabrice, le frère de David, un de ses amis, Anthony, a été également blessé et a reçu quelques points de suture avant d'être placé en garde à vue. « Il s'était embrouillé avec les policiers de la BAC. David est intervenu pour le défendre. C'est comme ça qu'il s'est fait tirer dessus. » Dès que David sortira de l'hôpital, sa famille devrait porter plainte au parquet d'Evreux.

Un second article, de Vincent Folliot, donne le témoignage de la victime:

D'après le parquet d'Evreux, la BAC (brigade anticriminalité) aurait été prise à partie par un groupe de jeunes individus. Ce que réfute David. « Je ne me souviens pas du tout de les avoir insultés. Et les autres, je ne sais plus. » Les policiers font un contrôle d'identité. « Ils ont arrêté mon collègue Anthony. J'ai voulu voir comment ça se passait et je me suis approché. Là, je pense qu'un policier a pris peur et a tiré. J'étais au sol, à genoux à moins de deux mètres de lui » relate le jeune homme, qui avoue ne pas se souvenir de tout dans le détail. Malgré sa blessure, il parvient à échapper aux policiers et à se diriger aux urgences de l'hôpital de Vernon. « C'est un copain qui m'a emmené en voiture. Quand on prend un truc dans le crâne on a peur, on se sauve. On a tellement peur de s'en reprendre un dans la tête qu'on ne reste pas sur place. » (...)

Transféré dans la nuit de vendredi à samedi au CHU de Rouen, David a été opéré samedi soir. « La police d'Evreux est venue me voir à l'hôpital pour recueillir ma plainte » dit-il. Contactées à maintes reprises, les autorités policières ont décidé de ne pas s'exprimer sur cette affaire. Dans l'attente d'entendre David, le parquet d'Evreux, de son côté, a ouvert une enquête et demandé une expertise médicale.

David Sémy après son opération.
Photo trouvée sur le site de Paris-Normandie.

Au bas de la page 2 de l'édition du 6 août de notre quotidien, on trouve une brève donnant le point de vue syndical:

Le syndicat Alliance se défend
Pour Rémi Chemin, secrétaire régional du syndicat de police Alliance, le Taser a l'avantage d'être une arme "non létale."

« Cette arme a été utilisée à bon escient. C'est une arme faite pour éviter d'utiliser l'autre qui est plus dure. Les collègues sont bien intervenus. Ce qui nous étonne, c'est qu'il y a quand même une décharge forte et qu'il ait réussi à repartir en courant. J'ai testé l'arme sur moi, c'est assez fort quand même. Ça ne dure pas très longtemps, mais ça permet de maîtriser un individu.» Le représentant d'Alliance pense que le jeune homme aurait mieux fait de « rester sur place pour être soigné rapidement. » Au lieu de cela, « il est parti et il vient se plaindre. Ça nous étonne aussi » insiste-t-il. Pour autant, la blessure au crâne par une broche de Taser n'est pas contestée. « On ne nie pas qu'il ait été blessé à la tête. malheureusement, il suffit qu'il se penche et voilà... Quand on tire d'1 m 50 ou 2 mètres, c'est prévu pour maîtriser une personne très virulente. » Selon toute vraisemblance, les actions portées sur le pistolet utilisé par le policier devraient être examinées et décryptées.

J'ai reproduit cet articulet en essayant de respecter la mise en caractères, et je ne me permettrai pas de vous infliger une explication de texte: si vous êtes ici, c'est que vous savez lire...

De même je me garderai bien de commenter de quelque façon que ce soit les informations que vous pourrez trouver en consultant le site français de la société Taser. Je vous donne seulement les titres qui vous y attendent (pour faire du "teasing"...)

Le pistolet électronique qui sauve des vies.

Un pistolet non-mortel, facteur de paix civile.

Une transparence totale : le pistolet filme son action


Un esprit de responsabilité


Je sens que vous irez voir... Et vous aurez raison, car, au passage, vous pourrez répondre à un petit "sondage" maison:

Selon vous qui doit être équipé du Taser X26 ? (plusieurs réponses possibles)

Ceci dit, et sans vouloir faire de peine aux dirigeants de Taser (vous savez à quel point les bienfaiteurs de l'humanité sont susceptibles), je vous indique pour terminer deux sources d'information: Rapports d'Amnesty international sur le Taser et Campagne NON au Taser.


mercredi 6 août 2008

"Vivant, il ne nous aurait jamais quittés."




Le désir de justice des "braves gens" est impossible à rassasier, probablement.

On le voit s'exprimer de manière véhémente à longueur de commentaires sur le ouaibe, à la suite des articles qui nous informent de la mise en liberté, sous contrôle judiciaire, de Marina Petrella.

