mercredi 30 septembre 2009

Communiqué lourd de sens

On savait, depuis le mois de juillet, que l'homme qui, armé d'un flashball, avait, le 8 juillet 2009, à Montreuil, visé à la tête le réalisateur Joachim Gatti, puis tiré, était bien connu des services de police, puisqu'il en faisait partie.

Et d'ailleurs, il en fait toujours partie.

Isabelle Mandraud, dans un article du Monde daté du 31 juillet (que l'on peut retrouver dans les archives du Jura Libertaire), rapportait qu'un "responsable policier" lui avait déclaré, "sous le couvert de l'anonymat": «Le fonctionnaire en question n’est pas une brutasse»*.

De cela, on peut conclure que Joachim Gatti a eu bien de la chance de ne perdre qu'un œil; il aurait pu tomber sur une "brutasse", voire même une vraie brute.

D'ailleurs, il n'y pas de brutes dans la police française,
vous allez trop au cinéma.

Une dépêche de l'AFP, reprise ici par le Monde, nous a appris hier que:

L'auteur du tir, un policier appartenant à la brigade anticriminalité (BAC), a été mis en examen mardi. Cette mise en examen lui a été notifiée la semaine dernière par Jean Gervilliers, le juge chargé de l'enquête, mais il reste libre. Il lui est interdit de porter une arme mais il n'a pas d'interdiction d'exercer.

On reproche tout de même à ce fonctionnaire des "violences volontaires ayant entraîné une infirmité ou une mutilation par dépositaire de l'autorité publique", mais on n'a pas jugé plus prudent de lui interdire d'exercer ses compétences dans la police nationale.

Il est vrai que ce n'est pas une "brutasse".

Un trompe-l'œil détourné à Montreuil, en juillet dernier.

Cette décision de mise en examen peut sembler rapide, dans ce type d'affaire.

Il faut croire que le juge chargé de l'enquête a pu réunir en faisceau convergent un nombre suffisant de témoignages, expertises, preuves et présomptions, avant de prendre sa décision.

Car on ne peut pas dire que la mobilisation dans les milieux de la culture cinématographique ait pesé sur sa réflexion. Cela m'a peut-être échappé, mais il me semble que monsieur Frédéric Mitterrand, cinéaste au passé et ministre de la Culture au présent, n'a pas daigné lever le moindre sourcil : le réalisateur Joachim Gatti n'a pas la notoriété convenue du réalisateur Roman Polanski, et d'ailleurs, parle-t-on vraiment de la même culture...?

"Nous sommes tous, ce soir, la tragédie de Cronstadt.
Le futur s'y retrouve passé tout en étant continuellement présent"
Page d'accueil de La parole errante a la maison de l'arbre, Montreuil.


A la nouvelle de cette mise en examen, le syndicat Synergie-Officiers, deuxième syndicat d'officiers de police, a publié un communiqué, signé du Bureau National, qui martèle les points suivants:

SYNERGIE-OFFICIERS s’étonne que des édiles de Seine-Saint-Denis mettent en cause l’insuffisance de l’action policière dans leur département après que deux voyous ont été abattus à Saint Ouen « dans l’exercice de leurs fonctions » à l’occasion d’un règlement de comptes.

SYNERGIE-OFFICIERS affirme que ces mêmes élus ont largement participé à la situation de violence et de chaos qui gangrène aujourd’hui le département le plus pauvre de France.

SYNERGIE-OFFICIERS dénonce l’hypocrisie et le double langage de ceux qui ont sapé l’autorité des forces de police en les conspuant sans cesse : affirmations péremptoires de bavures imaginaires, stigmatisation de la reconquête par la police de quartiers abandonnés aux pratiques mafieuses, pétitions et propositions de lois visant à interdire l’usage du TASER ou du FlashBall, refus dogmatique et irrationnel de la vidéo protection, vote de la loi pénitentiaire qui organise l’impunité généralisée…

SYNERGIE-OFFICIERS constate avec amertume que la campagne de calomnie et de dénigrement orchestrée par le même aréopage contre la Police à l’occasion de l’émeute du 8 juillet dernier à Montreuil a abouti aujourd’hui à la mise en examen d’un policier pour avoir utilisé un FlashBall.

SYNERGIE-OFFICIERS prévient que les policiers écœurés n’accepteront plus longtemps d’être les boucs émissaires de politiciens irresponsables qui allument des feux et «caillassent» politiquement et médiatiquement ceux chargés de les éteindre.

Je suppose que le bureau national d'un syndicat d'officiers de police sait faire un usage "proportionné" de la force des mots.

Ceux-là me semblent lourds d'un sens assez déplaisant (pour éviter d'employer une expression brutale).


* J'ose espérer que le responsable en question a été identifié et sévèrement tancé par sa hiérarchie pour avoir ainsi laissé entendre qu'il pouvait y avoir des "brutasses" dans les rangs de la brigade anticriminalité...

mardi 29 septembre 2009

Moment choisi dans Calais libéré

Le ouiquende dernier, la ville de Calais entendait fêter avec éclat sa Libération.

Il ne s'agissait évidemment pas de la libération de la ville des hordes de migrants qui semaient le trouble, le désordre et l'insécurité dans toute la région, selon les dires (à peine amplifiés par ma mauvaise langue) de certain(e)s...

D'ailleurs, à strictement parler comme madame Bouchart, les opérations de fermeture de la "jungle", commandées par monsieur Besson ont eu un effet de "soulagement", et non de "libération".

Nuance.

Donc, le ouiquende dernier, Calais fêtait le soixante cinquième anniversaire de sa libération par les troupes canadiennes.

Calais fut alors libérée de ce qu'on a pris l'habitude de périphraser, assez machinalement, en utilisant l'expression "barbarie nazie".

La mairie avait bien prévu les choses, pour qu'il y ait du spectacle et de la bonne humeur.

Parc Richelieu, le club Ansérien de Reconstitution historique de véhicules militaires proposait au public la reconstitution d'un camp militaire. On pouvait y voir une quinzaine de véhicules de la deuxième guerre mondiale, entourés d'une trentaine de modèles vivants en tenue militaire d'époque...

Nuit et jour, vous pourrez venir les voir vivre, manger, préparer leur matériel...

Je sens que vous avez déjà un petit regret d'avoir raté ça...

Pour ceux qui n'ont pas la fibre mécanique, l'office du tourisme de la ville avait organisé un bal de la Libération, sous chapiteau, place d'Armes, presqu'entièrement d'époque puisqu'on y promettait des musiques swingantes des années 50. Au cas où personne n'aurait su se trémousser sur les rythmes endiablés de l’orchestre Opus One Big Band, l'animation du bal était assurée par les danseurs de la DSAR (que les calaisiens doivent connaître).

Alors là, vous regrettez grave.

