lundi 30 janvier 2012

Rendez-vous à manquer

Tout le monde peut se tromper.

Contrairement à mes pronostications, monsieur Nicolas Sarkozy, président de la République, n'a pas annoncé, hier soir, qu'il avait décidé de ne pas solliciter auprès des électeurs un second mandat.

Certains indices, que je dois maintenant qualifier de trompeurs, m'avaient laissé croire qu'il allait se retirer pour laisser la place à madame Nadine Morano dont la popularité ne cesse de croître et que je rêvais de voir en mitigne recevoir une standigne ovéchionne aux côtés de madame Angela Merkel.

Au lieu de cela, monsieur Sarkozy a confié :

"J'ai un rendez-vous avec les Français, je ne me déroberai pas."

Ce qui n'est pas vraiment une bonne nouvelle.

Mais une bonne raison de rester chez soi.

Octave Mirbeau, La grève des électeurs,
Le Figaro, 28 novembre 1888.



Une chose m'étonne prodigieusement — j'oserai dire qu'elle me stupéfie — c'est qu'à l'heure scientifique où j'écris, après les innombrables expériences, après les scandales journaliers, il puisse exister encore dans notre chère France (comme ils disent à la Commission du budget) un électeur, un seul électeur, cet animal irrationnel, inorganique, hallucinant, qui consente à se déranger de ses affaires, de ses rêves ou de ses plaisirs, pour voter en faveur de quelqu'un ou de quelque chose. Quand on réfléchit un seul instant, ce surprenant phénomène n'est-il pas fait pour dérouter les philosophies les plus subtiles et confondre la raison ?

Où est-il le Balzac qui nous donnera la physiologie de l'électeur moderne ? et le Charcot qui nous expliquera l'anatomie et les mentalités de cet incurable dément ? Nous l'attendons.

Je comprends qu'un escroc trouve toujours des actionnaires, la Censure des défenseurs, l'Opéra-Comique des dilettanti, le Constitutionnel des abonnés, M. Carnot des peintres qui célèbrent sa triomphale et rigide entrée dans une cité languedocienne ; je comprends M. Chantavoine s'obstinant à chercher des rimes ; je comprends tout. Mais qu'un député, ou un sénateur, ou un président de République, ou n'importe lequel parmi tous les étranges farceurs qui réclament une fonction élective, quelle qu'elle soit, trouve un électeur, c'est-à-dire l'être irrêvé, le martyr improbable, qui vous nourrit de son pain, vous vêt de sa laine, vous engraisse de sa chair, vous enrichit de son argent, avec la seule perspective de recevoir, en échange de ces prodigalités, des coups de trique sur la nuque, des coups de pied au derrière, quand ce n'est pas des coups de fusil dans la poitrine, en vérité, cela dépasse les notions déjà pas mal pessimistes que je m'étais faites jusqu'ici de la sottise humaine, en général, et de la sottise française en particulier, notre chère et immortelle sottise, ô chauvin !

Il est bien entendu que je parle ici de l'électeur averti, convaincu, de l'électeur théoricien, de celui qui s'imagine, le pauvre diable, faire acte de citoyen libre, étaler sa souveraineté, exprimer ses opinions, imposer — ô folie admirable et déconcertante — des programmes politiques et des revendications sociales ; et non point de l'électeur « qui la connaît » et qui s'en moque, de celui qui ne voit dans « les résultats de sa toute-puissance » qu'une rigolade à la charcuterie monarchiste, ou une ribote au vin républicain. Sa souveraineté à celui-là, c'est de se pocharder aux frais du suffrage universel. Il est dans le vrai, car cela seul lui importe, et il n'a cure du reste. Il sait ce qu'il fait. Mais les autres ?

Ah ! oui, les autres ! Les sérieux, les austères, les peuple souverain, ceux-là qui sentent une ivresse les gagner lorsqu'ils se regardent et se disent : « Je suis électeur ! Rien ne se fait que par moi. Je suis la base de la société moderne. Par ma volonté, Floque fait des lois auxquelles sont astreints trente-six millions d'hommes, et Baudry d'Asson aussi, et Pierre Alype également. » Comment y en a-t-il encore de cet acabit ? Comment, si entêtés, si orgueilleux, si paradoxaux qu'ils soient, n'ont-ils pas été, depuis longtemps, découragés et honteux de leur œuvre ? Comment peut-il arriver qu'il se rencontre quelque part, même dans le fond des landes perdues de la Bretagne, même dans les inaccessibles cavernes des Cévennes et des Pyrénées, un bonhomme assez stupide, assez déraisonnable, assez aveugle à ce qui se voit, assez sourd à ce qui se dit, pour voter bleu, blanc ou rouge, sans que rien l'y oblige, sans qu'on le paye ou sans qu'on le soûle ?

À quel sentiment baroque, à quelle mystérieuse suggestion peut bien obéir ce bipède pensant, doué d'une volonté, à ce qu'on prétend, et qui s'en va, fier de son droit, assuré qu'il accomplit un devoir, déposer dans une boîte électorale quelconque un quelconque bulletin, peu importe le nom qu'il ait écrit dessus ?... Qu'est-ce qu'il doit bien se dire, en dedans de soi, qui justifie ou seulement qui explique cet acte extravagant ?

Qu'est-ce qu'il espère ? Car enfin, pour consentir à se donner des maîtres avides qui le grugent et qui l'assomment, il faut qu'il se dise et qu'il espère quelque chose d'extraordinaire que nous ne soupçonnons pas. Il faut que, par de puissantes déviations cérébrales, les idées de député correspondent en lui à des idées de science, de justice, de dévouement, de travail et de probité ; il faut que dans les noms seuls de Barbe et de Baihaut, non moins que dans ceux de Rouvier et de Wilson, il découvre une magie spéciale et qu'il voie, au travers d'un mirage, fleurir et s'épanouir dans Vergoin et dans Hubbard, des promesses de bonheur futur et de soulagement immédiat. Et c'est cela qui est véritablement effrayant. Rien ne lui sert de leçon, ni les comédies les plus burlesques, ni les plus sinistres tragédies.

Voilà pourtant de longs siècles que le monde dure, que les sociétés se déroulent et se succèdent, pareilles les unes aux autres, qu'un fait unique domine toutes les histoires : la protection aux grands, l'écrasement aux petits. Il ne peut arriver à comprendre qu'il n'a qu'une raison d'être historique, c'est de payer pour un tas de choses dont il ne jouira jamais, et de mourir pour des combinaisons politiques qui ne le regardent point.

Que lui importe que ce soit Pierre ou Jean qui lui demande son argent et qui lui prenne la vie, puisqu'il est obligé de se dépouiller de l'un, et de donner l'autre ? Eh bien ! non. Entre ses voleurs et ses bourreaux, il a des préférences, et il vote pour les plus rapaces et les plus féroces. Il a voté hier, il votera demain, il votera toujours. Les moutons vont à l'abattoir. Ils ne se disent rien, eux, et ils n'espèrent rien. Mais du moins ils ne votent pas pour le boucher qui les tuera, et pour le bourgeois qui les mangera. Plus bête que les bêtes, plus moutonnier que les moutons, l'électeur nomme son boucher et choisit son bourgeois. Il a fait des Révolutions pour conquérir ce droit.

Ô bon électeur, inexprimable imbécile, pauvre hère, si, au lieu de te laisser prendre aux rengaines absurdes que te débitent chaque matin, pour un sou, les journaux grands ou petits, bleus ou noirs, blancs ou rouges, et qui sont payés pour avoir ta peau ; si, au lieu de croire aux chimériques flatteries dont on caresse ta vanité, dont on entoure ta lamentable souveraineté en guenilles, si, au lieu de t'arrêter, éternel badaud, devant les lourdes duperies des programmes ; si tu lisais parfois, au coin du feu, Schopenhauer et Max Nordau, deux philosophes qui en savent long sur tes maîtres et sur toi, peut-être apprendrais-tu des choses étonnantes et utiles. Peut-être aussi, après les avoir lus, serais-tu moins empressé à revêtir ton air grave et ta belle redingote, à courir ensuite vers les urnes homicides où, quelque nom que tu mettes, tu mets d'avance le nom de ton plus mortel ennemi. Ils te diraient, en connaisseurs d'humanité, que la politique est un abominable mensonge, que tout y est à l'envers du bon sens, de la justice et du droit, et que tu n'as rien à y voir, toi dont le compte est réglé au grand livre des destinées humaines.