Une vie momentanément ravagée et quasiment ruinée, réduite à cette terrible volonté de ne plus être, par l'application de la loi, ne suffit pas aux "braves gens". Les voilà criant au déshonneur d'un pays où la Justice bafoue la Justice.

Je soupçonne parfois les "braves gens" d'avoir comme une sorte de nostalgie des supplices à grand spectacle.

Histoire d'alimenter les fantasmes des "braves gens".
Supplice de la roue.

En allant consulter le site Parole Donnée, où l'on peut trouver un dossier sur Marina Petrella et sur les réfugié(e) italien(ne)s, j'ai retrouvé l'annonce du décès de Jean-Jacques De Felice .

Ce texte a été largement reproduit, mais j'ai simplement envie de le relayer ici.

Pour Jean-Jacques De Felice

Le grand cœur de Jean-Jacques De Felice, notre avocat et ami,
s'est arrêté de battre cette nuit du 26/27 Juillet 2008

Vivant, il ne nous aurait jamais quittés. Il aura fallu, pour cela, que la vie le quitte, pour qu'il nous laisse. Nous, nous autres, nous les gens, non-citoyens, non-citoyennes, hommes femmes enfants du monde, métèques, métisses, parl'êtres parlant les langues les plus diverses…Nous les réfugiés, les même pas réfugiés à part entière; nous les migrants, les fuyards, colonisés, insoumis, insurgés, exploités fuyant les misères, se révoltant contre l'oppression.

Ce n'est pas de la rhétorique. Nous tous et toutes sommes aujourd'hui un peu plus seuls : cet homme exquis qui se fit, avec ses armes à lui, l'un des combattants les plus tenaces pour défendre nos vies, a cessé de vivre cette nuit.

Nous sommes désormais plus seuls, mais pas démunis : si la cruauté machinique des dé-Raisons d'État a privé Jean-Jacques de la joie de voir Marina Petrella revenir à la vie, son combat est en de bonnes mains. Nous sommes avec Irène, avec Claire, avec les complices de Jean-Jacques, qui - comme tant d'autres au fil du temps - ont participé à la fraternelle conjuration tissée pour interrompre l'enchaînement des offenses et des vengeances, et faire de nos volontés et de nos forces rassemblées le barrage contre le déferlement du mal qui vient, fut-il perpétré au nom de la punition du mal qui a été…

Nous avons perdu un ami précieux, nous n'oublierons pas Jean-Jacques De Felice.

Les hommes et femmes d'Italie s'étant réfugié[e]s en France
Les participants aux Collectifs de solidarité avec Marina Petrella


PS: La note humoristique nous est fournie par monsieur Bernard Kouchner, du quai d'Orsay. Selon 20minutes.fr:

Le ministre des Affaires étrangères Bernard Kouchner a salué cette décision de justice, en indiquant qu'il avait "toujours plaidé pour une issue humanitaire" à ce cas.

Merci Bernard, on se demande ce qu'on ferait sans vous... mais vous n'avez rien plaidé du tout.

Celle qui a plaidé, c'est Irène Terrel, son avocate. Et j'ai le sentiment qu'en matière de droits de l'homme, elle pourrait en remontrer à beaucoup d'experts autoproclamés.

mardi 5 août 2008

Rhétorique du rideau de fumée

C'est encore un scoupe, mais un scoupe qui n'étonnera personne: je ne suis pas très doué dans le sérieux.

J'ai appris, dès l'aube, que ce bon monsieur Hortefeux avait décidé de déposer une plainte contre l'association (parfois nommée collectif ou groupuscule) SOS Soutien aux sans-papiers (parfois orthographié "SôS Soutien ô sans-papiers") dont un membre, Rodolphe Nettier (le plupart du temps nommé) aurait tenu dans un quotidien (non nommé dans la plupart des articles) des propos contestables (en général cités et suivis d'un démenti du même Rodolphe Nettier).

Cette plainte est déposée pour «provocation à la destruction, dégradation et détérioration volontaire dangereuse pour les personnes», explique le ministre dans un communiqué. (20minutes.fr)

Sur le site du ministère de l'Identité Nationale et des dégâts collatéraux, je n'ai trouvé aucune trace de communiqué relatif à cette plainte.

J'ai donc envoyé mon CV aux services de monsieur Hortefeux: s'ils ont besoin d'un gugusse qui roupille devant un écran avec le titre de ouaibe-mastére, je peux faire.

Sur le site du Parisien.fr, qui, d'après mes recherches, aurait publié les propos incendiaires de monsieur Nettier, je n'ai trouvé que la même dépêche d'agence régurgitée après rumination légère que partout ailleurs... Seule une photo se distinguait du tout venant médiatique.