Pour faire plus sérieux, deux conférences étaient programmées au musée des Beaux-Arts, assurés par des membres de société historiques des Amis du Vieux Calais, et le hall de l'hôtel de ville accueillait une exposition de photographies, accrochées par le musée de la Guerre, et des maquettes de trains prêtées par l'association calaisienne les ferrovipathes (sic et quid ?).

Le programme se termine par un "temps de célébration" à l'église Notre-Dame, de 9h à 9h 45, le dimanche matin.

En fin de matinée, bien que le programme ne le dise pas, je suppose qu'une cérémonie un peu plus laïque et républicaine devait être prévue, en présence des élus et du sous-préfet.

Arrivée des officiels.

Ce type d'hommage est assez conventionnel et ennuie tout le monde...

Alors, on expédie les choses: des discours, pas trop longs, les discours, peut-être une gerbe de fleurs, pas trop fanée la gerbe, une sonnerie aux morts, pas trop fausse la sonnerie, et puis, tiens ! le chant des partisans, tous en en chœur, donc tout à fait faux.

Et puis, à l'année prochaine ! On essayera de faire un peu plus vite...

Cette année, cependant, la fin de la cérémonie républicaine fut émaillée de ce que la Voix du Nord appelle un "incident": Des militants No Border parmi les militaires (c'est le titre de l'article).

Petite erreur: Calais a été libérée en 44.

Voici le communiqué de presse No Border (j'ai corrigé les erreurs de dates):

Des migrants et des militant-e-s de No Border ont honoré aujourd’hui la mémoire de celles et ceux qui ont lutté contre le fascisme en libérant Calais voici 65 ans, en appelant à poursuivre cette libération en mettant fin à l'oppression des migrant-e-s à Calais.

Le groupe, qui comprenait des migrants iraniens, pachtouns et africains, a assisté silencieusement à cette commémoration de la libération de la Calais, avant de dérouler des banderoles, de sortir des pancartes et dévoiler des t-shirts en fin de cérémonie.


Ils comportaient des slogans démontrant que la destruction de la "jungle" et le déni des droits humains étaient en contradiction avec les actes courageux de de ces hommes et de ces femmes qui résistèrent au fascisme il y a 65 ans.

Comme un fait exprès, la police en a fait des tonnes et a tenté de s’emparer des banderoles affirmant "Calais a été libéré en 1944. Continuons à combattre le fascisme".

Incapable d’égaler la dignité dont ont fait preuve les migrants présents, la police a échoué dans ses tentatives de provocation, et l’action s’est terminée dans le calme.


No Border - Calais


Human rights have no borders.

Si l'on suit le témoignage de Zetkin sur IndymediaLille, les migrants et les militants ont été rapidement repérés par les policiers, qui sont intervenus plus vite que leur ombre, provoquant ainsi l'incident.

Ce que É. A. confirme dans son article de la Voix du Nord:

La police intervient avant même que le message ne soit entièrement dévoilé. S'ensuit une longue lutte entre policiers et militants pour récupérer l'objet du litige.

Dans la foule, des voix se seraient élevées: «C'est honteux», «Ce n'est pas le moment»...

Les braves gens sont comme ça...

Monsieur Jacky Hénin, témoin de la scène, aurait déclaré que «le moment est effectivement mal choisi».

Mais qui est donc ce monsieur Hénin pour se croire autorisé à porter un jugement sur l'opportunité d'un cri d'indignation poussé, par banderoles interposées, pour dénoncer une barbarie, au moment même où l'on commémore la libération d'une ville d'une barbarie historique ?

Monsieur Jacky Hénin est membre du parti communiste français, ancien maire de Calais, conseiller municipal et titulaire d'un confortable strapontin de député européen. Un jour, si cela se trouve, il sera peut-être sénateur.

C'est un homme de consensus, qui face à une action comme celle dont il a été témoin, ne peut que déclarer:

«Mais la police a aussi cristallisé les choses. C'est dommage car les gens auront plus vu ça que les célébrations de la Libération.»

Il est bon observateur, il a bien vu le rôle joué par les policiers, mais, homme de sa classe, la classe politique, il regrette que "les gens" aient plus vu une démonstration de protestation que les molles "célébrations" auxquelles il assistait.


PS: Monsieur Jacky Hénin ne sera pas de si tôt libéré des inopportuns militants No Border ou autres, ils sont toujours à Calais...
Ils appellent à soutenir une grève de la faim qui vient de commencer à Calais.

lundi 28 septembre 2009

Collectif littéraire à l'italienne

Quand j'ai appris de mes bons maîtres que j'appartenais à la grande famille des vertébrés, qui constitue une des plus grandes réussites du bricolage de l'évolution, je me suis senti très fier.

Maintenant, ça me fait plutôt rigoler.

Mais, doucement, pour ne pas trop secouer mes vertèbres.

Car lorsque je les secoue, elles se bloquent, et lorsqu'elles se bloquent, je regrette de ne pas porter mon squelette à l'extérieur, comme n'importe quel heureux crustacé.

Photo de famille.
(Je suis en haut à gauche,
et mon beau-frère en haut à droite.)

Quand vos vertèbres sont bloquées, il vous faut faire le gisant de cathédrale, haïssant tout mouvement qui déplace les lignes et maudissant votre Créateur.

Si vous êtes né de Créateur inconnu, vous pouvez toujours prendre un livre, à condition que cela soit un très bon livre.

Me trouvant récemment en cette position peu enviable, j'ai su prendre mon mal en patience en dégustant Manituana de Wu Ming, traduit par Serge Quadruppani.

Wu Ming Fundation est le nom adopté par un collectif d'écrivains italiens (quatre ou cinq selon les époques) qui travaille sous ce nom depuis 2000, mais est actif depuis 1994 environ.

Portrait de groupe avec accessoires.

Une page de leur site relate leur histoire en détail et permet de suivre l'évolution de leur travail.

Le point de départ:

En 1994, partout en Europe, des centaines d'artistes, activistes et auteurs de canulars choisissent d'adopter la même identité. Ils se rebaptisent tous Luther Blissett(1) et s'organisent pour déclencher l'enfer dans l'industrie de la culture. Il s'agit d'un plan quinquennal. Ils vont travailler ensemble pour raconter au monde une grande histoire, créer une légende, donner naissance à un nouveau type de héros populaire. En janvier 2000, au terme du Plan, certains d'entre eux se réunissent sous le nouveau nom Wu Ming. Ce dernier projet, bien que davantage tourné vers la littérature et la narration au sens strict, n'est pas moins radical que le précédent.

Suit une savoureuse sélection des canulars de Luther Blissett...

Au mois de mars 1999, parait en Italie Q, un roman écrit par quatre des membres de la colonne bolognaise du Luther Blissett Project. Ce roman, situé au XVIème siècle en Europe centrale, relate les soulèvements paysans et les révoltes populaires qui faillirent détourner la Réforme et furent noyés dans le sang, avec les encouragements de Luther. Il fut traduit en français, sous le titre L'œil de Carafa, par Nathalie Bauer et publié au Seuil (qui pourrait peut-être songer à le rééditer en poche, si on le demandait gentiment...).

