mercredi 30 décembre 2009

Sanctuaires sécuritaires

En 1933, André Malraux terminait sa préface à la traduction française de Sanctuary, de William Faulkner par cette formule à l'emporte-le-vent-qui-décoiffe:

Sanctuaire, c'est l'intrusion de la tragédie grecque dans le roman policier.

Après ça, il a dû se recoiffer, allumer une cigarette et sortir faire un tour...

Un établissement scolaire en cours de sanctuarisation.

Je viens d'apprendre que l'intrusion de la gendarmerie dans l'espace scolaire portait le beau nom de "sanctuarisation", et que cette intrusion était la base d'un dispositif plus ample qui a reçu le nom de "SAnctuarisation Globale de l'Espace Scolaire", qui s'acronyme aisément, ainsi que vous l'aurez noté, en "SAGES".

Dans notre pays, la gendarmerie a toujours été dotée d'un solide sens de l'humour.

C'est grâce à une fidèle lectrice, atteinte, hélas ! d'une forme rare de figaro-addiction doublée d'une forme banale de figaro-allergie, que j'ai appris l'existence de l'article que Christophe Cornevin a consacré aux développements de ces concepts gendarmesques dans le Figaro de ce jour: Plan de bataille pour protéger les écoles de la délinquance.

D'entrée, le chapeau de ce publi-reportage réalisé pour la gendarmerie nationale nous promet de l'exclusif, de la révélation et quasiment du scoupe:

Un nouveau dispositif, jusque là tenu confidentiel, vise à limiter les intrusions dans les établissements et à dissuader les revendeurs de drogue.

Sans vouloir faire de peine à Christophe Cornevin, spécialiste reconnu dans le domaine de la sécurité et des chaussettes à clous, on remarquera toutefois que le site de la gendarmerie nationale propose, depuis le 7 décembre 2009, une page sur ce dispositif, accompagnée d'un document pdf illustré, mis en page le 4 novembre, et modifié le 16.


Page 2 du document pdf "jusque là tenu confidentiel".

Certes, il faut bien le reconnaître, le texte de ce grand professionnel du journalisme est beaucoup plus clair que le dépliant des gendarmes, bien que son style puisse sembler très inspiré par celui de ses interlocuteurs. Sans l'usage bienvenu des guillemets, on distinguerait assez mal ce qui revient au lieutenant-colonel Samuel Dubuis, chef du bureau de la sécurité publique à la direction générale de la gendarmerie, de ce qui revient à Christophe Cornevin, journaliste au Figaro.

Ce "plan de bataille" est bien sûr né de la volonté du chef de l'Etat, et cela semble suffisant pour le motiver de manière irréfutable.

Cette volonté s'est exprimée le 18 mars 2009, à Gagny, où s'était rendu monsieur Nicolas Sarkozy après une intrusion d'une dizaine de jeunes dans un lycée professionnel:

«Je n'abandonnerai aucune parcelle de notre pays à la logique des bandes, des caïds.»

On comprendra que sous ces mots un peu flous, il sera possible de ranger tout ce qu'il sera utile de ranger: les dileurs, les racketteurs, les casseurs, les pédophiles, les proxénètes, les activistes politiques, les catholiques intégristes, les islamistes radicaux, les philatélistes, les bibliophiles...

Au besoin, et selon arrivage.

Quant au dispositif lui-même, on peut en donner une description extrêmement précise:

Selon une rigueur de raisonnement toute militaire, les gendarmes se sont attaqués au fléau en dessinant trois cercles concentriques : au sein même de l'établissement, des gendarmes chargés de la prévention de la délinquance juvénile se rapprochent des chefs d'établissement, des associations de parents et des élèves pour évoquer le péril de la drogue, des jeux dangereux, d'Internet ou encore du racket. Ne disposant pas d'une qualification d'officier de police judiciaire, ces militaires repèrent aussi les profils déviants. Ils deviennent alors des «capteurs» de délinquance implantés dans l'école, qui transmettent leurs informations à des collègues déployés en un deuxième périmètre, aux abords de l'école. Là, des réservistes en uniforme de la gendarmerie organisent des patrouilles très visibles aux «heures de pointe» et tissent des liens avec des parents qui pourraient leur livrer des informations. Des brigades de recherches en civil et en voiture banalisées se mettent en planque et détectent les fauteurs de troubles, les identifient et bâtissent des dossiers photos.

(...)

Les procédures de surveillance sont alors transmises à des gendarmes mobilisés dans un troisième cercle, où vivent retranchés les voyous. «Il s'agit de frapper de manière très ciblée ceux qui ont été identifiés, de les harceler, de gêner les gêneurs, note-t-on à la direction générale de la gendarmerie. Ainsi, des opérations ponctuelles se multiplient sur les lignes de bus aux heures où elles sont empruntées par les racketteurs ou les dealers.» De subites missions de sécurité routière fleurissent aux pieds de leurs immeubles, où ils circulent en scooters. Et les terrains de jeux, bars et autres zones d'errance sont quadrillés jusqu'à ce que les interpellations interviennent.

Pour que l'on comprenne mieux à quel point tout cela est grandiose, l'article du Figaro est illustré d'une "infographie" (sic), inspirée d'un schéma figurant déjà sur le document pdf de la gendarmerie.

L'infographie figaresque.

Les cerveaux de la gendarmerie nationale qui ont conçu ce "plan de bataille" auraient pu, en faisant un petit effort, lui trouver un nom menant à l'acronyme FLICAGE, convenant au mieux à ce dispositif qui ne repose que sur les bonnes vieilles techniques de collecte de renseignements...

Et l'indispensable outil de ce genre de collecte est, on le sait, la délation subtilement encouragée, qui est, on le sait aussi, un élément indispensable de l'éducation citoyenne.

Christophe Cornevin termine son article en nous faisant miroiter les "succès" déjà rencontrés par la gendarmerie dans les douze établissements où ce dispositif "confidentiel" est expérimenté depuis le mois de septembre. Il nous promet que "le système devrait monter en puissance en 2010". Et il glisse ce véritable scoupe dans le scoupe:

Selon nos informations, les stratèges de la gendarmerie réfléchissent désormais à adapter la recette à une autre population vulnérable, celle des personnes âgées.

J'en ai parlé à la réunion du club de préparation au troisième âge dont je fais partie, et nous avons décidé, les autres futurs vieux et moi, de faire une lettre ouverte au président Sarkozy pour lui dire que nous nous opposons résolument à la "sanctuarisation".

Plutôt crever !

mardi 29 décembre 2009

Marche immobilisée

A 85 ans, on a un appétit de petit oiseau, c'est bien connu. On chipote et on picore par-ci par-là...

Mais cela ne rend pas plus facile de commencer une grève de la faim.

Hedy Epstein,
en grève de la faim pour la liberté de Gaza.

Hedy Epstein, née en 1924 dans une famille juive, a quitté l'Allemagne en mai 1939 dans un convoi d'enfants en direction de la Grande-Bretagne. Elle y a survécu alors que ses parents étaient déportés à Auschwitz, où ils sont morts. Elle a émigré aux Etats-Unis en 1948.

On peut supposer que cette rescapée de l'Holocauste possède un solide appétit de liberté et de justice.

On la rencontre parmi les militant(e)s pour le droit à un logement décent, pour la liberté de l'avortement, et pour la paix.

Ce sont les récits des massacres commis par l'armée israélienne à Sabra et Chatila, en 1982, qui l'ont amenés à étudier de plus près le conflit israélo-palestinien et à prendre position. Après un premier voyage dans les territoires occupés en 2003, son témoignage fut sans doute jugé suffisamment inopportun par les autorités israéliennes pour qu'elles tentent, lors de son voyage suivant, en 2004, le grand jeu de l'intimidation et de l'humiliation. Les agents de la sécurité, à l'aéroport Ben Gourion de Tel-Aviv, l'obligent à se dévêtir totalement (strip search) et la soumettent à une fouille manuelle complète (body cavity search).