La photo du Parisien.fr

Mais, me dis-je in peto et en latin, qui sont ces militants visés par la vindicte de ce bon monsieur Hortefeux?

Un lien de 20minutes.fr se révèle bien décevant, menant à un blog assez peu actif dont le dernier signe de vie remonte au 29 juin 2008... et ne comportant aucun appel à manifester au Mesnil-Amelot.

J'en étais là dans ma recherche, désespéré, me décidant à faire un faux billet et un vrai appel à témoin: vous, mes chers lecteurs, qui savez tout, qui ne vous prenez jamais les pieds dans la toile, dites-moi si vous savez quelque chose sur SOS Soutien aux sans papiers... ce "groupuscule d'extrême gauche" (à prononcer avec tout le mépris entendu que peu secréter un ancien corpuscule d'extrême-droite)...

Quand...

Avant de boucler le billet le plus nul de ma carrière de blogueur zinfluent, je consultai une dernière fois les "Actualités".

Pour constater que tout ce que cherchais venait de sortir sur Rue89.

Merci, Rue89... (Je vous remets le lien parce qu'ils sont sérieux à Rue89...)

Mais si j'avais su, j'aurais fait un billet drôle sur le monstre de Montauk.

Parce que, évidemment, je sais qui c'est...

Vous voyez pas ?

lundi 4 août 2008

Début d'incendie au camping du Mesnil Amelot

Au bout des pistes de Roissy, on trouve quelques horreurs architecturales et un centre de rétention administrative, dit "du Mesnil-Amelot", d'où partent régulièrement des "retenus" qui accèdent ainsi au digne statut de "reconduits".

C'est subtil, mais on n'en a pas fini avec la subtilité.

Certains de nos compatriotes aiment à se réunir, le samedi après-midi notamment, autour de ces centres de rétention. Tous les loisirs sont imaginables, n'est-ce pas ?

Le samedi 26 juillet , une joyeuse bande devait se rendre aux abords du CRA du Mesnil-Amelot, à l'invitation de l'association "SôS-Soutien aux sans-papiers". Elle ne le put.

Pour faciliter le transport vers le CRA du Mesnil-Amelot, très isolé, l’association SôS-Soutien aux sans-papiers, organisatrice de la manifestation, avait donné rendez-vous à la porte de La Chapelle une demi-heure avant l’heure de départ. À ce moment, une vingtaine de militants sont présents, « accompagnés » de policiers en civil. Soudain, une dizaine de fourgons de police, suivis d’un bus, arrivent de tous les côtés, encerclant les militants qui patientaient auprès de leurs véhicules. Dix personnes sont immédiatement interpellées. D’autres s’éloignent un peu sur le trottoir. Les voitures sont perquisitionnées de fond en comble. Les militants fouillés au corps, avant d’être embarqués dans le bus. À commencer par Rodolphe Nettier, président de SôS-Soutien aux sans-papiers. Seule explication donnée sur place : « opération de police ».

Vient le tour des militants qui observaient la scène d’un peu plus loin : huit nouveaux interpellés. Parmi eux, Henri Braun, avocat de l’association et membre du comité central de la Ligue des droits de l’homme (LDH). « C’était parfaitement illégal », nous confie-t-il, en précisant : « Soit il y a un trouble à l’ordre public caractérisé, ce qui n’était évidemment pas le cas. Soit c’est un contrôle d’identité, mais, ici, tout le monde avait ses papiers, sauf Rodolphe. Nous n’aurions donc pas dû être arrêtés. » La police en profite d’ailleurs pour contrôler et fouiller trois jeunes Noirs assis près de la bouche de métro. Les fouilles corporelles sont, elles aussi, jugées illégales par Henri Braun. « Ils ont fouillé nos poches, ce qui s’assimile à une perquisition. Sans autorisation. » Au commissariat, la pression continue : « On nous a fait retirer nos lacets comme si on allait être mis en garde à vue, raconte Rodolphe Nettier. Mais nous ne nous sommes pas laissé impressionner. » Devant le commissariat, une trentaine de personnes réclamaient la libération de leurs camarades. Une libération qui aura lieu une demi-heure avant l’expiration de l’autorisation de manifester.

(Compte-rendu par Christophe Payet, dans l' Humanité. fr,- merci à Flo Py pour le lien)

C'est un bel exemple de subtilité stratégique...

Certains de nos compatriotes ne se découragent pas. La manifestation fut remise au samedi suivant, le 2 août, et cette fois une quarantaine de personnes parvinrent devant le CRA.