Avec ce roman, apparaît la volonté de mettre en scène les marginaux, les exclus et les vaincus de l'Histoire, tels qu'ils furent et tels qu'ils sont encore, "non pas en tant que victimes, mais comme nouveau genre de héros" (McKenzie Wark, cité par Wu Ming).

A partir de ce livre, le collectif adopte le copyleft, et s'en explique.
« La reproduction totale ou partielle de l'œuvre
ainsi que sa diffusion par voie télématique sont autorisées,
sous condition de fins non commerciales
et de reproduction de la présente mention. »


Le collectif Wu Ming, en quintette, commence à travailler sur Manituana à la fin de l'année 2003. Ce roman est conçu comme le premier volet d'un triptyque sur le XVIIIème siècle, qui devrait occuper le groupe au moins jusqu'en 2012...

Dans ce volume, Wu Ming raconte les dernières années de lutte de la communauté d'Iroquirlande, née des liens de sang tissés entre les six nations iroquoises et les émigrants irlandais et écossais... Face à la montée en puissance des révoltes des colons contre la couronne d'Angleterre, la communauté réaffirme sa loyauté au roi Georges, envoie une ambassade à Londres pour raviver les alliances, s'organise pour résister, mais finit par s'incliner devant les troupes envoyées par Washington.

Bien que le récit soit centré sur un petit nombre de personnages ayant existé, et doté de tous les agréments du romanesque, nous sommes loin du roman historique traditionnel ou du roman-histoire... Disons qu'il ne s'agit pas de faire frissonner Margot(2), puis de la faire pleurer, mais bien plutôt de la faire réfléchir.

Comme Wu Ming lui-même réfléchit...

Car ce qui me semble caractériser ce travail, c'est la constante réflexion menée sur cette étrange entreprise qui est de raconter des histoires ici et maintenant.

Vous pourrez en trouver des traces dans les pages en français du site de Wu Ming Foundation, et tout particulièrement dans cet entretien paru en octobre 2008 dans Politique-Revue de débats qui y est reproduit: Wu Ming: La narration comme technique de lutte.

A demander à votre libraire.

La traduction française a été publiée par les éditions Métailié, qui avait déjà publié, en 2007, deux livres écrits en solo par des membres de l'orchestre Wu Ming: New Thing, par Wu Ming 1, et Guerre aux humains, par Wu Ming 2, traduits par Serge Quadruppani.

Sachant qu'Anne-Marie Métailié n'édite pas n'importe quoi, et que Serge Quadruppani(3) n'écrit ni ne traduit n'importe comment, vous voyez ce qui vous reste à faire(4).

Avec ou sans vertèbres amochées.




(1) Pour des raisons qui demeurent inconnues, le nom est emprunté à un footballeur anglais des années 80 d'origine afro-caribéenne

(2) Que mes amies Margot, Marguerite et Margaret ne se sentent pas trop visées: ici, Margot, c'est moi.

(3) Profitons-en pour signaler que, pour les 30 ans de la maison Métailié, est réédité "un livre heureux": A la table de Yasmina, Sept histoires et cinquante recettes de Sicile au parfum d'Arabie de Maruzza Loria et Serge Quadruppani.

(4) Ceux qui veulent rencontrer Wu Ming pourront profiter de sa grande tournée européenne.
J'ai noté, par exemple:

On 18 October 2009, Wu Ming 2 and Wu Ming 5 will be in TARNAC, France, to present Manituana at the Café-épicerie. Details to follow.

Le monde de Wu Ming est aussi grand (et par conséquent aussi petit) que le nôtre.

samedi 26 septembre 2009

Mairie et bibliothèque sous influence

«La bibliothèque du 4e a fermé l’exposition pour se laisser le temps de la réflexion, non pas sur l’exposition mais sur l’accueil des sans-papiers (pour le débat, ndlr), prévu ce soir dans le cadre de la projection débat. Cela ne remet pas en cause la qualité de l'expo ou le fait qu’elle ne doit pas être censurée».

Selon Oriane Raffin et Elisa Frisullo, qui signent l'article de 20minutes.fr signalé en post-scriptum dans mon billet de jeudi, c'est en ces termes que la mairie de Lyon aurait expliqué, ce même jeudi, en milieu d'après-midi, la fermeture inattendue et inexpliquée de la salle présentant l'exposition Les chiffres ont un visage, du photographe Bertrand Gaudillère (qui ne l'a appris que de manière incidente...)

Cliquer sur l'image pour accéder au diaporama des 27 photos exposées.

Cette exposition avait été programmée du 15 septembre au 17 octobre par les responsables de la bibliothèque municipale du 4ème arrondissement lyonnais, qui avaient pris contact avec le photographe au mois de juin dernier. Bertrand Gaudillère n'est pas un inconnu, il fait partie du collectif lyonnais Item et une partie de ses réalisations est accessible sur le site du collectif. Il ne cache pas le caractère engagé de ses travaux et, à ma connaissance, il n'a pas mené un siège téléphonique en règle pour être invité à exposer ses tirages, résultats de plus d'un an de rencontres avec des sans-papiers et avec des associations comme le Réseau Education sans Frontière et le collectif des Amoureux au ban public.

En revanche c'est bien un siège téléphonique mené par des sympathisants du mouvement des Jeunesses identitaires de Lyon, simulant à peu de frais une vague soudaine de mécontentement et d'indignation de la part des usagers (inscrits sur les listes électorales) de la bibliothèque, qui a entrainé la fermeture de la salle d'exposition, et l'annonce de l'annulation du vernissage, suivi d'une projection et d'une table ronde, prévu en soirée, le jeudi 24.

Cette décision fut prise le mercredi 23, dans des conditions de transparence que le courriel adressé à Rebellyon par un(e) bibliothécaire laisse deviner:

Vous aviez sans doute reçu mon mail sur une animation "La rentrée avec ou sans papiers".

Aujourd’hui, à la veille de cette rencontre avec RESF, la direction de la bibliothèque vient de se rétracter et, face au sujet trop polémique et la pression d’un groupe d’extrême-droite, cette animation débat, n’aura pas lieu.

Je vous invite à venir tout de même demain à 19h à la bibliothèque de la Croix Rousse pour rencontrer le directeur de la bibliothèque qui viendra expliquer le pourquoi du comment et surtout à écrire à la bibliothèque pour vous indigner de l’annulation d’un tel débat ou soutenir la politique d’animations courageuse de vos bibliothèques !


Le programme initialement prévu et accepté par la direction.

C'est en piaillant un peu rapidement leur victoire sur leur site internet (comme d'habitude, il vous faudra le trouver vous-même...) que les nazillons lyonnais ont attiré l'attention sur leur rôle.