Hedy Epstein raconte, dans un entretien* avec Silvia Cattori:

Jamais je n’avais ressenti une telle colère, qu’après ce qui m’était arrivé en janvier 2004 à l’aéroport de Tel Aviv, à moi et à l’amie qui voyageait avec moi.

Une fois dans l’avion, encore pleine de rage, j’ai écrit sur chacune des pages des magazines fournis par la compagnie : «Je suis une survivante de l’Holocauste et je ne retournerai jamais en Israël». Parfois, j’appuyais si fort mon stylo sur les pages qu’elles se déchiraient. C’était une manière d’évacuer ma colère.

Le coup avait porté.

La flicaille et la soldatesque de tous les pays du monde savent que les atteintes à la dignité humaine portent immanquablement.

Mais Hedy Epstein est retournée en Israël et en Palestine, quand elle a pu estimer, dès l'été 2004, que "c’était, à [ses] yeux, la juste chose à faire; témoigner et faire savoir aux Palestiniens qu’il existe, à l’extérieur, des gens qui sont suffisamment préoccupés par leur sort, pour revenir et se tenir à leurs côtés dans leur lutte contre l’occupation israélienne."

Depuis cette date, elle a fait un voyage par an.

Aujourd'hui, elle est au Caire, et hier, avec d'autres participants de la marche de la liberté pour Gaza, elle s'est installée sur une chaise devant les bureaux des Nations Unies, et a entamé une grève de la faim pour protester contre l'interdiction de cette marche par les autorités égyptiennes.

Ailleurs, devant l'ambassade de France.

Comme un groupe de 300 marcheurs immobilisés se sont regroupés sur le trottoir devant l'ambassade de France au Caire, nos journaux commencent à découvrir cette manifestation, et les obstacles rencontrés.

Peut-être ont-ils attendu d'avoir des images ?



Curieusement, c'est sur Le Quotidien du Peuple en ligne que l'on peut trouver la position des dirigeants égyptiens après ce sit-in devant l'ambassade de France.

L'Egypte a critiqué lundi les militants français qui ont manifesté devant l'ambassade de France au Caire. Ces activistes ont demandé d'entrer dans la bande de Gaza via Rafah pour participer à une marche de solidarité avec le peuple de Gaza.

Ces activistes n'ont pas tenu leur engagement car ils sont entrés en Egypte avec des visas touristiques et ont mené des activités politiques en organisant un rassemblement qui viole les conditions d'entrée, a indiqué Hossam Zaki, porte-parole du ministère égyptien des Affaires étrangères, cité par l'Agence de presse égyptienne MENA.

Je ne savais pas qu'il existait des visas pour "activités politiques"...

Pour se faire une idée des manœuvres dilatoires des forces de sécurité égyptiennes, rien ne vaut ce témoignage direct de deux participants qui, dans un courriel daté du 28 décembre au soir, racontent leur voyage en direction de la frontière...

Dès le matin nous faisons un aller retour entre les 2 hôtels où est réparti notre groupe.

Les campeurs sont toujours devant l'ambassade et leurs bus au dépôt avec interdiction de sortir.

Nos bus ne sont pas dans cette situation et doivent partir vers 14h pour El Arish. La consigne est d'être discret pour rejoindre le point de départ.

Comment être discret à 50 personnes avec sacs à dos et appareils photos ? Outre les policiers en civil qui veillent sur le troupeau, les cairotes sont tous sur le pas de leurs boutiques pour assister au départ !


A 15h le bus démarre ! (...)


5 bus sont sur la route avec 200 personnes à bord : des français, des belges, des grecs, des indiens (d'Inde), des américains et un suisse, tous calmes et déterminés à dénoncer le blocus de Gaza, l'impunité d'Israël et la complicité de la Communauté Internationale.


Florent au micro nous rend compte régulièrement des contacts entre les bus.

Très vite, il faut déchanter, les deux premiers bus sont arrêtés par la police de la route, nous dit-il.


Le convoi que nous formons avec 2 autres bus est lui aussi stoppé à une vingtaine de kilomètres du Caire. Un monsieur en costume et cravate, un téléphone sur chaque oreille, semble très occupé à ne pas nous laisser aller plus loin. (...)


(...) Au bout d'une heure, on annonce un colonel. Il arrive dans son uniforme à boutons dorés, et ajoute à ses décorations, lui aussi, un téléphone en pendentif à chacune de ses oreilles. Le chauffeur du bus nous explique que c'est monté très haut, on parle du chef des services de renseignement... du ministre peut être.


Entre temps des nouvelles arrivent de l'ambassade de France : les personnes qui ont passé la nuit sur le trottoir sont dans une situation bien pire que la nôtre. Trois solutions leur sont proposées : passer une nouvelle nuit sur le trottoir et être reconduite le lendemain à l'aéroport, être reconduites immédiatement à l'aéroport, ou encore être confinées jusqu'à leur avion de retour, au lycée français du Caire mis à disposition par l'ambassade.


Dans notre bus sur le bord de l'autoroute, nous avons au moins l'impression d'avoir bougé, mais si peu ... Nous essayons de gagner du temps pour permettre aux médias d'être sur place et de rendre compte de la situation. Au bout de deux heures, les services se font plus autoritaires et intiment l'ordre aux chauffeurs de bus de nous reconduire au Caire à nos hôtels. Toujours calmes et après quelques échanges entre les 5 bus (vive le portable...) nous nous plions à cette exigence, et décidons de convoquer la presse pour notre retour.

Demi tour donc avec amertume bien sûr mais une visibilité attendue à l'arrivée. Nous sommes escortés par un véhicule de police, qui surveille de près notre itinéraire.
(...)

A.P & P

Il est fort probable que la visite au Caire de Benjamin Netanyahu, venu s'entretenir avec le président égyptien Hosni Moubarak, aura conduit aujourd'hui les forces de l'ordre à restreindre davantage encore les déplacements des marcheurs.


* A signaler un autre entretien, mais en anglais, sur Counterpunch.org réalisé en 2007.

PS: La pétition demandant à monsieur Kouchner d'intervenir auprès des autorités égyptiennes a recueilli 3438 signatures.

Pour ajouter la vôtre, cliquez sur l'image:

dimanche 27 décembre 2009

Confiseries au plomb fondu

Jadis, si mes souvenirs sont bons, on observait, de Noël au Jour de l'an, une période de repos des guerriers qu'on appelait "la trêve de Dieu".

Après la mort de Dieu, on a pris l'habitude, je ne sais pourquoi, de l'appeler la "trêve des confiseurs".

L'an dernier, si nos souvenirs sont bons, les confiseurs de l'Etat d'Israël avaient décidé de plomber l'ambiance et inventé d'accommoder leurs confiseries de "plomb fondu" ou de "plomb durci"...

Avec une extrême délicatesse, ou le plus détestable cynisme, selon le point de vue, les responsables israéliens avaient choisi pour nom de code de leur attaque massive sur la bande de Gaza un extrait de poème pour enfants. Cette petite chanson à refrain, Pour Hanoukka, écrite par Haim Nahman Bialik (1873 - 1934), fait allusion au cadeau d'une toupie (dreidel) en plomb à l'occasion de la fête juive de l'Hanouka, ou fête des Lumières, ou encore fête de l'Inauguration du Temple.

Un dreidel en métal (un peu brillant pour être du plomb).

L'opération Cast Lead fut lancée au matin du 27 décembre 2008, et devait durer 22 jours.

Les conséquences de cette guerre, qui fit 1393 victimes du côté palestinien et 13 du côté israélien, peuvent être examinées plus finement qu'en faisant un brutal calcul de proportionnalité, pourtant déjà éclairant.

