dimanche 29 juin 2008

Mouvance "dénonciation spontanée"





C'est en allant flâner sur le blog de l'amie Françoise que le blogueur le plus nul que je connaisse personnellement-tu-vois a pris connaissance de ce communiqué du Syndicat de la Magistrature: " La Direction des Affaires Criminelles voit des terroristes partout".

Le billet de Françoise est suffisamment clair et précis, étoffé de citations pertinentes, et prend, face à cette information, une position assez proche proche de celle que je pourrais exprimer (à condition que j'aie le talent de Françoise...) pour que je vous en recommande impérativement, et sans vouloir vous commander, la lecture.

Concernant la mise en place de cette fiction de "mouvance anarcho-autonome" qui, sans faire trop de bruit (mais justement!), prend toute la place qu'il faut dans la part des cerveaux disponible pour la peur, j'ai déjà donné quelques informations. Je me contenterai de renvoyer au texte d'Eric Hazan que j'ai relayé dans ce billet Fabrication artisanale de la peur.

Une autre mouvance, qui, elle, pourrait avoir toutes les faveurs du pouvoir et recevoir de discrets encouragements, apparait de plus en plus, sans faire trop de bruit non plus...

Appelons-la "mouvance dénonciation-spontanée", pour éviter la réduction à des références historiques qui seraient repoussées.

Le paradigme de cette mouvance est madame B. H. dont le courage sera, je l'espère, honoré lors de la prochaine fête nationale si cette discrète personne accepte qu'on lève son anonymat.

Madame B. H., assistante sociale, "s'est rendue, le 10 juin, à 11 h 15, au poste de police, établir un "PV de dénonciation" : "Je suis venue vous dénoncer la situation administrative clandestine d'un ressortissant sénégalais qui vit à Besançon"(...)" (Le Monde)

Sur cet acte courageux, allez consulter le blog de maître Eolas, en ce billet: Dénonciation.

De quoi égayer votre dimanche...

jeudi 26 juin 2008

Un peu de ménage dans l'escalier



Ce matin, en regardant ce qui se disait, s'analysait, voire se décryptait, dans la presse en ligne, à propos des grandes manœuvres du pouvoir autour des médias, publics ou privés, j'ai subitement pris la conscience aiguë de vivre au milieu de gens qui non seulement croient devoir prendre monsieur Sarkozy et son entourage au sérieux, mais encore se sentent tenus de leur accorder un minimum de bonne foi et de sens du bien commun.

Il faut certes prendre cette fine équipe de gouvernants au sérieux: un célèbre "petit peintre viennois"* a bien montré, avec sa bande, qu'on pouvait être à la fois un guignol ET un dangereux personnage. Mais de là à accorder la moindre confiance en leur bonne volonté, ce qui revient à se placer sur leur terrain, il y a un grand pas. Allègrement franchi par tous ou presque… car nous sommes en démocratie, et que, en démocratie le respect des "intentions" de l'adversaire, ce sont des choses qui se font…

Alors, je suis parti me promener et au retour, j'ai fait le ménage… c'est dire si je me sentais seul !

En général, le bruit de l'aspirateur me donne des idées.

Pas aujourd'hui.

Alors j'ai décidé de faire des aménagements dans mon escalier.

D'abord, je me suis interrogé sur l'opportunité de placer en tête de gondole, à la place du nu descendant l'escalier, cette photo:



La photo a été embellie par les soins attentifs de Flo Py.
Autrement dit: ce qui est bien, c'est elle, le reste , c'est moi.


C'est la photo d'une échoppe de bouquiniste à Rouen, où j'ai un jour trouvé, en bon état (excellent même) et à un prix abordable, les Cent mille milliards de poèmes de Raymond Queneau; alors, forcément, ça crée des liens… La boutique, petite et délicieusement encombrée de bouquins, est située au bas de la rue Cauchoise, près de la place du Vieux Marché, où de nombreux cafés bien exposés accueillent mes méditations sur la combustibilité des pucelles depuis une bonne quarantaine d'années; alors, forcément, ça crée aussi des liens...

A propos de liens, puisque j'y pensais, j'ai actualisé les liens de mes voisins de palier.

Contrairement à ce que certains craignaient, je n'ai supprimé personne, même ce mystère entomologique que constitue Le Charançon Libéré, qui est muet depuis très longtemps...

J'ai ajouté La France de Toutenbas, de Thierry Pelletier, qui est un blog du genre irrégulomadaire, mais qui vaut le détour, par les thèmes choisis, le sens de l'observation et le style véritable, un vrai style d'écrivain qui se pose un peu là.

J'ai corrigé l'adresse de Plume de Presse, d'Olivier Bonnet**, qui s'offre une version Beta v.2.0, ce qui m'impressionne beaucoup, parce que je ne sais pas ce que cela veut dire… Ce que je peux dire, c'est le blog d'Olivier Bonnet est le blog de qualité supérieure, avec des articles qui sont le résultat d'un véritable travail journalistique, de rédaction claire et percutante, accompagnés d'un fil de discussion bien maîtrisé.

Dans les ex-chambres de bonnes, qui sont restructurées, dans tous les bons immeubles bien habités, en studettes pour étudiant(e)s, je compte installer, au fil des rencontres, quelques jeunes dont les idées et les actes me disent quelque chose…

Prochainement, je m'attaquerai à la liste des fournisseurs habilités à faire des livraisons…




* "avec du beurre ou de la confiture" comme on disait, si je me souviens bien, dans un feuilleton de "Marche ou rêve", émission de Claude Villers, sur France Inter.

**Pour les parisiens (les rouennais prendront le train), je signale la présence d'Olivier Bonnet à la librairie Résistances, 4 Villa Compoint 75017 Paris, le mercredi 2 juillet, à 19h 30, pour présenter son livre: "Nicolas Sarkozy: La grande manipulation" (Editions : Les points sur les i).

mercredi 25 juin 2008

Confort des médicaments

Un des mérites incontestables du sarkozisme est d'avoir réellement décomplexé la pensée: au nom de sainte Réforme toute brève idée de comptoir, c'est-à-dire tout borborygme ou rototo plus ou moins articulé, a sa chance. Elle peut tenir la vedette au moins vingt-quatre heures, et dans le meilleur des cas être appliquée sans trop de discussions.

Ainsi en fut-il pour cette curieuse idée de "franchise médicale", ainsi en sera-t-il peut-être pour le "déremboursement" des médicaments "de confort" ou "à service médical insuffisant" pour les "maladies de longue durée".

Si vous remarquez un abus de guillemets, c'est que vous avez l'œil bien critique pour un lecteur normal, mais ils sont à leur place, car pour aborder les questions de santé publique, il semble que leur usage (non ironique) soit requis.

J'ai bien du mal à saisir cette notion de "médicament de confort", que certaines associations de patients nomment "médicaments d'accompagnement" pour certaines "affections de longue durée"…

Il serait à mon avis beaucoup plus simple de dire que, en bon gestionnaire des vies rentables, la Sécurité Sociale ne remboursera désormais que les médicaments permettant de renvoyer le patient à une activité utile pour la société dans un temps raisonnable. Au train où évoluent les mentalités, ce "concept" ne devrait pas tarder à naître dans le fécond cerveau d'un de ces politiques qui se croient élus du peuple (un statisticien titulaire d'un doctorat en médecine ou un généraliste titulaire d'un master de mercatique, par exemple).

Ainsi pourrait on dire que cette très vieille dame que j'ai vu, allongée sur son lit trembleur, dans cet asile pour vieux, situé nulle part, commencer une agonie à l'ancienne (avec cris, terreur, hurlements, effroi et invectives contre tous et tout) a reçu dans son chemin vers la mort un traitement de confort et d'accompagnement, socialement inutile.

Les cris essentiels, que ce soient les cris de l'amour, ceux de l'accouchement ou ceux de l'agonie ne sont plus admissibles par la bienséance; seuls sont admis socialement les cris des supporters sportifs ou des fêtards à dates fixes.

Aussi, pour la calmer et la faire taire, lui donna-t-on de la morphine, par voie transcutanée.

Je me souviens de l'infirmière, habituée à parler fort en articulant bien chaque syllabe, claironnant à la famille que l'on cherchait par là à accorder à la mourante un départ dans la sérénité… et, d'un ton moins haut, que l'on pouvait espérer que l'effet de dépression respiratoire de la morphine pourrait raccourcir le délai de ce "départ" serein…

Cette morphine compassionnelle avait tout de la prescription "d'accompagnement" vers la sortie pour la malade, et "de confort" pour l'établissement (en étouffant les cris) et la famille (en promettant une fin sereine et plus rapide). Mais était-elle bien utile ? Etait-elle socialement bien utile ?

Alors ?

Alors, rien.

Cette vieille dame, on l'aura compris, était ma mère.

Et sous mes lèvres, pour le dernier baiser, la sérénité de son front avait la froideur du marbre.



PS: Les chemins des associations mentales étant bien tordus, en parlant de "sérénité", l'infirmière avait activé en moi le souvenir de cette prestation célèbrissime de Pierre Dac et Francis Blanche…

boomp3.com

mardi 24 juin 2008

Carla Bruni au RMI





En entendant ce matin à la radio que le quotidien Libération consacrait sa "une" putassière façon tabloïd ringard au "décryptage" des raisons de l'incendie du centre de rétention de Vincennes, je n'ai pu m'empêcher d'aller faire un tour sur Liberation.fr. Ce n'est pas que je sois très friand des fameux "décryptages" dont les sérieux journaleux besogneux nous rabotent les oreilles en permanence; je vous dirai peut-être quelque jour ce qui me semble se cacher, en matière de conception du monde, de l'information et de la vérité, derrière ce vocable galvaudé de "décryptage"… Non, j'y suis zété par pure méchanceteté: j'étais à peu près sûr que l'éditorial serait signé Laurent Joffrin et, dans la vie, y a pas que les incendies, y a aussi la rigolade.