Un article d'Alice Géraud, paru dans LibéLyon, revient sur ce rôle et permet de suivre les méandres de la réflexion qui a nécessité la fermeture temporaire de l'exposition, en donnant la parole aux différents acteurs de cette réflexion exigeante.

Monsieur Patrick Bazin, le directeur de la bibliothèque municipale de Lyon, prétend avoir découvert mercredi matin les "questionnements posés en interne" par cette exposition et l'organisation de son vernissage.

On peut le remercier de son attention et reconnaître qu'il manie avec élégance le vocabulaire manageurial de l'administration française...

Il assume, nous dit Alice Géraud qui le cite amplement:

"Effectivement, ce débat, tel qu'il était organisé, ne respectait pas notre devoir de pluralisme. Je ne veux pas que la bibliothèque municipale soit perçue comme un lieu de militance" (…) "Je n'ai rien contre les sans-papiers, ni contre ceux qui les défendent, mais je crois que nous devons, dans notre mission de service public, être soucieux d'un certain équilibre".

Que penser d'un directeur de bibliothèque municipale, probablement esprit éclairé, s'oubliant jusqu'à employer cette bonne vieille figure caricaturale de la dénégation: "Je n'ai rien contre..., ni contre..." ?

Mais son assortiment des mots clés de "pluralisme", "équilibre" et "service public" est encore plus inquiétant, si l'on accepte la frileuse et étroite conception qu'il révèle et si on l'extrapole.

Au nom de ce "devoir de pluralisme" du "service public", ne faudrait-il pas veiller à un strict "équilibre" des opinions sur les rayonnages de nos bibliothèques municipales ? De nombreux ouvrages sont parus sur les questions d'immigration ces dernières années, dont un bon nombre, signés de démographes, historiens, sociologues ou philosophes reconnus, critiquent ouvertement la politique de "gestion des flux migratoires" et ses conséquences. Je crains que, faute de pouvoir réaliser une stricte en qualité et quantité, on ne soit obligé de désherber les rayons et d'envoyer au pilon la plupart de ces livres - il serait maladroit de les brûler en place publique.

Il faudrait aussi veiller à ce qu'aucune conférence, causerie ou intervention, dans une salle des bibliothèques lyonnaise ne soient parfaitement équilibrées. Comme ce n'est pas un mince travail, il faudra, je pense, que monsieur Bazin soumette à son conseil d'administration le projet d'embaucher un contradicteur universel. Il pourrait, par exemple, recruter sur ce poste un brillant jeune identitaire lyonnais...

Le pilon, où les bonnes feuilles se ramassent à la pelleteuse.

Les propos de monsieur Dominique Bolliet, le maire socialiste du 4è arrondissement de Lyon, également rapportés par Alice Géraud dans son article, introduisent un nouveau motif:

"Il y avait deux problèmes. Un problème de déséquilibre du débat. N'étaient invitées que des personnes qui défendaient la même position. Le second problème est lié à la présence de sans-papiers à ce débat. Est-ce qu'une bibliothèque peut réellement accueillir des personnes qui sont hors-la-loi et pour qui être là peut représenter un risque ?"

Je ne crois pas un seul instant au souci que monsieur le maire semble se faire concernant le "risque" encouru par les sans-papiers du fait de leur "présence" "à ce débat". Il s'agit là d'un "risque" parfaitement assumé par ceux qui acceptent de se présenter ainsi en public: monsieur Dominique Bolliet semble oublier que la vie d'une personne sans-papier est une vie qui comporte beaucoup de risques...

Le souci de monsieur Bolliet est ailleurs: "Est-ce qu'une bibliothèque peut réellement accueillir des personnes qui sont hors-la-loi (...)"

En utilisant ce mot étrangement connoté de "hors-la-loi", il me semble que le maire du 4è arrondissement de Lyon, peut-être sous influence de la prose identitaire récemment parcourue, prononce un verdict d'exclusion sans appel, qui dépasse même le vocabulaire habituel de ses influenceurs, qui se contentent de "délinquants", "clandestins illégaux", etc.

L'usage de ce terme de "hors-la-loi" constitue une prise de position politique.

Un élu n'a pas le droit au lapsus.


PS: D'après 20minutes.fr:

La salle a rouvert hier après-midi et la soirée-débat, finalement maintenue, s'est déroulée en l'absence des sans-papiers. "La loi l'interdit", précise la ville.

jeudi 24 septembre 2009

Mur de la honte nationale

Quand on est, comme madame Natacha Bouchart, maire de la ville de Calais, on peut se permettre d'affirmer, sans citer aucun chiffre à l'appui de ses dires, que «ces dernières semaines, les atteintes graves aux Calaisiens de la part des migrants avaient augmenté» et l'on est reprise par le Figaro, qui ne va pas chercher de preuves à cette affirmation.

On peut aussi, au pied des pelleteuses en action dans la "jungle" de Calais, exprimer, avec une indécence certaine, «son grand soulagement», car

«On ne pouvait plus supporter cette situation de non-droit. Nous ne pouvions pas accepter de vivre comme ça en permanence».

A peine trouvera-t-on qu'elle "aura peut-être à cet instant manqué de tact sur la forme" pour reprendre l'expression de É. A., qui signe l'article de la Voix du Nord... Et l'on passera très vite à ses allusions prometteuses concernant l'avenir:

«Nous avons des propositions de développement sur cette zone», a-t-elle, en tout cas, promis. Et de rappeler qu'«il faut prendre en compte les deux problématiques». L'humanitaire («Jamais il n'y a eu autant pour les associations») et le reste... L'économique, notamment. «Les échanges avec les Britanniques doivent continuer de se faire», a-t-elle conclu.

(Eh oui ! madame Natacha Bouchart, relayée par la Voix du Nord, ça décoiffe et ça n'éclaire pas beaucoup...)

Un conseil municipal éclairé et bien coiffé, celui de Calais.

Il ne semble pas que les projets de madame Bouchart sur cette zone, où les abris, les buissons et les arbres ont été rasés («Ils repousseront», a assuré le préfet. «Il ne s'agit pas d'une zone protégée.») , comporte la moindre intention de marquer la mémoire de ce que fut ce lieu.

Mais je soupçonne Madame Bouchart de ne pas apprécier l'initiative prise par son collègue de Billère, dans l'agglomération paloise, de faire recouvrir la façade d'une salle communale d'une fresque "destinée à rappeler le souvenir des enfants expulsés du département avec leurs parents étrangers en situation irrégulière".

Le "mur des expulsés" a été inauguré le 5 septembre par monsieur Jean-Yves Lalanne, maire de Billère, en présence de madame Martine Lignières-Cassou, députée-maire de Pau, et de madame Isabelle Larrouy, porte parole de RESF 64.