Sur la conduite de l'attaque, le rapport Goldstone, dont on peut trouver résumé et conclusion en français, établit que Tsahal, que la propagande est prête à présenter comme l'armée la plus humaniste, voire pacifiste, du monde, s'est livré à un certains nombre d'actes qui relèvent du crime de guerre.

Quant à la situation dans la bande de Gaza depuis la fin de l'attaque, le récent rapport publié par 16 associations internationales est tout aussi éloquent sur l'abandon des gazaouis à leur sort par les grandes et moyennes puissances, malgré certains effets sonores.

Comme cette phrase de notre président que le communiqué commun des associations rappelle opportunément:

«Gaza ne peut pas continuer à être la plus grande prison à ciel ouvert au monde !»

Cliquer sur l'image pour accéder au texte du rapport.

Pour certains de nos journaux, la grande nouvelle à nous transmettre sur la situation palestinienne est celle de l'annulation des festivités qui devaient marquer, à Ramallah, l'élection de Miss Palestine.

Avec un tact admirable, la date du 26 décembre avait été arrêtée. Le Hamas a exprimé son opposition.

Comme il ne faut jamais rater une occasion de casser du sucre sur le dos du Hamas, on en profite pour dénoncer l'indécrottable obscurantisme de ce mouvement islamique.

Mais j'attends qu'on m'explique en quoi ces lamentables défilés de godiches prenant des poses de potiches participent de l'émancipation féminine...

Une des affiches de la Marche pour la Liberté de Gaza.

Ces journaux feront sans doute plus tard leur "sujet" sur le veto que les autorités égyptiennes viennent d'opposer au passage sur leur territoire de la délégation internationale de la Gaza Freedom March, constituée de 1362 personnes venant de 43 pays qui devaient franchir la frontière entre l'Egypte et Gaza pour "rappeler à la communauté internationale sa responsabilité face au maintien du blocus" et apporter "un soutien aux Gazaouis" en coordination avec des ONG locales.

Les coordinateurs de cette Marche ont adressé une lettre ouverte au président Moubarak.

Qui n'a pas encore répondu.

En attendant, le convoi de matériel collecté (médicaments, fournitures scolaires, jouets, confiseries peut-être ?) reste bloqué.


PS: A lire, avec votre petit dictionnaire, l'article du journaliste israélien Gideon Levy qui, dans le Ha'aretz de ce jour, marque à sa manière cet anniversaire.

One way or another, the year since December 27 was a year of shame for Israel, greater shame than any other time. It is shameful to be Israeli today, much more than it was a year ago. In the final tally of the war, which was not a war but a brutal assault, Israel's international status was dealt a severe blow, in addition to Israeli indifference and public blindness to what happened in Gaza.


Ajout du 28/12/2009:

Une pétition de soutien à la marche pour la liberté de Gaza, est en ligne, sous la forme d'une lettre ouverte adressée à monsieur Bernard Kouchner, ministre des Affaires Etrangères.

Pour en prendre connaissance et rejoindre les signataires, cliquer sur l'image.

vendredi 25 décembre 2009

Expérience de physique pas amusante

A ceux qui se posent parfois la question de savoir comment on peut survivre dans la rue par le froid de canard qu'il a fait ces derniers jours, je conseillerais volontiers de se reporter au protocole de l'expérience de physique amusante que propose Patrick Declerck dans son livre Le sang nouveau est arrivé: L'horreur SDF (Gallimard, 2005, réédité en Folio, 2007), à moins que ce ne soit dans Les naufragés. Avec les clochards de Paris ( Plon, 2001, réédité en Pocket-Terre Humaine, 2003).

(De toute façon, il faut lire les deux.)

Après avoir coupé le chauffage de votre appartement pendant une bonne demi-journée, il vous suffira de vous installer pour la nuit, dans un vieux duvet percé, sur un carton, juste un peu trop petit pour votre taille, étalé sur le carrelage de votre cuisine. Les fenêtres ouvertes, et si possible en courant d'air, vous apporteront le froid et l'humidité de la nuit, tout en atténuant les lumières et les bruits de la ville.

Et bonne nuit...

Les plus audacieux pourront s'inspirer de l'expérience que le prince William, deuxième dans l'ordre de succession au trône d'Angleterre, vient de mener, dans la nuit du 15 au 16 décembre, en compagnie de son secrétaire particulier, Jamie Lowther-Pinkerton et de Seyi Obakin, président de Centrepoint, une organisation d'aide aux SDF.

Le plus difficile à trouver est le secrétaire particulier, bien entendu.

Pour le reste, il suffit de trouver quelque chose qui ressemble plus ou moins à une ruelle londonienne descendant vers la Tamise aux alentours du pont de Blackfriars.

Les anglophones trouveront le récit de cette expérience en vrai grandeur sur le site de Contrepoint, ou dans les articles du Times ou du Guardian. La dépêche de l'AFP a été largement reprise par les médias pipoles et, trêve de Noël oblige, commence à arriver dans les autres.

Tout le monde cite la conclusion du prince héritier:

"Après une nuit, je ne peux même pas commencer à imaginer ce que cela doit être de dormir dans les rues de Londres nuit après nuit."

Seyi Obakin et William.

En France, grâce à Dieu et à quelques régicides obstinés, nous ne vivons plus dans un régime de monarchie héréditaire, et par conséquent, nous manquons cruellement de princes du sang pour se livrer à de telles opérations de soutien aux associations de solidarité avec les sans-logis.

On pourrait éventuellement attendre un beau geste de la part des innombrables "fils-de" qui nourrissent nos chroniques pipolitiques, mais, s'ils ont fait quelque chose, ce fut dans l'anonymat le plus absolu, et en oubliant de prendre une photo.

C'est ballot...

Madame Carla Bruni-Sarkozy, qui a un bon fond de "première dame", a accordé un entretien au magazine Macadam pour donner un "coup de pouce" à son numéro du 17 décembre.

Elle y parle, nous dit-on, de Denis, sans domicile fixe du XVIème arrondissement, qu'elle prend le temps "parfois" (j'adore ce "parfois" !) de saluer et avec qui elle parle de "lecture et de musique". Lequel Denis confirme la chose, et conclut:

Elle passe me voir de temps en temps et on discute musique, jamais de politique. On a les mêmes goûts musicaux. Elle m’a même proposé de chanter sur son album. Elle m’a offert un MP3, mais je l’ai perdu…C’est une grande dame vous savez, Carla, même si elle n’en a pas l’air.

On n'en doutait pas. D'ailleurs on voit bien, sur les photos, qu'elle est plus grande que son mari.

Madame Bruni-Sarkozy a dû offrir la photo de couverture.

Le mari de cette "grande dame" doit être, comme on dit dans ma campagne, un peu plus fier: il ne cause pas avec tout le monde.

Mardi dernier, une délégation d'une vingtaine de personnes représentant bon nombre d'associations d'aide aux mal logés, qui voulait se rendre à l'Elysée, a été bloquée par un barrage de CRS à quelques centaines de mètres des grilles du palais.

Ils voulaient déposer une liste de vingt immeubles parisiens vides, dont les associations réclament la réquisition par l'Etat. Les forces de l'ordre leur ont transmis un message du palais: ils n'avaient qu'à l'envoyer par courrier.

Il fallait y penser.

Albert Jacquard, qui faisait partie de cette délégation, a apprécié la courtoisie élyséenne:

"Nous voulons que tous les Français sachent qu'à l'Elysée il y a quelqu'un qui est bien claquemuré, qui est enfermé, qui ne veut pas savoir quel est le réel."

Il faut dire que le président avait eu sa dose de réel en début de matinée:

Nicolas Sarkozy avait reçu en début de matinée Xavier Emmanuelli et Stefania Parigi, respectivement président fondateur et directrice du Samu social de Paris, pour évoquer les projets de développement de l'association, notamment à l'international.

Xavier Emmanuelli a salué les efforts du gouvernement pour la prise en charge des sans-abri dans le cadre notamment du plan grand froid.

