lundi 30 novembre 2009

La grise mine de monsieur Besson

On sait, grâce à l'ouvrage de madame Sylvie Brunel, Manuel de guérilla à l'usage des femmes (Grasset, 2009), que son mariage avec monsieur Eric Besson fut tout sauf gris.

Les deux tourtereaux d'alors avaient, selon elle, "réussi à atteindre une véritable perfection dans la banalisation de l'institution".

(J'en ai connu d'autres qui eurent cette naïveté...)

On sait que la banalité institutionnelle des liens entre eux fut dénouée récemment, et que ce divorce fut l'occasion, pour madame Brunel, d'écrire cet utile Manuel à l'usage de toutes les quinquagénaires qui auraient son profil: universitaires de renom, trahies pendant trente ans et plaquées pour une jeunette par leur ministre de mari.

On dit que monsieur Besson se serait "engagé par écrit à n'intenter aucun procès" à son ex-épouse.

Est-ce de voir son mariage ainsi disséqué par sa brillante ex-épouse dépitée qui a donné à monsieur Besson l'idée d'aller renifler du côté des chambres à coucher des délaissé(e)s après dissolution de la vie commune ?

Et l'on sait qu'on y renifle bien des larmes et ravale bien des rancœurs...

Un divorce, ce n'est pas toujours du gâteau.

Monsieur Eric Besson, afin de dénoncer "les escroqueries sentimentales à but migratoire"*, autrement dit "les mariages gris"**, a ouvert les portes de son ministère, et ses empathiques oreilles, pour accueillir la plainte ressentimentale d'une cinquantaine de "victimes".

Cette manipulation, ne visant qu'à rendre encore plus suspects (car ils le sont déjà) tous les mariages dits "mixtes", a été suffisamment dénoncée et démontée, pour qu'on n'y revienne pas.

Stéphane Guillon est, lui, revenu sur le sujet:


Il semblerait que monsieur Besson n'ait pas trop apprécié la critique, et notamment cette allusion à sa nouvelle vie avec "sa jeune compagne tunisienne de 22 ans":

Je dis à Eric Besson, en toute amitié, qu'il faut qu'il fasse gaffe aux mariages gris. Tant qu'il n'est pas marié ça va, mais s'il franchit le pas, il y aura une enquête de vie privée. Avec plus de 30 ans d'écart, c'est obligatoire. Quand ça ne peut plus être ni pour ton physique ni pour ta vigueur, ils contrôlent.

Le bruit court que monsieur Besson s'interroge sur l'opportunité de déposer une plainte en je-ne-sais-quoi (il trouvera bien) contre Stéphane Guillon, et qu'il s'est entretenu de cette éventualité avec monsieur Philippe Val, grand patron de France-Inter...

J'imagine que monsieur Val est en train de réécouter toutes les chroniques de Stéphane Guillon, afin d'y déceler des traces d'antisémitisme pour pouvoir le virer vite fait.

Il ne rigole pas avec ça, monsieur Val.


* Ah qu'en termes choisis ces choses-là sont dites...

** Il semble que le mot "gris" désigne, dans une partie du territoire français, un "individu d'origine maghrébine", de manière tout à fait dépréciative... Peut-on suggérer à une association de lutte contre le racisme et les discriminations de se pencher sur ce petit "os" lexicographique qui a dû échapper aux services de monsieur Besson, mais qui, en cas de confirmation, l'exposerait, comme tout autre, aux rigueurs de la loi...

samedi 28 novembre 2009

Un effort de pédagogie

On rencontre souvent de brillant(e)s élèves à l'esprit vif, mais à qui il faut expliquer longtemps, et plusieurs fois.

Dans le jargon technique de la psychopédagogie appliquée, on appelle cela "en remettre une couche".

Monsieur Eric Besson, on n'en doute pas, est un excellent élément, d'une intelligence exceptionnelle. D'ailleurs, monsieur Bernard Laporte, qui s'y connait, le place parmi les "mecs extraordinaires" que son passage au gouvernement lui a permis de côtoyer et de tutoyer.

Cependant, sur la question de ce qu'il appelle la "maîtrise des flux migratoires", dont il aurait tendance à faire une sorte de principe républicain, son entendement reste extrêmement limité.

Un effort supplémentaire de pédagogie obstinée sera fait demain à l'appel du collectif Uni(e)s contre une immigration jetable, soutenu par une soixantaine d'organisations.


Extrait de l'appel:

Les politiques d’immigration française et européenne désignent les étrangers comme une menace. Elles orientent nos sociétés vers une xénophobie d’Etat. Sous couvert de défendre une prétendue identité nationale, elles incitent au racisme et au repli communautaire.

Elles sont utilisées pour aggraver les régressions sociales dirigées contre toutes et tous.

L’instrumentalisation politique des questions d’immigration entraîne nos pays sur des pentes dangereuses. La France ne respecte pas ses engagements comme signataire de la Déclaration universelle des droits de l’homme, de la Convention européenne des droits de l’homme, de la Convention internationale des droits de l’enfant, des textes qui défendent et protègent le droit de toutes et tous.

Nous n’acceptons pas les politiques commises en notre nom !

Nous voulons l’égalité des droits !

Pour une politique de l’immigration respectueuse des droits fondamentaux.

Le départ de la manifestation aura lieu à 14h 30, au métro Luxembourg, place Edmond Rostand. Le cortège devrait se diriger vers le ministère des Expulsions, qui n'est pas très loin.

vendredi 27 novembre 2009

Le sous-préfet félicité

Les témoignages photographiques directs de la chasse aux migrants dans le voisinage de Calais, réalisés depuis des années par la militante qui signe du pseudo de Zetkin, n'auront jamais droit à la Une du quotidien bobolibéral qui porte le pseudo de Libération.

Zetkin n'est pas vraiment fréquentable.

Elle est, de plus, totalement irrécupérable.

Et cela ne m'étonnerait pas trop d'apprendre que certains jugent ses actes et ses propos indéfendables...

Zetkin a l'habitude d'assurer sa défense toute seule.

Dans Rue89, elle explique:

Depuis 2004, j'ai utilisé un appareil-photo et ma voix pour repousser les interventions policières. Le spectacle de la chasse à l'étranger était insupportable dans nos rues de Calais. J'ai compris très vite les frayeurs de la police face à des personnes qui témoignent.

Mon travail fut de récupérer les informations données par les réfugiés chaque jour, sur les heures et les lieux des interventions, le niveau de violence et de diffuser ces événements. (...)


(...)


J'offrais le contre-spectacle des procédures xénophobes de l'Etat. Tous les policiers me connaissaient. J'étais « la journaliste ». Je diffusais sur un site militant et envoyais sur des listes engagées mes « rapports » de surveillance.

J'ai persévéré après ma première garde à vue. Je savais qu'avec ce pouvoir, il fallait continuer, ne pas céder, ne pas avoir peur.


Je ne suis pas une bénévole humanitaire. Je suis une militante politique communiste engagée dans plusieurs luttes. Je pensais que faire respecter la loi en surveillant son application dans la rue nécessitait une prise de risque calculée face à la police. Je ne limitais pas mes actions à cette surveillance pénible et coûteuse en temps et en émotion. Je travaillais également à la défense juridique des réfugiés sans papier et demandeurs d'asile et rappelais souvent leurs droits fondamentaux.


De ce fait, les mesures prises à mon encontre par l'ensemble police-justice sont pour moi fortement logiques. L'Etat était capable de s'attaquer aux humanitaires, pourquoi pas à moi ?


Une photo prise par Zetkin, "la journaliste".

J'ai renoncé à dénombrer ces "mesures fortement logiques" qui sont tombées sur le paletot de Zetkin.

La dernière en date est une plainte déposée pour diffamation par monsieur Gérard Gavory, sous-préfet de Calais, à la suite d'un texte publié par Zetkin sur le site d'IndyMédia-Lille, le 7 novembre 2008.