«Cette fresque est désormais là pour rappeler ces enfants et ces familles expulsés, pour effacer notre honte qu’un gouvernement mène cette politique au nom de notre République. Nous affirmons ainsi que nous sommes les plus nombreux à dire plus jamais ça et que nous ne lui donnons pas le droit de bafouer nos valeurs fondamentales» a affirmé Jean-Yves Lalanne.

Jean-Yves Lalanne ne cache pas que son "idée est d'entraîner d'autres maires de France à créer des lieux de mémoire ou de lutte, qui rappellent aux citoyens que des familles sont en danger en France, que RESF existe et se bat au quotidien auprès des enfants et de leurs parents sans-papiers, que des élus se joignent à se combat, et refusent l'inacceptable."

Il se doute bien qu'il ne sera pas suivi par tout le monde...

Essais de dégradations d'origine contrôlable.

Lors de l'inauguration, une quinzaine d'opposants qui se présentent eux-mêmes comme des "identitaires béarnais", menés par le coordinateur aquitain du Bloc identitaire, Christophe Pacotte, ont tenu à marquer leur présence en scandant: «C’est la honte», «Lalanne, une chanson, t’es pas un bon maçon» et «Clandestins dehors»...

Comme ils sont très fiers de leur action courageuse face à une assemblée hostile, vous pourrez trouver leur récit sur bon nombre de sites affichant leurs sympathies pour cette mouvance. Je ne vous donne pas les liens, vous trouverez bien, et vous pourrez les noter dans vos favoris... Il n'est pas mauvais d'aller de temps en temps constater l'âcreté des humeurs où marinent ces braves gens si soucieux de faire bloc de leur identité.

Selon eux, leur intervention reçut un soutien non négligeable:

Et tandis que les élus socialistes continuaient leurs discours, trois des sept conseillers municipaux UMP de Billère, parmi lesquels Nadine Eouzan, outrés eux aussi par ce «Mur des expulsés», venaient féliciter les identitaires pour leur action.

Les élus UMP ont peut-être démenti... Auquel cas je n'en ai pas trouvé la trace dans la presse locale.

"Mur de la honte", pour les identitaires bordelais.

Monsieur Philippe Rey, préfet des Pyrénées-Atlantiques, est bien connu pour son zèle. On se souvient peut-être qu'en 2008, "pour mieux garantir l’expulsion d’une famille de Kosovars, Philippe Rey a loué un avion de tourisme, à qui il a ordonné de mettre le cap sur Pristina."

L'existence de cette fresque ne pouvait que perturber son sommeil de grand serviteur de l'idéal républicain. Après réflexion, que j'imagine intense, il a intenté un recours devant le tribunal administratif de Pau, arguant de sa mission de contrôle de légalité des actes des collectivités territoriales. Son recours porterait sur trois points: le défaut de transmission d’une délibération relative à cette initiative, l'absence de déclaration préalable de travaux et l’utilisation du mur d’un bâtiment public pour un objet autre que l’intérêt communal.

Monsieur Jean-Yves Lalanne se rendra donc à la convocation devant le tribunal administratif le 1er octobre.

Il n'aura pas le soutien des élus UMP de Billère, qui ont pu s'exprimer au cours du conseil municipal d'hier soir, et dont les propos sont largement relayés par le Sud-Ouest de ce jour:

«Le maire représentant de notre commune a pris une décision de manière arbitraire, unilatérale, au mépris de la démocratie participative. Cela n'a rien d'une démarche humaniste, c'est une peinture militante, de propagande politique, réalisée au mépris des règles administratives. L'argent des contribuables ne doit pas être utilisé à des fins politiques», a notamment déclaré Nadine Eouzan (UMP).

Un argumentaire qui s'éloigne un peu de celui que l'on peut trouver sur le tract des identitaires aquitains.



PS:Le mouvement des jeunesses identitaires lyonnaises peut lui aussi être fier de son coup: en cherchant à intimider la bibliothèque du 4ème arrondissement de Lyon pour dénoncer une «collaboration entre un établissement public et une organisation d’extrême gauche soutenant des délinquants en situations irrégulière», autrement dit l'accrochage de l'exposition Les chiffres ont un visage du photographe Bertrand Gaudillère, il assure à cette exposition sur la condition des sans-papiers une ouverture médiatique inattendue.

mercredi 23 septembre 2009

La parole aux témoins

Si l'évacuation de la "jungle" de Calais fut "musclée", pour employer cet euphémisme qui masque habituellement le déploiement de la violence légale déclenchée par quelque autorité, c'est la faute aux militants qui tenaient à être présents avec les migrants.

Il suffit de lire une certaine presse pour en être convaincu. Sans eux, le spectacle prévu par les services de monsieur Besson et du préfet de Bousquet de Florian aurait été parfait.

Mais comme c'est la présence sur place de ces amis inconnus qui peut nous garder de sombrer dans une sorte d'exécration universelle, autant leur laisser la parole.

Leur récit vaudra toutes les images.

Rue89 a offert une tribune à un groupe présenté comme des activistes autonomes lillois, militants des droits humains.

Voici leur témoignage:

Dans la jungle de Calais avec les migrants expulsés par la police

Nous sommes un groupe de personnes investies auprès des migrants depuis plusieurs mois et engagées dans le réseau No Border. Si nous sommes allés mardi 22 au matin soutenir les migrants de la jungle au moment de leur expulsion par la police, c'est avant tout parce que nous avions parmi eux de véritables amis.

Nous étions témoins depuis des mois de l'arbitraire policier à Calais, de l'usage systématique de l'intimidation, du gaz et des matraques. Nous avons constaté l'absurdité du système Dublin II qui balance les migrants d'un pays à l'autre comme des balles de ping-pong parce qu'aucun d'entre ces pays n'est en mesure d'assumer leurs demandes d'asile.

Nous avons noté à quel point le danger incarné par les passeurs n'est qu'un épouvantail agité pour légitimer la répression à l'égard des migrants. Nous avons surtout vu combien ces migrants nous ressemblent et ne cherchent qu'à se construire, n'importe où, un avenir décent et paisible, combien les clichés véhiculés contre eux tombent comme des feuilles à leur contact, lorsqu'on prend la peine de leur serrer la main, d'échanger avec eux un thé et de comprendre les causes et les conditions terribles de leur exil. Lorsque nous avons appris la décision du gouvernement de fermer la jungle de Sangatte (Eric besson, le 16 septembre 2009), nous étions donc légitimement en colère.

Nous étions une petite dizaine à partir à trois heures pour tenter l'impossible, à savoir protéger les migrants de la violence attendue des policiers. Nous avons constaté à notre arrivée que plus de 150 migrants étaient rassemblés autour de feux de camps, avec des banderoles en anglais et en pachto, exprimant leur envie de rester et d'être respectés, soutenus par de nombreux militants, dans une atmosphère pesante, dans l'attente de la destruction.