J'ai été un peu déçu... Cet édito est intitulé "Iniquité", mais il est plutôt à classer dans la catégorie "L'âge du capitaine". Voyons son incipit (étendu):

"La politique des reconduites à la frontière a enregistré un résultat en hausse de 80%. Mais son principal symbole, le centre de rétention de Vincennes, a brûlé à 100%.

Entre ces deux chiffres, y a-t-il une relation de cause à effet ? C’est toute la question. (…)"


(Pour les curieux, la suite est . )

En réalité, j'ai l'impression que toute la question pour l'éditorialiste Laurent Joffrin était, comme à l'accoutumée: "Que vais-je bien pouvoir écrire pour avoir l'air intelligent et faire mon effet?"

Son effet, Libération l'a fait, et de quelle manière, en invitant la chanteuse intermittente, connue sous le nom de Carla Bruni, a être "rédactrice en chef d'un jour" du numéro de samedi. Certains malotrus syndiqués (ou pas), arguant du fait que ladite chanteuse intermittente était également l'épouse provisoirement permanente du chef de l'Etat, auraient obtenu une "réduction" de la présence de Carla Sarkozy (car c'était elle !) à une longue retranscription d'un long entretien. Officiellement, selon l'AFP, reproduisant les déclarations du directeur délégué de la rédaction de Libération, Didier Pourquery, cette décision a été prise "pour des problèmes de calendrier et d'emploi du temps". Le communiqué de l'AFP ajoute pour faire bonne mesure dans l'hypocrisie médiatique:.

"Selon des sources internes, l'idée avait également provoqué des réticences au sein de la rédaction, ce qui est "aussi entré en ligne de compte", a précisé M. Pourquery."

L'accueil de notre vedette au siège de Libération fut salué par un certain nombre de mécontents réunis. Ces ronchons qui ne font rien que bouder leur plaisir ont même signé un communiqué que vous auriez pu trouver sur HNS-info, et que je reproduis ici:

"Carla Bruni au RMi, Libé, ration : le torchon brûle dans une succursale du ministère de la propagande. Récit de la visite de l’épouse de Sarkozy à Libération.

Aujourd’hui vendredi 20 juin, Carla Bruni devait être "rédactrice d’un jour " du quotidien Libération. Les salariés du journal, représentés par leur intersyndicale, se sont opposés à ce projet et ont obtenu gain de cause. La direction a donc réduit l’intervention de Madame le Président Nicolas Sarkozy à un long entretien destiné à la publication dans les colonnes du journal.

Au moment où, rue Béranger, Carla Bruni descendait de son véhicule pour aller s’entretenir et déjeuner avec Monsieur Laurent Joffrin et certains de ses collègues, des chômeurs, des intermittents et des précaires l’ont accueillie au cris de "Sarkozy au RMI, Carla au RSA !". Peu désireuse de fréquenter le populaire quand il n’est pas de son fan club, Mme Sarkozy s’est alors évaporée vers la terrasse de l’entreprise qui la recevait tandis que les manifestants se trouvaient bloqués dans le hall de l’immeuble, au nom de "l’indépendance de la presse" et de la "résistance à la dictature"...

La manifestation s’est poursuivie au son de "Carla en CRA !" (centre de rétention administrative), "les rentiers en rétention !" tandis que défilaient des stagiaires non payés et des journalistes dont bon nombre refusaient de lire les tracts qui leur étaient tendu, se montrant ainsi de parfaits exemples d’une inappétence à la lecture dont on entend partout déplorer qu’elle contribue à la crise financière que connaît la presse écrite.

Refusant de travailler plus pour ne pas gagner davantage, les ébrêcheurs de consensus ont quitté cet établissement pour rejoindre, non loin de là, les sans papiers occupants la Bourse du Travail rue Charlot, en lutte pour leur régularisation.

Commission Sarkozy au RMI."

Il semble bien que la "jonction" possible avec les sans-papiers de la Bourse du Travail, malgré une présence policière aussi pesante que d'habitude, ait donné des sueurs froides à tout le monde.

Vous pourrez néanmoins admirer le self-control (sang froid en anglais) de la jolie madame au tout début de la vidéo de LibéLabo, que je vous conseille d'aller voir chez Politique.net, car vous y trouverez d'autres détails sur l'organisation du "coup" de Libé.

Pourquoi LibéLabo a-t-il conservé le début de cette vidéo ? Pour que l'on entende les slogans des protestataires ? Je ne crois pas. Pour que l'on entende la jolie midinette dire qu'elle a eu peur ? Je ne crois pas.

A mon avis, on a voulu conserver, avec un peu de sauce contextuelle autour, le très beau plan où l'on voit monsieur Laurent Joffrin fermer la fenêtre pour étouffer les cris, donnant à voir au monde entier que le grand chef de Libé, pour être, selon la formule consacrée, le journaliste le plus benêt de France, n'en est pas moins un galant homme: il ne faut pas écorcher les oreilles d'une chanteuse déjà sans voix…



PS: Plutôt que de décrypter avec Libé, allez plutôt voir par exemple le billet de Françoise L'expulsion, c'est son métier.

Et aussi les deux forts billets de Sébastien Fontenelle La Nuit et "Un Premier Feu…" . Et de là vous sauterez sur la page fort instructive de Barricata.

Après cela, peut-être penserez-vous comme moi, on ne sait jamais, que les joffrinades sont écœurantes.

lundi 23 juin 2008

Hortefeux, le pompier pyromane






Pendant que nos bons journaux s'interrogent déontologiquement sur le nombre exact de "retenus" du Centre de Rétention Administrative de Vincennes qui ont profité de l'incendie des locaux pour faire la belle, je ne vais pas ricaner des aventures de l'inénarrable Ubu Hortefeux, ou des réactions humanistes mais fermes des cadors de l'UMP*.

Monsieur Hortefeux priant.**


J'ai seulement envie de laisser un peu d'espace à ceux qui se trouvent "accusés" d'avoir soufflé sur le feu et dont les médias vont peut-être "oublier" d'utiliser le communiqué suivant:

Communiqué de presse du RESF au sujet des événements de Vincennes

23 juin 2008

Il y a trois jours, le ministre Hortefeux paradait : presque 30 000 d’expulsions depuis 12 mois, 80% de plus que l’année dernière à la même époque. Des chiffres incontestablement gonflés (incluant les départs de touristes ayant dépassé la date de validité de leur visa ou les retours « volontaires » de Roumains ou de Bulgares expulsés avec un pécule du montant du prix de leur retour en autocar) mais qui en disent long : le respect des droits humains est bien menacé quand un responsable politique croit utile à sa gloire de gonfler les chiffres des mauvais traitements qu’il inflige à une fraction de la population !

La réalité n’a pas tardé à se manifester. Le décès le 21 juin d’un tunisien de 41 ans dans les murs de la prison administrative pour étrangers de Vincennes a été l’étincelle qui a allumé l’incendie, au sens propre comme figuré. Le soir même un premier départ de feu se produisait. Dimanche vers 15 heures, il semble que plusieurs foyers se soient déclarés, que les policiers sur place auraient été incapables de contenir (les extincteurs auraient été vides). Les internés administratifs étaient alors rassemblés dans la cour, gazés disent certains, parqués derrières des barrières. 17 d’entre eux, intoxiqués par la fumée ont été hospitalisés, quatorze selon la police auraient disparu, les autres ont été transférés en car et en train vers les prisons administratives de Palaiseau, Lille et Nîmes. Les deux centres de rétention de Vincennes sont entièrement détruits.

Ces événements d’une extrême gravité étaient parfaitement prévisibles, d’autant qu’ils se sont déjà produits dans des pays européens poursuivant les mêmes objectifs : Incendies des centre de rétention de Yarl’s Wood en Grande-Bretagne (2002), de Schipol-Oost aux Pays-Bas (2005).

Voilà des mois que la tension monte dans la majorité des prisons administratives pour étrangers. Vincennes avait déjà été partiellement détruit par un incendie puis, au moment des fêtes de fin d’année, une vague de révolte partie du Mesnil-Amelot avait gagné Vincennes. Mais, en réalité, c’est quotidiennement que les tensions et les incidents très violents y ont lieu, spécialement à Vincennes qui, avec 280 places, constitue le CRA le plus important de France. Encore plus qu’ailleurs, les incidents y sont quotidiens : automutilations, tentatives de suicide, grèves de la faim, bagarres pour un rien, incidents parfois très violents avec la police, se produisent chaque jour. Le sénateur de Paris Jean Desessard, un familier des lieux d’enfermement, disait en sortant de Vincennes il y a une quinzaine de jours, n’avoir jamais perçu une tension pareille.

Le stakhanovisme du ministre en matière d’expulsions, ses objectifs chiffrés, à l’unité près, imposés à toute la chaîne administrative et policière (dont la rétention est l’avant dernière étape) engendrent une tension extrême des personnels débordés, parfois conduits à prendre des libertés avec les procédures et contraints à des gestes qui heurtent leur conscience. A l’inverse, cette chasse à l’homme génère la terreur chez les sans papiers en liberté et le désespoir chez ceux qui sont pris. Les gestes comme ceux d’hier à Vincennes sont inévitables. Ils se reproduiront si la même politique se poursuit.

Car le véritable scandale n’est pas que quelques centaines d’hommes désespérés aient incendié leur prison. Il est dans leur internement administratif, prélude à leur expulsion. La peine qui les attend, leur bannissement, est pire que la prison. Ils ont été arrêtés à l’improviste, enfermés. Ils ont perdu leur travail, ils perdront leur logement, la totalité des biens qu’ils avaient accumulés, certains perdront leur conjoint et leurs enfants. Ils seront déposés menottés, dans la tenue dans laquelle ils ont été arrêtés, sur le tarmac d’un aéroport où personne ne les attend. Une expulsion est une humiliation dont personne ne se remet. Certains finissent mendiants, fous ou suicidés.

L’explication aux événements d’hier à Vincennes est là, dans le désespoir total de chacun des enfermés et dans la concentration du malheur dans une centaine de cellules.