En ce début novembre, en effet, les autorités britanniques et françaises avaient prévu de remplir un charter pour Kaboul avec des Afghans chassés du Pakistan et ne connaissant même pas leur pays d’origine. Les conditions dans lesquelles s’étaient effectuées les arrestations avaient été particulièrement violentes, avec hélicoptère et interdiction aux journalistes d’approcher. Le responsable de l’association Salam, Jean-Claude Lenoir, avait été jeté au sol, mis torse nu, menotté, avant d’être placé en garde à vue et poursuivi pour outrage à agent et rébellion. « Comme d’habitude », remarque Zetkin. Et c’est en annonçant cette arrestation qu’elle a exprimé à l’égard du sous-préfet tout ce que suscitent d’indignation les nombreuses entorses aux droits du quotidien calaisien. Rappelons qu’après remontrance de la Cour européenne des droits de l’homme au gouvernement français, les Afghans n’ont pas été expulsés. (Emilie Rive, dans l'Humanité)

Monsieur le sous-préfet s'était ému de se voir qualifier d'«homme du convoi vers la mort», et offusqué de lire:

«La France de Pétain, on lui obéit ou on la combat. Gavory a choisi.»

L'audience, prévue initialement le 16 juin 2009, a été reportée au 6 octobre.

Ce jour-là, un charter franco-britannique devait emporter vers Kaboul des réfugiés Afghans récemment raflés dans la jungle de Calais. Le vol fut annulé par le ministre des Expulsions, qui prétexta des difficultés diplomatiques. Le sous-préfet, trop occupé peut-être par l'organisation de ce "transfert", n'était pas venu au tribunal, et Zetkin avait écrit dans son dos: "non au charter de la mort, 20h rendez-vous à lille".

Mardi dernier, la Voix du Nord annonçait la sentence sous le titre Une militante pro-migrants condamnée face au sous-préfet de Calais:

Le tribunal correctionnel de Boulogne-sur-Mer a rendu son verdict dans l'affaire opposant une militante pro-migrants au sous-préfet de Calais.

Il a condamné Marie-Noëlle Gues, Calaisienne de 50 ans, à verser 1 500 euros d'amende au Trésor public, ainsi qu'un euro de dommages et intérêts au sous-préfet Gérard Gavory. Elle devra par ailleurs payer 750 euros de frais de justice.


Marie-Noëlle Gues, alias Zetkin, a fait appel du jugement.

Le montant du dommage subi par le sous-préfet.
(Avec les intérêts.)

A la nouvelle de ce verdict, monsieur Eric Besson s'est autorisé à publier un communiqué pour s'en réjouir en termes ministériels.

Eric BESSON, ministre de l’Immigration, de l’Intégration, de l’Identité nationale et du Développement solidaire salue cette décision, adresse ses félicitations au Sous-préfet de Calais pour les démarches engagées, et encourage l’ensemble des représentants de l’Etat à entreprendre de telles poursuites contre tous ceux qui portent ainsi atteinte à l’honneur de notre République.

Le sous-préfet doit être tout content de recevoir cette gâterie...

Comme tous les communiqués du ministère, celui-ci se termine par une citation verbatim du ministre soi-même, qui atteint ici des sommets dans le domaine de la philosophie politique:

«La maîtrise des flux migratoires se situe au cœur de la souveraineté de l’Etat. Cette mission est noble, parce qu’il n’y a pas de droits et de devoirs sans République, et parce qu’il n’y a pas de République sans frontières. Notre République ne doit pas se laisser humilier par ces diffamations caractérisées, doublées de graves offenses à la mémoire de la déportation» a conclu Eric BESSON.

Passons sur le sophisme central déguisé en syllogisme:

Majeure: Il n’y a pas de droits et de devoirs sans République.

Mineure: Or il n’y a pas de République sans frontières.

Conclusion: Donc la maîtrise des flux migratoires (soit la xénophobie d'Etat) est une noble mission.

(Il me semble qu'on peut ainsi mieux éprouver la validité des prémisses et de la conclusion...)

Passons aussi sur la notion d'humiliation et les "graves offenses à la mémoire de la déportation". Sur ce dernier point, on connaît d'anciens déportés qui ne partagent pas les vues de monsieur Besson, mais monsieur Besson ne doit pas les connaître.

Reste cette affirmation selon laquelle "la maîtrise des flux migratoires"* serait "au cœur de la souveraineté de l’Etat", qui constitue à coup sûr un beau sujet de dissertation pour le concours d'entrée à Sciences-Po.

Il n'a pas pris une ride depuis une bien triste époque où l'Etat Français s'humiliait tout seul...


* C'est-à-dire, on ne le dira jamais assez, la mise en place d'une véritable xénophobie d'Etat, posant l'étranger comme problème à réduire et le stigmatisant comme source de toutes les difficultés.


PS: Amicale reconnaissance de dette envers JR qui, dans un de ses commentaires, a attiré mon attention flottante sur le verdict du procès de Zetkin et sur le communiqué bessonnien.

jeudi 26 novembre 2009

Le mérite outragé

Quand l'équipe des minimes de Trifouillis-en-Normandie rencontre l'équipe de même niveau de Pétahouchnock-en-Thiérache, cela ne m'émeut pas plus que cela. Je suis pourtant un membre bienfaiteur du club de foute de ma localité, via l'achat régulier de billets de tombola que les marmots en chortes trop grands viennent me proposer en sautillant sur leurs pattes de serins, car mon imposante masse musculaire les intimide fort.

Et de toute façon, ils gagnent toujours.

Mais je ne vais pas pour autant envahir les Champs-Elysées à moi tout seul, au volant de ma quatrelle décapotable, en compagnie de deux ou trois de mes voisines, debout, aspergeant la foule de crémant tiédasse et hurlant leur allégresse avec des stridences émoustillantes.

Ce n'est plus de mon âge.

Après la victoire de l'Algérie, le 18 novembre.

C'est pour avoir voulu voir un tel "événement" qu'Anyss Arbib, étudiant de quatrième année à Sciences-Po, s'est retrouvé bloqué, après avoir quitté les Champs-Elysées, aux alentours de la Porte Maillot, dans une voiture immatriculée dans le neuf-trois.

Il n'a pas été déçu du voyage à peu près immobile qu'il a dû supporter un temps.

Encouragé par Richard Descoings, directeur de Sciences-Po, il a d'abord publié son récit sur sa page Facebook, sous le titre Au cœur d’une guerre franco-française.

Il a ensuite été interviewé par Tonino Serafini, pour le journal Libération, qui en fit sa Une.

Un vrai scoupe.

Le récit d'Anyss Arbib, qui décrit les invectives et les violences xénophobes dont il a été le témoin ou la victime de la part des policiers, est loin d'être négligeable, et mérite d'être repris par un grand journal libéral, mais il faut bien reconnaître qu'en se donnant la peine de chercher un peu, Libération pourrait faire quotidiennement, ou presque, sa Une sur un scoupe de ce genre.

La violence policière au faciès n'est pas si rare que cela...

Mais, par malchance, les policiers ont croisé la route d'un témoin assez singulier, au profil médiatique aisément scénographiable: ce fait n'a pas échappé aux responsables du Grand Journal de Canal+ qui l'ont invité au soir du 24 novembre, en même temps que madame Rachida Dati. Lequel Grand Journal a battu son record d'audience. Les experts de Canal doivent savamment expertiser pour déterminer qui, des deux invités, a attiré le plus de badauds.

Il est difficile de ne pas voir qu'Anyss Arbib est un exemplaire produit de l'intégration méritocratique:

Enfance et adolescence à Bondy, en Seine-Saint-Denis, où il habite toujours avec ses parents. Père technicien, mère travaillant dans l’habillement. Scolarité dans des établissements classés en ZEP (zone d’éducation prioritaire).

Il termine ses études secondaires au lycée Jean-Renoir, à Bondy, établissement signataire d’une convention d’éducation prioritaire (CEP) avec Sciences-Po Paris. Cette convention permet à des élèves des quartiers de "faire" Sciences-Po, pour éventuellement tenter le concours d'entrée à l'ENA.

Résumé de l'intéressé:

«Je me suis toujours battu pour atteindre mes objectifs en utilisant l’offre qui est faite à tout citoyen»

(J'aime beaucoup cet "offre", mais... cela me fait songer qu'il va falloir que je consulte celle de mon opérateur de téléphonie mobile...)

