mardi 3 novembre 2009

Pourquoi je renonce au Goncourt

Quitte à décevoir, une fois de plus la foule de mes admirateurs et la horde de mes admiratrices (les admirateurs vivent en foule, les admiratrices en horde, c'est comme ça...), je viens de prendre la décision irrévocable de ne jamais goncourir.

Mon futur éditeur va également être déçu. Tant pis pour lui !

A vrai dire, j'avais déjà quelque scrupule à vendre mon talent pour un prix, mais en lisant l'article très chochotte de Sophie Anmuth, publié dans l'Express-Culture-avec-Lire sous le titre Goncourt follies, j'ai pris conscience que jamais je ne pourrais.

En vraie professionnelle de la chose écrite, Sophie Anmuth nous tient d'abord en haleine, en nous décrivant à quel point son métier est difficile :

Pour arriver au premier étage du restaurant, où se trouvent les membres de l'Académie Goncourt, qui attendent leur déjeuner et l'arrivée de Marie NDiaye, il faut se frayer un passage au milieu d'une mer de journalistes. On passe au milieu d'innombrables trépieds de caméra abandonnés, et on gravit les marches de l'escalier, une à une et avec une lenteur désespérante, derrière les confrères.

Elle nous rapporte ensuite les petits potins de ces messieudames les juré(e)s, et trouve même un ronchon en train de ronchonner:

Pour Semprun en revanche, c'est un prix "trop correct" : l'attribuer à une femme, d'origine africaine, pour un roman très bien écrit, presque trop lisse, c'est trop politiquement correct, "ce n'est pas le rôle du Goncourt". Il faut prendre des risques. "Là, le Goncourt a volé au secours de la victoire."

Le suspense étant à son comble, elle nous décrit sobrement l'entrée de l'élue du jour:

Quand Marie NDiaye se montre à l'embrasure de la porte de la salle, les journalistes s'écartent, les flashes crépitent, les micros changent de direction: dans le vacarme général, on entend à peine les applaudissements.

Mais elle interrompt avec brusquerie sa passionnante relation :

Après, je ne sais pas : nous avons dû quitter la salle pour les laisser discuter en paix. Un repas de plusieurs heures, pour se remettre de toute cette agitation. Au programme: trois entrées, deux plats et deux desserts.

Que celui ou celle qui pourrait supporter pendant des heures la conversation des jurés Goncourt, en continuant de manger proprement sans se tromper de couverts, me jette à la tête le premier pavé de 500 pages qui lui tombe sous la main, mais, moi, voyez-vous, je renonce.

Marie Ndiaye a eu bien du courage.

Dans 20minutes.fr, Karine Papillaud revient sur l'attribution du prix Goncourt au roman Trois femmes puissantes de Marie Ndiaye, avec davantage de malice, dans le compte-rendu qu'elle donne des "arguments peu littéraires" des jurés :

"Ça aurait été dommage de ne pas couronner une femme quand il y en avait deux en finale." (Françoise Chandernagor)

"Le fait qu'elle soit une femme n'est pas entré en ligne de compte." (juré non précisé)

"Nous couronnons aussi une femme de père sénégalais et de mère bretonne. Cela non plus n'est pas entré en ligne de compte." (Tahar Ben Jelloun)

Alain Beuve-Méry, du Monde, a lui entendu une autre version de la déclaration de Tahar Ben Jelloun:

"Nous avons récompensé une œuvre, un univers littéraire, une belle écriture et une exigence (...). C'est en outre une excellente réponse à Eric Besson, qui nous bassine avec l'identité nationale. Marie NDiaye est le parfait exemple d'un métissage réussi, avec un père sénégalais et une mère beauceronne, cela donne d'excellents écrivains."

Il nous donne ainsi un "parfait exemple" de cuistrerie déplacée*, dans un langage de maquignon...

(Je suis mauvaise langue: un maquignon aurait parlé de "croisement" et non de "métissage".)

Numéro 107, octobre 2009.

Pour découvrir l'écrivaine Marie Ndiaye, de manière intelligente et sensible, il vous faudra courir très vite chez votre marchand de journaux habituels: il a peut-être encore un exemplaire du numéro d'octobre du Matricule des Anges, dont le dossier est consacré à Marie Ndiaye.

Sinon, tant pis pour vous !

Je vous ai déjà recommandé de vous abonner.



* Je crois que Marie Ndiaye n'a besoin de personne pour exprimer ce qu'elle pense de la politique sarkozienne:

En 2007, Marie NDiaye s'est installée à Berlin avec sa famille, ses trois enfants et son compagnon, l'écrivain Jean-Yves Cendrey. Ce départ, c'est la cause directe [sic] de l'élection de Nicolas Sarkozy à la présidence française. «Je trouve cette France-là monstrueuse, confie-t-elle. Nous sommes partis juste après les élections, en grande partie à cause de Sarkozy, même si j’ai bien conscience que dire ça peut paraître snob. Je trouve détestable cette atmosphère de flicage, de vulgarité… Besson, Hortefeux, tous ces gens-là, je les trouve monstrueux».

(Article de Alice Antheaume, dans 20minutes.fr)

6 commentaires:

JBB a dit…

Figure-toi, moi-même j'hésitais. Mais tu m'as convaincu : je ne me présente pas non plus. De toute façon, c'est vachement surfait, le Goncourt…

Guy M. a dit…

Quelques Goncourt surnagent. Pour celui-ci, je te dirais quand je l'aurai lu.

Ce qui est surfait, c'est la bouffe chez Drouant. Et tu peux être sûr qu'avec Bernard Pivot à la table, on n'y sert pas de rosé...

JBB a dit…

Arggghhh, pas de rosé ? C'est définitivement pas pour moi. De toute façon, depuis qu'ils ont raté Céline…

Pour Marie Ndiaye, je confesse mon ignorance : je n'ai jamais rien lu d'elle. D'ailleurs, je suis curieux de lire ou d'entendre ce que tu en diras, une fois le livre terminé.

Guy M. a dit…

Pour l'instant, je ne peux pas le lire, mais on va sûrement me l'offrir un de ces jours...

gballand a dit…

Cet article, qui rend compte de ce que pense "l'élite", en dit long sur cette volonté systématique de remonter aux "origines" : français oui, mais d'où ?
Merci de citer ce Matricule qui parle de Marie N'Diaye, je vais l'acheter.

Guy M. a dit…

Le numéro de Novembre du Matricule est paru (je viens de le recevoir).

Mais on peut commander sur le site des Anges.

Bonne lecture.