"On lui a dit que cette année, il y a, avec le ministre Benoist Apparu (secrétaire d'Etat au Logement-NDLR) un effort de régulation qui a été fait et, depuis quatre ou cinq jours, on a des bonnes performances", a-t-il dit.

On comprend qu'après cette annonce de "bonnes performances", le président ait désiré en rester là.

Sur une bonne impression...

Pourquoi s'embêter avec Josiane Balasko, Jean-Baptiste Eyrault,
Augustin Legrand ou Albert Jacquard ?

Je ne suis pas sûr de bien comprendre le langage de gestionnaire de monsieur Xavier Emmanuelli. "Effort de régulation" ? "Bonnes performances"? Mais de quoi parle-t-on ?

Le langage du collectif "Les Morts de la rue", dans son communiqué du début de semaine, est plus direct:

Trois cents trente huit personnes sans domicile fixe (SDF) sont mortes en France depuis le début de l'année 2009, dont douze au cours de la dernière semaine (...).

(...)

"De plus, d'autres personnes sont mortes directement du mal logement" ajoute l'association. "Nous ne les ajoutons pas au nombre des décès, mais dénonçons également leur mort due à la misère".

Le travail de ce collectif est de "dénoncer la mort prématurée des personnes vivant ou ayant vécu à la rue", en assurant aux "personnes décédées dans la rue et de la rue", "des funérailles dignes de la personne humaine". En publiant périodiquement le faire-part des décès des morts de la rue, le collectif entend honorer ces morts en rappelant leurs noms, pour autant qu'on les connaisse, afin qu'ils ne soient pas oubliés une seconde fois.

Il n'est donc pas d'établir des statistiques que politiques utiliseront ou contesteront...

Pourtant cette liste est là, et maintenant.

La tentation est grande de rappeler au locataire du palais présidentiel cette intervention de monsieur Nicolas Sarkozy, alors pré-candidat:

"Si je suis élu président de la république, d’ici à 2 ans, plus personne ne sera obligé de dormir sur le trottoir et d’y mourir de froid" . (18 décembre 2006)



Après tout, monsieur Sarkozy devait bien savoir que ce n'était pas à cause de cette promesse en forme de fleur de rhétorique qu'il allait être élu. Il a pourtant estimé devoir la faire...

C'est donc assez légitime de la lui rappeler.

mercredi 23 décembre 2009

Les boules pour Noël

La semaine dernière, en plein désœuvrement et en parcourant L'Express, je suis tombé sur un texticule journalistique intitulé Besson au bord de la rupture.

Enfin, me dis-je in petto, une bonne nouvelle.

Je suis, en effet, très envieux des succès féminins que l'on prête au charme irrésistible du ministre de l'Identité Nationale et du Grand Débat y afférant.

(Parce que, c'est vrai quoi, qu'est-ce qu'il a de mieux que moi ?)

Il me fallut déchanter en lisant l'article, qui m'apprenait que:

Eric Besson (...) traverse avec beaucoup de difficultés la séquence actuelle, tant sur un plan humain que politique.

"Il est au bord de la rupture", confie un membre du gouvernement. Nicolas Sarkozy, alerté par un proche, s'est entretenu en tête-à-tête avec l'ex-député PS, lequel a également eu un échange avec le secrétaire général de la présidence, Claude Guéant.

Avec une telle cellule de soutien psychologique à ses petits soins, on peut considérer qu'il est sauvé. Ses nerfs ne devraient pas lâcher de si tôt.

Et s'il a encore les boules pour Noël, il n'aura qu'à les dissimuler dans le sapin.

Sans oublier de les colorier.

Pour lui remonter le moral, je peux lui annoncer qu'un récent pointage m'a permis d'établir qu'il avait la vedette de 15% des billets de ce blog, devançant très largement son prédécesseur au ministère des Expulsions individuelles ou groupées, qui, malgré de méritoires efforts, ne la tient que dans 10% des billets.

La reconnaissance internationale de son talent est en bonne voie. Le (très sérieux) Time consacre un article à ses difficultés, réelles ou supposées, et au soutien ("very strong support"), réel ou supposé, qu'apporte le président Sarkozy à son ministre, qui est désigné, dans le titre, par cette efficace périphrase "France's Hated Immigration Minister", censée permettre son identification immédiate outre-Atlantique.

Bientôt "homme politique de l'année" ?

Au lieu de faire sa chochotte au bord de la crise de nerfs, monsieur Eric Besson devrait avoir l'honnêteté de simplement reconnaître que 2009 a été une année faste pour lui, où il a eu toutes opportunités de déployer ses capacités de nuisances sur la vie des autres.

D'autres que moi feront peut-être, en termes de "maîtrise des flux migratoires", le bilan de la mise en scène de la destruction de la "jungle" de Calais, et de ses suites. Ce n'est pas mon langage, ni évidemment mon mode de pensée...

Trois mois après cette opération à grand spectacle, 19 figurants afghans se trouvent encore en attente dans la région de Nîmes.

On retrouve sur 1000 Babords, un témoignage sur les audiences qu'ils ont dû subir, fin septembre, au tribunal administratif, pour voir toutes leurs requêtes rejetées.

Tous ont finalement été libérés du Centre de Rétention Administrative dans la nuit du 28 au 29 septembre.

Un reportage publié dans le Midi Libre, que j'ai retrouvé sur le blogue Cheminements, décrivait l'accueil de ces exclus par la population nîmoise.

«Dès que nous avons su que ces Afghans étaient dehors, au beau milieu de la nuit, dans une ville qui leur était étrangère, la mobilisation a été immédiate et une vaste chaîne de solidarité s’est mise en œuvre. D’abord à l’initiative de l’Eglise réformée, rejointe sans délais par l’église catholique et de nombreuses associations : France-Palestine, Réseau éducation sans frontières, banque alimentaire, secours catholique, Croix-Rouge… jusqu’aux bouchers hallal de quartiers populaires qui nous offrent de la viande et des volailles», commente la présidente de la Cimade, Hélène Reille.

Si le gîte est assuré par la communauté catholique, ces migrants qui parlent essentiellement pachtoun et farsi, ont le couvert garanti au temple de la Fraternité. Les Afghans y accueillent le visiteur d’un généreux sourire, d’une franche poignée de mains et d’une tasse de thé vert qui fait oublier les rigueurs des hauts plateaux de l’Hindukush. «Nous leur offrons l’hospitalité, mais nous sommes en permanence leurs invités. Ce sont des gens très attachants, d’une infinie courtoisie et d’une politesse exquise. Hommes de culture, même s’il n’y a plus d’école depuis trente ans en Afghanistan, ils sont impressionnants lorsqu’il s’agit d’apprendre, de s’instruire et nous faire partager leur propre culture. Tous se débrouillent déjà pas mal en français courant», ajoute Hélène Reille, qui rejoint ses protégés quotidiennement, à l’heure du dîner.


L'article s'ouvrait sur une citation de Joseph Kessel:

«Le plus pauvre des Afghans montre au visiteur qui vient de l’étranger, une courtoisie et une générosité sans pareille».

Il ne faut pas attendre la moindre générosité du côté de la préfecture en ce qui concerne la situation administrative des 19 réfugiés. On trouvera dans Montpellier Journal quelques éléments instructifs sur les manœuvres et atermoiements de l'administration. Comme le dit Guy Trubuil, dans son article du Midi Libre:

La situation administrative des 19 Afghans évacués de la "jungle" de Calais et logés à Nîmes donne matière à un bras de fer musclé entre les associations solidaires de leur sort et les services de la préfecture et du ministère de l'Intégration.

On ne s'étonnera pas de constater que le ministère de Notre Identité et les services de la préfecture mettent tout en œuvre pour que ces 19 victimes du ratissage de Calais ne puissent déposer leurs demandes d'asile.

Mais on pourra se réjouir de la récente décision de la juge des référés du Conseil d'État qui, en rejetant un appel de monsieur Besson, désavoue le ministère de l'Immigration dans cette affaire.