Mais il ne faut pas voir Anyss Arbib seulement comme un brillant étudiant, se distinguant par un méritoire parcours sans faute.

Cette même année de terminale, il «fait partie d’un groupe de jeunes de banlieue reçus à Matignon par Dominique de Villepin» suite aux émeutes urbaines de l’automne 2005. Lors du tour de table de présentation, il dit au Premier ministre : «Comme vous, je veux faire Sciences-Po et l’ENA.» A la fin de la réunion, Villepin va le voir. Ils se font prendre en photo ensemble. «Cette photo, j’aimerais que vous la gardiez précieusement et que vous la mettiez dans votre bureau à votre sortie de l’ENA», lui dit Villepin.

Audace inconsciente d'un très jeune homme sous les ors de Matignon, ou culot très conscient d'un habile garçon qui veut "arriver" ? En quatrième année de Sciences-Po, Anyss Arbib fait partie du club récemment lancé par l’ex-Premier ministre.

Anyss Arbib et Richard Descoings.

De plus, le témoignage d'Anyss Arbib présentait un énorme avantage pour la rédaction du journal Libération: il n'avait pas besoin d'être réécrit. Notre futur énarque n'emploie ni verlan, ni grossièretés, il sait rester correct.

Cette correction s'accompagne, curieusement, d'une très grande candeur, que j'ai cru feinte en première lecture.

J'avoue que j'ai dû me tromper. Anyss Arbib ne feint pas d'avoir ignoré jusque là les pratiques policières. Il est probable qu'il les ignorait, bel exemple de l'ouverture sur le monde de la méritocratie française ! Pour entrer à Sciences-Po, il faut renoncer sans doute à sortir le soir, à Bondy ou ailleurs...

La conclusion de son témoignage me semble bien illustrer le type d'œillères que notre candide a accepté de porter:

Quand il y a des manifestations de ce type, on se retrouve identifié comme un ennemi dans sa propre République. Or les seuls points communs entre un casseur et moi, c’est qu’on est tous les deux français et qu’on a tous les deux le teint bronzé. A part ça, je n’ai pas plus de point commun avec lui qu’avec quelqu’un qui promène son chien avenue Foch.

J'aimerais pouvoir dire à ce jeune homme que malgré mon teint pâlot, il m'arrive de me sentir plus proche d'un casseur de n'importe quelle couleur que de lui.

J'ai aimé autrefois la comptine Nous sommes tous des Juifs allemands*, et j'aime encore chantonner:

C'est la racaille, eh bien, j'en suis !


* Oui, bon, on ne savait pas qu'il allait verdir à ce point...


PS: Anyss Arbib a reçu le soutien de monsieur de Villepin, évidemment. Mais il a été "approché" par le cabinet de monsieur Besson. Qui veut sans doute lui parler des racines communes qu'ils ont dans la terre du Maroc. Ou le persuader de laisser, comme lui, tomber l'ENA. Ou encore lui proposer une place dans son équipe au service de l'Identité Nationale.

(N'oublions pas que monsieur Besson se vante d'avoir du flair comme "chasseur de tête"...)

mardi 24 novembre 2009

A l'attention de tous les nés natifs

"Tiens, vous êtes... ? et comment cela vous est-il arrivé ? un beau matin ?
par temps clair ? oh ! de naissance ? diable !"


Marcel Detienne,
Comment être autochtone, Du pur Athénien au Français raciné,
Seuil, 2003.


Monsieur Jacques Chirac, jadis rempart de la démocratie face au péril frontiste, a des renvois.

Comme il faisait trop moche, aujourd'hui, pour m'intéresser aux ricanements d'un crétin né natif de quelque part, je me suis replongé, dès que mes occupations me l'ont permis, dans la lecture du petit ouvrage de Marcel Detienne, Comment être autochtone, Du pur Athénien au Français raciné, que Maurice Olender a accueilli en 2003 dans la Librairie du XXIè siècle, qu'il dirige aux éditions du Seuil.

Ce livre ne fait pas partie de la bibliothèque du Grand Débat de monsieur Besson.

Pour ne pas risquer de devenir un(e) crétin(e) à la couennerie épaisse, plongez-vous dans ces 150 pages, brillantes, érudites, malicieuses, primesautières et toujours intelligentes, et suivez la promenade balisée par Marcel Detienne:

Un tracé familier et qui donne le plaisir de mettre le "naître impur" dans la maison de Cadmos en face de la belle autochtonie athénienne, tout en découvrant combien la hantise du sang épuré de la vieille France alterne aimablement avec la satisfaction du bel enraciné d'hier et d'aujourd'hui sur Hexagone d'après-guerre."

Je ne saurais cacher plus longtemps au lecteur attentif que ces allées et venues entre des manières de se dire autochtone ou de se vouloir "de souche" conduisent à court terme vers une enquête comparative, plus large et donc collective, sur un autre "comment": "Comment dénationaliser les histoires nationales". En Europe et ailleurs.

A la fin de l'Envoi, Marcel Detienne écrit:

Une publicité s'affiche, très vite, pour quel produit ? je déchiffre par habitude: "Personne n'a originairement le droit de se trouver à un endroit de la terre plutôt qu'à un autre." Signé Kant, sans doute un de ces "nouveaux" graffitistes. Sans intérêt.


Sylvain Bourmeau a eu la bonne idée de s'entretenir, pour Mediapart.fr, avec Marcel Detienne, et de mettre à notre disposition trois vidéos (postées le 9 novembre 2009).

Aucune raison de s'en priver.




lundi 23 novembre 2009

Les déguerpis de Bamako

Il y eut autrefois un ministère ou un secrétariat d'Etat à la francophonie. A sa création, il fut attribué à monsieur Alain Decaux, académicien Français et éminent conteur radiotélévisé des histoires de l'Histoire.

Les charges de ce dispositif gouvernemental ont peut-être été reversées sur divers autres ministères ou sous-ministères, mais il est évident que l'homme de la situation me semble être actuellement monsieur Eric Besson qui se distingue par son attention et son attachement indéfectibles à la langue française.

En témoignent le soin particulier qu'il apporte à éradiquer de la langue commune des mots et expressions comme "rafle", "expulsion", "camps de rétention" ou "délit de solidarité", mais également le niveau de maîtrise de notre langue qu'il exige des candidats à une carte de séjour dans notre pays.

Ira-t-il jusqu'à décréter illégal l'usage de mots et expressions issus de la francophonie ? Je n'en sais rien, mais, de sa part, on peut s'attendre à tout.

Éminent spécialiste de la gestuelle francophone et franchouillarde.

Le mot "déguerpissement" aurait pu lui plaire, et, en étendant un peu le sens qu'il a pris en Afrique subsaharienne, où il désigne une expulsion locative ou une expropriation, il aurait pu l'utiliser en lieu et place du mot "expulsion" ou de l'expression "reconduite à la frontière" popularisée par son prédécesseur monsieur Hortefeux. Car il est indubitable que son oreille musicale affinée aurait pu reconnaître qu'un "déguerpi", cela sonne mieux qu'un "reconduit à la frontière".

Mais ce mot ne fut même pas utilisé pour l'évacuation de la "jungle" de Calais...

Monsieur Besson devrait songer à co-développer son vocabulaire.

Image d'un déguerpissement en cours, en Côte d'Ivoire.

Pour s'en tenir au sens actuel du terme en Afrique francophone, un déguerpissement, souvent décrété sous prétexte de salubrité publique, est, tout aussi souvent, le prélude à une opération immobilière à la limite de la légalité.

Dans la Commune I du District de Bamako, à Kognoumani, 84 hectares de parcelles occupées par des concessions familiales ont ainsi été "libérés" de leurs habitants sur décision de la mairie.

Des recours en justice ont été introduits par les expropriés, et dans l'attente d'une décision, tous les travaux sur le site sont, en principe, suspendus.