Rêve après cela, si tu veux, des paradis de lumières et de parfums, des fraternités impossibles, des bonheurs irréels. C'est bon de rêver, et cela calme la souffrance. Mais ne mêle jamais l'homme à ton rêve, car là où est l'homme, là est la douleur, la haine et le meurtre. Surtout, souviens-toi que l'homme qui sollicite tes suffrages est, de ce fait, un malhonnête homme, parce qu'en échange de la situation et de la fortune où tu le pousses, il te promet un tas de choses merveilleuses qu'il ne te donnera pas et qu'il n'est pas d'ailleurs, en son pouvoir de te donner. L'homme que tu élèves ne représente ni ta misère, ni tes aspirations, ni rien de toi ; il ne représente que ses propres passions et ses propres intérêts, lesquels sont contraires aux tiens. Pour te réconforter et ranimer des espérances qui seraient vite déçues, ne va pas t'imaginer que le spectacle navrant auquel tu assistes aujourd'hui est particulier à une époque ou à un régime, et que cela passera. Toutes les époques se valent, et aussi tous les régimes, c'est-à-dire qu'ils ne valent rien. Donc, rentre chez toi, bonhomme, et fais la grève du suffrage universel. Tu n'as rien à y perdre, je t'en réponds ; et cela pourra t'amuser quelque temps. Sur le seuil de ta porte, fermée aux quémandeurs d'aumônes politiques, tu regarderas défiler la bagarre, en fumant silencieusement ta pipe.

Et s'il existe, en un endroit ignoré, un honnête homme capable de te gouverner et de t'aimer, ne le regrette pas. Il serait trop jaloux de sa dignité pour se mêler à la lutte fangeuse des partis, trop fier pour tenir de toi un mandat que tu n'accordes jamais qu'à l'audace cynique, à l'insulte et au mensonge.

Je te l'ai dit, bonhomme, rentre chez toi et fais la grève.


PS : Ce texte de Mirbeau a fait l'objet d'au moins deux rééditions récentes et recommandables.

La première, en 2007, chez L’Insomniaque, sous le titre La grève des électeurs ; Suivie de Prélude et enrobée de 101 propos inciviques.

Et la seconde, en 2009, aux éditions Allia, La Grève des électeurs ; Suivi de Les Moutons noirs (texte de Cécile Rivière).

dimanche 29 janvier 2012

Fiancées du pirate

Certains matins il vous reste des rêves au coin des paupières.

Parfois seulement quelques notes coincées entre les oreilles.

L'autre jour, il m'a fallu un peu de temps pour reconnaître, venue de loin, La Fiancée du pirate...

Dans le Die Dreigroschenoper, la chanson s'appelle Seeräuber Jenny, dans The Threepenny Opera, Pirate Jenny, et dans L'Opéra de quat'sous, Jenny des Corsaires ou La Fiancée du pirate. On la désigne aussi comme "la chanson de l'humiliation".

Il n'est pas étonnant qu'elle revienne par bribes au réveil, puisque c'est un rêve :

Oui c'est moi qui lave tous les verres et les plats
On m'appelle une Marie-couche-toi-là
Quand on me donne un penny
Faut encore que j'dise merci
Me v'là en habits loqu'teux
Au fond d'cet hôtel miteux
Vous n'savez pas aujourd'hui qui je suis
Vous n'savez pas aujourd'hui qui je suis

Mais un soir, un beau soir
Grand branle-bas
Les gens courent tous à la rive,
Disant : "Voyez qui arrive !"
Et moi je sourirai pour la première fois
On dira : "Tiens, voilà qu'tu souris, toi ?"

Un navire de haut bord
Cent canons aux sabords
Entrera dans le port !

Moi toujours j'laverai
Les verres et les plats
J'serai toujours une Marie-couche-toi-là
Quand on m'donnera un penny
Toujours je dirai merci
J'gard'rai mes habits loqu'teux
Au fond d'cet hôtel miteux
Et demain, demain comme aujourd'hui
Vous ne saurez toujours pas qui je suis !

Mais un soir, ce beau soir pour qui je vis
Voilà que les cent canons
S'éveilleront et tonneront
Pour la première fois, j'éclaterai de rire
"Quoi méchante, t'as l'cœur à rire ?"

Le navire de haut bord
Cent canons aux sabords
Bombardera le port !

Alors viendront à terre les matelots
Plus de cent, ils marqueront d'une croix de sang
Chaque maison, chaque porte
Et c'est d'vant moi qu'on apporte
Enchaînés, implorants, mutilés et saigneux
Vos pareils, tous vos pareils, beaux messieurs !
Vos pareils, tous vos pareils, beaux messieurs !

Alors paraîtra celui que j'attends, il me dira :
"Qui veux-tu de tous ces gens que je tue ?"
Et moi je répondrai doucement :
"Tous !" A chaque tête qui tombera
Je dirai : "Hop là !"

Et le navire de haut bord
Loin de la ville où tout sera mort
M'emportera vers la vie !

La musique est de Kurt Weill, les paroles de Bertold Brecht - adaptées en français par André Mauprey -, et la voix que j'entends est celle de Lotte Lenya à la fin de sa carrière, chantant dans une sorte d'anglais curieusement accentué :



Émission de la BBC en 1962.

En 1931, Lotte Lenya a tenu le rôle de Jenny dans le film réalisé par Georg Wilhelm Pabst d'après la pièce de Bertold Brecht.




Comme cela se faisait à l'époque, Pabst avait simultanément tourné une version française, dans les mêmes décors mais avec une autre distribution. C'est Margo Lion qui incarnait Jenny :




Cette "chanson de l'humiliation" a été interprétée par quantité de voix, plus ou moins expressives. Celles de Juliette Gréco, Colette Renard, Marianne Faithfull, par exemple...

J'avoue avoir un faible pour ce qu'en a fait, en 1964, cette grande musicienne qui, en tant que femme et en tant que noire, a connu toutes les humiliations :



Dr Nina Simone.



PS : La Fiancée du pirate est aussi le titre d'un film de Nelly Kaplan, sorti en 1969, où l'inoubliable Bernadette Lafont tenait, avec toute l'irrévérence dont elle était capable, le rôle principal. La séquence où les protagonistes faisaient directement allusion à L'Opéra de quat'sous n'avait pas été conservée dans le montage final...

vendredi 27 janvier 2012

Nouvelle entrée dans les dictionnaires

Notre pauvre Justice ressemble parfois à la "toute vieille" de la chanson de Brel, "qu'en finit pas de vibrer", "et qu'on n'écoute même pas / ce que ses pauvres mains racontent"...

(Jacques Brel, auteur, acteur, réalisateur et chanteur belge (1929-1978), Ces gens-là, 1966.)

Quelques médias seulement ont rendu compte du verdict prononcé par le tribunal correctionnel de Toulouse dans l'affaire opposant l'Agrif (Alliance générale contre le racisme et pour le respect de l'identité française et chrétienne) à Houria Bouteldja, porte-parole du Parti des indigènes de la République, qui avait utilisé le mot "souchien" en lieu et place de "Français de souche" au cours d'une émission télévisée, en 2007.

Relaxe.

A dit le tribunal.

Appel.

Répondra peut-être monsieur Bernard Antony, président de l'Agrif, ancien conseiller régional de Midi-Pyrénées et ancien député européen Front national.

Ce qui fait qu'il faudra sans doute attendre encore un peu pour savoir si le substantif "souchien" aura un jour les honneurs du petit Robert.

Ce n'est pas une erreur de mon documentaliste,
c'est seulement pour faire plaisir à tout le monde.
(Exemplaire usagé datant de 1905, archives Larousse.)

L'information a fait l'objet d'une brève dans LibéToulouse qui nous apprend que "le mot «souchien» ne mord donc pas..." et d'une dépêche de l'AFP que le Nouvel Observateur a fidèlement copicollée.

Mais je suis assez déçu de ne rien trouver, pour l'instant, en façade de Rue 89 - estimable "site d'information et de débat sur l'actualité" -, où pourtant l'on avait bien relayé le vrai faux débat renaissant sur le "racisme anti-Blancs".

Cela avait commencé par un billet de Mouloud Akkouche, sur son blogue, affirmant avec assurance : "le racisme anti-Blancs existe". Il s'y attaquait vigoureusement aux "pétitionnaires" qui avaient manifesté leur solidarité avec Houria Bouteldja. L'exemple de "la fille d'une amie de Montreuil (Seine-Saint-Denis)", se faisant "traiter de «sale Française» dans un lycée de sa ville", permettait à notre auteur de mettre en évidence "le racisme anti-Blancs" et surtout de mettre en doute la sincérité des signataires de la pétition :

Il serait intéressant aussi de savoir où vivent la plupart des pétitionnaires. Leurs enfants et petits-enfants n'ont pas dû effectuer leur scolarité dans les écoles publiques des quartiers dits "sensibles". Bien sûr, chacun cherche le meilleur pour sa progéniture. Mais les citoyens démunis ne sont plus dupes des envolées solidaires de certains dirigeants de gauche et de leurs modes de vie au quotidien. Vis comme je te dis, pas comme je vis.