Panique et encerclement

A 7h30, nous avons vu les premiers fourgons arriver puis les policiers prendre position autour de la jungle pour bloquer tous les accès, au point que de nombreux Calaisiens ne pouvaient plus circuler à proximité de la zone des Dunes. Lorsque les policiers ont commencé à investir les lieux, une véritable panique s'est emparée des migrants. Après que certains ont essayé de fuir, la plupart s'est alors rassemblée. Notre premier réflexe, avec les autres militants présents, a été d'encercler les migrants avec des cordes et des banderoles afin de les protéger, ce qui n'était que symbolique face à l'horrible et implacable détermination de l'Etat.

Nous avons tous des souvenirs en commun avec ces migrants, nous avions à ce moment à l'esprit les moments passés avec eux. Nous avions dans notre dos des gosses de quinze ou seize ans accrochés à nous, effrayés et en larmes, pendant que les policiers essayaient de nous désolidariser. Après qu'ils ont arraché notre corde, nous avons formé une chaine humaine que les policiers ont rompu en nous tirant par les bras, les épaules, la tête, tout ce qu'ils pouvaient attraper.

Face à la violence toujours plus appuyée des policiers, la détresse des migrants allait crescendo et nous ressentions face à ça un sentiment de haine et de rage nous faisant oublier toute crainte des risques physiques ou juridiques, ce qui nous a permis à peu de tenir tête durant près de vingt-cinq minutes face à la répression, ceux de nous qui étaient dégagés revenant pour continuer de résister.

C'est l'Europe qui les insulte

Les policiers arrachaient les migrants au groupe, trainant certains d'entre eux sur le sol, qui nous regardaient implorant et apeurés. Ces regards étaient insoutenables pour nous qui auparavant y avions vu l'espoir, lorsque ces mêmes garçons nous racontaient leurs rêves et ambitions pour l'avenir. Dans cette rafle, les migrants ont été considérés et traités comme du gibier, déshumanisés et humiliés pour longtemps. Eux aussi ne risquent pas d'oublier ce qu'on leur a infligé ce matin. C'est l'Europe qui les a insultés dans leur dignité.

Tandis que la population du quartier se réjouit du « succès » de l'opération, nous déplorons que migrants et militants aient été l'objet d'un spectacle organisé pour les médias et l'opinion, dans le but de mettre en scène une mascarade politique visant à faire croire à une résolution du problème, alors qu'il ne s'agit que d'une triste opération de communication du gouvernement et de l'Union européenne.

Les journalistes ont été expulsés avec la même violence et une caméra a été détruite lorsque les policiers ont commencé à perdre patience face à l'opposition soutenue des migrants et militants. Les migrants essayaient eux aussi de résister, mais étaient davantage la cible des policiers lorsqu'ils tentaient de maintenir les lignes avec nous.

Nous posons la question : qu'est-ce que les autorités ont à craindre de la présence des journalistes ? Pourquoi les ont-ils éloignés ? Nous soupçonnons l'Etat de chercher à cacher au public sa façon d'agir et ses méthodes pour « résoudre » la question des migrants.

Nous tenons à dire que nous n'oublierons pas certaines images de violences et de détresse, qui renforcent notre détermination et notre mépris pour ce système qui génère chaque jour plus d'injustice. Ce que nous ressentons désormais, c'est l'étendue de notre impuissance et un dégoût prononcé pour les politiques actuelles.

Il est plus que temps de poser autrement la question des frontières, afin que chacun comprenne que la fermeture n'est ni une solution, ni un moyen démocratique de résoudre la catastrophe économique que nous vivons tous à cause du capitalisme. La crise n'est pas le fait des étrangers, légaux ou non, elle est partie intégrante d'un système qui se sert du chômage et des licenciements comme d'une variable d'ajustement pour une machine bancale.

Nous nous battons quotidiennement contre les politiques d'immigration actuelles, car elles ne sont que l'expression d'un individualisme insupportable et malheureusement ordinaire qui tend à faire de l'étranger un intrus responsable de tous les maux de capitalisme. La stigmatisation d'une population, si elle est suivie de mesures législatives et policières à son encontre (prise d'empreintes, fichage systématique, contrôle au faciès, dénis de droits élémentaires, mise en place de polices spécifiques, arrestations groupées et rafles…) ne peut aboutir qu'à la barbarie.

Ce qu'il s'est passé à Calais ce matin n'est pas une conséquence, mais un précédent. L'Europe n'en est ni à son premier ni à son dernier coup-bas…


J'ajoute que je partage toutes les idées qui soutiennent ce texte.

mardi 22 septembre 2009

Rafle et destruction, comme prévu

Cela fait un sacré bail que je lis les journaux - je me souviens encore de la lecture de l'article du Paris-Normandie qui annonçait l'appel du président Coty au "plus illustre des Français", le futur général-président de Gaulle...

Et j'ai l'impression que depuis toujours je suis agacé par les tics d'écriture des plumitifs des quotidiens, et plus encore par l'utilisation d'expressions toutes faites poussées jusqu'à leur prose par le vent qui souffle d'en-haut.

En découvrant ce matin, dans un article de 20minutes.fr, cette présentation de la "jungle" de Calais comme un "sous-bois sablonneux, où passeurs et migrants vivent depuis la fermeture du centre de la Croix-Rouge à Sangatte, en novembre 2002", j'y ai entendu le lointain écho du prétexte pris par monsieur Besson pour lancer son opération de rafle et de destruction.

Je ne crois pas que l'auteur de l'article soit assez naïf pour croire que l'opération de ratissage de ce matin avait pour but d'interpeller ces fameux passeurs auxquels monsieur Besson prétend opposer une lutte sans merci, mais cette expression introduit discrètement dans son texte la thématique imposée par notre ministre de la rafle et du drapeau.

Une banderole déployée par les derniers occupants.
Photo empruntée à Indymedia-Lille.

A l'heure où commençaient les opérations sur le terrain de Calais, monsieur Eric Besson, par le plus grand des hasards, répondait, sur RTL, aux questions de Jean-Michel Aphatie et pouvait broder sur le motif:

Moi, ce que je veux, c'est que nous démantelions cette jungle qui est le camp de base des passeurs. Ce n'est pas un camp humanitaire.

(...)

Non, non, j'ai vu qu'un certain nombre de personnes décrivent comme ça comme un aimable camp humanitaire. Ca n'est pas un camp humanitaire. C'est le camp de base des passeurs avec des personnes qui sont exploitées, qui sont victimes de violences. Vous avez des chefs, vous avez des chefferies, c'est la loi de la "jungle" qui règne. Et sur le territoire de la république française, la loi de la jungle ne peut pas durer éternellement. (...)