Pourtant, il semble bien que la mairie de la Commune I ait déjà procédé à une réaffectation des parcelles. A cela, l’Union pour la coordination des associations pour le développement et la défense des droits des démunis (UCADDDD*) a décidé de s'opposer.

Devant la mauvaise volonté de la police dans l'exécution de ses ordres, la mairie aurait recruté et armé une milice pour protéger la zone...

Le quartier de Kognoumani

Le dimanche 15 novembre, sur le site de Kognoumani, des éléments de cette milice se sont trouvés en face de militants de l'UCADDDD qui tenaient une réunion, et ont ouvert le feu. Issa Diarra, père de quatre enfants, atteint d'une balle de pistolet, est mort dans la soirée.

Selon le récit d'Info-Matin:

Sur place, la foule s'est ruée autour du groupe de malfrats ; histoire, dit-on, de mettre l'auteur du crime hors d'état de nuire. Il sera alors maîtrisé par la foule. L'arme du crime a été saisie et la foule furieuse est parvenue également à saisir les pièces d'identité des trois délinquants constituant le gang. On rapporte dans le milieu que parmi les malfrats, il y avait deux porteurs d'uniforme. Le présumé assassin, copieusement tabassé par la foule, a lui aussi été admis à l'urgence de Gabriel TOURE par les sapeurs pompiers avant d'être enlevé, quelques heures après, par des agents de la mairie de la commune I, selon les témoignages que nous avons recueillis auprès des membres de l'association des propriétaires de parcelles spoliées de la localité.

Le tireur, Ousmane Coulibaly, a été arrêté par la police le mardi 17 novembre.

Est-ce pour faire bonne mesure qu'avant lui trois militants de l'Union avaient été arrêtés ?

Interrogée par la presse, madame Konté Fatoumata Doumbia, maire de la Commune I, a déclaré:

"Personnellement, je n’ai rien à me reprocher."

Devant l'Ambassade du Mali, à Paris, le 19 novembre.
(On peut reconnaître Albert Jacquard.)


Le 19 novembre, à l'appel de No-Vox, Droit au Logement (DAL), Habitant International Coalition (HIC), une trentaine de personnes se sont rendues en délégation à l'Ambassade du Mali, rue du Cherche-Midi, à Paris.

Ils ont attendu, personne ne les a reçus.

Ils ont promis de revenir**


* Des éléments sur l'action de l'Union peuvent être consultés sur le site de No Vox.

** Rassemblement de solidarité avec Bamako en lutte devant l’ambassade du Mali MERCREDI 25 NOVEMBRE A 11 HEURE 89 rue du Cherche Midi. M° Saint Sulpice ou Vanneau.

jeudi 19 novembre 2009

Fabrique de l'étranger

Les plus âgés d'entre nous se souviennent encore qu'au siècle dernier, le grand démographe Michel Gérard Joseph Colucci, avait lancé un cri d'alarme:

Au secours, il y a de plus en plus d'étrangers dans le monde !

Ce constat alarmant avait sans doute été mal compris d'un bon nombre de nos concitoyens qui avaient repris en chœur:

Il y a trop d'étrangers en France.

Et, à part une petite Marseillaise de temps en temps, ils n'ont toujours pas changé de disque.

Cependant, il faut constater que depuis 2007 la petite chansonnette nationaliste a reçu une orchestration inédite, non pas dans le registre de la "préférence nationale", qui fait un peu ringard, mais dans celui de l'affirmation de l'Identité Nationale, ou, pour être plus clair, celui de la xénophobie d'État.

Le concept d'Identité Nationale est si délicat à définir qu'il faut organiser colloques et débats pour s'en sortir, alors que le concept de xénophobie d'Etat, qui est comme l'ombre portée du précédent, se définit assez précisément comme:

"ensemble des discours et des actes tendant à désigner de façon injustifiée l’étranger comme un problème, un risque ou une menace pour la société d’accueil et à le tenir à l’écart de cette société, que l’étranger soit au loin et susceptible de venir, ou déjà arrivé dans cette société ou encore depuis longtemps installé"*

On peut reconnaître là le moteur qui anime les grandes machines à traquer, enfermer et expulser...

... car l'étranger fait peur.

La lamentable histoire arrivée au brigadier Ounoussou Guissé, qui arrive peut-être à sa fin, met en évidence une autre machinerie, plus discrète, visant à fabriquer des étrangers avec des français qui ne sont pas assez français, ou qui sont un peu trop étrangers.

Ounoussou Guissé, qui a 29 ans, est brigadier au 1er régiment de hussards parachutistes (RHP) de Tarbes. Depuis 2002, il a participé à plusieurs campagnes de l'armée française, notamment en Afghanistan.

De père français, il a grandi au Sénégal et est arrivé en France à l'âge de 18 ans. Il s'est engagé dans l'armée française.

Je crois que c'est à la suite d'une demande d'acte de naissance que sa nationalité a intéressé la justice. Le 18 décembre 2008, il reçoit une assignation à comparaître du ministère de la Justice qui remet en cause sa double nationalité: il serait maintenant plus Sénégalais que Français, c'est-à-dire plus Français du tout.

Mais pourquoi donc ?

En bonne logique, je vous ai tout dit.

En mauvaise logique, celle de la xénophobie rampante, je vous ai caché que Daouda, le père d'Ounoussou, avait opté pour la nationalité française, au moment de l'accession du Sénégal à l'indépendance. Il a travaillé au Havre pendant 15 ans, puis est rentré au Sénégal, où il a eu ses enfants. Il est maintenant décédé.

Or une jurisprudence récente de la cour de cassation conteste "la nationalité française aux ressortissants d'anciennes colonies qui avaient opté pour elle et résidaient sur le sol français, mais dont la famille vivait dans le pays d'origine".

Donc, Ounoussou Guissé n'est pas Français.

Le brigadier Ounoussou Guissé, militaire français.


Un premier jugement du tribunal de grande instance de Rouen en date du 19 septembre 2008 avait déjà donné raison au brigadier.

Le parquet a fait appel.

Le 6 octobre, la cour d'appel de Rouen examinait cette affaire, et elle vient, ce mercredi, de rendre un arrêt confirmant la nationalité française d'Ounoussou Guissé.

L'avocate d'Ounoussou Guissé, la Rouennaise Cécile Madeline, accueille la décision de la cour d'appel de Rouen, rendue hier après-midi, avec "une grande satisfaction" : "C'est formidable pour mon client, c'est une très belle décision. D'autant plus que les juges motivent leur décision, non pas sur le fait que M. Guissé est soldat, mais parce que, selon eux, la nationalité française ne peut être retirée trente années plus tard à quelqu'un qui l'a obtenue. Au-delà de trente ans, toute action est prescrite."

Il faut espérer que cette idée de "prescription" ne va pas servir de prétexte à la chancellerie pour se pourvoir en cassation.

Il ne faudrait tout de même pas qu'il y ait trop de Français pas Français en France.**



* Jérôme Valluy, Rejet des exilés - Le grand retournement du droit de l'asile, Editions Du Croquant, 2009.

** C'est sans doute le point de vue de monsieur Eric Besson qui, contrairement à monsieur Hervé Morin, ministre de la Défense, n'a pas voulu lever le petit doigt en faveur du brigadier. A son habitude, il s'est contenté du médius en proposant à Ounoussou Guissé de demander une naturalisation. A voir sur le blogue de Maître Eolas.

mercredi 18 novembre 2009

Garde à vue à la française

Depuis que j'ai appris qu'en 2008, 1% de la population française avait bénéficié d'une garde à vue pour faire la preuve de sa présumée culpabilité, je ne me rends plus aux convocations dans un commissariat sans emporter avec moi, en plus de mes papiers d'identité nationale, une brosse à dents.

Et un échantillon de dentifrice que j'ai extorqué de ma pharmacienne en lui faisant mon plus laid sourire, qu'elle a donc décidé d'embellir.

Parce que ça m'étonnerait qu'on me donne un peu de pâte dentifrice au commico, à la fin de ma garde à vue...

Évolution du nombre de gardes à vue au XXIème siècle,
d'après un article du fidèle Figaro.

On sait que certaines gardes à vue ont une issue dramatique.