La Cimade détaille cette décision dans un communiqué, et donne la possibilité de la télécharger.

Ce communiqué se termine sur ces mots:

La Cimade se félicite de cette décision du Conseil d'Etat qui rappelle donc l'importance du respect du droit d'asile et de la tradition de terre d'accueil de la France. Tradition que le village de Lasalle, dans les Cévennes, a décidé de faire vivre malgré tout en accueillant pendant quinze jours ces 19 demandeurs d'asile afghans de "Nîmes". A l'initiative de la communauté protestante, avec l'appui de la mairie, avec le soutien d'un grand nombre d'habitants solidaires et avec le concours de La Cimade, le village a donc été rebaptisé "terre d'accueil et de refuge".

Comme un augure à l'année qui vient, face à une politique d'immigration des plus sévères, ce village redonne sens à la notion de "sanctuaire" en accueillant et protégeant les 19 Afghans de Nîmes.

Si j'étais à la place de monsieur Besson, je finirais par m'inquiéter de ce regain du protestantisme radical en France, et particulièrement dans les Cévennes...

Ça me foutrait les boules.



PS: Ce nonobstant, je souhaite un joyeux Noël à toutes les frangines et à tous les frangins de Lasalle, de Nîmes et d'ailleurs.

mardi 22 décembre 2009

Echos de baryton dans l'escalier

Un peu sectaires, et un rien dogmatiques, tels peuvent apparaître les amateurs de jazz.

A tel point qu'on leur dédierait bien la sentence de Francis Picabia:

POUR QUE VOUS AIMIEZ
QUELQUE CHOSE IL FAUT
QUE VOUS L'AYEZ VU
ET ENTENDU

DEPUIS LONGTEMPS TAS D'IDIOTS

André Breton portant la cible dessinée par Francis Picabia (1920)

Pas fier, je la prends pour moi, je la mets dans ma poche, avec mon mouchoir par dessus.

Pourtant il arrive qu'au cours d'un concert qui s'étire en un long ennui pavé de jolies intentions inabouties, un jeune homme inconnu, tenant un saxophone baryton, avance d'un pas en direction des micros, pour prendre un solo qui marque la mémoire pour longtemps...

Un instant, j'ai redouté le pire.

Le saxophone baryton, pour l'exécrable altiste que j'ai été, est peut-être encore un instrument de musique, mais sans aucun doute déjà un monstre de tuyauterie et de plomberie tout juste bon à émettre quelques grommellements à peine articulés, de vagues bougonnements dans les basses ou faire des pompes en faux bourdon.

Au bout de quelques mesures, le jeune homme avait, à la loyale, balayé mes craintes, et ridiculisé mes préventions.

Il avait une superbe sonorité, d'une belle couleur sur toute l'étendue de son instrument, juste un peu rauque dans les basses, et encore bien timbrée dans les aigus.

Dès le début de son solo, il donna l'impression de réactiver le tempo, non en le bousculant, mais en respectant davantage sa pulsation. Il rétablissait ainsi, avec discrétion mais efficacité, pour la durée de son intervention, cette accentuation rythmique bien particulière, qui pousse les amateurs les plus expansifs à dodeliner de tête en affichant un air ravi, un peu benêt, mais bienheureux.

Je crois que le thème n'était pas un standard, mais plutôt une "composition" un peu tarabiscotée du leader du groupe, que j'ai oubliée. Mais je me souviens que le soliste s'en était emparé avec autorité, et, l'ayant démontée et remontée habilement, se l'était appropriée, en avait fait sa chose.

Et cette chose était de toute beauté.

Il s'appelait Cyrille Sergé.
(Photographie empruntée au site de
l'École d'improvisation jazz Christian Garros.)


Je n'ai pas vérifié, mais ce concert doit dater de plus de 10 ans. Le souvenir de Cyrille Sergé faisant un pas pour commencer son solo m'est revenu d'un coup, il a un an, alors que, stupide devant mon écran, je lisais, sur une page où une recherche sur un tout autre sujet m'avait amené, que Cyrille était décédé en octobre 2008.

Car la vie fait de terribles fausses notes.

Je l'avais retrouvé, un peu plus tard, sous le chapiteau de l'Archéo Jazz, à la tête de sa propre formation, dans un concert hommage à Gerry Mulligan, qui est, à juste titre, "le" saxophoniste baryton le plus célèbre, car le plus accompli, de l'histoire de jazz. Il s'accordait à merveille avec cette musique subtile et élégante, et il faisait partager le plaisir qu'il prenait à la jouer. (1)

Le 15 janvier 2008, il donnait ce qui devait être son dernier concert, au Centre Culturel Marc Sangnier, à Mont-Saint-Aignan (76), avec une formation composée d'Antoine Bouloché au saxophone alto, de Quentin Ghomari à la trompette, de Mickaël Jacques au cor, de Loïc Séron au trombone à pistons, de Thierry Rouziès au tuba, de Jean-Baptiste Gaudray à la guitare, de Jean-Michel Charbonnel à la contrebasse et de Franck Enouf à la batterie.(2)

Ce concert, intitulé Cool versus Bop, avait pour projet d'explorer la frontière assez floue qui a séparé, à la fin des années cinquante et au tout début des années soixante, l'esthétique "cool" et celle du "bebop".

L'écoute de l'enregistrement(3) montre que cette frontière est aussi perméable que les autres, et qu'elle est franchie dans l'allégresse par un ensemble pêchu, aussi heureux de jouer les thèmes de Miles Davis et de Gerry Mulligan que ceux de Charlie Parker et de Thélonious Monk.

Sur les thèmes issus du courant "bebop", Cyrille Sergé a écrit des arrangements originaux. Sans les travestir, il leur a taillé un nouveau costume aux couleurs de son nonet dont il utilise les timbres avec un sens musical très sûr. Il l'a fait parfois avec une très grande économie de moyens, comme dans le superbe 'Round midnight minimaliste, mais toujours en offrant à ses solistes, comme un merveilleux cadeau, un habillage somptueux de leurs chorus.

Mais, comme la maladie n'entend rien aux arrangements, c'était aussi comme un cadeau d'adieu.


(1) Je n'ai pas retrouvé les noms des membres de ce groupe, mais peut-être était-ce le septet avec lequel Cyrille Sergé a enregistré en 2000 un disque dont je viens de croiser la trace sur le site de Jazz à Caen (et que je ne connais pas).

(2) Avec Cyrille Sergé au baryton, on retrouve la configuration générale du nonet de Miles Davis pour les enregistrements des sessions de Birth of the Cool. La guitare, en remplaçant le piano, donne à l'ensemble sa couleur particulière, tandis que le trombone à pistons introduit un tout autre phrasé que le trombone à coulisse.

(3) Cet enregistrement a été autoproduit par Rémi Sergé, le père de Cyrille.

Les rouennais peuvent le trouver au Centre Marc Sangnier, à Mont-Saint-Aignan, ou au magasin-atelier Eric Gervais, 7 rue Sainte-Croix-des-Pelletiers, à Rouen.

Les ébroïciens peuvent le trouver à la Librairie L'Orielle, 10 rue Borville Dupuis, à Evreux. L'Orielle est une librairie indépendante tenue, avec compétence et bonne humeur, par Isabelle et Emmanuel.

Les habitants du reste du monde pourront s'adresser à Rémi Sergé (remi.serge@orange.fr) qui leur dira ce qu'il peut faire pour eux.

dimanche 20 décembre 2009

Comparaison sans déraison

Puisqu'une très grande partie de la blogosphère vit à l'heure du Kremlin-Bicêtre, tout le monde doit déjà connaître cet arrêté d'un ancien maire de cette célèbre commune:


LE MAIRE DU KREMLIN-BICÊTRE
(...)