Ils se reproduiront, sous une forme ou sous une autre, en France et en Europe puisque la directive de la honte adoptée la semaine dernière à Strasbourg rend légale la rétention de 18 mois, l’interdiction de séjour de 5 ans des expulsés, la possibilité d’enfermer et d’expulser des enfants. Vincennes en pire, plus longtemps et en famille.

Ce qui s’est produit hier signe la faillite de la politique de M. Sarkozy en matière d’immigration. Nous sommes d’une certaine façon à la croisée des chemins. Soit une nouvelle politique est définie, qui prenne en compte les intérêts des pays dont viennent les immigrés, l’aide qu’ils apportent à leur développement, les besoins aussi de main d’œuvre des pays riches vieillissants, la richesse véritable que constitue le brassage des cultures et des populations, etc,. Une politique réfléchie et concertée. Ou alors, à l’inverse les apprentis sorciers qui ont enclenché la course infernale aux records d’expulsions et de mauvais traitements s’entêtent, rebâtissent Vincennes en plus grand et en plus monstrueux et les choses finiront très mal. Pour les sans papiers, pour les immigrés… mais aussi pour tous les autres, tous ceux qui ne marcheront pas droit.




* LeFigaro.fr, indispensable outil pour ricaneur compulsif, m'apprend que monsieur Patrick Gaubert (UMP), député européen ET président de la Licra avait trouvé le CRA de Vincennes "plutôt convenable" lors d'une visite en mai dernier.

L'entretien que ce monsieur accorde au figaro ce termine par cette très jolie dénégation de l'intolérable:

La véritable pression est surtout psychologique. Ce sont des gens qui attendent qu'on les renvoie dans leur pays d'origine. Or beaucoup sont en France depuis des années. C'est terrible. Ce ne sont pas des assassins, mais des gens qui bossent, la plupart ont des fiches de paye. Chacun vous montre un dossier… Quand vous les écoutez, vous vous demandez ce qu'ils font là. Effectivement certains n'ont rien à y faire.

En tant que vice-président de la sous-commission des droits de l'homme au parlement européen, et président de la Licra, est-ce que vous ne pensez pas que c'est la politique migratoire qui est en cause ?

Quand on entend ces retenus, on a envie de les aider mais la loi est ainsi faite, un immigré en situation illégale soit repartir chez lui. En tant que parlementaire, nous privilégions l'immigration légale, donc nous sommes obligés d'être dur avec l'immigration illégale, on ne peut pas avoir l'un et l'autre. Soit on régularise tout le monde, soit on a une politique du retour, et les gens passeront alors par des centres de rétention pour rentrer.

** Cette illustration de monsieur Hortefeux priant sans doute Sainte Barbe (patronne des pompiers et des artilleurs) figure dans une page de Les mots ont un sens datée du 21 février 2008.


samedi 21 juin 2008

Mémé Kamizole, le retour...

En ce jour de fête de la musique partout dans le monde et de fête des muses partout sur la place Saint-Sulpice, une seule nouvelle à annoncer:

Le blog de notre amie Kamizole est réouvert !

C'est une chance: elle venait tout juste de terminer les grandes manœuvres de rangement et de ménage qu'elle avait été contrainte d'entreprendre pour faire face au désert mental de l'inaction bloguistique.

Bon retour !



mercredi 18 juin 2008

Le retour des peuples enfants

Lorsque lassé de la vie trépidante des quartiers de l'Est parisien, je m'aventure à aller poser mon arthrose sur les bancs des beaux quartiers, pour observer les plus récents arrivages de jeunes filles au pair près des bacs à sables aseptisés, je suis toujours admiratif en voyant les jeunes parents dans l'exercice de leurs fonctions, menant de merveilleuses campagnes d'explication des contraintes de la vie à leur turbulente progéniture.

Il faut reconnaître que nos jeunes bobos entre deux âges, éduqués par des parents baba-cool retour de leur stage de fin d'étude "aux states", ont été nourris et gavés de sous-Dolto allégé, additionné de tous les édulcorants autorisés.

Leur usage de la maïeutique faux-cul pour persuader Petit-Frère qu'il ne faut pas crever les yeux de Grande-Sœur, par exemple, est confondante: le Socrate de Platon n'aurait pas fait mieux, et le dieu de la Démocratie sait à quel point il pouvait être retors.

Quant à leur virtuosité pour obtenir un accord unanime pour rentrer à la maison, toujours à l'aide d'une discussion faisant la part belle à la démocratie du débat truqué, elle est au dessus de tout éloge, et me semble un modèle à conseiller à tous nos politiques professionnels.



Car une des activités principales de l'exercice du métier de politique sera, dans l'avenir, j'en suis persuadé, d'arriver à faire dire OUI aux peuples enfants qui aimeraient dire NON.

Monsieur Badinter le reconnaissait, sur France Culture, en parlant du référendum sur le traité de Lisbonne: il fallait poser des questions plus simples, ne pas donner à se prononcer sur une question brutale du genre "ce gros pavé indigeste, vous en voulez ?", mais simplifier. Et il regrettait qu'on n'ait pas su faire cela, et il avait l'air bien embêté...

Je suis très embêté que monsieur Badinter soit si embêté, alors je suis prêt à donner de ma personne en organisant des séminaires de pédopsychologie pour les étudiants en Droit, en Sciences Politiques ou en tout autre domaine ouvrant potentiellement à une brillante carrière de représentant du peuple infantile. Je suis en train de recruter des pères et mères de famille honorablement connus, ayant une expérience de terrain et quelques diplômes décoratifs. La grille des tarifs sera prochainement mise en ligne sur un site internet tellement beau qu'il est encore en travaux.


PS1: Le blog de notre amie Kamizole est toujours inactif chez Blogs LeMonde.fr. Kamizole a ouvert ce rabicoin chez 20Minutes.fr. Allez lui rendre visite.

Il est urgent de continuer à signer la pétition.


PS2: Je me suis encore laissé aller à lire l'éditorial de Philippe Val dans Charlie Hebdo. J'aurais dû le parier: puisqu'il évoque l'Irlande, il nous fait un couplet-leçon sur James Joyce ! Dommage qu'il ait lu un peu vite la notice d'un ouiqui quelconque exposant la littérature mondiale pour les nuls: il mélange un peu Ulysses et Finnegans Wake.

Une occasion ratée par ce cher P. Val: utiliser le fait que le dernier chapitre d'Ulysses est le magnifique monologue de Molly qui débute par "Yes" et se termine par "yes I said yes I will Yes".

Je lui dédie donc ce fragment du Finnegans Wake dit par James Joyce: Anna Livia Plurabelle.


Découvrez Various!


mardi 17 juin 2008

Des nouvelles de Kamizole, mais pas de LeMonde.fr

Ce matin, sur mon navigateur, qui ce soir sera obsolète, cela donnait toujours ça:


Et dans ma boitamél, un courriel de Kate (alias Kamizole) précisant ceci:

Bonjour à tou(te)s,
Pour les personnes qui ne seraient pas encore au courant (j'ai reçu de nombreux courriels me demandant ce qui se passe) je résume mes mésaventures.

Le 11 juin, j'ai travaillé tout l'après-midi sur le blog. Sans aucun problème. Vers 19 h, je reçois un message de Circé m'informant que mon blog est inaccessible. Suivi d'autres alertes par des ami(e)s blogueur/euses.
Les personnes qui essaient de s'y connecter reçoivent le message "blog inactif" ou mieux : "censuré".

Bien entendu je me précipite sur ma boîte club@lemonde pour voir si un mail des administrateurs du Monde m'enjoint de supprimer ou modifier le contenu d'un article. Rien...
Le 12 juin, je peux accéder au tableau de bord du blog et une alerte signale un problème technique qui a perturbé le fonctionnement de blogs et que tout rentre dans l'ordre. Me voilà rassurée. Je signale toutefois (à 8 heures du matin) aux administrateurs du blog que pour moi, le problème reste identique.
Je reçois (à 18 heures !) un courriel signalant la panne. Je prends patience.

Le 13 juin, toujours rien. J'envoie donc un nouveau courriel aux administrateurs du Monde : aucune réponse !
Le 14 juin, idem...
Le 16 juin, idem...
J'ai l'impression qu'ils n'ouvrent même pas mes messages ! En effet, j'ai un système d'alerte qui me permet de savoir si le courriel s'est affiché sur l'ordinateur (et en général, il faut cliquer sur "oui" à la question).
Du coup, l'idée d'une pétition germait dans quelques esprits parmi les personnes qui m'envoyaient des messages me demandant ce qui se passait.
Hier soir, Circé m'a téléphoné pour me prévenir qu'elle avait mis la pétition en ligne.
Les personnes qui le souhaitent peuvent donc en prendre connaissance : http://circe45.over-blog.com/article-20504620.html
Il va sans dire que je trouve l'attitude des administrateurs des blogs du Monde.fr proprement scandaleuse et fort cavalière. Je ne comprends pas qu'ils ne prennent même pas la peine de répondre à mes messages. Je peux vous affirmer qu'ils sont mesurés et tout à fait polis. J'ai encore un peu d'éducation, bordel de merde !
Et concernant une éventuelle censure, soit ils devaient me signaler qu'un contenu posait problème et me demander de le supprimer ou d'en corriger un élément, ce que j'aurais naturellement fait ; soit je suis censurée pour "l'ensemble de mon œuvre"...
Pour terminer sur une note d'humour : serais-je le PPDA des blogs du Monde.fr ?
Je tiens à remercier non seulement Circé (espérant qu'elle aura les talents de magicienne de son homonyme mythologique) mais aussi toutes les personnes qui se sont inquiétées et m'ont envoyé des messages de sympathie, ainsi que celles dont je sais qu'elles ont déjà signé la pétition.
Cet élan de sympathie me touche énormément...
Je vous souhaite à tou(te)s une très bonne journée.

@micalement,

Kate (alias mémé Kamizole)


La pétition demandant le retour de Lait d'Beu dans la liste des blogs accessibles est en ligne à cet endroit.