Malgré ce gros populisme de rez-de-chaussée, 716 "riverains" du célèbre "site participatif" ont jugé bon d'ajouter leur grain de sel...

La réaction d’Éric Hazan, Bouteldja dit « Souchiens », le racisme anti-Blancs n'est rien, qui avait l'avantage de replacer un peu plus strictement la question du racisme dans un cadre politique, ne recueillera que 462 commentaires. Auxquels s'ajoutera une réponse de Mouloud Akkouche, concluant, façon cosmique :

Pour conclure, laissons la parole aux scientifiques du documentaire L'ADN, nos ancêtres et nous de Franck Guérin et Emmanuel Leconte. Un film rappelant que les sept milliards d'habitants de la planète seraient tous issus d'une seule peuplade ayant vécu en Afrique. Premiers "Terriens de souche" ?

(!!!)

Cette dernière intervention n'a recueilli que 37 réactions...

On a dû en conclure que ce "débat" était clos, et qu'il n'y avait rien à gagner à le réactiver.

Promenade d'un souchien avec un sous-chien.
(David Hughes, Walking the Dog, Jonathan Cape, 2009.)

En vue réduite, qui est généralement celle du juridisme, le tribunal de Toulouse a décidé que l'emploi du mot "souchien", y compris dans le contexte contesté où l'a utilisé Houria Bouteldja, n'est pas assimilable à une "injure raciale". Cette modeste mise au point lexicographique va obliger les zélés dénonciateurs du "racisme anti-Blancs" à trouver un autre ingrédient pour faire monter leur mayonnaise idéologique...

On sait que l'on pourra compter sur eux ; ils sont en cuisine depuis 2005.

La brigade était alors constituée de sept intellectuels, dits "proches de la gauche", qui avaient lancé le vibrant "Appel contre les « ratonnades anti-Blancs »" - on trouvera texte et liste des signataires sur Wikinews.

Il était prévisible que le relais soit assuré, de diverses manières, par des organisations un peu moins "proches de la gauche". On a pu voir, lors du procès de Toulouse, une centaine de militants du Bloc Identitaire, de Riposte laïque et de Résistance républicaine manifester, sinon leur franc soutien à Bernard Antony, du moins leur hostilité à Houria Bouteldja et au Parti des indigènes de la République. Des banderoles inspirées proclamaient "Maintenant les souschiens montrent les crocs" ou "Vous êtes les indigestes de la République".

Lequel Bernard Antony, décidément très doué pour l'inconfortable posture victimaire, trouve à se plaindre du soutien des "souschiens" qui, à Toulouse, faisaient état de leurs difficultés gastro-intestinales en retroussant les babines :

L’AGRIF a été aussi victime, d’une manière provocatrice, de la malhonnête assimilation par les médias locaux avec le groupe appelé Bloc Identitaire, qui n’était en rien concerné par ce procès. Il avait osé clamer à propos de Mme Bouteldja : « Nous la ferons condamner ! », tout en injuriant le tribunal lors d’un renvoi du procès.

Le tribunal a pu être abusé par cet amalgame médiatique, notamment par La Dépêche du Midi, au mépris de nos protestations jamais publiées. L’AGRIF considère donc que le groupe Bloc Identitaire porte une grave responsabilité de cet échec provisoire.

Le "débat" semble s'être déplacé dans une autre rue que la Rue 89.

mercredi 25 janvier 2012

Consolation de la mal-pensance

Au terme de cinq années de politique de contrôle des flux migratoires, teintée de xénophobie aux couleurs de la France, mes amis commentateurs du Figaro ont été bien déçus d'apprendre, par dépêche AFP, "un chiffre jamais révélé par les autorités", assavoir le nombre des "étrangers en situation illégale [qui] ont été régularisés en 2010". Au cours d'une conférence de presse, Gérard Sadik, responsable de la commission Asile de la Cimade - et non pas "président de l'association" comme l'indique l'AFP - a estimé qu'environ 28 000 sans papiers avaient bénéficié, au cours de l'année 2010, de la bienveillance des autorités françaises.

Cette mansuétude ainsi étalée au grand jour semble bien attrister les lecteurs de la feuille sarkoziste, qui y voient notamment

"Un vrai scandale dont Gueant ne se vente pas .............;"

(Pour les autres réactions, se rendre directement au comptoir du Marine Bar.)

Les trois ministres qui ont été en charge de l'immigration,
accompagnés d'un intrus qui garde ses papiers sous le bras.
(Photo : Stéphane de Sakutin / AFP)

La désillusion qui s'exprime de manière si pudique est bien poignante. Aussi regrette-t-on que le Figaro n'ait pas jugé bon de donner à ses lecteurs, comme un lot de consolation, une information qui aurait pu les ravigoter. Car les exemples d'actions dont monsieur Guéant pourrait se "venter" ne manquent pas...

Le récit circonstancié de l'expulsion de la famille Mahmuti, que vient de mener à bien monsieur Philippe Galli, préfet de l’Ain, aurait pu leur plaire, mais apparemment l'AFP ne l'a pas livré à leur quotidien favori. Pour être informés, il leur faudrait aller sur le blogue tenu par les humanistes bien-pensants du RESF, sur le site de Mediapart, un endroit presque inconnu des lecteurs du Figaro. Michel Cabaussel et Nathalie Fessol y racontent cette histoire consolatrice pour les mal-pensants.

Les Mahmuti sont kosovars. Ils ont quatre enfants, dont un bambin, qui doit avoir un peu plus d'un an, et un grand garçon de 16-17 ans handicapé des suites d'une malformation osseuse. Des menaces de la mafia locale les avaient poussés à quitter leur pays pour chercher asile ailleurs.Ils s'étaient réfugiés en France en novembre 2010, après un passage par la Hongrie où, malheureusement, madame Mahmuti a été contrôlée. Appliquant à la lettre le règlement européen dit Dublin II, qui impose aux réfugiés de déposer leur demande d’asile dans le premier pays de l’Union par lequel ils ont transité avant leur pays de destination, les autorités ont pris la décision de les renvoyer - coûte que coûte, semble-t-il - en Hongrie où l'on devrait s'occuper de leur cas en les réexpédiant au Kosovo.

Ce ne fut pas chose facile.

En juin 2011, des fonctionnaires de la PAF - la police des frontières, anciennement "police de l'air et des frontières", d'où l'euphonique acronyme - sont venus arrêter la famille, alors hébergée au foyer "Les Sapins", à Hauteville. Devant la détermination du docteur Virard, médecin de l'adolescent handicapé et président de la communauté de communes, et devant la mobilisation des voisins et amis de la famille, les policiers abandonnent.

Pour peu de temps :

Le mardi suivant, aux aurores, c’est un mauvais thriller qui se joue sous les yeux effarés des résidents et du personnel du foyer. La PAF est de retour et, pour arrêter la famille, utilise les grands moyens : placages au sol, insultes et menottes.

Selina, qui a 9 ans à l'époque, a réussi à s'échapper, et elle restera cachée jusqu'à la libération du reste de la famille, après plusieurs semaines de mobilisation, du centre de rétention de Lyon Saint Exupéry.

On notera qu'entre temps, pensant à tout, les services de la préfecture avaient donné ordre aux responsables du foyer de rayer la famille des registres. Mais la municipalité d'Hauteville finit par lui trouver et attribuer un logement inoccupé dans une maison de la bourgade.

Un peu de répit :

Une vie un peu moins précaire commence, les deux aînés sont scolarisés et les Mahmuti participent et font partie intégrante de la vie de la commune, même si, de peur de voir une nouvelle irruption des pandores, tous les soirs – au moment du coucher – un membre de la famille manque à l’appel.

Mais c'est au matin que la police procédera, glorieusement :

23 janvier 2012 – 8h du matin : Selina pousse la porte pour partir à l’école, où elle se plaît et apprend le français à toute allure. Mais un homme se tient de chaque côté ; elle est immobilisée, et d’autres hommes apparaissent.

Au même moment, le Dr Virard commence ses visites et passe devant le domicile des Mahmuti. Observant une présence inhabituelle, il prévient les citoyens du collectif « Plateau Solidaire ». Quelques minutes plus tard, plusieurs voitures sont garées sur l’unique chemin qui mène à la maison.

Les gens assistent à l’arrestation. Les policiers de la PAF emmènent le fils, qui a été menotté parce qu’il se débat. Selina est plaquée au sol, immobilisée parce qu’elle fait une crise de nerfs. Tous les membres de la famille sont placés dans des voitures, sans bagages. Mais les citoyens indignés refusent de déplacer leurs véhicules. Il faut dire que sur le plateau d’Hauteville, il y a une longue tradition de résistance. Un garagiste, appelé pour enlever les voitures, refuse de le faire.