Considérant qu'il n'est pas juste de laisser le clergé bénéficier d'un régime de faveur lui permettant de se soustraire aux obligations que supportent tous les autres citoyens;

Considérant que le clergé est un groupe de fonctionnaires; qu'il importe particulièrement en raison de leur nombre, de leur indiscipline naturelle et de la nature même de leurs fonctions complètement inutiles au bien de l'État, de les rappeler en toutes choses au respect absolu de toutes les lois;

Considérant que, puisqu'ils profitent matériellement des dispositions de la loi du 15 Germinal an X, il est spécialement utile qu'ils se soumettent à tous les articles de cette loi essentielle;

Considérant, en outre, que le costume spécial dont s'affublent les religieux peut favoriser leur autorité sur une certaine partie de la société, il les rend ridicules aux yeux de tous les hommes raisonnables, et que l'État ne doit pas tolérer qu'une catégorie de fonctionnaires servent à amuser les passants

ARRÊTE:

ARTICLE PREMIER. - Est interdit sur le territoire de la Commune du Kremlin-Bicêtre le port du costume ecclésiastique à toute personne n'exerçant pas des fonctions reconnues par l'Etat et dans les limites du territoire assigné à ces fonctions.

Art. 2. - MM. le Commissaire de Police, l'Agent voyer communal, les Agents communaux et MM. les Gendarmes sont chargés de veiller à l'exécution du présent arrêté.

Le Kremlin-Bicêtre, le 10 septembre 1900.
Le Maire, Conseiller général,
E. THOMAS.


Pour les lecteurs et lectrices qui n'auraient pas connu cette belle époque, il faut peut-être préciser qu'en 1900, les rapports de l'Eglise et de l'Etat étaient encore régis par la Loi relative à l'organisation des Cultes, proposée le 15 germinal an X, et promulguée le 18. Cette loi est restée en vigueur jusqu'en 1905, date à laquelle fut adoptée la loi de séparation des Églises et de l'État.

©Archives nationales (AE 2991)

Au cours des débats sur cette loi de 1905, fut discuté un amendement visant à interdire le port des tenues ecclésiastiques, déposé et défendu par l'honorable Charles Chabert, député de la Drôme:

"Les ministres des différents cultes ne pourront porter un costume ecclésiastique que pendant l'exercice de leurs fonctions."

On peut consulter le compte-rendu de la séance du 26 juin 1905, où cet amendement fut examiné.

Charles Chabert, dans son exposé, revient sur l'arrêté pris en 1900 par Eugène Thomas:

Cet arrêté, vous le savez, fut annulé par M. le préfet de police à la date du 3 novembre 1900, et dans l'arrêté d'annulation je relève le considérant qui suit:

"Considérant que le maire de la commune du Kremlin-Bicêtre ne s'est pas borné à rappeler l'arrêté des consuls du 17 nivôse an XII, que cet acte administratif contient des appréciations complètement en dehors du droit conféré aux maires par l'article 92 de la loi municipale, qu'ainsi ledit arrêté n'a pas eu uniquement pour but d'assurer l'application des lois en vigueur, et que, par suite, il est entaché d'excès de pouvoir..."


L'orateur signale que 70 ou 75 maires ont été tentés de prendre dans leurs villes des arrêtés analogues à celui d'Eugène Thomas, mais y ont renoncé, de crainte de les voir annulés de la même façon.

Et il en termine sur ce point:

Mais il n'en est pas moins incontestable que le maire du Kremlin-Bicêtre avait raison et que son arrêté était légal. Il avait eu simplement le tort de ne pas le rédiger dans la forme sévère, impersonnelle, impartiale d'un article de loi, mais dans la forme passionnée et vivante d'un pamphlet. (...)

Ces discussions, qui occupent 5 pages des Annales de la Chambre des députés, sont analysées, sur le blogue de Jean Bauberot, président d’honneur de l’Ecole Pratique des Hautes Etudes, titulaire de la chaire "Histoire et Sociologie de la Laïcité", dans un billet qui explicite les "analogies indéniables" entre ce débat de 1905 et celui qui se développe actuellement autour du port du voile intégral.

Ces analogies font de cet exemple un élément de réflexion beaucoup plus pertinent que celui du "lancer de nains" cher à monsieur Besson.

Je vous recommande ce billet, et je me contenterai, pour ma part, de l'appuyer en citant plus amplement deux morceaux choisis dans l'intervention du député Chabert, abordant l'importante question "de la liberté et de la dignité humaines".

M. Charles Chabert (Drôme). (...) Voyez ce jeune prêtre qui passe dans le rue: son regard est timide, presque fuyant, son pas est long et compassé, sa tête est penchée sur l'épaule, ses mains qui se perdent dans de larges manches sont croisées sur sa poitrine; est-ce un homme ?

M. Lassies. Vous oubliez qu'il a fait son service militaire et qu'il a l'allure très décidée !

M. Charles Chabert (Drôme). Est-ce un homme ? Oui peut-être, car toute règle comporte des exceptions; mais dans la plupart des cas, on peut répondre hardiment: Non ! (Bruits à droite.)

Eh bien ! à cet homme intelligent, je le reconnais, mais pour ainsi dire moralement déformé (Interruptions.), ôtez sa robe ! mêlez-le à la foule qui s'agite autour de lui; faites qu'il puisse à son aise respirer, lever la tête, causer avec n'importe qui sans arrondir ses phrases et prendre des poses extraordinaires. C'est ainsi que vous lui ferez faire un pas immense, que vous libérerez son cerveau. Ce n'est pas, je le répète, en tyran que je parle, mais en homme soucieux de la liberté et de la dignité humaines.

Un peu plus loin, l'éloquence du député décolle pour conclure:

M. Charles Chabert (Drôme). A tous ceux-là, à tous ces prêtres qui attendent de vous la libération, à ceux-mêmes qui ont toujours été les plus farouches ennemis de la République, mais qui ne le sont devenus que par la force des choses, accordons généreusement notre aide.

La vie du prêtre ne doit pas être ce qu'elle est. De cet adversaire de la société moderne faisons, en l'habillant comme tout le monde, un partisan de nos idées, un serviteur du progrès. De ce serf, de cet esclave, faisons un homme. C'est ce que je vous demande au nom de la logique, au nom de l'humanité.

L'amendement fut finalement repoussé par 391 voix contre 184.

Néanmoins certains prêtres quittèrent l'habit...
"ELLE - Et puis bonsoir ! Je t'aimais mieux en soutane :
tu avais le prestige de l'uniforme et l'attrait du péché mortel."
Grandjouan, L'Assiette au Beurre, 3 novembre 1906.


Laissons le dernier mot à Jean Bauberot:

L’idée cléricale, c’est de croire que l’on connaît mieux qu’eux ce qui est bon pour les autres, qu’on peut les libérer malgré eux, parce qu’on serait soi-même totalement libre et éclairé, libéré de préjugés et de déterminations.

vendredi 18 décembre 2009

Bruit de fond

Monsieur Jean-François Copé, éminent penseur parlementaire contemporain, émettait, il y a quelque temps déjà, mais on sait que sa pensée est coulée dans le bronze de l'intemporalité, cette profonde remarque:

"On va libérer la parole. Point."

Il parlait bien sûr de la tenue du Grandébat lancé par monsieur Eric Besson sur le thème de l'Identité Nationale.

Je ne suis pas loin de penser que l'initiative de l'omniprésent ministre de ladite Identité n'a fait qu'amplifier un bruit de fond, déjà largement repéré, dont se détachent quelques insanités, volontaires ou non, aussitôt répercutées par les médias qui s'en amusent un peu, enregistrant explications et démentis, avant de les renvoyer rejoindre la bouillie sonore ambiante.

Tel sera le sort des considérations de madame Nadine Morano, traumatisée par les longues heures passées devant la télévision...

A propos du débat sur l'instauration d'une loi interdisant la burqa, [Nadine Morano] a répondu qu'elle était pour, le port de ce vêtement faisant «un peu Belphégor» et «peur aux gens». (...)