De cela, j'ai déjà amplement parlé...

Et des récits qui émergent dans la presse, on devine que beaucoup se déroulent dans des conditions qui n'honorent ni la justice ni la police, les célèbres duettistes de l'ordre sécuritaire.

Un exemple, pour mémoire:

29/11/2008, Pascal Riché dans Rue89:

(...) Vendredi matin, Vittorio de Filippis, journaliste à Libération, est réveillé à 6h40 par des coups frappés à la porte de sa maison. Trois policiers lui disent qu'ils ont un mandat d'amener au TGI de Paris contre lui. « Habillez-vous, on vous emmène. » Il proteste. « Vous, vous êtes pire que la racaille ! », disent les policiers, devant son fils de 14 ans.

Il est emmené au commissariat du Raincy. Quel est le crime commis par le journaliste ? On lui parle d'une affaire de diffamation à l'encontre de Xavier Niel, fondateur de Free, le fournisseur d'accès à Internet… (...)


Vittorio de Filippis demande la présence des avocats du journal. Réponse : « Ils ne seront pas là. » Il doit vider ses poches, il est menotté dans le dos, direction Paris. Là, à la PJ, il doit de nouveau vider ses poches, et se déshabiller. On lui demande de baisser son slip, de se tourner et de tousser trois fois. La procédure… Il se rhabille. On lui a retiré ses lacets, sa ceinture, la batterie de son portable, ses papiers…


Il est poussé dans une cellule avec cafards et mites.


Deux heures plus tard, on lui redemande de se déshabiller complètement. Il baisse son slip, se tourne, tousse. Toujours menotté, il est escorté vers la juge Muriel Josié, vice-présidente du tribunal de grande instance de Paris. (...)

Le journaliste refuse de répondre à ses questions. Il est alors mis en examen pour diffamation, avant d'être relâché.


Si mes souvenirs sont bons, cette affaire orienta les professionnels de le profession à émettre surtout un grand cri médiatique en faveur de la liberté de la presse.

Enfin, "leur" presse.

Car la presse libre, elle manque de bras.

La garde à vue du jour a été dénoncée par le bâtonnier de l'ordre des avocats de Paris, Christian Charrière-Bournazel.

"Elle a été menottée, elle a été mise nue, on lui a mis un doigt dans l'anus. On la traite comme la dernière des dernières des dernières au mépris du respect de la personne humaine le plus élémentaire."

C'est Caroline Wassermann, avocate du barreau de Paris, qui a été soumis à cette "procédure" courante, lors d'une garde à vue bien de chez nous, que le bâtonnier nomme "la garde à vue à la française".

Je regrette qu'il laisse croire que ce traitement pourrait être, de quelque façon que ce soit, légitime dans le cas de "la dernière des dernières", car celle-ci a droit à autant d'égards et de respect que la première des premières.

De plus, il serait temps que le bâtonnier prenne conscience que, dans la "garde à vue à la française", n'importe qui devient, pour un temps, le dernier des derniers ou la dernière des dernières et que c'est cela qui lui est démontré, notamment, par la mise à nu et la fouille complète.

Le Commissaire principal honoraire de la Police Nationale, Georges Moréas, dans son blogue-LeMonde.fr, trouve que "On peut penser qu’il exagère, le bâtonnier." et détaille les procédures dénoncées et indique sous quelles conditions elles le sont:

Pour déshabiller entièrement un gardé à vue, il faut que cette décision soit expressément motivée par son état de dangerosité. Appliquée systématiquement, cette pratique est donc condamnable.

Mais il ajoute:

Il y a pourtant un petit problème pratique : à ma connaissance, aucune circulaire ne dégage la responsabilité du policier en cas de pépin. Ainsi, par exemple, si une personne en garde à vue tente de mettre fin à ses jours à l’aide d’un instrument dissimulé sur elle, on risque fort de demander des comptes à l’OPJ. C’est comme si on disait aux policiers : Ne faites pas ça, mais s’il y a un incident, il faudra nous expliquer pourquoi vous ne l’avez pas fait…

On peut penser qu'il blague, le commissaire (mais je ne connais pas bien le niveau d'humour des commissaires principaux...) : dans notre bonne France, avant d'obtenir "des comptes" d'un officier de police judiciaire, vous devez avoir le temps de vous suicider une douzaine de fois.

Avec succès.

Détendons-nous avec un peu d'humour de base.

La victime de cette garde à vue, et des pratiques volontairement humiliantes qui vont avec, étant une avocate, les commentateurs et analystes de l'actualité vont probablement, à partir du motif de la convocation de Me Wassermann, dériver vers la question du droit des avocats, et toute ces sortes de choses.

L'indignation a le souffle court dans les médias.

Le bâtonnier Charrière-Bournazel, cependant, pose publiquement un problème de taille: en s'appuyant sur un arrêt de la Cour européennes des Droits de l’homme du 13 octobre 2009, qui estime que, dès qu’il est privé de liberté, un accusé doit bénéficier d’un avocat pour organiser sa défense et préparer les interrogatoires, il n'hésite pas à déclarer les gardes à vue à la française tout simplement illégales, au regard du droit européen, et à appeler ses confrères et consœurs à en tirer les conséquences pour les affaires en cours.

On sait que la loi française autorise seulement une courte visite d'une demi-heure de l’avocat, pour vérifier que son client n’est pas maltraité, mais sans accès au dossier de son client.

Quant aux conséquences, elle paraissent considérables:

(...) le bâtonnier de Paris entend "être le premier à encourager [ses] confrères pour soutenir la nullité des procédures qui sont conduites avec des gardes à vues."

Mais peut-on penser qu'il plaisante, le bâtonnier ?

La réponse du ministère de la Justice est sans surprise:

Plus légales que nos gardes à vue bien de chez nous, tu meurs !

Cela arrive parfois, en effet.

mardi 17 novembre 2009

Un individu immobilisé à mort

Dans certains polars sans prétentions littéraires qu'il m'est arrivé de lire au cours de longues insomnies, la figure du médecin légiste est largement déformée par la caricature: si le personnage n'est pas complètement cintré, il est carrément tordu...

Je suppose que dans la vraie vie, un médecin légiste n'est pas plus inquiétant que mon médecin de famille.

Quoique.

A Montbéliard, je ne sais pas.

Car, à ceux qui signalaient que la famille avait constaté, en faisant la toilette mortuaire de Mohamed Boukrourou, qu'«il avait des plaies à une joue, les yeux tuméfiés et une lèvre fendue», il a été répondu que:

"La famille a récupéré le corps après l'autopsie, qui modifie l'aspect du visage."

Doit-on comprendre que le carabin qui occupe les fonctions de médecin légiste dans la bonne ville de Montbéliard a, sur les cadavres qui lui sont confiés, des pratiques qui sortent de l'ordinaire des observations avant et après découpage réglementaire ?


Entraînement à la boxe française,
sur sujet vivant.


Mohamed Boukrourou est mort jeudi soir, vers 18h, dans une pharmacie du centre ville de Valentigney, où il était entré vers 16h 15.

Selon le pharmacien, Mohamed, d’habitude très calme, était dans un état de grande excitation et s’en est pris à lui, lui reprochant de ne pas lui délivrer les bons médicaments. Ne parvenant pas à le raisonner, le pharmacien a appelé la police.

Le motif du désaccord était d'une extrême banalité: Mohamed Boukrourou ne voulait pas des médicaments génériques que le pharmacien voulait lui délivrer, ou lui avait délivré quelques jours plus tôt (on trouve les deux versions dans la presse). Mais nous ne saurons jamais ce qui a provoqué chez lui cette colère le transformant, selon le pharmacien, en un "homme blême, agité et menaçant".

Pourtant, il a attendu calmement l'arrivée de la police, tout bêtement "assis sur une chaise", pensant peut-être faire valoir son droit aux médicaments de son choix. Et un fourgon avec quatre policiers, deux hommes, deux femmes, est arrivé "en mission de police secours".