Mais finalement force restera à la loi, comme "ils" aiment à dire, et à 14 h 30, les voitures finiront par partir vers Saint Exupéry.

A la petite princesse Selima qui, du haut de sa dizaine d'années, "expliqu[ait] à un journaliste comment les demandeurs d’asile sont traités en Hongrie, parfois sans nourriture", et qui criait aux policiers "tuez-moi, mais je n’irai pas", il fut répondu que "la Hongrie est un pays qui respecte les droits de l’homme".

Comme quoi, on peut dire vraiment n'importe quoi.

Des fois.

Le compte-rendu de ces "négociations, parfois musclées" est réservé aux abonnés.

La suite de l'histoire peut être qualifiée d'expéditive.

Le soir même, maître Vibourel, l’avocate de la famille, déposait un référé devant le tribunal administratif.

Pendant toute la matinée du lendemain, le tribunal administratif a tenté de joindre la préfecture pour être informé de l’heure prévue du départ de la famille, afin de pouvoir se réunir avant celui-ci. Mais personne, à la préfecture, n’a daigné apporter une réponse, y compris au président du tribunal administratif, lui-même. Le centre de rétention, aux ordres, n’a rien révélé de plus.

A 11h du matin, à l'ancien aéroport de Bron, la famille Mahmuti a été embarquée dans un avion spécialement affrété pour elle.

L’audience au tribunal administratif, maintenue à la demande de maître Vibourel, s’est déroulée dans l’après-midi. Le président a pu y exprimer sa colère "non seulement du mépris avec lequel il a été traité par Philippe Galli et ses services, mais aussi de ces techniques d’expulsion express qui font fi du droit".

L’expression est forte, et pourrait décoiffer passablement les lecteurs-commentateurs pourfendeurs de la bien-pensance, et l'on peut se demander si elle n'est pas un peu exagérée concernant monsieur Galli, expert en matière d'application de la loi.

Aucun délit ne lui échappe.

Un très court article de mise en bouche, mis en ligne sur le site du Progrès, nous apprend - en promettant plus de détails aux abonnés - que "les élus opposés à l'expulsion d'une famille kosovare" ont été "convoqués en gendarmerie".

En effet :

Lundi, la préfecture avait rappelé que plusieurs délits avaient été constatés, "notamment l'entrave à circulation, délit puni par l'article L. 425-1 du code de la route (deux ans d'emprisonnement et 4500 euros d'amende, ainsi qu'une peine complémentaire de suspension, pour une durée de trois ans au plus, du permis de conduire ainsi que six points retirés..."

(Il faut supposer que la fermeture de la parenthèse est réservée aux abonnés.)

Donc :

Mardi, sur demande du Parquet, Philippe Virard, le président de la communauté de communes du plateau d'Hauteville a dû s'expliquer devant les gendarmes de la commune. En fin d'après-midi, ce sera au maire Bernard Maclet, à trois adjoints et autant de militants de passer à leur tour au tourniquet.

A croire que ces répréhensibles "entraves à la circulation" masquaient un délit de solidarité qui, on nous l'a assez répété, n'existe pas en droit...


PS : Une pétition, demandant le retour des Mahmuti, a été mise en ligne par le RESF.

mardi 24 janvier 2012

Comme un cheveu dans la blédine

Sur le chantier toujours recommencé du vivrensemble, le principe de laïcité apparaît aux yeux de certains comme l'indispensable mortier assurant la cohésion entre moellons disparates. Les maçons éclairés que sont nos élus œuvrent jour et nuit à nous bourrer de la laïcité dans tous les interstices, puisque des expertises assez récentes ont montré que ça nous manquait. Souvenons-nous des inquiétudes que nous avons eues, jadis, de voir s'écrouler sur lui-même, par effritement de la laïcité, ce bel édifice qu'est le bâtiment de l’Éducation Nationale...

Heureusement, la loi n° 2004-228 du 15 mars 2004 est venue prohiber, "dans les écoles, collèges et lycées publics, le port de signes ou tenues par lesquels les élèves manifestent ostensiblement une appartenance religieuse".

Le mot d'ordre était lancé, qui fut universellement repris :

Laïcité partout !

(Et liberté nulle part, répondit l'écho.)

Pour les amateurs de métaphore maçonnière,
le mur gallo-romain d'Evreux, au sous-sol du Musée.
(Photo : Daniel Hèm.)

Le devoir de neutralité politique et religieuse qui jusqu'à présent s'imposait, ou était imposé, aux agents du service public se trouvait être étendu aux usagers desdits services. Cet élargissement du domaine des obligations peut sembler inquiétant à quelques esprits chagrins, mais il est généralement bien accueilli, et même salué comme "un changement de paradigme en matière de laïcité" - ainsi graissé, exposé général I A - dans le préambule d'une proposition de loi adoptée en première lecture, le 17 janvier, par le Sénat.

Ce texte, décrit comme "visant à étendre l'obligation de neutralité à certaines personnes ou structures privées accueillant des mineurs et à assurer le respect du principe de laïcité" - les fantaisies typographiques sont d'origine -, comporte trois articles destinés à s'insérer dans des articles préexistants du code de la santé publique et du code de l'action sociale et des familles.

Voici le troisième et dernier :

Article 3 (nouveau)

Avant l'article L. 423-23 du code de l'action sociale et des familles, il est inséré un article L. 423-22-1 ainsi rédigé :

« Art. L. 423-22-1. - À défaut de stipulation contraire inscrite dans le contrat qui le lie au particulier employeur, l'assistant maternel est soumis à une obligation de neutralité en matière religieuse dans le cours de son activité d'accueil d'enfants. »

Si l'on sait que "l'assistant maternel" est le plus souvent une assistante, on aura compris que cet article, en généralisant généreusement "la jurisprudence « Baby Loup »", vise à interdire aux dames musulmanes qui voudraient exercer cette profession le port de ce foulard que la laïcité, en son nouveau paradigme, ne saurait admettre.

Il semble que l'on n'ait pas tenu compte du fait que cet accessoire vestimentaire, convenablement ajusté, présente un intérêt hygiénique incontestable, celui d'éviter la présence intempestive de cheveux dans la blédine du beubé.

Mais ne désespérons pas ; un addendum au code de la santé publique imposera probablement aux assmats le port de la charlotte. Les faire ainsi ressembler aux présidentiables en visite dans le secteur agroalimentaire devrait au moins faire rigoler les enfants à l'heure de la bouillie...

Un authentique aliment français.
(Affiche de Bellenger, date inconnue.)

C'est à madame Françoise Laborde et à son groupe au Sénat, le Rassemblement Démocratique et Social européen (RDSE), que l'on doit cette intéressante initiative, qui semble aussi inutile qu'inapplicable.

(A moins, bien sûr, que ne soit enfin créée une section policière spéciale chargée du contrôle de la vie privée et quotidienne, recourant en temps réel à un vaste réseau de dénonciateurs républicains et bénévoles.)

Que cette proposition de loi ait été votée par le Sénat, et notamment par un bon nombre d'élu(e)s auto-labellisés "de gauche", montre peut-être que tout le monde tient à marquer sa présence dans le combat que mène l'armée laïque pour contenir les intrusions islamistes, islamiques ou islamophiles, en rêvant que chaque citoyen(ne), en son idéale neutralité politique et religieuse, prenne la couleur du vivrensemble : couleur de nos murailles fraîchement rejointoyées.

dimanche 22 janvier 2012

Ce qu'on apprend à l'école

De ce que l'on enseigne aux élèves des écoles de police, je n'ai qu'une assez vague idée. Mais je suppose que, par mesure de prudence, il doit y être interdit de repasser certains contenus des cours pendant les heures de récréation. Je pense à certains "gestes techniques professionnels en intervention", comme la "clé d’étranglement" et la "compression thoracique", qui commencent à être bien connus du public à cause des bien nommées "asphyxies posturales" qu'ils peuvent entrainer.

Les curieux pourront consulter les fiches annexées à l'Instruction relative à l'éloignement par voie aérienne des étrangers en situation irrégulière, concoctée par la Direction Générale de la Police Nationale. Ce document, plus généralement nommé "Manuel de l'escorteur", se trouve, en des versions plus ou moins lisibles, sur la vaste toile du monde virtuel.

On y trouve, à partir de la page 32, présenté un "moyen de contrainte et de régulation phonique" qui fait l'objet de la fiche pédagogique numéro 01. Il faut bien dire que cela ressemble fort à un moyen très commode pour étrangler bien gentiment un de ses semblables, surtout s'il est déjà menotté.

Les deux protagonistes du roman photo sont respectivement nommés "le reconduit" et "l'escorteur" dans les légendes explicatives.

Voici celle que l'on peut lire à la page 4 de cette fiche :

L'escorteur exerce une traction sur le vêtement en lui imprimant un mouvement de rotation autour du cou. Il maintient cette pression entre trois et cinq secondes pour assurer la contrainte de régulation phonique et la relâche tout en gardant les points de contrôle.