Vous trouverez d'autres informations sur le blog de Circé.

lundi 16 juin 2008

Rendez nous le blog de mémé Kamizole !

boomp3.com

Ston paradiso par Angélique Ionatos
(dédicace spéciale pour Kamizole)

Depuis le 11 juin, à chaque fois que je tente de me brancher sur le blog de mémé Kamizole, Lait d'Beu, je tombe sur un message m'annonçant "Ce blog n'est plus actif".

Je ne sais pas si vous connaissez ce blog. Vous devriez, car il est indiqué parmi les très sélectionnés et très estimés blogs que j'ai choisis pour "voisins de palier".

Mais au cas où votre saine curiosité ne vous aurait pas conduit jusqu'à son adresse, il vaut mieux préciser qu'on peut sans doute tout dire de Kamizole, sauf qu'elle est du genre à laisser un blog inactif: Kamizole, c'est l'hyperactive de la blogosphère, la marathonienne du commentaire politique, capable de vous décortiquer le journal Le Monde en quelques billets, de moucher d'une main Eric Le Boucher en torgnolant Eric "tronche en biais" Besson de l'autre, tout en faisant avaler sa souris à Sarkozy. Le tout avec intelligence, humour, finesse, dans un style aisé, fluide, savoureux, qui ne mâche pas ses mots, mais les place bien là où il faut et comme il faut.

Hyperactive donc, mais surtout indispensable.

Devant ce silence, je me suis inquiété, forcément inquiété. Comme s'inquiètent tous les paranoïdes distingués.

Kamizole serait-elle malade ? Non, même hospitalisée, elle aurait dicté ses billets à la première infirmière qu'elle aurait pu coincer entre la perfusion et le fauteuil, voire sous son lit…

Kamizole aurait-elle été enlevée par le Front Sarkoziste Revanchard de Montmorency ? Non, ils ne tiendraient pas cinq minutes avec elle; elle doit être insupportable comme otage.

Alors quoi?

Selon un courriel qu'elle adressé à quelques un(e)s de ses ami(e)s, daté du vendredi 13 juin, à 13h 07: 06 + 0200, l'interruption de Lait d'Beu serait, d'après l'administrateur des blogs du Monde, due aux suites d'une panne informatique (ce qui ne veut pas dire grand chose, mais permet de faire attendre le client, on a dû déjà vous faire le coup, à la sécu ou à la Trésorerie Générale).

J'ai essayé de me brancher sur plusieurs blogs estampillés Le Monde, tous ont déversé leurs billets sur mon écran. Mais j'ai pu constater que peu arrivaient à la hauteur de Lait d'Beu.

Alors, monsieur l'administrateur des blogs des abonnés du Monde, regardez bien, il y a des tas de blogs totalement insipides et vraiment ennuyeux chez vous. Vous pourriez les débrancher (mais pas les Posuto, hein!), histoire de nous rendre Kamizole au plus vite.

Sinon on va finir par trouver de vraies raisons de devenir parano…


PS: Circé45, propose une pétition pour demander la réouverture de Lait d'Beu. Vous pouvez vous y associer en allant voir ici: Signer la petition

dimanche 15 juin 2008

La poésie du marché, place Saint Sulpice


Découvrez Ogeret Marc!



Une dépêche de l'AFP nous apprend que le ci-devant premier ministre Villepin a donné à Montpellier, dans le cadre du festival "Le Printemps des Comédiens", un récital de poésie.

Monsieur de Villepin se faisant faire
les poches avant son entrée en scène.
Photo AFP

«MONTPELLIER (AFP) — Invité surprise du Printemps des Comédiens, le festival de théâtre de Montpellier, l'ancien Premier ministre Dominique de Villepin a fait ses premiers pas sur scène samedi soir, pour partager sa passion de la poésie en donnant lecture de ses œuvres favorites.

(…)

Dès son arrivée sur la petite scène dressée en plein air, à l'ombre des pins du Domaine d'O où se déroule le festival, l'ancien Premier ministre, extrêmement concentré, a proposé aux nombreux spectateurs de suivre avec lui "un chemin de voix", avec en fond sonore le "son magique" d'une kora, sorte de harpe africaine.

Un chemin peuplé des textes de Paul Verlaine, Mahmoud Darwich, Aimé Césaire, René Char, etc., ponctué par les déambulations à New York de Blaise Cendrars, auquel l'ancien Premier ministre emprunte "Les Pâques à New York", ou par la fin tragique de Paul Celan "qui se jeta d'un pont de poésie, le pont Mirabeau".

(…)

A l'issue de son "chemin de voix", Dominique de Villepin a souligné que ce qui l'avait poussé à faire cette lecture en public, c'était "l'amour des autres, le bonheur de partager, mais en même temps la conviction qu'il y a une urgence dans la poésie, dans les messages de la poésie pour tous ceux qui sont confrontés à des douleurs sur lesquelles ils n'arrivent pas à mettre de mots".»

Cette idée doloriste d'une poésie qui donnerait en prêt-à-déclamer les mots dont seraient privés les sans-voix dégage pour moi une forte odeur de vaseline, mais il est inutile de perdre son temps sur ce sujet: la poésie, bonne fille, peut admettre toutes les postures et impostures qui tiennent le haut de l'affiche en son nom.

Tout ce que j'espère, c'est que notre chantre à la kora échevelée ne renouvellera pas son exhibition au vingt-sixième marché de la poésie, qui se tiendra du 19 au 22 juin, place Saint Sulpice, avec son folklore habituel et un peu ridicule, mais après tout qui vaut bien celui de monsieur de Villepin, de petits et grands éditeurs, de vrais et faux poètes, de maudits et de bénis, de bellâtres poseurs et de vieux moches posés, de poètes qui promènent leur muse et de poètes qui en cherchent une…

Et la possibilité parfois de rencontrer réellement un vieux petit monsieur assis derrière une table à dédicaces, très discret, presque insignifiant, mais qui vous intimide quand même car il a écrit de ces choses superbes qui vous reviennent en mémoire… Il s'en étonne et c'est lui qui vous remercie…

samedi 14 juin 2008

Le rêve américain revu par Philippe Val


Découvrez Janis Joplin!


Si j'étais à la place de John "french potatoes" McCain, je me ferais bien du souci, car, après avoir lu le dernier papier du très influent "french editor" Philippe Val paru dans Charlie Hebdo, il ne fait aucun doute que ledit Philippe apporte un soutien de poids à son concurrent Barack Obama, au terme d'une étourdissante analyse de la notion de "métissage", faisant un brillant détour par la "théorie du genre".

Le titre, d'une banalité à faire pleurer dans les chaumières, Obama lave plus blanc, ne doit pas nous abuser: ce qui suit est très fort, très très fort.

Après avoir quelque peu chipoté entre Hillary et Barack, et qualifié Bush de "plus calamiteux des hommes politiques du siècle" (ce siècle n'ayant que huit ans, cela dénote un incorrigible optimisme, ou un souffle prophétique renversant!), Philippe Val remarque avec acuité que B. Obama se présente et est perçu comme "noir", alors qu'il est de toute évidence "métis". Pour souligner le distinguo et grasseyer sa culture, notre éditorialiste utilise la distinction freudienne entre le contenu latent ("noir") et le contenu manifeste ("métis") du rêve. On voit immédiatement ce que cette référence inutile introduit de profondeur au propos…

Mais P. Val continue:

«(…) Personnellement, je m'en fous complètement. J'incline à penser que la "théorie du genre", qui laisse à une décision personnelle le choix du féminin ou du masculin indépendamment du fait que l'on naît mâle ou femelle, est un apport essentiel à la liberté humaine. On naît quelque chose, on devient ce que l'on veut. Rien de pire que d'être programmé par son sexe, son origine ethnique ou sociale, sa religion, ou son clan familial… L'indécision du devenir et l'imprévisibilité de l'avenir, qui font le charme de la vie et qui rendent le désespoir aberrant - le pire n'est jamais certain -, passent par ces choix: je décide d'être de gauche, de droite, homme, femme, les deux, noir, jaune, blanc, vieux, jeune, célibataire sans enfants, géniteur de famille nombreuse, je peux même décider de vivre comme si j'étais un blond aux yeux bleus d'un mètre quatre-vingt-trois si je suis brun aux yeux marron d'un mètre soixante-deux. Chacun est libre d'interpréter sa vie, y compris son propre physique, du moment qu'il n'emmerde pas ses voisins, ne nuit pas à plus petit que lui, et ignore le prosélytisme militant. (…)»

Personnellement, je regrette que Philippe Val n'ait pas appuyé l'énoncé des principes de sa morale de zone pavillonnaire ("emmerder ses voisins, ça ne se fait pas") d'une référence kantienne bien sentie, mais on ne saurait songer à tout… En revanche, j'admire absolument et singulièrement l'effort pédagogique titanesque réalisé pour nous expliquer cette conception hardie de la "théorie du genre", que je me permets de résumer à mon tour en proposant à P. Val cette petite comptine (je la lui laisse libre de droit, elle lui rappellera peut-être ses débuts de diseur-chanteur, à l'époque où il était presque drôle):

xxxxxxxxxxxxxxxxxxxxxxxxxJe m'la joue et je m'la pète
xxxxxxxxxxxxxxxxxxxxxxxxxEn me flattant les roupettes.





Après ce grand moment, Philippe Val nous donne une ode au métissage de fort belle facture, mais que l'on a l'impression d'avoir déjà lue une bonne centaine de fois.

Pour arriver à remplir ses deux colonnes, il faudra encore à notre brillant causeur passer par quelques considérations plus ou moins indispensables, qui retardent un peu sa conclusion, mais toujours d'une haute tenue culturelle…

«Un métis candidat à la Maison-Blanche, et peut-être bientôt président, marque une étape décisive dans le grand projet américain tel qu'il bouillonne et brouillonne depuis sa fondation, et tel qu'il souffle sur les Feuilles d'herbe de Walt Whitman, le poète programmatique de l'Amérique.»