Les policiers ont invité Mohamed à les suivre dans le fourgon, ce qui a provoqué une nouvelle phase d’excitation de Mohamed Boukrourou. Les fonctionnaires se sont mis à quatre pour le ceinturer et le traîner de force jusqu’au fourgon, sans parvenir à le menotter. Une fois dans le véhicule, ils le maîtrisent toujours par la contrainte. (...) Mohamed se calme. Mais il leur apparaît soudain trop calme et les policiers prient les sapeurs-pompiers arrivés sur place entre-temps de venir assister le gisant. Le pouls bat encore. Mohamed est alors transporté dans la pharmacie pour bénéficier d’une assistance respiratoire et cardiaque. En vain. À 18 h 05, un médecin constate le décès de Mohamed Boukrourou.

Doit-on comprendre que les policiers "en mission police secours" n'ont aucunement cherché à jouer leur rôle de médiateurs dans le conflit opposant le pharmacien à son client, et qu'ils ont immédiatement décidé d'embarquer ledit client ?

En tout cas, il ont utilisé sur lui les techniques habituelles de "contention" de la police française...

Ce qui explique très bien les traces sur le visage observées par la famille. Selon le médecin légiste, cité par FR3:

"Une personne interpellée est toujours maintenue à plat ventre."

Avec des menottes attachées par derrière, deux ou trois policiers sur le dos, et le visage maintenu fermement appuyé sur le sol, et éventuellement, dans certains cas, une clé d'étranglement dont on connait les dangers...

Mais, notons bien:

La police se défend de toute opération musclée, elle affirme que face à l’excitation du quadragénaire et la difficulté à le maitriser, elle avait eu recours aux contraintes habituelles, légitimes et adaptées dans une telle situation.*


Marche silencieuse organisée dimanche 15 novembre, à Valentigney.


Selon l’autopsie, ordonnée très rapidement, "par égard pour la famille qui a le droit de savoir", par la procureure de la République de Montbéliard, Mohamed Boukrourou, 41 ans, est décédé "des suites de la conjonction d’une altération vasculaire cardiaque et d’un stress important".

Le parquet de Montbéliard a hier décidé d'ouvrir une information judiciaire pour "recherche des causes de la mort".

Cependant, madame Thérèse Brunisso, procureure de la République, a déclaré "éliminer toute hypothèse de coups" de la part des policiers. Elle a indiqué que l'information judiciaire devrait notamment examiner les gestes utilisés par les policiers pour maîtriser la victime.

Et elle a conclu:

"Mais on ne se dirige pas vers des mises en examen."

Doit-on en conclure que le parquet entend par là ouvrir un dossier qui restera vide ?


* Selon les frères de Mohamed: "On a entendu des témoins de la scène. Ils affirment qu’ils ont vu les policiers frapper notre frère. Ils étaient à quatre sur lui, à califourchon sur lui. Lui, il criait comme jamais, demandait qu’on le laisse tranquille. Le fourgon bougeait dans tous les sens. Quand ça s’est calmé, Mohamed était mort."


PS: Outre l'article de LibéStrasbourg, qui ne fait que reprendre une dépêche AFP, j'ai utilisé les informations de deux articles de LePays.fr, le premier daté du 14 novembre, et le second du 16 novembre.

lundi 16 novembre 2009

Grands commis et petits soldats

En conclusion de la circulaire confiant aux préfets l'organisation de son Grand Débat, monsieur Eric Besson, actuel ministre de l'Identité Nationale et des Expulsions qui vont avec, écrit:

Je mesure la charge actuelle des travaux qui vous sont actuellement confiés par le Gouvernement, mais je sais aussi pouvoir compter sur votre engagement personnel concernant une question qui se situe aux origines mêmes de la création du corps préfectoral.

Et il a ajouté gentiment, de sa propre main:

Par avance, merci pour votre mobilisation.
Bien cordialement à vous

Et il a signé.

Il y a beaucoup de courtoisie chez cet homme-là,
mais il faut le connaître, ou être préfet.


Je n'ai pas entendu parler du moindre signe de mécontentement de la part d'un préfet en voyant arriver cette circulaire lui mettant sur le dos un travail supplémentaire qui n'est, en somme, qu'un travail de préparation idéologique de ses administrés en vue d'une élection. Tous, semble-t-il, se sont montrés prêts pour la "mobilisation" demandée pour organiser les réunions sur cette fameuse "question qui se situe aux origines mêmes de la création du corps préfectoral."

Les destinataires de la circulaires ont probablement compris tout de suite ce que voulait leur signifier monsieur Besson en faisant cette allusion "aux origines mêmes de la création de corps préfectoral".

Comme je ne suis pas préfet, et comme mon riche carnet d'adresses ne contient aucun nom de préfet ou préfète, je suis bien embarrassé.

J'ai donc retrouvé que le corps préfectoral a été créé par la loi concernant la division du territoire de la République et l'administration, promulguée le 28 pluviôse an VIII, soit le 17 février 1800, Napoléon Bonaparte étant consul. Il ne semble pas que la question de l'Identité Nationale ait été à la base des préoccupations du premier Consul. A cette date, Napoléon devait déjà percer sous Bonaparte, bien que notre bon Victor Hugo place la chose un peu plus tard.

Il va sans dire que leur rôle était surtout d'être les exécutants des décisions ministérielles. Mais le rapporteur de la loi, Jean-Antoine Chaptal présenta les préfets comme devant assurer la transmission de "la loi et [d]es ordres du gouvernement jusqu'aux dernières ramifications de l'ordre social avec la rapidité du fluide électrique". Chaptal avait la métaphore scientifique...

Il est aussi l'inventeur de la chaptalisation des vins.
(Image dédiée aux amateurs de rosé.)

La troupe des petits soldats du consul Bonaparte a survécu plus de deux siècles, et si leur conductivité au "fluide électrique" n'est plus évoquée parmi leurs indispensables qualités, leur dévouement, sans états d'âme, à leur mission de représentants de l'Etat et du gouvernement n'a jamais été remise en cause.

On peu se demander, avec Alain Brossat*, si le "paradigme Papon", "ce profil de serviteur de l'État méthodique, ambitieux, dépourvu d'inhibitions morales, convaincu en toutes circonstances du bien-fondé de la 'mission de service public' que lui a assigné l'autorité supérieure", n'est pas une "figure de l'avenir"...

C'est même une condition minimale à la mise en place de la réforme de l’administration territoriale de l’État, présentée aujourd'hui par monsieur François Fillon.

C'est-y pas plus simple comme ça.
La réforme résumée par le fidèle Figaro.


Ce schéma, qui illustre un article signé Olivier Auguste, montre bien à monsieur Qui-c'est-qui-paye et à madame Combien-ça-coûte, à quel point il y avait trop de fonctionnaires, et il est fait pour cela.

Il montre aussi comment vont être durcis les liens hiérarchiques autour des préfets.

A tel point que l'on se demande si un "grand commis de l'État", avec toutes les qualités rappelées plus haut, suffira à la tâche, et si l'idéal ne serait pas de placer à ces postes des clones du chef de l'État.



* "L'Etat, c'est lui !" Le préfet, homme-orchestre, dans Douce France (Le Seuil/RESF, 2009)

dimanche 15 novembre 2009

"... c'est que des mots pour faire joli"

Il y a, dans le film que Gilles Perret a consacré à Walter Bassan, une très belle séquence où l'on voit Stéphane Hessel adresser quelques mots à une jeune Kosovare de dix ou douze ans. Il lui parle de paix, de guerre, d'indépendance et de difficultés diplomatiques, et lui demande de promettre de "ne pas faire de mal aux Serbes".

Il s'adresse à elle avec beaucoup d'attention et de délicatesse, mais aussi beaucoup de courtoisie et, surtout, de considération.

Le visage de la "grande fille" s'illumine d'un sourire qui dit tout son bonheur d'être ainsi saluée, non pas comme une "grande personne", mais simplement comme une personne, par ce vieux monsieur très digne et un peu cérémonieux.

Un grand monsieur qui a su garder au fond des yeux un éclat de jeunesse inaltérable.


Pour les amateurs de contraste:
monsieur Besson posant au ministère des Expulsions de Jeunes Majeurs
avec les "classes d'accueil" du lycée Paul Valéry de Paris.
(Voir compte rendu sur le blogue de Véronique Soulé.)