Le contrôle et le dialogue avec le reconduit sont maintenus en permanence.

Cette note plaisante sur ce prétendu "dialogue" sous "régulation phonique" est suivie d'un avertissement sur un mode plus sérieux :

Important : Les temps de pression et de relâchement ne doivent pas dépasser trois à cinq secondes. La répétition de ces opérations de régulation phonique ne peut être réalisée plus de cinq minutes.

La page 5 de cette fiche sur une technique d'étranglement présentée comme banale "opération de régulation phonique" présente une photo fléchée sur cette "zone sensible : la gorge" - c'est le titre, en majuscules et encadré -, accompagnée d'intéressants "commentaires techniques" :

- Les effets de cette technique sur l'individu reconduit :

  • Ils le déstabilisent physiquement (le contrôle de la tête modifie les repères sensoriels)
  • Ils diminuent sa résistance (l'équilibre des forces de l'escorteur exercées sur la tête et le cou)
  • Ils diminuent ses capacités à crier (régulation phonique)
- Les atteintes traumatiques possibles de la technique selon la fréquence, la puissance et la force utilisée :
  • détresse ventilatoire et/ou circulatoire
  • défaillance de l'organisme
  • risque vital
On suppose que si cette fiche insiste si lourdement sur les bénéfices que cette technique présente pour l'ordre public, tout en passant si rapidement sur ses conséquences possiblement néfastes pour l'individu qui y est soumis, c'est que le sujet doit être approfondi lors des cours de secourisme dispensés dans les écoles...

A moins que l'on ne se contente, dans cette formation, des trois schémas simplistes que l'on peut trouver aux pages 57, 58 et 59, regroupés sous le titre pompeux d'Appendice Médical.


La fiche technique numéro 01,
dans le "Manuel de l'escorteur".

On a beaucoup parlé de ces techniques de "contrôle" qui seraient enseignées dans les écoles durant le procès qui vient de se dérouler au tribunal correctionnel de Grasse. Y étaient convoqués sept membres des forces de l'ordre, afin d'examiner leur rôle dans la mort d'Hakim Ajimi, survenue à la suite, ou au cours, de son "interpellation mouvementée" le 9 mai 2008. Ces "sept policiers, dont deux femmes" - comme le dit Le-Monde-avec-AFP -, comparaissaient pour "homicide involontaire" - deux d'entre eux - et pour "non-assistance à personne en danger" - les cinq autres, dont un policier municipal.

Les deux principaux accusés, les deux policiers de la BAC ayant pratiqué sur le jeune homme une "clé d’étranglement" et une "compression thoracique" après menottage, avaient adopté une ligne de défense assez minable consistant à dire et répéter qu'ils n'avaient fait qu'utiliser les gestes techniques enseignés à l'école de police. Cette posture de bons élèves injustement accusés a conduit le tribunal à discuter de ces gestes...

Cette discussion ne manque pas d'intérêt - et ce procès des méthodes policières devrait être instruit en urgence -, mais elle ne doit pas masquer le fait que cette cour était d'abord réunie pour juger de la responsabilité, et de l'éventuelle culpabilité, d'hommes dans le décès d'un jeune homme. Jeune homme dont monsieur de La Palisse, qui n'était pas mauvais observateur, aurait pu dire que, sans l'intervention de ces hommes, il serait encore en vie...

Une deuxième ligne de défense, plus classique, a consisté en la mise au point et la récitation d'un scénario minuté de l'intervention. Très professionnel, le policier qui a pratiqué la clé d'étranglement sur le jeune homme à terre, a ainsi déclaré, pour éviter le reproche d'avoir abusé de la force : "Je n'ai ressenti aucun élément de détresse jusqu'à son acheminent vers la voiture", et insiste sur le fait que "la rébellion d'Hakim Ajimi n'a jamais cessé", "contraignant" les policiers "à appliquer la force nécessaire pour le maîtriser".

Deux experts médicaux sont venus confirmer que le rebelle - dont on évaluera l'ampleur de la rébellion en se souvenant qu'il était entravé aux mains et aux pieds -, est bien mort par "asphyxie mécanique lente". Des témoins sont venus dire qu'il l'ont vu être traîné "inconscient", le visage "violacé", vers le véhicule de police-secours où il a été balancé comme un paquet.

Mais notre professionnel dit, dans son langage d'école, qu'il n'a "ressenti aucun élément de détresse"...

(Et maître Joël Blumenkranz, avocat des policiers de la BAC, croit bon d'en rajouter, en jargon de plaidoirie : "Il aurait fallu que les prévenus se rendent compte de l'état d'inconscience dans lequel se trouvait la victime pour que le délit soit constitué.")

En bon français, cela s'appelle du manque de discernement.

Le discernement est une faculté qui ne s'apprend pas à l'école de police, peut-être, mais on peut penser qu'en manquer, lorsqu'on est dépositaire du droit d'exercer la force, est tout à fait condamnable.


PS : Dans son réquisitoire de mercredi, le procureur Jean-Louis Moreau a estimé que les policiers devaient tous être condamnés, mais n'a réclamé que des peines de prison avec sursis.

Lors de la séance du lendemain :

Après dix minutes de présence, Ekram, la sœur de la victime, se lève brusquement et quitte la salle, suivie silencieusement par toute la famille et leurs sympathisants présents dans le public.

Le jugement sera rendu le 24 février.

vendredi 20 janvier 2012

Pêle-mêle de photos de famille

J'avais au moins été prévenu :

A une approche chronologique, thématique ou académique, l'exposition a préféré offrir un parcours dont les œuvres sont en elles mêmes le fil conducteur du regard du spectateur. De ce fait, les images singulièrement puissantes de Diane Arbus sont accompagnées seulement des titres donnés par l'artiste. Dans les salles, le visiteur qui souhaite examiner attentivement les photographies le fera uniquement à travers le prisme d'une expérience individuelle.

(Une affichette, dans le hall d'accueil du Jeu de Paume, avertit "le visiteur" que son "expérience individuelle" durera en moyenne une heure et trente minutes.)

Et pourtant, en entrant dans le première salle, j'ai dû résister à l'envie de me sauver.

Diane Arbus au Jeu de Paume du 18 octobre au 5 février 2012.
(Nocturne tous les jours à partir du 24 janvier.)

Mais j'ai pris la file, comme tout le monde, et comme tout le monde j'ai piétiné dans la semi-pénombre, devant un alignement de tirages photographiques, en me demandant vainement quel fil avaient bien pu suivre les responsables de cet accrochage.

(Pour cela, il me fallait prendre du recul, et je perdais alors ma place dans la queue... Du coup, la durée de ma visite a sans doute excédé le standard indiqué à l'entrée.)

Diane Arbus, photographiée par Stephen Frank
lors d'un cours à la Rhode Island School of Design en 1970.

Bien sûr, les images de Diane Arbus résistent à cette volonté de déconstruction. Car on peut dire qu'elles sont "singulièrement puissantes", et elles conservent intact leur pouvoir de fascination dans ce pêle-mêle imposé - mais je crains qu'elles n'y gagnent rien.

Elles s'imposent par leur présence saisissante, et banale à la fois, un peu comme cette remarque faite par la photographe, en mars 1971 :

Elles sont la preuve que quelque chose a été là et n’est plus. Comme une tache. Et leur immobilité est déroutante. On peut leur tourner le dos, mais quand on revient, elles sont toujours là en train de vous regarder.

La plupart des modèles photographiés par Diane Arbus posent, face à l'objectif qu'ils regardent, dans la plus pure tradition d'un genre que l'on pourrait appeler la photo de famille. Cette approche est, en quelque sorte, le degré zéro de l'art photographique, et elle continue de produire quantités d'images d'une platitude sans nom que l'on regarde une fois et vers lesquelles on ne revient plus.

Un coup d’œil distrait permet de comprendre assez vite que Diane Arbus pratiquait un tout autre art.

D'abord à cause de l'importance qu'elle accordait au "sujet" :

Pour moi, le sujet de l’image est toujours plus important que l’image. Et plus complexe. (...) Je pense que ce qu’elle est vraiment, c’est ce dont elle parle. Il faut que ce soit une photo de quelque chose. Et ce dont elle parle est toujours plus remarquable que ce qu’elle est.

Et par sa manière de l'aborder :

Vous voyez quelqu’un dans la rue et ce que vous remarquez essentiellement chez lui, c’est la faille. C’est déjà extraordinaire que nous possédions chacun nos particularités. Et non contents de celles qui nous ont été données ; nous nous en créons d’autres. Toute notre attitude est comme un signal donné au monde pour qu’il nous considère d’une certaine façon, mais il y a un monde entre ce que vous voulez que les gens sachent de vous et ce que vous ne pouvez pas les empêcher de savoir. Et cela a un rapport que j’ai toujours appelé le décalage entre l’intention et l’effet. Je veux dire que si vous observez la réalité d’assez près, si d’une façon ou d’une autre vous la découvrez vraiment, la réalité devient fantastique.