La secrétaire d'Etat à la Famille est revenue brièvement sur le débat sur l'identité nationale qu'elle trouve «passionnant», assumant une nouvelle fois ses propos qui font polémique depuis plusieurs jours.


Belphégor (1965), ou la burqa vue par madame Morano.

On ne s'étonnera pas de constater que, dans ce brouhaha, certaines informations et certains commentaires ne nous parviennent qu'assez difficilement.

Dans la nuit du samedi 12 au dimanche 13 décembre, la mosquée de Castres a été profanée par un groupe de crétins encore inconnus. Ils ont dessiné une croix gammée sur la façade et sur le portail, et inscrit sur les murs "Sieg Heil", "White Power" et "La France aux Français", le tout étant accompagné d'un cryptique "K288".

Ces sombres brutes ont également accroché des pieds de cochon à la poignée du portail, et agrafé des oreilles de porc sur l'un des deux vantaux.

Ils n'ont pas oublié de punaiser des affiches avec le drapeau français.

On peut préférer Belphégor...
C'est moins effrayant.

Comme le remarque Antoine Menusier, rédacteur en chef du Bondy Blog, pour apprendre ce qui s'était passé à Castres, il ne fallait surtout pas regarder la télévision: ni TF1, ni France 2 n'ont jugé bon d'en faire un "sujet"...

TF1 a cru bon de s'en expliquer, en réponse à une question d'internaute, prétextant avoir voulu "éviter l'effet recherché par les profanateurs, à savoir la diffusion à la télévision de leur odieux message". La recherche effectuée par Johanne Burgell, sur le site d'@rrêt sur images, permet de relativiser cette explication...

Je ne suis pas expert en stratégie éditoriale, mais je me demande si un tel "sujet" n'aurait pas dû aussi se faire l'écho des réactions de responsables du culte musulman, certes modérées mais un peu dérangeantes.

Il était difficile de ne pas donner le point de vue du responsable de la mosquée de Castres, monsieur Abdelmalek Bouregba, qui a déclaré à J-M.G et G.C, de La Dépêche:

«A Castres, les choses se passent plutôt bien d'habitude. Mais là, c'est grave. Il ne faut pas banaliser. Le débat sur l'identité nationale qui se tient actuellement en France et cette semaine à Castres ou celui sur les minarets en Suisse exacerbent ces comportements. Encore une fois, on nous montre du doigt. C'est un acte de lâcheté mais prémédité et réfléchi. Nous espérons que les coupables seront vite retrouvés.»

Et il aurait fallu compléter avec les propos de monsieur Dalil Boubakeur, recteur de la Grande Mosquée de Paris, que l'on ne peut soupçonner de porter sa casquette à l'envers.

[Dalil Boubakeur] (...) dit avoir "appris avec stupeur et consternation la profanation de nature raciste et islamophobe" de la mosquée. Il déplore "un contexte où l'Islam et les musulmans de France et d'Europe se trouvent confrontés à des débats frisant une polémique malsaine de stigmatisation et de rejet".

Dalil Boubakeur, alors président du Conseil français du culte musulman,
accueille Nicolas Sarkozy, alors ministre de l'Intérieur,
le 28 septembre 2006, à la Mosquée de Paris
pour partager le repas de rupture du jeûne.
(Photo AFP.)

Il y a peu de chance que ces deux voix soient entendues distinctement.

Même si cela était, il est probable qu'on leur répondrait dans des termes assez proches de ceux qu'emploie monsieur Frédéric Cabrolier, tête de liste Front National aux prochaines élections régionales, dans son communiqué du 14 décembre:

Les propos de Monsieur BOUREGBA, responsable de ce lieu de culte, reliant ce geste inqualifiable aux débats sur l’identité Nationale ou au Référendum Suisse sur les minarets sont inadmissibles, et montrent le peu de considération de ce monsieur pour la démocratie qui s’est manifestée lors de cette votation citoyenne suisse ou lors du débat de bonne tenue sur l’identité Nationale qui s’est déroulé à CASTRES dans un climat serein qui fait honneur à cette ville.



PS: Sur cette "sérénité" du débat, cette brève de L'Humanité:

(...) Le 8 décembre, quatre jours avant la profanation, se tenait le débat sur l’identité nationale. Frédéric Cabrolier, chef de file du FN aux régionales, apostropha un jeune homme supposé être musulman: «L’identité nationale s’hérite ou se mérite. (…) Vous n’avez pas le choix, vous devez vous assimiler  !»

Pédagogie exemplaire

Le choix des exemples est un pont-aux-ânes de la pratique pédagogique. Mais les vieux baudets les plus expérimentés y trébuchent parfois...

Un bon exemple se doit d'être plaisant, de permettre éventuellement une incise souriante, mais il se doit d'éviter une incongruité trop radicale.

Il va sans dire, mais cela ne coûte rien de le rappeler, qu'il faut le choisir ou le construire aussi proche que possible d'une stricte analogie vérifiable terme à terme.

Je pourrais, avec un petit effort de mémoire, sous hypnose de préférence, établir une liste assez conséquente de mes propres faux pas en ce domaine de l'exemplification foireuse.

Il en ressortirait, je crois, que les plus aisés à rattraper sont les exemples improvisés qui, à peine lancés, révèlent leur inadéquation. Il est alors facile de les écarter, au besoin dans un éclat de rire général, ce que je n'ai jamais considéré comme une faute pédagogique.

Plus mortifiant est l'échec d'un exemple préparé à l'avance, voire noté sur un bout de papier, qui suscite dans les pupilles de l'auditoire, au cours de son exposé pontifiant, non pas l'éclair de compréhension attendu, mais un étonnement médusé, puis un amusement pincé. Ces réactions de l'auditoire s'explicitent très rapidement en échanges de regards, sourires et chuchotements...

C'est comme un naufrage...

Dans le ridicule.

Veuillez installer Flash Player pour lire la vidéo


Je pense que monsieur Besson avait bien réfléchi à son bel exemple, destiné à nous faire comprendre qu'il est possible de légiférer en imposant aux individus une certaine idée de leur dignité, même totalement opposée à leurs propres conceptions de leur dignité.

Mais il n'a pas dû sentir qu'il sombrait dans le ridicule...

Et pourtant, il me semble que cet exemple d'exemple calamiteux devrait être montré à tous les élèves professeurs, pour les mettre en garde: certains de leurs ainés n'ont pas survécu après avoir débité des âneries analogues dans le vrai cadre d'une vraie classe.

J'en ai connu un qui s'est recyclé dans la politique, où le ridicule n'a jamais tué personne.

jeudi 17 décembre 2009

Routine d'une expulsion

Avec monsieur Frédéric L., orfèvre en touiteries plus grosses que lui, il est devenu inutile de lire en détail les commentaires que les braves gens viennent déposer au pied des articulets de la presse en ligne.

Il arrive à en synthétiser toutes les essences les plus nauséabondes.

Sans doute moins doué pour l'aphorisme puant, ou disposant de plus de loisirs dans l'exercice de sa charge de "représentant spécial du président de la République pour l'Afghanistan et le Pakistan", monsieur Thierry M., député UMP du Vaucluse, a pris le temps de rédiger un communiqué pour émettre à peu près la même insanité...

Qu'il prend bien soin de souligner, comme s'il craignait que l'odeur ne suffise pas.


Capture d'écran réalisée par LeFigaro.fr

Ces deux grands guerriers par procuration, qui reprennent en douce l'accusation de "désertion", déjà utilisée par un certain nombre de galonnés et étoilés, permettent aux gazettes d'engraisser leurs colonnes qu'une communication gouvernementale plutôt ascétique n'alimentait guère, et d'accorder moins de place aux protestations et contestations de ceux "qui ont fait de l'indignation permanente leur fond de commerce"*, pour citer l'expression de monsieur Mariani, commerçant en patriotisme.