En France, nous savons parfaitement traiter les enfants aussi mal que les "grands", ou même encore plus. Il suffit qu'un papier manque... ou paraisse suspect.

Angéla, une jeune camerounaise de 12 ans, est arrivée à Roissy, au matin du vendredi 6 novembre, en compagnie de sa mère, détentrice d’un titre de séjour en France où elle vit avec ses trois autres enfants. L'acte de naissance présenté n'a pas semblé authentique aux fonctionnaires de la PAF (police de l'air et des frontières), qui ont demandé des vérifications.

La non-personne Angéla a par conséquent été placé dans l'espace de non-droit de l'aéroport, qu'on nomme aussi "zone d'attente". Et, comme une grande, sous la "protection" de fonctionnaires de police, elle y a attendu cinq jours avant d'être placée, au soir du mardi 10 novembre, dans un centre d'aide sociale à l'enfance.

On peut noter que ce placement avait été ordonné la veille par le tribunal de grande instance de Bobigny, mais que le parquet avait fait appel.

Il semble que ce soit pour des raisons de procédure, et non d'humanité, que le procureur a renoncé à maintenir cet appel le lendemain.

(Le rapport de Human Rights Watch du 29 octobre sur les conditions d'accueil des mineurs étrangers à Roissy, intitulé Perdus en zone d'attente, peut être consulté en cliquant sur l'image.)

Pour ne pas vous perdre: Roissy, Terminal 2.


J'avoue ne pas avoir cherché à savoir si le chef de l'État, ou les membres du gouvernement, envisageaient de marquer, d'une manière ou d'une autre, le vingtième anniversaire de la Convention Internationale des Droits de l'Enfant, du 20 novembre 1989.

Il est tout à fait possible qu'ils aient oublié que la France a signé cette convention le 7 août 1990, et a été le premier pays à avoir fait du 20 novembre une journée nationale des droits de l'enfant...

Mais il est vrai que la France est aussi, et peut-être maintenant surtout, un pays où l'on peut entendre une enfant de 12 ans, Meriem, fille de parents sans-papiers, dire, avec une lucidité désabusée de trop grande personne:

"Les états signent la convention, c’est que des mots pour faire joli !"

Face à ceux qui mettent dans le cœur d'une gamine cette forme de désespoir, le Réseau Éducation Sans Frontières a décidé de célébrer le vingtième anniversaire de la Convention en lançant un appel "Droits de l'Enfant" et en organisant des mobilisations partout en France autour de la date du 20 novembre.

Pour les rouennais, un rassemblement se tiendra le samedi 21 novembre à 15h, sur la place de la cathédrale.

Pour les ébroïciens, le collectif Resf27 tiendra un stand le dimanche 22 novembre, de 10h à 18h, dans le cadre du Forum des Droits de l’Enfant à la maison de quartier de Nétreville. A 15 heures, sur la scène de la "petite salle" de la maison de quartier, sera présentée Paroles d'enfants de sans papiers, une création réalisée, dans le cadre d'un atelier d'écriture, par des enfants de familles sans papiers du département de l'Eure.

Pour les parisiens, la mobilisation culminera avec les 6 heures pour les droits des enfants et des familles sans papiers , le dimanche 22 novembre, au Cent-Quatre, 104 rue d'Aubervilliers, dans le 19ème.

Il n'y aura pas que des mots pour faire joli.

vendredi 13 novembre 2009

Contributions en direct

Comme on dit dans mon canton à la ruralité affirmée, "ça a dû le prendre comme une envie". Au cours d'un déplacement présidentiel sur "les thèmes du soutien à l'agriculture et de l'avenir des territoires ruraux" dans la Drôme, le président Nicolas Sarkozy a visité une exploitation agricole et rencontré des travailleurs saisonniers... et a prononcé un discours sur...

... devinez quoi...

l'i-den-ti-té na-ti-o-na-le fran-çai-se.

Ça pressait !

C'était, nous dit le fidèle Figaro, après une courte cérémonie devant le mur des fusillés de La-Chapelle-en-Vercors, "dans la salle polyvalente de cette commune martyre" où un millier de personnes attendaient un beau discours programmatique, si possible sans copicollages, sur "l'avenir des territoires ruraux".

Résultat : pendant quarante-trois minutes, Sarkozy a délivré son ode à la France. Un mot «France» qu'il a répété quarante fois. Les mots «fierté», «honneur», «patrie» et «famille» ont également beaucoup résonné.

Je ne sais quel est le plumitif mercenaire qui a commis ce discours, mais il est bien beau et bien ronflant. Si vous avez le temps, et si le cœur vous en dit, vous pourrez en lire l'intégrale ici.

Et il a fini par dégeler un peu l'assemblée:

Mais les premiers applaudissements ont retenti quand Sarkozy a adressé cette mise en garde : «La France est un pays où il n'y a pas de place pour la burqa.» Les applaudissements ont redoublé quand il a rappelé que la «France est un pays de tolérance et de respect. Mais elle demande aussi qu'on la respecte». Succès garanti aussi quand il a défendu les «valeurs du travail» et de la «famille». «J'ai supprimé les droits de succession parce que je crois au travail, je crois à la famille», a-t-il assuré.

N'ironisons pas: parler de "travail", parler de "famille", en prononçant une "ode" à la patrie dans un haut lieu de la mémoire de la Résistance, ce n'est pas de la provocation...

Mais non, je vous assure. Ce syncrétisme de bon aloi est une importante contribution au débat sur l'identité nationale, n'en doutez pas.

Monsieur Sarkozy vibrant au "souvenir du sacre de Reims",
comme tous les matins.

Monsieur Eric Besson doit être très fier de cette contribution du chef de l'état à son grand débat national, même si elle ne renouvelle pas vraiment la question. Mais il aura peut-être droit à un exposé un peu plus construit lorsque monsieur Nicolas Sarkozy interviendra, le 4 décembre, au cours du colloque de l'Institut Montaigne sur l'identité française.

L'Institut Montaigne, fondé par Claude Bébéar et dirigé par François Rachline, se présente comme un "laboratoire d'idées" (ou think tank) indépendant. Le projet "Qu'est-ce qu'être français ?", lancé par l'institut, comporte deux volets: l'édition d'un ouvrage collectif, à paraître chez Hermann le 17 novembre, et l'organisation d'un "événement" de grande ampleur, le 4 décembre, à l'amphithéâtre Foch de l'école militaire.

Pour bien marquer son indépendance, l'Institut Montaigne a invité monsieur Nicolas Sarkozy et monsieur Eric Besson à participer à cet événement.

Il me semble que cette opération a été lancée par l'institut avant que monsieur Besson ne lance lui-même son grand débat: le hasard objectif fait toujours se rencontrer les grands esprits.

Si vous cliquez sur le bandeau, une surprise vous attend:
un texte de Max Gallo !
On dit merci qui ?


En cherchant quelles étaient les réunions prévues par la préfecture à proximité de mon canton à la ruralité affirmée, non pour y participer, mais pour les éviter, le hasard (toujours lui !) m'a mené à la circulaire que monsieur Besson a fait adresser aux préfets et sous-préfets, le 2 novembre.

Elle m'a appris que le ministère de l'Identité Nationale, et des Expulsions qui vont avec, avait prévu d'éclairer le grandissime débat d'indications bibliographiques regroupées dans une "bibliothèque".

Comme j'aime plus que de raison les listes de bouquins, je me suis rendu sur cette page afin d'y butiner quelque peu.

On y trouve, en vrac (le site doit encore être en travaux...), un certain nombre de références plus faites pour orienter le débat que pour l'éclairer.

Parmi les ouvrages les plus récents, on ne trouve évidemment pas les études sérieuses menées par les chercheurs en sciences sociales qui, depuis quelques années, ont orienté leurs travaux dans cette direction, mais on trouve deux livres de Max Gallo, Fier d’être Français, de 2006, et L’âme de la France : une histoire de la nation des origines à nos jours, de 2007.