N'étant pas un ingrat, je sais gré aux rédacteurs du Figaro.fr qui les premiers m'ont informé des événements. Non du fait, fort négligeable, qu'il y ait eu un rassemblement au Mesnil-Amelot, mais qu'il y a eu un départ d'incendie.

Vers 17H30, de la fumée sortait du bâtiment, où la chambre d'un retenu était en feu, alors qu'une quarantaine de militants de SOS Soutien aux sans papiers manifestaient devant le centre de 16H00 à 18H30, a constaté un journaliste de l'AFP.

Le feu "a été vite circonscrit par les gendarmes, puis par les pompiers, qui assurent la veille" du centre, a-t-on expliqué à la gendarmerie, sans donner l'origine du sinistre. Un fourgon et un camion des pompiers sont arrivés en renfort peu de temps après, ainsi que des gendarmes pour maintenir l'ordre.

(...)

Les retenus du CRA de Vincennes en colère avaient incendié les bâtiments du centre au lendemain de la mort le 21 juin d'un retenu tunisien. Le CRA avait alors été partiellement détruit.


Le dernier paragraphe n'est pas un rapprochement hasardeux, mais une subtile mise en perspective journalistique...

La préfecture de Seine-et-Marne se fendit d'un communiqué que LeFigaro.fr relaya:

La préfecture de Seine-et-Marne a accusé les personnes qui avaient manifesté hier devant le Centre de rétention administrative (CRA) du Mesnil-Amelot d'avoir "incité" au mouvement de révolte des retenus qui ont tenté d'incendier certains bâtiments.


C'est subtilement ce que reprit FranceSoir.fr en donnant pour intertitre, en gras:

Mesnil-Amelot enflammé de l'extérieur

Comment peut-on appeler cela ?


Du côté des politiques, on a mis du temps à se réveiller, mais deux veilleurs en service minimum ont pris la parole.

Pour le PS, Faouzi Lamdaoui a dû consulter sa fiche pour réaction d'urgence:

(...) «La politique injuste du gouvernement crée des situations dangereuses tout à fait inacceptables, qui provoquent la révolte légitime des étrangers et de ceux qui défendent leurs droits», a ainsi jugé dimanche, Faouzi Lamdaoui, secrétaire national du PS à l'égalité. «Face à la multiplication des drames humains, il n'est plus possible de parler de cas isolés : la politique du chiffre menée par Brice Hortefeux est une chasse institutionnalisée aux étrangers», a-t-il affirmé.

Cela a dû titiller le très subtil Frédéric Lefebvre, de l'UMP:

Une accusation immédiatement dénoncée par l'UMP. Frédéric Lefebvre, porte-parole de l'UMP, a ainsi estimé dimanche après-midi dans un communiqué que l'incendie dans ce centre est «à nouveau, comme lors de l'incendie du centre de Vincennes, le résultat de l'incitation à la violence par un collectif d'extrême gauche», ajoutant qu'«il y aurait pu y avoir des morts».

«Un parti démocratique comme le PS n'hésite pas à excuser ces actes en prenant la responsabilité de les justifier», poursuit l'élu des Hauts-de-Seine pour qui «c'est vraiment le signe que ce parti a perdu le sens de l'intérêt général».


20minutes.fr, auquel j'emprunte ces éléments bleuis, titre son article:

Révolte dans un centre de rétention administrative: la polémique enfle


Alexandre Soljenitsine, photographié en Vendée en 1993.
(repris de Ouest-France)

La mort d'
Alexandre Soljenitsyne, qui sera suivie d'une avalanche d'hommages, devrait permettre une rapide détumescence de cet œdème polémique...


PS: Pour des informations qui dépassent un peu les communiqués des "personnes autorisées", vous pouvez consulter LeMonde.fr et LibéOrléans.


dimanche 3 août 2008

Des idées pour des vacances de rêve

Entre la fin du Tour de France et le début des Jeux Olympiques, on s'ennuie ferme dans les rédactions de province. Pas encore de canicule cette année... et l'affaire Siné, c'est bon pour les parigots intellos. Alors, autant ressortir les bons vieux marronniers et placer juste sous la météo des plages les chroniques attendues: par exemple, "ils passent des vacances originales pas loin de chez vous".

Je ne parlerai évidemment pas des vacances de monsieur et madame Sarkozy, qui ont choisi de faire comme vous et moi (enfin surtout vous) et jouent les pique-assiettes dans la belle famille de monsieur. C'est d'un banal! mais ça les rapproche de nos préoccupations franchouillardes de manière très bénéfique: de l'imaginer aux prises avec une belle-mère(et quelle!), les français trouvent notre Nico plus sympathique et le font remonter dans les sondages.