Les plus belles réussites, et elles sont nombreuses, de Diane Arbus sont ces photographies qui donnent à voir cette "faille" - "flaw" -, cet écart entre ce que sont ses personnages et ce qu'ils veulent être, ou entre ce qu'ils paraissent et ce qu'ils sont. Cette révélation de la "faille", du défaut de l'être, pourrait être implacable et cruelle - on connaît de telles images qui insistent sur la médiocrité, soulignent les ridicules et les prétentions. Mais on ne trouve rien de tel chez Diane Arbus. En un sens, elle est photographe de famille : cette fêlure du moi, elle la connaît chez elle et la reconnaît chez l'autre.

Avec beaucoup d'humilité, et une certaine admiration :

Il y une qualité légendaire chez les phénomènes de foire. Comme un personnage de conte de fées qui vous arrête pour vous demander la réponse à une énigme. La plupart des gens vivent dans la crainte d’être soumis à une expérience traumatisante. Les phénomènes de foire sont déjà nés avec leur propre traumatisme. Ils ont déjà passé leur épreuve pour la vie. Ce sont des aristocrates.

Je peux me tromper, mais il me semble que Diane Arbus devait penser que tous ses modèles étaient des aristocrates.

Peut-être est-ce là une part de son secret.

A young man in curlers at home on West 20th Street, N.Y.C. 1966.
(Jeune homme en bigoudis chez lui, 20e Rue, New York.)

Cette attention au "sujet" fait qu'il est tout à fait naturel de voir son œuvre organisée en séries thématiques. Les responsables de l'accrochage au Jeu de Paume n'ont pas jugé cela pertinent...

Ils n'ont cependant pas pu disperser les dernières photographies, que Diane Arbus avaient laissées sans titre, et qui sont pour l'essentiel regroupées dans une salle. Ces images ont été réalisées de 1969 à 1971 dans des institutions accueillant des handicapés mentaux.

Après ses premières prises de vue, elle écrivait à son ex-époux, Allan Arbus :

J’ai pris des photos formidables. Celles de la fête d’Halloween, dans le New Jersey, des femmes retardées mentales… Les photos sont très floues et inégales, mais certaines sont magnifiques. ENFIN ce que je cherchais. Et j’ai l’impression d’avoir découvert la lumière du soleil, la lumière hivernale en fin d’après-midi… Elles sont si lyriques et tendres et jolies… C’est la première fois que je trouve un sujet où c’est la multiplicité qui compte. Je veux dire que je ne cherche pas simplement à faire la MEILLEURE photo d’elles. Je veux en faire plein.

(Lettre datée du 28 novembre 1969.)

Elle en a fait beaucoup, suffisamment pour envisager de les réunir dans un livre.

Mais le 26 juillet 1971, une dizaine de jours après avoir participé au pique-nique annuel de la Fédération des personnes handicapées, Diane Arbus se suicidait dans son appartement de Westbeth.

Untitled 1969-71.

PS :

La photo qui figure sur l'affiche du Jeu de Paume et que présente Diane Arbus sur l'image de Stephen Franck est le célèbre Child with a toy hand grenade in Central Park, N.Y.C. 1962 (Enfant avec une grenade en plastique dans Central Park, New York).

A l'exception de l'extrait de la lettre à Allan Arbus, les citations de Diane Arbus proviennent du Diane Arbus, republié aux Éditions de la Martinière en 2011, qui n'est autre que la traduction de Diane Arbus: An Aperture Monograph, datant de 1972.

Les dernières photographies de Diane Arbus ont bien fait l'objet d'un livre après sa mort. Il s'appelle Untitled, et a été repris par les Éditions de la Martinière, sous le titre Sans Titre, en 2011.

Enfin, les deux dernières salles de l'exposition proposant une riche documentation sur la vie et sur le travail de Diane Arbus, les plus futés pourront commencer par là...

mercredi 18 janvier 2012

Usage et mésusage du "viagra chinois"

Selon le parquet de Bobigny, Abdelilah, 25 ans, atteint d'une malformation cardiaque, est mort d'une "rupture de l'aorte" après un contrôle effectué par des fonctionnaires de la BAC, dans le hall d'un immeuble, cité Balagny, à Aulnay-sous-Bois, en Seine-Saint-Denis.

(La même source a tenu à préciser :

"Aucun traumatisme et aucune trace de coups n'ont été relevés par le médecin qui a effectué l'autopsie.")

Vendredi dernier, une marche était organisée à sa mémoire.

Aux médias, "présents en petit nombre", nous disent Le Parisien et l'AFP, son cousin Mourad a demandé de "ne pas raconter n'importe quoi"...

(Photo : MonAulnay.com)

Raconter n'importe quoi, en effet, cela peut arriver à ces messieudames de la presse qui parfois donnent l'impression de le faire par une sorte de courtoisie...

Lorsque l'on a appris la mort d'Abdelilah, les dépêches n'ont pas manqué de rappeler que cette "affaire surv[enait] dans le contexte de la mort d'un homme de 30 ans interpellé la nuit du 31 décembre, à Clermont-Ferrand". L'on se souvient que des troubles à l'ordre public s'en étaient ensuivis dans la capitale auvergnate, et que l'on martelait à tout bout d'article la trilogie fatale de l'alcool, du cannabis et de la cocaïne, médiocre contrefeu à la colère...

Le lendemain du décès du jeune homme à la cité Balagny, à 12 h 57 précisément - et mis à jour à 13 h 01 -, alors que les résultats de l'autopsie n'étaient pas connus, le Figaro publiait, sous la signature de Jean-Marc Leclerc, cette exclusivité :

Le jeune de 25 ans décédé lors d'une opération de police dans le hall de la cité Baligny (sic), à Aulnay-sous-Bois (Seine-Saint-Denis), avait eu des relations sexuelles dans l'après-midi et ingéré du «viagra chinois», selon une source policière. Un produit apparemment sans rapport avec les stimulants sexuels vendus en pharmacie. L'autopsie pratiquée sur la victime devrait permettre d'en savoir davantage sur les causes précises de son arrêt cardiaque.

Comment une "source policière" a-t-elle pu en savoir autant, et aussi rapidement, sur des questions aussi intimes, il ne faut pas compter sur notre journaliste pour nous le dire. Secret professionnel et respect des sources, probablement. Et l'on devine que Jean-Marc Leclerc respecte davantage ses sources, essentiellement policières, que la vie privée d'un jeune homme de banlieue dont la dépouille va passer dans les mains du "toubib".

Une certaine idée du métier.
(Photo : Télérama.)

Le journaliste qui révélait ainsi qu'à Aulnay-sous-Bois il n'était question, pour tout expliquer, ni Liend'alcool, ni de cannabis, ni de cocaïne, mais de cette substance exotique et mystérieuse qu'il nomme "viagra chinois", est non seulement "grand reporter" au Figaro, mais aussi, ainsi que ne l'indique pas sa fiche d'activité figaresque, membre du "groupe de travail sur l’amélioration du contrôle et de l’organisation des bases de données de la police", qui doit siéger du côté du ministère de l'Intérieur.

Pour l'apprendre, il suffit d'aller consulter un article du 29 novembre 2011, sur le site de l'hebdomadaire Télérama où Olivier Tesquet donne un aperçu assez critique des activités de son confrère. Jean-Marc Leclerc a usé de son droit de réponse et l'on peut y lire, avec un certain soulagement :

Bien sûr, vous êtes libre de ne pas m’aimer.

(Comme si c'était là que se situait le problème !)

mardi 17 janvier 2012

L'insurmontable

"Dans mon cœur, quelque chose me dit de laisser le monde hors de moi. Peut-être que j'ai pris cette habitude là-bas. Alors je vis en France comme dans un grand Guantanamo. Toute la prison, toutes les tortures sont restées dans ma tête et ça n'en sort pas."

Ces mots sont ceux de Saber Lahmar, ancien détenu à Guantanamo et innocenté par la justice étatsunienne, qui vit en France depuis 2009, "dans un no man's land juridique".

Son témoignage - ainsi que celui de Lakhdar Boumediene, qui est dans la même situation - a été mis en ligne sur le site du journal Le Monde, la semaine dernière, sous le titre :

"Je vis en France comme dans un grand Guantanamo"

Un certain nombre de lecteurs-commentateurs, ceux à qui on ne la fait pas, ont flairé là une sorte d'outrage fait à notre grande nation...