Il ne faut pas s'en étonner outre mesure: entrez dans n'importe quel café, demandez s'il y a un historien dans la salle et le patron vous indiquera, d'un geste las, ce bon Max Gallo à une table du fond. C'est inévitable.

Plus étonnante est la présence, dans cette liste de prétendues références, du livre de Daniel Lefeuvre et Michel Renard, Faut- il avoir honte de l’identité nationale ?, paru en 2008, dont le titre même n'est pas une garantie d'objectivité scientifique...

Ce livre se voulait, entre autres choses, une réponse à la notion de "xénophobie d'État" qu'un certain nombre d'universitaires, relayés par des réseaux militants, avaient commencé à étudier et combattre, à la suite de la création du ministère de l'Identité Nationale et des Expulsions.

En donnant ce livre comme référence, sans indiquer les travaux auxquels il s'oppose, on fait preuve d'une curieuse conception du débat...

Ne figure pas dans la liste du ministère,
mais dans la mienne.

Dernier paru de ces livres absents de la bibliographie du ministère du Grand Débat, Douce France : rafles, rétentions, expulsions, coédité par le Seuil et le RESF, alterne des contributions de chercheurs et des témoignages de personnes sans-papiers, et développe de manière exemplaire la réalité, et les conséquences, de cette xénophobie d'État qui se ré-installe sur l'ensemble de l'Europe, et singulièrement en France.

Il a été dirigé par Olivier Le Cour Grandmaison* qui sera présent le samedi 14 novembre, à 17h 30, à la librairie Résistances, 4 Villa Compoint, Paris 17ème, en compagnie de Marc Bernardot, professeur de sociologie à l’université du Havre, pour une conférence-débat sur ce livre.

A moins que vous ne préfériez aller à la préfecture voir si on y débat...



* Le hasard veut qu'Olivier Le Cour Grandmaison ait été une des cibles privilégiées d'un précédent livre de Daniel Lefeuvre, Pour en finir avec la repentance coloniale, en 2006, dont le titre, encore une fois, dit à quel niveau il veut se situer...

(Je vais finir par croire que le hasard, c'est comme l'identité nationale, ça n'existe pas...)

jeudi 12 novembre 2009

Un parlementaire très excessif

Malgré ce que l'on en peut dire, le ministre de la Culture et de la Communication, pressé de toutes parts, a fini par trancher la racine même de cette naissante polémique née de l'initiative crétine de monsieur Eric Raoult.

Mais il faut bien comprendre qu'il a su trancher avec un couteau sans lame, et en s'y prenant comme un manche.

"Je n'ai pas à arbitrer entre une personne privée qui dit ce qu'elle veut dire et un parlementaire qui dit ce qu'il a sur le cœur."

A-t-il dit.

Ce disant, monsieur Frédéric Mitterrand introduit entre Marie Ndiaye et monsieur Eric Raoult une bien intéressante dissymétrie. Il admet que la première a est bien voulu dire ce qu'elle a dit; et, en effet, elle le maintient (même si elle aurait préféré nuancer pour éviter qu'on lui attribue une posture d'écrivaine exilée). Mais il laisse entendre que la "question écrite" du second relève plus de l'impulsion irréfléchie de qui se libère d'un poids "sur le cœur" et se fait un devoir de sortir de sa réserve.

Monsieur Eric Raoult coupant un string qui dépasse.

Avec son petit air de ne pas y toucher*, monsieur Frédéric Mitterrand a sans doute bien cerné le caractère profond de monsieur Raoult, écorché vif, infiniment sensible et, par suite, très excessif, qui, suivant sa pente professionnelle, ne trouve d'exutoire que dans l'expression de son besoin de réglementer et de légiférer.

On se souvient qu'en juin 2006, sans doute ému par les bouffées de chaleur provoquées par la vue des strings dépassant des djinnes des lycéennes du Raincy, il n'avait pu se retenir d'écrire au ministre de l'Education Nationale, et aux deux fédérations de parents d'élèves, pour les alerter: "Depuis quelques semaines de chaleur, il est devenu assez fréquent de voir dans les établissements scolaires, des jeunes filles vêtues de manière provocante, voire indécente, ce qui peut poser des malentendus, voire des incidents". Il réclamait que "des instructions soient rapidement données pour que les jeunes filles, collégiennes et lycéennes puissent respecter un habillement correct et décent, dans et aux abords de leurs établissements scolaires".

Existent en plusieurs textures et coloris.

Alors que l'on peut supposer que les premiers émois de monsieur Eric Raoult devant la merveille multiforme des fesses de jeunes filles ne datent pas d'hier**, son intérêt pour les prix littéraires et leurs lauréats semble plus récent. Et de seconde main. Car il avoue, en toute naïveté, avoir été alerté par son épouse qui avait découvert les déclarations de Marie Ndiaye.

Il est à peu près certain qu'il n'a pas laissé le temps à sa très littéraire (et très méritante) compagne de lui expliquer un tantinet ce qu'est un prix littéraire comme le prix Goncourt. Il a dû se précipiter à sa table de travail pour rédiger sa "question écrite" au ministre de la Culture et de la Communication.

Pour parler de "personnalité qui défend les couleurs littéraires de la France", il faut avoir en tête une image assez "sportive" du prix Goncourt.

(Peut-être croyait-il que les lauréats Goncourt étaient sélectionnés pour représenter la France au Nobel de l'année suivante...)

Et pour interpeller le ministre de la Culture, il faut avoir une vision assez centralisée du monde de la création littéraire et/ou artistique.

(Peut-être croyait-il que l'Académie Goncourt était un service du ministère, chargé de la gestion de quelques bourses, subventions ou prix...)

On ne peut tout connaître...

Ce qui est plus curieux est de voir monsieur Raoult employer l'expression "devoir de réserve" et avouer, en nuançant son propos, n'avoir vérifié l'usage de cette expression qu'après l'avoir utilisée:

A la question de savoir s'il regrettait son expression "devoir de réserve" des écrivains, vigoureusement rejetée par des membres de l'Académie Goncourt, M. Raoult a répondu qu'il avait constaté après vérification qu'elle était "utilisée pour les préfets".

"Mme Marie NDiaye n'est pas préfet", a-t-il poursuivi avant de suggérer "un principe de modération", à la place du "devoir de réserve" qu'il avait suggéré dans un premier temps.

(Dépêche AFP)

Il est curieux de constater que cet obsédé de la règlementation et de la législation ait besoin d'une telle "vérification" sur une notion qui, en première approximation, manque de consistance juridique.


Une tenue "qui peut poser des malentendus, voire des incidents." (sic)

Il y a au moins, dans les propos de monsieur Frédéric Mitterrand, un effort de pédagogie pour faire comprendre à monsieur Raoult ce qu'est le prix Goncourt :

"Le prix Goncourt est une entreprise privée, tout à fait remarquable." (et slurp, au cas où)

Je suppose que monsieur Eric Raoult, comme tout respectable membre de l'UMP, est sensible à l'esprit entrepreneurial et qu'il a enfin compris que ce n'était pas le ministre de la Culture qui décernait le prix.

Mais, cela risque d'inciter notre parlementaire éminent à entreprendre de créer, lui-même, le prix littéraire qu'il rêve.

Il lui suffirait de reprendre, mais en le remettant sur ses pieds comme on fait parfois de la dialectique, le méchant persiflage de Patrick Rambaud, membre de l'académie Goncourt:

"Eric Raoult confond le prix Goncourt avec Miss France."

Ce prix ne serait remis qu'à des écrivains sûrs, à la moralité irréprochable et à la prose consensuelle, qui auraient à faire pendant un an, autour du monde, la promotion de "la cohésion nationale et l'image de notre pays".

En faisant un petit effort d'ouverture, monsieur Raoult pourrait envisager de travailler en partenariat avec madame Geneviève de Fontenay qui, malgré ses convictions politiques assez étranges, n'aime pas plus que lui tout ce qui dépasse...



* Il s'agit peut-être encore d'un régionalisme. (Précaution destinée au merle moqueur)

** Et on lui souhaite bien volontiers, on n'est pas des monstres...