Ceci dit, la proximité a ses limites. Ne songez pas à aller faire un petit coucou à la famille Sarkozy-Bruni en vous baladant en nuhélème au dessus du cabanon de Brégançon, vous risqueriez les désagréments d'une interpellation, voire plus... Les jeunes époux veulent probablement pouvoir jouer à cache-cache dans les buissons tranquillement. On les comprend.

Si vous voulez quand même tenter le coup,
je vous donne la carte (en bleu foncé, c'est la mer).

On notera l'extrême originalité des vacances de la famille Diaz:

Un couple d’Equatoriens, M. et Mme Diaz et leur petite fille Elodie, 2 ans et demi, domiciliés à Illex en Belgique, ont décidé de passer quelques jours de vacances en France. Après une semaine dans un camping de Cherbourg, ils reprennent la route pour visiter le Mont St Michel. C’est sur ce trajet qu’ils sont arrêtés lors d’un contrôle routier le 25 juillet. Fouille en règle du véhicule, contrôle des papiers : ils sont en situation régulière en Belgique, leur fille ayant d’ailleurs la nationalité belge. Passeports, carte de résidents, il ne manque que la carte d’identité de leur fille. Aujourd’hui la préfecture explique que le conducteur a présenté un permis de conduire équatorien expiré. C’est évidemment la raison pour laquelle ils sont d’abord conduits au commissariat de Cherbourg puis présentés au juge des libertés et de la détention qui décide de les placer en rétention et de les transférer dans une prison pour étrangers, le Centre de Rétention Administrative de Saint Jacques de La Lande (Ile et Vilaine), spécialement aménagé pour « accueillir » les familles.

Ce récit est tiré d'un article du site de RESF, où l'on ajoute:

La famille équatorienne a payé le prix fort, celui des centaines de milliers de contrôles et d’interpellations exigées pour atteindre 26000 expulsions. Elle doit être évidemment indemnisée financièrement pour les dommages subis. Elodie, coupable d’être partie en vacances sans carte d’identité, pourra –t-elle un jour oublier qu’à deux ans et demi, elle a été enfermée, avec ses parents qui n’avaient commis aucun crime, 48 heures en cellule à Cherbourg et 5 jours derrière les portes fermées d’une prison pour étrangers qu’elle cherchait à ouvrir, dans ce pays voisin du sien et appartenant à la même Europe ?

Ils ont l'indignation toujours aussi facile à RESF, vous ne trouvez pas ?

Tout comme les gochisses du Contre-Journal qui donnent la parole à Damien Nantes, de la Cimade, sur le même sujet.

Elle a dû bien s'amuser, Elodie...
Photo de Fanny Lancelin, illustrant un bel article

"Pas de "bascule": ni pour les petits ni pour les grands",
sur le blog Enfants Etrangers Citoyens Solidaires - Nantes


La palme de l'originalité dans la "débrouille" pour passer des vacances inoubliables revient sans conteste à madame Marina Petrella, ancienne militante italienne des Brigades rouges, écrouée depuis un an dans l’attente de son extradition vers l'Italie.

Le 23 juillet, elle a été transférée de l'hôpital pénitentiaire de Fresnes à l'hôpital psychiatrique parisien Sainte-Anne. C'est sûrement plus classieux!

Dans un communiqué, le parquet général de la cour d'appel de Versailles a précisé que la mesure de transfert avait été "sollicitée par l'intéressée" et décidée par la direction de l'Administration pénitentiaire avec l'accord du procureur général de Versailles. Le transfert doit permettre à Marina Petrella "de recevoir les soins adaptés à son état de santé".

Le Docteur Frédéric Rouillon, professeur de psychiatrie à l’université Paris-V René-Descartes, qui exerce à la clinique des maladie mentales et de l’encéphale de l’hôpital Sainte-Anne, a publié, avec Serge Blisko, député de Paris, président du conseil d’administration de l’hôpital Sainte-Anne, une tribune intitulée "Marina Petrella ou la déraison d’Etat" dans le journal Libération.

Il faut la lire: un psychiatre est d'une certaine façon un spécialiste de la déraison.

Il faut aussi écouter le professeur Rouillon interrogé sur France-Info: on entendra que ce n'est pas un excité gochisse...

Bien sûr les "braves gens" qui n'ont jamais ressenti au creux de leurs os, ne serait-ce qu'un instant, cette totale fatigue d'être qu'est la dépression profonde, et qui ne peuvent la concevoir, pourront ricaner aux nouvelles des "vacances" de Marina Petrella.

Passez de bonnes vacances, "braves gens".