Un grand effort a justement été fait pour faire passer, aux yeux de l'opinion, cette indignation de l'opposition et des associations pour une anomalie incompréhensible devant une procédure d'expulsion à la normalité garantie par l'Etat Français.

Dès le mardi matin, sur RTL, monsieur Claude Guéant, secrétaire général de l'Elysée, et, par conséquent, approximativement numéro deux de l'Etat, feint de tout ignorer de ce qui se prépare en coulisse, où pourtant il a établi ses quartiers:

"Je ne sais pas si c'est ce soir qu'il y aura des retours d'Afghans dans leur pays mais, sur le principe, je remarque que le Royaume-Uni reconduit chaque année plus d'un millier d'Afghans dans leur pays avec d'ailleurs un accord de la commission européenne des droits de l'homme**", a ajouté Claude Guéant. "Je ne vois pas pourquoi la France ne le ferait pas".

Avec lui, on ne peut pas dire que c'est l'imagination au pouvoir.

S'il ne voit pas, c'est qu'il ne voit pas...

On devait apprendre qu'en partageant croissants et chocolatines avec ses disciples, le chef de l'Etat avait apporté un "soutien très appuyé" à son ministre de l'Identité Nationale, dont il a salué le "courage" et la "détermination à appliquer la politique du gouvernement", face aux attaques et aux critiques venant même "d'amis de son propre camp".

Monsieur Besson a dû être gêné de tant d'amabilités, mais il a dû en profiter pour faire, sous sa serviette, des doigts d'honneur en direction de ses petit(e)s camarades moins apprécié(e)s pour cause de ralliement moins précoce.

Rien ne sert de trahir, il faut trahir à temps.

Et ce fut un coup de maître...

Notre ainsi distingué ministre pouvait en toute quiétude reprendre ses activités, sans donner de détails superflus concernant l'expulsion de routine en cours. Ce silence allait durer jusqu'au lendemain.

Malgré ce silence officiel, ou à cause de lui, allaient filtrer quelques informations dont le moins que l'on puisse dire est qu'elles suscitaient un certain nombre d'interrogations sur la stricte régularité de cette opération.

On pouvait ainsi apprendre, en consultant le site de France-Info, que

(...) deux migrants devraient échapper à l’expulsion, car des juridictions du Nord et du Pas-de-Calais ont estimé insuffisants les documents produits par les autorités françaises pour justifier cette expulsion. La France s’arrogeait en effet le droit de délivrer des laissez-passer pour Kaboul à la place des autorités afghanes. Dans ces conditions, l’expulsion des deux clandestins était donc illégale, ont estimé la cour d’appel de Douai et le tribunal de grande instance de Boulogne-sur-Mer.

On peut encore télécharger ces deux décisions de justice afin de les décortiquer.

Mieux, on apprenait que, devant le refus de l'ambassade d'Afghanistan de délivrer des laisser-passer consulaires aux neuf migrants restés dans les filets de monsieur Besson, la France envisageait de les munir d'un laisser-passer européen, procédure jusque là utilisée pour les ressortissants de pays considérés en vacance d'état ou placés sous administration internationale.

Etrange attitude face à un état que l'on veut reconnaître comme souverain, et dirigé par un gouvernement que l'on prétend démocratique...

On sait ce qu'est devenue la suspension des retours forcés de ressortissants afghans vers Kaboul demandée mardi par l’ambassade d’Afghanistan, qui souhaitait prendre le temps de clarifier les procédures d’expulsion.

Mercredi matin, l'ambassade signalait:

"Il n'y a pas d'accord entre Paris et Kaboul permettant un laissez-passer européen."

Du côté de monsieur Besson, on entendait plutôt ceci:

Eric Besson a reconnu avoir délivré des laissez-passer européens, et non des documents afghans, tout en assurant avoir eu l'accord de l'ambassade. "Ça n'est pas exceptionnel lorsqu'il y a accord et ça n'a posé aucune difficulté", a-t-il dit.

J'avoue ignorer si le principe du tiers exclu s'applique dans l'univers logique bessonien...

Mais on y pratique parfaitement l'expulsion des tiers indésirables.

Amusons-nous un peu avec monsieur Besson.


Monsieur Sarkozy ne s'embarrasse guère de tous ces détails:

Nicolas Sarkozy a estimé mercredi que la France ne fait qu'appliquer une loi "parfaitement respectueuse du droit des gens" en renvoyant des immigrés clandestins Afghans dans leur pays. "Ramener un Afghan en Afghanistan alors qu'il ne veut pas rester en France, en accord avec la Cour européenne des droits de l'Homme et en accord avec un gouvernement européen, où est est le problème ?", a dit le chef de l'Etat sur Canal+.

Il est juriste de formation.

Ça aide.

Les vrais amateurs de nuances subtiles se reporteront avec profit aux déclarations de monsieur Henri Guaino, conseiller spécial du président de la république, et méditeront sur cette belle sentence:

"Les Afghans qui sont expulsés sont en dehors de nos règles de droit, donc on applique le droit, toutes les procédures judiciaires sont respectées."

Quel droit s'applique à ceux que le droit a placés en dehors des règles du droit ?

Il y a peut-être là de quoi rendre fou un juriste qui serait aussi un logicien conséquent...



* Ah, si j'avais su faire de mon indignation un fond de commerce, j'aurais pu m'offrir au moins dix Rolex avant d'avoir atteint l'âge de vingt ans, savez-vous...

** Késako ? Vous connaissez ?

mercredi 16 décembre 2009

Les obsessions d'Eric Besson

En attendant que le ministère des Expulsions daigne bien vouloir "communiquer" sur la reconduite en Afghanistan de neuf paquets d'angoisse et de désespoir, chargés, au moins menottés, au pire ficelés, dans un avion britannique, je voudrais adresser à monsieur Eric Besson un petit signe de compassion.

Hier, pendant que se manigançait cette expulsion, monsieur Eric Besson était devant les micros d'Europe 1, à bavarder avec Patrick Cohen et Claude Askolovitch, et déclarait ceci:

"Je ne joue pas, je n’esquive rien, je fais appliquer la loi (…) J’essaie d’être un Républicain qui applique avec fermeté et justice la loi française"

Et surtout ceci:

"Est-ce que ça me fait plaisir ? La réponse est non. Est-ce que ça me crée des tourments, des interrogations ? La réponse est oui. Bien sûr que j’y pense tout le temps."

Je vous le remets sans italiques:

"Est-ce que ça me fait plaisir ? La réponse est non. Est-ce que ça me crée des tourments, des interrogations ? La réponse est oui. Bien sûr que j’y pense tout le temps."

Eric Besson, conscience républicaine.

Je dégouline de la plus pure compassion devant l'aveu de cette souffrance morale qui doit l'obséder jour et nuit, mais je me demande aussi: pour qui nous prend-il ?

Quant à la question de savoir pour qui il se prend, je trouve un élément de réponse dans cette phrase prononcée le même jour, à l'Assemblée Nationale:

"Enfin, je voudrais dire qu'en matière de droits de l'homme, je ne suis pas sûr que le gouvernement ait beaucoup de leçons à prendre d'un parti qui vient d'investir Georges Frêche à la tête de la région Languedoc-Roussillon."

Cette pointe politicarde m'incite à penser que monsieur Besson se croit nettement supérieur à monsieur Frêche dans l'échelle de l'ignominie.

C'est, en quelque sorte son auto-évaluation.

Pour moi, qui ai l'esprit large et accueillant, je les placerais bien tous deux dans la même poubelle de l'interminable histoire des infamies nationales.


Ajout vers 17h:

Monsieur Besson est sorti de son mutisme dans la journée...

Je crois bien que j'y reviendrai, le temps de reprendre quelques éléments d'information parus ici ou là...

Personne ne m'attend; alors, cela sera demain, ou après-demain.