Comme j'ai failli crever d'ennui en essayant de lire ce pauvre Walt Witman, devenu "programmatique" du rêve américain, et comme le grand projet américain me semble aussi bien dit dans le faux gospel ricanant de Janis Joplin que dans les stances pompières de Walt Whitman, tout cela me fait doucettement rigoler…

Ainsi que la conclusion enfin advenue:

Obama est le candidat qui a les moyens de nous faire aimer l'Amérique…


Mais je rigole un peu moins quand me revient à l'idée que le grand rêve américain est pour le reste du monde un cauchemar dont on aimerait pouvoir se réveiller.


La prétention ridicule d'un éditorialiste est dangereuse, on en oublie l'essentiel.

Document inédit:
Philippe "La Fayette-nous-voilà" Val
ayant "décidé" d'être un héros américain de la première guerre mondiale.

jeudi 12 juin 2008

Dernières nouvelles du Père Ubu


Découvrez Dick Annegarn!


Alfred Jarry, quoique natif de la palindromique ville de Laval, n'était pas assez crétin, je pense, pour ne pas pressentir que son palindromique personnage d'Ubu allait fournir aux siècles suivants un impérissable paradigme de gestionnaire du pouvoir...

C'est bien pour cela que Jarry est grand et que Laval s'est ouvert au tourisme.

Compte tenu de certaines particularités, que les restes de charité chrétienne que je cultive en mon jardin secret m'interdisent de préciser davantage, j'imagine assez bien que le petit Brice H. ait pu être sollicité en sa prime jeunesse pour tenir, lors de la distribution des prix, le premier rôle d'une saynète inspirée de l'œuvre inaugurale du grand Jarry. Il y a toujours des profs de Lettres avant-gardistes et légèrement sadiques dans les meilleures institutions; j'en ai connu.


Bien que l'avant-scène ne lui soit plus réservée (ces temps-ci, on allume les contre-feux de la rampe sur madame la présidente... de quoi?), notre homme continue à faire fonctionner avec efficacité le croc à expulser, en bonne synchronie avec les diverses machines à enfermer, à séparer, à ficeler, à embarquer.

Il faut saluer à nouveau la Cimade qui poursuit sa tâche de son côté, qui est manifestement opposé, en publiant un nouveau rapport, intitulé Devant la loi, que vous pourrez consulter ou télécharger à cette adresse.

Certes le titre du rapport évoque plus Kafka que Jarry, me diront les pointilleux profs de Lettres que j'ai connus, mais je maintiens que le contenu, par ce qu'il révèle de crétinisme administratif, relève d'une version d'Ubu Roi et ses machines délirantes face aux flux migratoires...

Ceux qui auraient besoin d'un résumé de ce rapport pourront consulter ces deux articles de Liberation.fr: celui-ci et celui-là.

Même dans Libé, c'est instructif. C'est dire!


dimanche 8 juin 2008

Supplément culturel du dimanche

Mis à part un goût vestimentaire déplorable qui semble le pousser à porter sur scène des falzars aussi élégants que la tenue du général Schwarzkopf tenant ses points de presse lors de la première guerre du golfe, John Zorn est un musicien assez doué pour secouer le cocotier du jazz planplan et tchikiboum-tchikiboum, mais pas seulement puisque son travail déborde largement le domaine du jazz.

Voici quelques aspects filmés de son travail, avec quelques uns des nombreux ensembles qu'il dirige (il y en a d'autres!)


Pour se mettre en oreille, voici notre homme (mal)traitant un thème culte, avec son groupe Naked City (Plus)
James Bond Theme (1992 à Bimhuis, Amsterdam)



John Zorn - saxophone alto, Bill Frisell - guitare, David Weinstein - piano,
Wayne Horovitz - orgue hammond, Carol Emanuel - harpe, Fred Frith - contrebasse,
Joey Baron - batterie, Cyro Baptista - percussion.



Pour les accents klezmer et le repos de votre oreille, l'ensemble Bar Kokhba.
Hazor (2007 à Marciac, France)




Mark Feldman - violon, Marc Ribot- guitare, Erik Friedlander - violoncelle,
Greg Cohen - contrebasse, Joey Baron - batterie, Cyro Baptista - percussion,
John Zorn - direction.



Pour le très rigolard solo du batteur Joey Baron, l'ensemble le plus "jazz", Acoustic Masada.
Beeroth (2006 àVienne, France)



John Zorn - saxophone alto, Dave Douglas - trompette,
Greg Cohen - contrebasse, Joey Baron - batterie.



Enfin, pour le solo délirant de John Zorn et la belle sonorité de Marc Ribot, Electric Masada
Karaim (2003, à Nancy)





John Zorn - saxophone alto, Marc Ribot - guitare, Jamie Saft - orgue,
Trevor Dunn - contrebasse, Kenny Wollesen - batterie, Cyro Baptista - percussion.


Le bonus: une parcelle de composition de Zorn, en hommage à Marcel Duchamp.
Duchamp/Etant Donne
(extrait de "A Bookshelf On Top Of The Sky" DVD de Claudia Heuermann, 2002)





PS: John Zorn fera un passage par chez nous prochainement; j'ai relevé deux rendez-vous (il y en a peut-être d'autres)

A Paris, à la Cité de la Musique, un Domaine privé sera dédié à John Zorn, du 23 au 27 juin. Pour les très riches, un concert d'Acoustic Masada est programmé le 26 juin salle Pleyel.

A Marciac, le festival avé l'assent et la convivialité du Gers, où il semble prendre ses habitudes (ce dont je ne me plaindrai pas), John Zorn donnera un concert le 4 août avec une formation inhabituelle (Acoustic Masada et invités).

samedi 7 juin 2008

Lecture pour le ouiquende




Grâce aux conseils éclairés et éclairants d'une spécialiste en bloguistique (tout le monde aura reconnu l'excellente Flo Py), je suis devenu moi-même une sorte d'expert dans le maniement de gougueule analytixe et des divers outils d'espionnage qu'on peut lui associer. Je puis ainsi constater que la très grande majorité de mes lecteurs et lectrices régulier(e)s n'est pas encore abonnée au Matricule des Anges, et continue à lire des publications ineptes ou à consulter le blog La république des Livres.
Alors vous allez me faire le plaisir d'aller chez votre marchand de journaux, vous savez le type chez qui vous faites votre loto, et pour une fois vous allez lui demander une revue sérieuse: Le Matricule des Anges, ça s'appelle. S'il prétend ne pas l'avoir, vous sortirez votre flingot d'entre les radis et les carottes nouvelles où vous l'avez planqué, et vous expliquerez à ce petit bonhomme que vendre de la presse, ce n'est pas seulement glisser un DVD dans le numéro du samedi des quotidiens nationaux, c'est aussi mettre en évidence et faire la retape pour la presse indépendante, sans publicité et sans flagornerie.

A l'arrivée des flics, sauvez-vous et allez chez la concurrence, ou dans une bonne librairie "qui fait la revue"…

Et vous achetez ce numéro-là:





J'ai déjà feuilleté le numéro 94 du Matricule des Anges, et je peux vous le conseiller, vous en serez contents.

D'abord, je me suis précipité sur l'article Les orgues de barbarie, de Dominique Aussenac, qui parle de 2666, ultime roman de Roberto Bolaño. Si vous cherchez un bon pavé pour les vacances qui s'annoncent, en voilà un fort recommandable (1018 pages).

Ensuite j'ai picoré le dossier du mois, consacré à Marie Didier, "une jeune femme née avec la Seconde Guerre Mondiale", comme le dit Thierry Guichard dans sa présentation "biographique".

De Marie Didier, j'avais beaucoup aimé Dans la nuit de Bicêtre (Gallimard, 2006, et maintenant en Folio), livre où elle dialogue avec son personnage, Jean-Baptiste Pussin, un miséreux devenu un des pères méconnus de la psychiatrie, du moins un de ceux qui ont changé notre regard sur les fous. Un livre fort, sans concessions, vibrant et qui pose des questions dérangeantes à l'heure où, dans certains asiles, on est en train de remplacer les infirmiers psychiatriques par des vigiles et où, dans les services d'urgence des hôpitaux, par manque de psychiatres, on préfère ligoter les malades.

Découvrir, en suivant les parcours de vie et d'écriture de Marie Didier, que le livre, d'auteure quasiment inconnue, que l'on a aimé, a été écrit par une femme que l'on aimerait connaître, ça a quelque chose d'exaltant, je trouve.

Mais, en attendant de rencontrer, par hasard, Marie Didier flânant dans une rue de Toulouse, je crois que je vais mettre ses livres sur la pile des bouquins à lire d'urgence.

vendredi 6 juin 2008

La sociologie à l'ombre des murs


Découvrez Johnny Cash!



Pour moi qui suis un bouseux normand qui ne connaît de culture que celle de la betterave, le sociologue semble un individu qui se penche avec neutralité sur la société pour voir "comment ça fonctionne", et qui bien souvent se relève en concluant qu'en fait "ça ne fonctionne pas". C'est alors qu'il se fait traiter d'intello qui ne se met jamais les mains dans le cambouis.

C'est de bonne guerre.

C'est sans doute pour ça que la sociologie est une sorte de sport de combat.


Les lecteurs d'Indymédia Paris Ile de France, ou du Post.fr ou de 17 milions et les autres, ont peut-être eu des échos de l'arrestation, à son domicile parisien, vers 6 heures du matin, mardi 3 juin, de Gwénola Ricordeau, sociologue, docteure en sciences sociales, actuellement attachée temporaire d'enseignement et de recherche à l'université de Lille-II.

Ces informations se sont pas vraiment suffisantes. Le billet d'Indymédia est surtout un appel à soutien, qui a été relayé par 17 millions (avec des liens complémentaires bienvenus).