(...) Les commanditaires les plus importants ne sont pas dans la "jungle". Ils restent, j'allais dire planqués loin... Mais ils ont des "lieutenants" qui sont armés parce qu'ils sont organisés, structurés. Ils s'en sont pris aux forces de l'ordre, ils s'en sont pris à des chefs d'entreprise, ils s'en sont pris à des riverains du Calaisis. Il faut casser cette chaîne des passeurs et démanteler la filière.

On dirait bien que monsieur Besson apprécie la musique répétitive.

Mais il joue faux.

Jean-Pierre Allaux, dans un très court échange publié par LibéLille, le 17 septembre, réfutait l'argument du ministre d'une manière limpide.

Eric Besson explique qu'en rasant la «jungle», il lutte contre les passeurs.

C'est exactement le contraire. Chaque fois qu'on rend plus difficile la poursuite du voyage, qu'on offre une liberté de circulation proche de zéro, outre qu'on porte atteinte à la Convention de Genève(1), on renvoie les exilés à des spécialistes du cheminement. Détruire la «jungle» renforce le pouvoir des passeurs. On les rend indispensables.


Comment ça?

C'est la logique de Chicago, de la prohibition. Les gens ont absolument besoin de franchir les frontières, même si elles sont fermées. Du coup, il y a un marché. Les voyous essaient de s'en emparer. (...) plus les gens sont fragiles, plus on crée les conditions de la prospérité des mafias.

(1) La Convention de Genève garantit la liberté de circulation pour les demandeurs d'asile. Jean-Pierre Alaux considère ici que les migrants sont tous des demandeurs d'asile à qui on nie cette qualité. (Note prudente de LibéLille)


Photo AFP, empruntée au Figaro.fr, qui la légende ainsi:
Les migrants étaient protégés et retenus par des militants,
qui ont contraint (sic) les policiers à les extraire un à un de façon musclée.

Par delà les argumentaires, j'ai surtout une très grande envie d'aller dégueuler ma carte d'identité française sur les souliers vernis du ministre de notre Identité nationale.




Je ne regarde pas la télévision, donc je n'ai pu voir comment a été arrangé sur nos écrans le beau travail effectué par les forces moralement blindées qui sont intervenues. Mais cette vidéo en anglais me semble assez éloquente (et je préfère ne pas comprendre les commentaires).

Et s'il faut accompagner ces images, je préfère citer les propos de Sylvie Copyans, membre de l'association Salam, cités dans l'Express.

Nous avons assisté à une opération de démantèlement vraiment horrible, avec une violence inutile et démesurée. Il y avait des pleurs, des évanouissements. Des mineurs ont été embarqués et envoyés de force vers Metz. Les majeurs ont été placés en garde à vue pour être auditionnés avant d'être placés dans des centres de rétention s'ils refusent les propositions d'Eric Besson. Nous avons vraiment honte pour le gouvernement. Ça fait huit ans que je travaille pour cette association et je suis encore choquée par ce que j'ai vu. (...)

(...) Il faut arrêter de traiter les migrants comme du bétail et des sous-hommes.

Monsieur Besson pourrait-il soutenir
le regard de cet homme
qu'il fait traiter en sous-homme ?

lundi 21 septembre 2009

Ça balance pas mal

Au lieu de perdre son temps, et le nôtre, à créer des titre ronflants et inutiles comme "Défenseur des Droits", le gouvernement ferait mieux de créer l'indispensable charge de "Gardien des Devoirs", qui rétablirait un certain équilibre dans la balance de la permissivité.

Ça ferait au moins plaisir à mon beau-frère le docteur en Droit qui serine à qui veut l'entendre, et même à qui ne veut pas, que pour avoir des droits, nous n'en avons pas moins des devoirs.

Il serait d'ailleurs judicieux d'étendre de manière significative la liste des devoirs et obligations des citoyens de notre beau pays, et d'en faire, à la suite d'un coup de force linguistique devenu habituel, des devoirs et obligations citoyens.

Mais rien n'interdit de commencer en rappelant les devoirs que, malgré son laxisme, nous impose la législation actuelle.

J'apprends avec regrets, à la lecture du blogue du Commissaire principal honoraire de la Police Nationale, Georges Moréas, "qu’en France il n’y a pas d’obligation à dénoncer un crime ou un délit qui a été commis." Cependant, ajoute le commissaire honoraire:

Il en va différemment lorsqu’il existe une possibilité d’empêcher le crime ou le délit, ou d’en limiter ses effets, ou encore d’empêcher qu’il ne se renouvelle. Dans ces cas, le fait de ne pas avoir prévenu les autorités judiciaires peut entraîner une peine de 3 ans d’emprisonnement (C. pén., art. 434-1).

Et comme la police vit avec son temps,
on peut le faire par mail (du moins dans l'Essonne)


Je regrette beaucoup de n'avoir aucune attache dans le département de l'Essonne où le commissaire Borel-Garin, véritable pionnier de la police du XXIème siècle, a imaginé le désormais fameux ddsp.

Je pourrais certes tenter de l'utiliser, mais, voyez-vous, on veut bien dénoncer, mais on ne veut pas gêner non plus...

Or, je voudrais dénoncer vigoureusement un certain nombre de mes concitoyens pour non dénonciation de menaces graves proférées à l'encontre d'un de leurs congénères, non nommé mais tout à fait identifiable (affaire de contexte, mais pour cela je fais confiance au ministère de l'Intérieur).

Les fait sont maintenant de notoriété publique, puisque l'on nous dit, ici ou , que des témoins auraient entendu monsieur Nicolas Sarkozy prononcer les mots suivants:

"Un jour, je finirai par retrouver le salopard qui a monté cette affaire et il finira sur un crochet de boucher."

Il s'agit là d'une menace assez grave, non ?

Et que firent les témoins ?

Bien entendu ils en firent part à quelques amis dans la presse, et offrirent à monsieur Sarkozy, qui semblait intéressé, une collection de crochets de boucher.

Mais ne dénoncèrent point le proférateur...

Il n'a pas apprécié le cadeau: on trouve maintenant les crochets en vente sur eBay.


J'ai même entendu, vendredi dernier, dans l'édito politique de Thomas Legrand, sur France Inter, cette histoire:

Le Nouvel observateur de cette semaine raconte le dialogue ahurissant entre Jacques Chirac, alors Président, et Nicolas Sarkozy, son ministre de l’intérieur, sur le sujet…Pour être sûr que Jacques Chirac comprenne de quoi il parle, Nicolas Sarkozy lui demande: «Avez-vous été dans une boucherie acheter de la viande récemment monsieur le Président ?»

Monsieur Chirac a dû faire comme s'il n'y connaissait rien, et d'ailleurs il n'a pas dénoncé son ministre, mais on sait que le président Chirac allait, chaque semaine, chez son boucher du faubourg Saint-Honoré, pour choisir sa tête de veau du dimanche.