Lakhdar Boumediene et Saber Lahmar.
(Photo : Le Nouvel Observateur)

Ce titre m'avait semblé dépourvu de toute ambiguïté, et je ne m'attendais pas à un tel déferlement dans les commentaires quand la précieuse Pièce Détachée avait attiré mon attention...

J'avais plutôt pensé à ceci :

Si ce qui reste de l'expérience de la torture peut jamais être autre chose qu'une impression de cauchemar, alors c'est un immense étonnement, et c'est aussi le sentiment d'être devenu étranger au monde, état profond qu'aucune forme de communication ultérieure avec les hommes ne pourra compenser. Le supplicié est surpris de voir que dans ce monde l'autre peut prendre la forme du dominateur absolu et que cette domination a pu tourner en pouvoir d'infliger la souffrance et d'anéantir. La domination du tortionnaire sur sa victime n'a rien à voir avec le pouvoir exercé sur la base de contrats sociaux, tel que nous le connaissons tous: ce n'est pas l'autorité du policier de la route sur le piéton, du percepteur d'impôts sur le contribuable, du lieutenant sur le sous-lieutenant. Ce n'est pas non plus la souveraineté sacrée des chefs ou des rois absolus, car même s'ils éveillaient la crainte, ils étaient en même temps objets de confiance. Le roi pouvait être terrifiant dans son courroux, mais aussi bienveillant dans sa clémence ; exercer l'autorité équivalait à gouverner. Tandis que le pouvoir du bourreau dans les mains duquel le supplicié gémit n'est rien d'autre que le triomphe illimité du survivant sur celui qui est jeté hors du monde dans la souffrance et dans la mort.

Étonnement de constater l'existence de l'autre qui s'affirme dans la torture sans plus tenir compte d'aucune limite, et étonnement de voir ce que l'on peut devenir soi-même : chair et mort. L'homme torturé ne cessera plus de s'étonner à la pensée que ce qui s'appelle âme ou esprit ou conscience ou identité, selon le cas, puisse être anéanti d'un coup au moment où les articulations des épaules craquent et sautent. Que la vie soit fragile, et qu'on puisse y mettre fin "rien qu'avec une petite aiguille", comme l'écrit Shakespeare, ce sont là des lieux communs qu'il connaît depuis toujours. Mais que l'on puisse à ce point réduire l'homme à l'état de chair et en faire une quasi-proie de la mort, c'est ce que seule la torture a pu lui apprendre.

Celui qui a été soumis à la torture est désormais incapable de se sentir chez soi dans le monde. L'outrage de l'anéantissement est indélébile. La confiance dans le monde qu'ébranle déjà le premier coup reçu et que la torture finit d'éteindre complètement est irrécupérable. Avoir vu son prochain se retourner contre soi engendre un sentiment d'horreur à tout jamais incrusté dans l'homme torturé : personne ne sort de ce sentiment pour découvrir l'horizon d'un monde où règne le Principe Espérance (*). Celui qui a été martyrisé est livré sans défense à l'angoisse. C'est elle qui dorénavant le mènera à la baguette de son sceptre. Elle - mais aussi ce qu'on appelle les ressentiments. Car ils demeurent et n'ont guère de chances de se transformer en une soif de vengeance écumante et purificatrice.

(*) Das Prinzip Hoffnung, du philosophe Ernst Bloch (1885-1977) a été publié en trois volumes de 1954 à 1959. Il a été traduit de l'allemand par Françoise Wuilmart, pour les éditions Gallimard - Le Principe Espérance, 1976, 1982 et 1991.


Cette longue citation est virtuellement dédiée, mais sans trop d'espoir, à ces lecteurs-commentateurs qui pensent que l'inhumanité s’accommode très bien à la sauce de l'inintelligence.

Elle est tirée de La torture, deuxième chapitre du livre de Jean Améry, Par-delà le crime et le châtiment - Essai pour surmonter l'insurmontable, paru en 1966. Ce texte n'a été traduit en français qu'en 1995, par Françoise Wuilmart, aux éditions Actes Sud. Repris dans la collection Babel en 2005, il est tout à fait accessible aux lecteurs du Monde.

Né à Vienne en 1912, de père Juif et de mère catholique, Hans Mayer/Jean Améry a émigré en Belgique en 1938. Il a été arrêté en juillet 1943 par le Gestapo, enfermé et torturé au fort de Breendonk, puis déporté à Auschwitz. Il a mis fin à ses jours en 1978, à Salzbourg.

Difficile de dire qu'il repose en paix...

samedi 14 janvier 2012

Pour parler d'autre chose

Au lieu de faire comme tout le monde et d'inviter Michel Onfray - qui vient de recevoir de Jean Daniel son diplôme de camusien authentique -, les tenanciers des librairies rouennaises Polis et Le Rêve de l'Escalier ont préféré s'associer avec Pôle Image Haute-Normandie et le cinéma Omnia pour organiser une soirée autour du Dictionnaire Eustache - sous la direction d'Antoine de Baecque, paru il y a un an chez Léo Sheer éditeur. Cela devait se passer vendredi soir, sur le coup de 20 h, compte non tenu du quart d'heure normand, en présence d'Avril Dunoyer, rédactrice du dictionnaire, et de Jean-Noel Picq, acteur dans certains film de Jean Eustache. Trois films devaient être projetés : Le Père Noël a les yeux bleus, qui est de 1966, Une sale histoire, qui comporte deux volets et date de 1977, et enfin Les Photos d'Alix, qui est de 1980.

Comme j'avais prévu de longue date d'aller refaire le monde avec des amis, je n'ai pu m'y rendre.

Et je le regrette, car j'aurais aimé revoir Les Photos d'Alix...






Les Photos d'Alix, de Jean Eustache, avec Alix Cléo Roubaud et Boris Eustache.

S'il n'est pas fréquent de pouvoir assister à une projection en salle des Photos d'Alix, il est encore plus rare de pouvoir flâner à une exposition des photographies d'Alix Cléo Roubaud.

Publiée au éditions du Seuil en 1984, la première édition du Journal : 1979-1983, d'Alix Cléo Roubaud, donnait bien quelques reproductions de photos d'Alix. Mais la qualité du papier, assez ordinaire, n'était guère favorable à un bon rendu de la gradation des lumières, des ombres et des noirs, et son grain affadissait le contraste. Les illustrations de la nouvelle édition, parue en 2009, toujours aux éditions du Seuil, étaient plus nombreuses et de bien meilleure qualité, permettant au moins de se faire une idée du travail de la photographe.

Pour s'en faire une idée plus complète, il fallait aller au cipM - centre international de poésie Marseille - où, en avril et mai 2010, a été organisée une exposition des photos d'Alix, à l'occasion de la réédition du journal d'Alix Cléo Roubaud et de la parution de l'intégrale de Le grand incendie de Londres de Jacques Roubaud - Le Seuil, 2009.


En décembre, le cipM a complété cet hommage par la publication de Si quelque chose noir, série de dix-sept photographies - autant que de "syllabes" dans un haïku - réalisée en 1980.

On sait que Jacques Roubaud a repris ce titre pour le grand livre de deuil, Quelque chose noir - Gallimard -, adressé à Alix Cléo en 1986.

La mort a balayé toute hypothèse. Alix avait été emportée par une embolie pulmonaire le 28 janvier 1983, neuf jours après avoir écrit cette dernière note dans son journal :

19.I.83

Aucune maladie, que l'on accueille comme un hôte sous son toit, ne nous permet l'incongruité du désespoir, du moins pas tant que l'on est maître de maison.

Il me fallait une maladie mortelle, ou répertoriée telle, pour guérir de l'envie de mourir. De la manière la plus oblique, organique, lente, j'ai inventé, en quelque sorte, ma maladie.
- et celle dont je guérirai.

mercredi 11 janvier 2012

Alcool, cannabis et cocaïne

Le moins que l'on puisse dire - si l'on peut en dire quelque chose -, est que le ton du communiqué de presse du syndicat Synergie Officiers, publié hier en "soutien aux policiers de Clermont-Ferrand", est extrêmement désagréable, et peut-être même inquiétant.

Cela commence comme ceci :

SYNERGIE-OFFICIERS dénonce avec vigueur les violences commises depuis plusieurs jours à Clermont-Ferrand au prétexte de la dégradation de la santé, puis du décès, d'un individu après son interpellation par la Police.

Et cela se termine par cela :

SYNERGIE-OFFICIERS exhorte la cohorte des petits inquisiteurs de salons à s’abstenir de lyncher médiatiquement les policiers et à laisser la justice faire son travail.

SYNERGIE-OFFICIERS réfute les théories lénifiantes de la culture de l'excuse qui visent à victimiser les délinquants et à absoudre toutes les déprédations commises ces derniers jours au motif d’une colère montée artificiellement par des casseurs patentés.