Le billet de Jimmy Gladiator dans LePost.fr paraphrase Indymédia, mais est suivi d'un commentaire (une hasardeuse extrapolation et un malencontreux copié-collé) qui affirme que le chef d'accusation retenu contre elle est "diffamation", ce qui ne peut se vérifier nulle part…

Il est assez facile de s'apercevoir que ce commentaire copicolle des informations concernant un procès intenté, en 2005, à Gwénola Ricordeau , devant la 17ième chambre du Tribunal de Grande Instance de Paris (jugeant les délits de presse et délits d’opinion). Soupçonnée de participer au site "Vive les mutins", on lui reprochait (d'après HNS-info du 13 mars 2005):

  • la diffusion d’un texte évoquant les « tabassages des ERIS (équipes de surveillants cagoulés, institués par Perben en janvier 2003 pour les opérations de maintien de l’ordre en détention) et critiquant les quartiers d’isolement ("où l’on meure doucement, mais sûrement");
  • la diffusion d’un texte écrit, en juin 2003, par un groupe de détenus (Il n’y a pas d’arrangement) du quartier d’isolement de la maison d’arrêt de Bois d’Arcy, suite à plusieurs tabassages dans ce quartier;
  • la diffusion de deux affiches de soutien avec les inculpés de la mutinerie de Clairvaux et appelant à un rassemblement de solidarité lors de leur procès, à Troyes (Aube).

Pour mes lecteurs en bas-âge, qui hésitent encore sur une belle carrière, vous pourrez trouver tous les renseignement sur le corps prestigieux des ERIS (Equipes régionales d'intervention et de sécurité) en suivant ce lien (où j'ai trouvé la belle illustration). Et si vous voulez aller plus loin, vous pourrez toujours méditer sur l'aimable réalité et la délicate transparence d'un ordre qui a besoin de serviteurs cagoulés pour se maintenir.


L'arrestation de Gwénola Ricordeau de mardi dernier est à placer dans un autre cadre.

Les quotidiens nationaux étant muets, voici les informations glanées dans Ouest-France.


Article du jeudi 05 juin 2008: Feu sur le chantier de la prison: 2 gardes à vue

Dans le cadre de l'enquête sur un incendie qui, en 2004 à Rennes, avait causé de gros dégâts, deux femmes ont été placées en garde à vue, mardi à Paris.

Mardi matin, la sociologue, chercheuse et enseignante Gwenola Ricordeau, 32 ans, a été interpellée à Paris, par des gendarmes de Rennes. Elle a été placée en garde à vue dans la capitale, en compagnie d'une autre femme. Les gendarmes ont agi dans le cadre d'une enquête sur un incendie volontaire remontant à février 2004. Des cocktails molotov avaient détruit une pelleteuse, une tractopelle et un groupe électrogène, sur le chantier de la future prison des hommes de Rennes.

Quatre ans après les faits

Ce centre de détention de 700 places doit ouvrir l'an prochain, et remplacer la vieille prison Jacques-Cartier. Les dégâts causés par cet incendie avaient été estimés à 200000 €.

Le parquet de Rennes avait ouvert une information judiciaire. La juge d'instruction saisie avait confié l'enquête à la brigade de recherches de la gendarmerie d'Ille-et-Vilaine. Quatre ans après les faits, ce sont ces gendarmes qui ont procédé aux deux interpellations, mardi à Paris, dans le cadre d'une commission rogatoire décernée par la juge rennaise.

Sur les sites Internet qui évoquaient hier ces gardes à vue, Gwenola Ricordeau est présentée comme "militante anti-carcérale". Après avoir travaillé à l'université de Paris-IV (La Sorbonne) en 2003-2004, la jeune femme était plus récemment attachée temporaire d'enseignement et de recherche (Ater) à l'université de Lille-III.

Véritable spécialiste du monde carcéral, elle est l'auteure, entre autres ouvrages, d'un livre, paru cette année aux Éditions Autrement. Il est intitulé Les détenus et leurs proches : solidarités et sentiments à l'ombre des murs. Cet ouvrage est tiré d'un doctorat en sciences sociales. Gwenola Ricordeau devait être l'invitée de France Culture, pour parler de son livre, hier après-midi.

À l'issue des deux gardes à vue, la juge d'instruction rennaise aura le choix. Soit procéder à des mises en examen pour destruction volontaire par moyen dangereux, ou complicité. Soit considérer que les deux femmes ne sont pas impliquées dans cette affaire, et poursuivre son instruction dans une autre direction.

signé: Michel TANNEAU.



Dernière minute du 5 juin 2008: Dégradations sur le chantier de la prison: la sociologue libérée hier soir

Gwenola Ricordeau, 32 ans, placée en garde à vue mardi à Paris, par les gendarmes de Rennes, a été remise en liberté hier soir vers 21 h. Les enquêteurs agissaient sous commission rogatoire dans l'affaire des dégradations sur le chantier de la future prison de Rennes en 2004 à Vezin-le-Coquet. Des engins avaient été incendiés. Deux autres personnes, un homme et une femme, ont recouvré eux aussi leur liberté après avoir été entendus en garde à vue.

Gwenola Ricordeau, sociologue, est l'auteure d'ouvrages critiques sur le monde carcéral. Son interpellation avait soulevé l'indignation de nombreux militants. Un rassemblement de soutien avait même été prévu à Paris aujourd'hui si la garde à vue s'était poursuivie.



Pour mes lecteurs à l'esprit mal tourné, voici la réécriture du même communiqué (en gros) sur le site Saint-Malo.maville:

Chantier de la prison : suspects remis en liberté

La sociologue Gwenola Ricordeau, 32 ans, a été remise en liberté, mercredi soir, après avoir été placée en garde à vue par les gendarmes de Rennes à Paris. Les enquêteurs mènent des investigations sur l'incendie, en février 2004, du chantier de la future prison de Vezin-le-Coquet (Ille-et-Vilaine). Deux autres suspects ont recouvré la liberté après leur audition. Un renseignement avait été recueilli, faisant état de la présence de l'un des trois suspects à Vezin-le-Coquet le soir de l'incendie. L'interpellation de Gwenola Ricordeau avait suscité l'émoi dans les milieux militants de la mouvance anarchiste autonome. Un rassemblement devait être organisé, jeudi, à Paris, au cas où la garde à vue se serait prolongée.

Signé: Ouest-France (sic)



Me font peur, je vous dis, les anarchistes autonomes.



PS: Le livre de Gwénola Ricordeau ne va peut-être pas être facile à trouver, à cette heure où les tables des libraires se garnissent de gros pavé traduits de l'anglo-saxon, à la reliure profilée pour résister aux projections de sable de ce sale gosse qui ne peut pas se noyer tout seul.

Il est paru en avril 2008, aux éditions Autrement et il a pour titre Les détenus et leurs proches : solidarités et sentiments à l'ombre des murs.

Vous pouvez en lire une critique dans Liberation.fr.

jeudi 5 juin 2008

Suite du relais pas vraiment olympique

Pour compléter le billet de ce matin (où vous trouverez la musique), je relaye la lettre qui suit, qui exprime le point de vue des "deux de Vierzon". Ce texte se trouve également sur Indymedia Paris Ile de France.



Des nouvelles des deux de Vierzon :

Lettre d'Isa et Farid, depuis les prisons de Lille-Sequedin et de Meaux, mai 2008

« Plus faible sera l'opposition, plus étroit sera le despotisme » Orwell, 1984

Tout est parti très vite. Nous étions deux lorsque notre véhicule a été contrôlé par les douanes à Vierzon. La fouille a abouti à trouver dans un sac des manuels de sabotage et de fabrication d'explosifs, le plan de nouveaux établissements pénitentiaires pour mineurs, disponible sur internet, et une petite quantité de chlorate de sodium. Sans doute la réunion de ces éléments donnait au contenu un sens particulièrement subversif... D'autant que Farid était fiché par la police politique pour son militantisme anticarcéral et son combat auprès des sans-papiers et des mal-logés. Quant à Isa, elle n'était connue d'aucun service de police.

Immédiatement la sous-direction antiterroriste de Paris s'est saisie de l'affaire. Les perquisitions n'ont en réalité rien donné si ce n'est qu'elles ont permis de mettre sous scellé des pétards, des tracts et des revues engagés, censés corroborer l'idée d'un projet terroriste. Ce que nous réfutons catégoriquement.

Peut-on dès lors accuser quelqu'un d'un crime qu'il n'a pas commis et qui n'a pas été commis, sur des simples suspicions reposant sur des documents qui ne prouvent rien en soi ? En réalité c'est la dimension politique qui a conduit à la lecture d'une telle menace. Cela signifierait que la lutte, la révolte est un crime dont tout manifestant en colère, dont tout homme libre et engagé est coupable... ?

Nous avons été placés sous un régime de garde à vue de 96 heures, avec la possibilité de rencontrer un avocat à l'issue seulement des 72 heures. Nos ADN ont été pris de force et celui d'Isa aurait été retrouvé le printemps dernier sur un "dispositif incendiaire" retrouvé devant le commissariat du 18ème arrondissement de Paris. Jusqu'à présent, l'enquête ramait. Isa a nié toute relation avec cette affaire. Par ailleurs, l'ADN est un outil fortement controversé: dans ce genre d'affaire, il est toujours utilisé pour accuser la personne mise en examen, et la pseudo-objectivité scientifique vient clore tout débat.

Tous deux n'appartenons à aucun groupe politique mais faisons partie de ces gens que vous avez sans doute croisé lors de manifestations, de rassemblements, de réunions publiques, de concerts de soutiens, de projections de films, supports à débats... ; présents dans la lutte sociale et liés par le mouvement collectif.

