mardi 24 janvier 2012

Comme un cheveu dans la blédine

Sur le chantier toujours recommencé du vivrensemble, le principe de laïcité apparaît aux yeux de certains comme l'indispensable mortier assurant la cohésion entre moellons disparates. Les maçons éclairés que sont nos élus œuvrent jour et nuit à nous bourrer de la laïcité dans tous les interstices, puisque des expertises assez récentes ont montré que ça nous manquait. Souvenons-nous des inquiétudes que nous avons eues, jadis, de voir s'écrouler sur lui-même, par effritement de la laïcité, ce bel édifice qu'est le bâtiment de l’Éducation Nationale...

Heureusement, la loi n° 2004-228 du 15 mars 2004 est venue prohiber, "dans les écoles, collèges et lycées publics, le port de signes ou tenues par lesquels les élèves manifestent ostensiblement une appartenance religieuse".

Le mot d'ordre était lancé, qui fut universellement repris :

Laïcité partout !

(Et liberté nulle part, répondit l'écho.)

Pour les amateurs de métaphore maçonnière,
le mur gallo-romain d'Evreux, au sous-sol du Musée.
(Photo : Daniel Hèm.)

Le devoir de neutralité politique et religieuse qui jusqu'à présent s'imposait, ou était imposé, aux agents du service public se trouvait être étendu aux usagers desdits services. Cet élargissement du domaine des obligations peut sembler inquiétant à quelques esprits chagrins, mais il est généralement bien accueilli, et même salué comme "un changement de paradigme en matière de laïcité" - ainsi graissé, exposé général I A - dans le préambule d'une proposition de loi adoptée en première lecture, le 17 janvier, par le Sénat.

Ce texte, décrit comme "visant à étendre l'obligation de neutralité à certaines personnes ou structures privées accueillant des mineurs et à assurer le respect du principe de laïcité" - les fantaisies typographiques sont d'origine -, comporte trois articles destinés à s'insérer dans des articles préexistants du code de la santé publique et du code de l'action sociale et des familles.

Voici le troisième et dernier :

Article 3 (nouveau)

Avant l'article L. 423-23 du code de l'action sociale et des familles, il est inséré un article L. 423-22-1 ainsi rédigé :

« Art. L. 423-22-1. - À défaut de stipulation contraire inscrite dans le contrat qui le lie au particulier employeur, l'assistant maternel est soumis à une obligation de neutralité en matière religieuse dans le cours de son activité d'accueil d'enfants. »

Si l'on sait que "l'assistant maternel" est le plus souvent une assistante, on aura compris que cet article, en généralisant généreusement "la jurisprudence « Baby Loup »", vise à interdire aux dames musulmanes qui voudraient exercer cette profession le port de ce foulard que la laïcité, en son nouveau paradigme, ne saurait admettre.

Il semble que l'on n'ait pas tenu compte du fait que cet accessoire vestimentaire, convenablement ajusté, présente un intérêt hygiénique incontestable, celui d'éviter la présence intempestive de cheveux dans la blédine du beubé.

Mais ne désespérons pas ; un addendum au code de la santé publique imposera probablement aux assmats le port de la charlotte. Les faire ainsi ressembler aux présidentiables en visite dans le secteur agroalimentaire devrait au moins faire rigoler les enfants à l'heure de la bouillie...

Un authentique aliment français.
(Affiche de Bellenger, date inconnue.)

C'est à madame Françoise Laborde et à son groupe au Sénat, le Rassemblement Démocratique et Social européen (RDSE), que l'on doit cette intéressante initiative, qui semble aussi inutile qu'inapplicable.

(A moins, bien sûr, que ne soit enfin créée une section policière spéciale chargée du contrôle de la vie privée et quotidienne, recourant en temps réel à un vaste réseau de dénonciateurs républicains et bénévoles.)

Que cette proposition de loi ait été votée par le Sénat, et notamment par un bon nombre d'élu(e)s auto-labellisés "de gauche", montre peut-être que tout le monde tient à marquer sa présence dans le combat que mène l'armée laïque pour contenir les intrusions islamistes, islamiques ou islamophiles, en rêvant que chaque citoyen(ne), en son idéale neutralité politique et religieuse, prenne la couleur du vivrensemble : couleur de nos murailles fraîchement rejointoyées.

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