Entre temps, nos syndicalistes ont cru bon de rappeler que "ce délinquant était très alcoolisé, sous l'emprise du cannabis et d’une forte dose de cocaïne lors de son arrestation, alors qu'il était dans un état d'excitation extrême et s'en était pris aux policiers en leur lançant des projectiles" et d'apporter leur "soutien aux policiers clermontois qui ont fait de leur mieux pour maîtriser un individu déchaîné par la prise de ces substances".

A l'évidence, on ne saurait suspecter le "second syndicat d'officiers de police" de vouloir par là dicter aux grands inquisiteurs de l'Inspection générale des services (IGS) les conclusions de leur enquête, ou encore de vouloir indiquer à la Justice, qu'il faut "laisser (...) faire son travail", ses décisions à venir. Il faut donc supposer que ce pressant "communiqué de presse" est, pour l'essentiel, adressé à la presse et, par-delà, à l'opinion nourrie des "théories lénifiantes de la culture de l'excuse" qu'elle propagerait...

Pourtant, à la lecture des pages quotidiennes en ligne, on n'a pas l'impression que la presse ait démérité. La plupart des médias, suivant plus ou moins les très objectives dépêches de l'AFP, ont bien donné les détails que rappelle le communiqué des officiers, et continuent d'ailleurs à les redonner dans chaque nouvel article consacré à cette affaire.

Donc tout le monde sait bien - nos policiers peuvent se rassurer - que "Wissam El-Yamni, 30 ans, était sous l'emprise de l'alcool, du cannabis et de la cocaïne lors de son interpellation dans la nuit du 31 décembre au 1er janvier, près d'un centre commercial du quartier de la Gauthière, alors qu'il était très excité, d'après les forces de l'ordre, et s'en était pris aux policiers, lançant des projectiles sur leur véhicule". (Extrait d'un article de La Montagne.)

Et ceux qui ne le savent pas finiront par le savoir puisque cela tourne en boucle.

On peut, cependant, se demander si le lynchage médiatique ne commence pas lorsque l'on donne certains détails sur le modus operandi de l'interpellation :

(...) Vers 2h30 du matin, dans la nuit de la Saint-Sylvestre, un coup de téléphone prévient la police et les pompiers de la présence au sol d’un homme inanimé au centre commercial de la Gauthière (...). Arrivés sur les lieux, policiers et pompiers ne trouvent que quatre jeunes, assis sur un banc, raconte la Montagne. L’un deux, Wassan El-Yamni, décrit plus tard comme très excité, aurait lancé des projectiles sur la voiture de police, dont la vitre se brise à l’impact.

Une course-poursuite s’engage alors. Deux policiers de la brigade canine, appelés en renfort, finissent par interpeller le Clermontois. Selon la Montagne, l’homme (...) est alors mis au sol par le chien, menotté, placé dans le véhicule et aspergé de gaz lacrymogène. Lorsqu’il arrive au commissariat, il est inanimé. Selon le parquet, les policiers ne croient d’abord pas à son malaise. Victime d’un arrêt cardiaque, il est ranimé avant de tomber dans le coma.

Certes, tout cela - lâcher de chiens, mise au sol et aspersion de lacrymogène - peut sembler inutilement brutal. Mais cela ne saurait émouvoir que les âmes trop sensibles, et les âmes trop sensibles ne pratiquent pas le lynchage... Du reste, on leur épargne, la plupart du temps, les détails sur l'état du blessé à son arrivée à l'hôpital, dans un coma dont il n'est pas sorti. En effet les articles parcourus insistent beaucoup plus sur l’association alcool-cannabis-cocaïne que sur les constats médicaux transmis par le parquet : "une fracture des côtes, une autre du rocher orbitaire et des lésions au niveau du cou".

Très discrets, les médias ont mené assez peu d'investigations sur place, et ils reprennent tout juste ce témoignage publié par Mediapart :

Selon un habitant qui a assisté à la scène de sa fenêtre, (...) une dizaine de voitures de police seraient arrivées lors de l'immobilisation de Wissam El-Yamni. "Les policiers sont descendus, ils ont mis de la musique à fond, de la funk, et ont démuselé les deux chiens. Ils étaient chauds, ils ont fait un décompte 'Trois-deux-un go' et ils lui ont mis des coups", raconte-t-il.

(Il est possible que cet habitant du quartier ne maintienne pas son témoignage face à des enquêteurs, et cela pour des tas de raisons, mais on n'en sait rien...)

Selon toute apparence, c'est un autre témoignage qui a été diffusé sur Europe 1, et qui a été encore moins repris que le précédent :

Laure a raconté au micro d’Europe 1 que le jeune homme de 30 ans a été arrêté devant les vitrines des magasins et placé à l’arrière d’une voiture banalisée. La voiture aurait ensuite été se garer 300 mètres plus loin avant de s’arrêter à nouveau sur un parking à l’écart. C’est là que l’interpellation aurait dégénéré.

"Le jeune est sorti de la voiture. Il s’est mis à courir, même pas deux mètres. Deux messieurs sont sortis de la voiture - deux policiers -, ils ont sauté sur lui, l’ont plaqué au sol, l’ont tapé : ils lui ont donné des coups au niveau de la tête et au niveau du thorax", a-t-elle détaillé.

Laure a assuré, à deux reprises devant la police des polices, que les fonctionnaires qui ont interpellé Wissam El-Yamni "y allaient violemment avec des coups de pieds. Et celui qui était vers la tête a fini avec des coups de poings. Ça a duré cinq-dix minutes", a précisé Laure. Des propos appuyés par ceux d’une de ses voisines.

(Si l'on en croit l'incise du dernier paragraphe, ce témoignage aurait été entendu par la "police des polices".)

On voit mal Europe 1, du groupe Lagardère Active, prendre la tête de cette "cohorte des petits inquisiteurs de salons" prêts à "lyncher médiatiquement les policiers".

Cela renforce le côté troublant de ce témoignage, délivré, avec un courage certain, par l'habitante d'une cité vivant depuis quelques jours en un quasi état de siège, sur lequel peu de reportages ont été réalisés - comme si c'était tout à fait normal.

État de siège à la Gauthière, vue partielle.
(Photo empruntée à La Montagne.)

mardi 10 janvier 2012

Soutien de classe

Il se dit de plus en plus que madame Nadine Morano manquerait totalement d'humour - et de plein d'autres choses indispensables, mais on laissera cela de côté.

Il est vrai qu'elle a souvent l'air maussade...

Pour affiner cette impression, j'ai eu la curiosité de requêter sur Gougueule Images, et j'ai été assez surpris d'y trouver une Nadine Morano relativement souriante :

Pas toujours, mais deux ou trois fois par ligne.

(J'en profite pour signaler que Gougueule, qui ne respecte pas grand chose ni personne, m'a proposé en "Recherches associées" : nadine morano hot, nadine morano gta, nadine morano danse et nadine morano bourrée. Ces propositions me semblent assez outrageantes.)

Ainsi que vous pourrez le constater sur la copie d'écran qui suit, je n'ai pas obtenu beaucoup mieux en demandant "Nadine Morano avec le sourire", puisqu'en fait de sourire j'ai ramené dans mes filets celui de monsieur Jean-François Copé.

Ce que l'on peut prendre comme une sorte de tromperie sur la marchandise...

L'humour des moteurs de recherche est parfois difficile à suivre.

Après ses gazouillis touittés de ces dernières semaines, et ses diverses interventions sur divers fronts, madame Morano a pris une stature incontestable de vedette médiatique, dans la catégorie guignol. Pourtant, si la dénonciation de ses approximations de porte-parole de campagne semble nécessaire, il est assez vain de vouloir tant et plus souligner les ridicules de la dame. Cela se fait très bien tout seul.

Madame Morano a alors beau jeu de faire un joli calinuméro de Cosette outragée en déclarant que :

(...) ces attaques sont basses, elles sont dignes d’une certaine gauche caviar qui déteste les ouvriers de droite !

Elle a reçu, dans cette entreprise, un soutien de très grande classe, celui de monsieur Alain Minc, qui a déclaré au Monde :

"Je sens une odeur de mépris de classe à l'égard de Nadine Morano. Venant de la classe médiatique, c'est très révélateur de la société française avec ses préjugés classiques. Le major de l'ENA que je suis ne supporte pas cela."

Il serait sans doute bien intéressant de chercher à éclairer la chaîne d'(im)pensées amenant, justement en cette occasion, monsieur Minc à s'identifier comme "major de l'ENA"...

Mais on se contentera de noter qu'il a, avec délicatesse, omis de mentionner son rang d'entrée et/ou de sortie de l'École nationale Supérieure des mines de Paris (promo 1968), et de l'Institut d'études politiques de Paris (promo 1971), dont il est également diplômé.

C'est que monsieur Alain Minc a de la classe...