Peut-être avez-vous entendu parler dans la presse des "anarcho-autonomes". Lorsque le grondement et la rage de la rue s'expriment avec de plus en plus de détermination, l'Etat a besoin de dire, pour mieux diviser, que le mécontentement est noyauté et manipulé par des groupes radicaux, extrémistes, aveuglés, et fascinés par la violence; d'où l'existence de ce genre de catégorie censée désigner une figure imaginaire dont il faut se méfier et qui représente la limite à ne pas franchir, la menace de l'illégalité, de la répression, de la criminalisation... En somme c'est une stratégie pour taire et effrayer tous ceux qui se lèvent pour des idées, contre l'oppression, pour la liberté... Nous avons ainsi été étiquetés, malgré nous... vague notion qui soudainement cacherait des groupes organisés pour le terrorisme, cherchant à nuire "par l'intimidation et la terreur". Nous sommes devenus une menace terrible pour l'Etat... Il faut diaboliser le visage du quidam pour être crédible, en déployant toute l'artillerie du langage!

Nous avons donc été écroués sous mandat de dépôt avec la mention "détenu particulièrement surveillé" ou "détenu à haut risque", ce dernier étant propre à la maison d'arrêt de Fleury-Mérogis. Autant dire que nous n'avions pas fini de réaliser les enjeux et les répercussions de cette paranoïa et hystérie du pouvoir. Nous sommes soumis à une surveillance intense. Ainsi, sans être jugés, sans être condamnés, nous sommes proies à un acharnement politique qui s'efforce de fabriquer et de fantasmer au travers de nous, l'existence d'un réseau terroriste ultra dangereux. Maintenant que ce postulat est posé, tous les raccourcis sont possibles, toutes les interprétations doivent aller dans ce sens, tous les éléments sont traduits de sorte à ce qu'ils viennent le justifier. Tout cela est particulièrement inquiétant et délirant. En quatre mois de détention provisoire nous avons eu le temps de sentir quelle était la logique de destruction, de vengeance et de punition de l'Etat vis-à-vis de ses sujets "insoumis"; de subir son autoritarisme notamment par des transferts entre maisons d'arrêt et des mesures d'éloignement arbitraires compromettant sévèrement la défense. Depuis peu nous avons appris que le dossier de "Créteil" avait été joint au nôtre, histoire de rassembler les "anarcho-autonomes"...

Nous ne voulons pas être les pantins des enjeux du pouvoir d'institutions politiques et répressives : ne laissons pas l'Etat écraser les espaces de lutte...

Isa* et Farid*, depuis les prisons de Lille-Sequedin et de Meaux, mai 2008.

* surnoms

Relais pas vraiment olympique




Ainsi que je l'ai déjà fait jadis ici et là aussi, je relaye quelques éléments d'information et de réflexion sur les opérations effectuées ces temps contre le nouvel ennemi intérieur nommé "mouvance anarcho-autonome".

Cet article a été mis en ligne sur le site Indymédia Paris Ile de France. Je le reproduis intégralement.


Nouvelles de l'affaire d'Ivan, Bruno, Damien et les deux de Vierzon

Une série d'auditions et une arrestation (voir ici) ont eu lieu ces dernières semaines dans le cadre de l'enquête sur ce que les juges, flics et journalistes appellent "la mouvance anarcho-autonome francilienne". Il semble important de décrire quelques-unes des tactiques d'interrogatoire employées par les flics pour obtenir ce qu'ils ont envie d'entendre. Ces auditions en appellent d'autres, sans doute rapidement car juges et flics semblent être dans une phase active des investigations. Toutes ces auditions ont aussi permis de confirmer la manœuvre politique sous-jacente à cette instruction visant à qualifier de terroriste tout un ensemble de pratiques et de points de vue critiques. Rappelons que cinq personnes sont mises en examen dans cette affaire (Ivan, Bruno, Damien et les deux de Vierzon), qu'Ivan, Bruno et la fille arrêtée à Vierzon sont incarcérées et que les deux autres sont sous contrôle judiciaire, le garçon arrêté à Vierzon venant d'être libéré après quatre mois de préventive.

Pour l'instant les auditions n'ont concerné que les personnes mises en examen, leurs familles ainsi que des proches qui ont fait des demandes de parloir. Dans ce dernier cas, se rendre à l'audition était une condition indispensable (mais parfois insuffisante) à l'obtention du permis de visite. Rappelons que l'on peut ne pas se rendre à un interrogatoire lorsqu'on est convoqué en tant que témoin (surtout lorsque la convocation est notifiée par un simple courrier ou par téléphone, comme ce fut le cas ici), que ça peut être un délit mais que ce n'est pas systématique car c'est compliqué pour eux de poursuivre tout un ensemble de témoins qui ne se présentent pas. Il y a un intérêt collectif évident à ne pas se rendre à ces auditions dont les résultats ne sont utilisés qu'à charge dans ces affaires.

Les auditions des proches et des membres des familles ont eu lieu à la brigade criminelle, Quai des Orfèvres à Paris. Pour l'instant seuls les mis en examens ont été auditionnés chez la juge antiterroriste en charge de cette affaire, Marie-Antoinette (ça s'invente pas!) Houyvet, qui est assistée d'un autre juge, Edmond Brunaud. A la brigade criminelle c'est le "groupe Menara" qui s'occupe de l'affaire, du nom de leur chef, un flic qui se présente d'abord sympa et respectueux de la procédure, puis qui joue souvent le rôle du méchant dans les interrogatoires tout en finissant ses gueulantes pour mettre la pression d'une petite remarque en s'inventant une proximité avec les interrogés (par exemple: "Moi aussi j'ai des enfants" aux parents, ou "Moi aussi je viens de tel endroit"). Bref du classique de flic.

L'idée de ce texte est donc aussi de décrire des techniques souvent employées dans les interrogatoires car mieux préparés, il est plus facile de les voir venir et de ne pas se faire avoir. Ça concerne aussi bien les mis en cause dans les affaires que leurs proches (familles, potes qui demandent des parloirs…). Avec les familles, au-delà d'en apprendre éventuellement sur les faits, les flics tentent de retracer un parcours de vie pour construire un profil à des fins judiciaires qui pourrait expliquer "comment il ou elle a pu en arriver là, c'est-à-dire devenir terroriste". De là tout un ensemble de questions pour déceler des manifestations précoces de cette prédestination au terrorisme: "Comment était-il (ou elle) à l'école, au collège, au lycée?", "Avait-il (ou elle) des amis ou était-il (ou elle) asocial(e)?", "se battait-il (ou elle) souvent?", "quelle est son orientation sexuelle?". De plus, de nombreuses questions semblent anodines mais peuvent souvent être utilisées à charge dans un sens ou dans l'autre; un "bon élève" te place rapidement dans la catégorie des idéologues manipulateurs, un "mauvais élève" dans celle des asociaux précoces et des rétifs à toute autorité, alors choisis ton camp camarade! Ca peut sembler caricatural mais plusieurs indices laissent entendre de telles interprétations, surtout, comme c'est le cas dans cette affaire, quand le dossier ne repose sur aucun fait (même si ces "parcours de vie" sont très fréquents dans les affaires criminelles de toutes sortes).

Les flics utilisent également une tactique consistant à endormir un peu l'interrogé au milieu de questions un peu bidons avant de rebondir subitement sur des trucs plus intéressant pour eux: "A-t-il (ou elle) fait des voyages?", "quels sports pratiquait-il (ou elle)?" puis de demander "Mais avec qui faisait-il (ou elle) tout ça? Vous venez de dire qu'il avait des amis, vous vous souvenez bien de certains noms?". En ayant répondu aux précédentes questions, il est plus difficile (mais pas impossible évidemment) d'esquiver les suivantes. On peut citer également la tactique des "questions guidées" où tu comprends déjà très bien vers où le flic veut te mener dans la manière de poser la question: "Qu'est-ce que tu penses du squatt de la rue X ou Y?", le flic présuppose déjà que tu connais tel ou tel lieu et n'importe quel type de réponse viendra au moins confirmer cette hypothèse. Ils peuvent aussi répéter plusieurs fois la même question ou insister lourdement sur un point précis.

La base dans les interrogatoires, utilisée presque systématiquement, c'est la tactique du flic gentil et du flic méchant. Le premier est celui qui parle le plus, met en confiance, pose ses questions gentiment, est serviable et se montre compréhensif ("Je comprends que ce soit dur pour vous", "Vous savez, de vous à moi, je n'aime pas interroger les familles" ou "Moi aussi je trouve que cette affaire prend des proportions délirantes"). Et puis il y a le flic méchant, celui qu'on n'avait pas trop remarqué depuis le début, qui ne parlait pas, qui n'est pas tout le temps dans la pièce, qui fait des aller-retours, puis qui surgit à un moment clé (moment de doute, d'hésitation avant une réponse) en se mettant très proche de l'interrogé, en gueulant et en lui mettant un gros coup de pression: "Je crois que vous n'avez pas compris ou vous êtes!", "Vous n'avez pas l'air de vous rendre compte de la gravité des faits!", "Vous (ou votre enfant selon les cas) allez passer une bonne partie de votre (sa) vie au trou!". Dans cette affaire au Quai des Orfèvres c'est souvent le même Menara qui se charge de cette performance théâtrale. En sachant qu'elle se produit presque à chaque fois, cette technique d'intimidation tombe vite à l'eau et Menara devient un personnage comique plutôt ridicule à vociférer tout seul. Evidemment il n'y a rien de systématique, parfois les flics sont tous sur le registre "gentils" ou tous "méchants", souvent aussi ils changent de registre au fil de l'interrogatoire, encore plus si c'est une garde-à-vue, au gré des réactions de l'interrogé et de ce qui leur donne le plus de résultats.

Les autres tactiques sont également assez classiques. Plusieurs personnes peuvent être convoquées en même temps et auditionnées séparément et simultanément. Des flics font des allers-retours entre les deux pièces et traquent les contradictions entre les déclarations. Outre l'intimidation, les flics insistent sur la proximité notamment avec les parents en instaurant des rapports du type: "Vous savez, pour votre enfant ce n'est pas trop tard, il (ou elle) peut s'en sortir, mais il (ou elle) est mal entouré… Pour le sortir de là, parlez-moi de ses fréquentations.". Les flics essaient aussi le registre de la culpabilisation des mauvais parents "Vous ne savez pas où il (ou elle) habite? Mais vous ne vous intéressez plus à lui (ou elle)!". Il leur arrive aussi de laisser l'auditionné seul dans le bureau, ou avec des personnes qui semblent s'affairer à autre chose, ceci dans le but de voir son comportement. Les interrogatoires sont aussi des tests de personnalité, le flic sur le côté qui n'a pas parlé de tout l'interrogatoire ne vous a peut-être pas lâché du regard en guettant vos expressions ou les manifestations de votre visage. Dans un commissariat, dans le bureau d'un juge ou d'un flic, on est toujours en territoire ennemi, ne l'oublions pas.

Evidemment la meilleure des tactiques consiste à tout faire pour éviter ces moments et à ne rien déclarer mais on n'a pas toujours le choix… Le cas de la garde-à-vue est plus spécifique, dans l'immense majorité des cas il vaut mieux ne rien déclarer en garde-à-vue, encore plus lorsqu'elle a lieu dans le cadre d'une instruction en cours. Il existe tellement de cas où les gens se sont enfoncés ou en ont enfoncé d'autres en croyant bien faire en déclarant des choses en garde-à-vue. Tout ce qui vient d'être dit dans ce texte s'applique évidemment à la garde-à-vue et il faut rajouter quelques éléments plus spécifiques. Premièrement, t'as pas accès au dossier en garde-à-vue, tu n'y as accès qu'au moment où tu es déféré au parquet, c'est-à-dire quand t'es conduit au tribunal, que ce soit en vue d'une comparution immédiate ou d'une mise en examen. Cet élément est primordial, surtout si le motif de la garde-à-vue est sérieux et si elle se déroule dans le cadre d'une affaire déjà instruite, comme c'est le cas ici. Il vaut mieux garder d'éventuelles déclarations pour le juge d'instruction, à la fin de la garde-à-vue et après avoir vu le dossier avec ton avocat.

Pendant une garde-à-vue (48 heures maximum en régime normal, 144 heures en régime antiterroriste ou criminalité organisée avec dans ces deux derniers cas pas d'avocat avant 72 heures, avocat qui de toute façon n'a pas accès à ce moment au dossier), les flics rajoutent quelques registres outre tous ceux qu'on vient d'évoquer. Ils utilisent souvent la tactique du "de toutes façons, on sait déjà tout", qui te pousse à confirmer certaines accusations minimales en te disant qu'ils le savent déjà et qu'ainsi tu crédibilises ta position vis-à-vis de la justice, un "je vous ai tout dit" qui laisse l'impression de sauver l'essentiel en te disant "ce que je leur ai dit, ils le savaient déjà". Il existe plein de cas où c'est faux, où ils jouent de leur impression de toute-puissance pour te faire confirmer des choses qu'ils ignorent. Ca vaut même pour des questions de base du type "Avez-vous eu déjà affaire à la police et à la justice? Ca sert à rien de nous le cacher on le retrouvera!", ce qui est parfois faux car ils ne retrouvent pas toujours tout dans leurs fichiers, ou ils le retrouvent de manière erronée ou incomplète. S'il ne faut pas tomber dans le piège de la toute-puissance policière, il faut aussi se garder de l'inverse, c'est-à-dire du "Ils sont à la masse, je vais les baratiner, je maîtrise parfaitement mon discours". En garde-à-vue tu ne sais jamais ce qu'ils savent et ce qu'ils ignorent et même s'ils sont souvent à la masse, ils sont quand même bien formés et rodés aux interrogatoires et risquent bien plus de te piéger si tu te lances dans des déclarations de toutes façons hasardeuses et très risquées pour toi et pour les autres mis en cause.

Ils jouent sur la fatigue, la lassitude, l'angoisse des heures passées enfermées en cellule à attendre son sort. Six jours seuls dans un trou c'est long, ça donne parfois la mauvaise idée de tenter des choses pour espérer en sortir. Les flics se servent évidemment de toutes ces heures, c'est même le principe de la garde-à-vue. Ils insistent beaucoup sur le fait qu'il est dans ton intérêt de parler, que tu as l'opportunité de te justifier: "Moi je veux bien te croire que t'as rien à voir avec ça, mais il faut que tu t'en expliques, sinon le juge il va te mettre au trou direct et là t'en prends pour des années!", "Je ne te comprends pas, tu as l'occasion de t'expliquer, pourquoi tu saisis pas cette occasion? Je crois que t'as pas compris le fonctionnement de la justice, en déclarant rien t'enfonces ton cas c'est clair, vraiment je te comprends pas…". Une des techniques les plus perverses qu'ils emploient consiste à organiser un chantage entre les gens si plusieurs personnes sont arrêtées en même temps, "Ah tu veux pas parler? Et bien à cause de toi on vous garde tous, toi et tes potes, alors qu'eux ont bien voulu coopérer, et bien à cause de toi vous allez tous en reprendre pour 24 heures de plus, je vais leur dire, ils vont être contents de toi!". Evidemment à ce moment là, tout seul en cellule, tu sais pas comment ça se passe pour les autres, tout ce que les flics disent est souvent faux mais malheureusement cette technique est dure à supporter quand on n'y est pas préparé et les tentations de déclarer quelques trucs en espérant améliorer la situation de tout le monde sont fortes mais complètement illusoires. D'une manière générale, ils tentent souvent de te faire croire que vous avez des intérêts communs, que vous pouvez coopérer pour aller dans le même sens, en oubliant pas de rajouter fréquemment "En tout cas c'est sûr et certain que si tu dis rien tu vas en taule pour des années avec ces chefs d'inculpation!".

Les flics pratiquent souvent la falsification des preuves ou des déclarations, surtout si plusieurs personnes sont arrêtées en même temps, pour mettre la pression ou instiller le doute dans l'esprit des personnes arrêtées: "Ah toi tu parles pas? Tu vas prendre cher, surtout que ton pote s'est mis à table, tu veux voir ces déclarations? En plus il parle de toi!". Il arrive aussi qu'ils fassent croire qu'ils ont un élément évident te confondant, "Tu vois cette cassette vidéo? Et bien dessus il y a un enregistrement où je viens de te voir dans une situation bien compromettante, va falloir que tu t'expliques!", alors que c'était complètement bidon et que la cassette ne contenait rien du tout. Il existe aussi quelques variantes propres à chaque situation, du type "Cette garde-à-vue et cette possibilité de t'exprimer c'est l'occasion pour toi de parler de tes convictions politiques, considère que c'est une tribune!" ou "Toi et tes potes vous êtes ridicules, les grands caïds ils ne se comportent pas du tout comme vous, avec eux au moins on peut discuter, vous, vous me faites pitié, des vrais gamins avec vos cachotteries et votre refus de coopérer…".

Signalons que toutes ces situations viennent d'expériences réelles, très récentes pour la plupart. Il peut sembler plus qu'évident de rappeler toutes ces techniques de flics bien anciennes mais il est tout aussi évident de rappeler que la grande majorité des condamnations pénales est encore basée sur les déclarations, donc sur les interrogatoires, que ce soient les aveux, les contradictions, les témoignages, les balances…

L'autre point important concerne le raisonnement politique et judiciaire qui sous-tend toute cette histoire. Ainsi cinq personnes sont mises en examen pour "association de malfaiteurs en lien avec une entreprise terroriste" et "l'entreprise terroriste en l'espèce, c'est la mouvance anarcho-autonome francilienne". Cette mouvance (terme très peu précis qui permet donc une interprétation très ouverte) se définit selon eux comme un regroupement informel d'un noyau de 50 à 100 personnes entourées de quelques centaines de sympathisants en Ile-de-France, qui se retrouve derrière le mot d'ordre "La haine de l'État bourgeois, de l'économie capitaliste et de ses appareils" et qui se manifeste principalement dans la lutte anti-carcérale et contre les centres de rétention. Les cinq mis en examen le sont donc sous le régime antiterroriste pour leur proximité supposée avec cette mouvance, donc avec ce mot d'ordre ou pour leur participation à des moments de lutte contre les prisons ou les centres de rétention. Ce raisonnement permet donc que toute déclaration, tout tract ou brochure critique de l'État, du capitalisme ou de l'enfermement soit associé à cette mouvance et fait donc de son détenteur un terroriste potentiel.

Il faut bien distinguer l'objectif de cette manœuvre, elle ne va évidemment pas déboucher sur l'enfermement des millions de personnes qui critiquent l'Etat, le capitalisme ou les centres de rétention mais elle offre aux autorités un cadre judiciaire extrêmement large qui lui laisse les mains complètement libres pour réprimer et enfermer toute une partie de la contestation qui les dérange. Cela influe déjà sur les cinq mis en examen, « On a trouvé chez vous des tracts et des brochures critiques de la prison, ceci prouve donc votre appartenance à la mouvance anarcho-autonome et ceci, en tant que mouvance déclarée terroriste, justifie votre mise en examen pour association de malfaiteurs en lien avec une entreprise terroriste ». Le procès d'intention et d'opinion joue à fond, ajoutons à ça les récentes déclarations (suivies d'actes) des flics sur leur volonté de prendre l'ADN de tout ce qui ressemble de près ou de loin pour eux à un "gauchiste" et on voit bien les réels objectifs de cette construction d'un nouvel ennemi de l'intérieur : isoler une partie des révoltés et ficher toujours plus de monde.

Pour éviter les malentendus, précisons que ces manœuvres (incarcération, fichage ADN) ne sont pas nouvelles ni propres à un milieu particulier, il y a déjà 700 000 personnes au Fichier des empreintes génétiques, et par exemple les récentes révoltes dans les quartiers ont eu pour conséquences des descentes de centaines de flics dans des cités et des incarcérations "préventives" par dizaines. Nous assistons simplement à une extension et à une intensification de ces logiques, à la création de différentes catégories d'"ennemis de l'intérieur" par l'Etat qui répond à l'accroissement des tensions sociales sur tout le territoire.

On lâchera rien, tout continue

Solidarité avec les prisonniers, avec les révoltés