Je n'ai pas trouvé de tête de veau sur un crochet,
alors je me suis dit qu'une tête de chameau irait aussi bien avec le sujet.
(Et puis, ça se prépare de la même façon: gribiche ou ravigote.)
Photo empruntée ici.

dimanche 20 septembre 2009

Lecture au pied de la lettre

Parmi les mauvaises nouvelles de la rentrée littéraire, il ne faut pas négliger celle du retour d'Alain Finkielkraut sur les tables des libraires.

Un publi-reportage d'Aude Lancelin, dans le Nouvel Observateur, avait averti le vieil observateur que je suis dès la fin août. Après avoir donné des nouvelles de la santé de notre auteur, qui a surmonté une grave maladie, elle écrivait, en préambule au récit de sa rencontre avec le maître:

L'énergie du pugiliste, elle, est intacte. La faculté d'indignation, quasi démultipliée. Et plus encore, cette tonalité d'enthousiasme, si précieusement enfantine, qui le distingue entre tous des routards français du débat d'idées. A celui qui envisagerait de tartiner sur la sérénité conquise du convalescent, on conseillera de repasser un autre jour. Le mécontemporain ne s'est pas assagi, ni réconcilié. Trop de moulins à vent sociaux-démocrates à combattre, trop de futures armées rouges à défaire.

A peu près à la même date, Robert Solé signait, dans le Monde, un exercice attendu de critique admirative:

Un cœur intelligent est un livre subtil, d'une grande richesse, qui surestime parfois... l'intelligence du lecteur.

Il est évident que Robert Solé est d'une modestie qui l'honore...

Alain Finkielkraut observant un moulin à vent,
"dans le vaste salon tapissé de livres" (dixit Aude Lancelin).


Mon incommensurable modestie à moi, et rien qu'à moi, m'a détourné de la lecture du dernier livre d'Alain Finkielkraut.

J'ai préféré continuer l'exigeante mais délectable lecture des deux livres d'Ivan Segré parus au mois de mai 2009 aux éditions Lignes: Qu'appelle-t-on penser Auschwitz ? et La réaction philosémite ou la trahison des clercs.

Ces deux livres constituent une parfaite antidote aux séductions que pourraient encore avoir le courant de "pensée" illustré médiatiquement par la personnalité d'Alain Finkielkraut.


Le premier livre est un recueil de textes qui étudient la manière d'aborder "la singularité d'Auschwitz" dans des écrits contemporains, qu'ils soient de nature philosophique, psychanalytique ou mathématique...

La principale étude, qui donne son titre au volume, est consacrée à une lecture des commentaires du philosophe Philippe Lacoue-Labarthe sur les quelques phrases prononcées par Heidegger au sujet d’Auschwitz. Au cours de son analyse, Ivan Segré est amené à étudier l'influence de la pensée heideggerienne (notamment sur l'essence de la technique) sur les pages qu'Hannah Arendt a consacrées à la question des chambres à gaz et des camps d'extermination dans son Eichmann à Jérusalem.

La lecture de cette étude devrait suffire pour vous convaincre du sérieux et de la profondeur d'un jeune philosophe qui ne sous-estime ni ne surestime l'intelligence de son lecteur...


Le second livre reprend une partie de la thèse de doctorat qu'Ivan Segré a soutenue en juin 2008.Cette thèse de doctorat a été dirigée par Daniel Bensaïd. Le jury en était constitué d'Alain Badiou (ENS Ulm), Charles Alunni (ENS Ulm), Michael Löwy (EHESS) et René Lévy (Institut d'études lévinassiennes*).

Ivan Segré y étudie un corpus de textes qui se rattachent tous à un courant idéologique bien français représenté notamment par Alexandre Adler (historien), Emmanuel Brenner (sociologue), Eli Chouraqui (cinéaste), Alain Finkielkraut (philosophe), William Goldnadel (avocat), Jean-Claude Milner (linguiste), Robert Misrahi (philosophe), Pierre-André Taguieff (politologue), Shmuel Trigano (sociologue), Yves-Charles Zarka (philosophe)… Cette liste, qui est donnée par l'auteur dans son "argument", au début du livre, indique assez bien qu'il s'agit là des "nouveaux intellectuels communautaires" qui ont enfourché le cheval de bataille de la "défense du sionisme" et de la "lutte contre l'antisémitisme".

En face de ces textes qui sont souvent portés par un grand galop rhétorique (pensez au style de Taguieff, de Finkielkraut...), Ivan Segré garde la tête froide et ralentit considérablement le pas.

Il cite abondamment les pages qu'il envisage de commenter, et les situe dans l'ouvrage d'où il les a tirés. Ceci fait, quitte à les débarrasser quelque peu de leur enrobage stylistique, il les prend vraiment au pied de la lettre.

Cette méthode, élémentaire, mais d'une très grande exigence, est d'une efficacité redoutable; et les textes les plus faibles ne résistent pas longtemps: au pied de la lettre se révèle ce que nos idéologues ont à l'esprit.

Ivan Segré montre ainsi comment les deux mots d'ordre, "défense du sionisme" et "lutte contre l'antisémitisme", sont détournés et utilisé pour promouvoir le mot d'ordre fort inquiétant de "défense de l'Occident" et tenter de réduire au silence toute pensée critique, en l'accusant d'antisionisme et d'antisémitisme.

La lecture de ce livre, écrit par un philosophe juif qui se consacre maintenant aux études talmudiques, a décidé de vivre en Israël et a pris la nationalité israélienne, est tout à fait éclairante.

Et réjouissante aussi, car s'il ne donne pas dans la rhétorique échevelée des auteurs qu'il étudie, Ivan Segré sait souvent les épingler d'une ironie définitive. Ainsi, à la fin de la longue note attachée à la page 71:

Alain Finkielkraut est un humoriste juif surdoué et méconnu.

Voilà qui devrait lui faire plaisir.


* L'institut d'études lévinassiennes a été fondé en 2000 par Benny Lévy, alias Pierre Victor, Alain Finkielkraut et Bernard-Henry Lévy. Il est actuellement dirigé par René Lévy, fils de Benny Lévy.


PS: Daniel Mermet a consacré son émission du 2 septembre à un entretien avec Ivan Segré. On peut l'écouter sur le site de Là-Bas.org.

On peut aussi lire la transcription d'un échange avec Lauriane Crochemore datant de juin 2009.

samedi 19 septembre 2009

Conseil (de lecture) à Georges Frêche

Après la féconde saillie de monsieur Hortefeux, humoriste auvergnat contemporain, qui fit polémique, on put constater une très forte solidarité gouvernementale.

Y compris de la part de monsieur Jack Lang, à qui il faudrait peut-être expliquer qu'il n'y est toujours pas, au gouvernement:

«Je le connais depuis longtemps : il n'est pas raciste, c'est un homme honnête pour lequel j'ai de la sympathie personnelle»

Cette pétition de principe (je le connais, donc il n'est pas raciste) passa inaperçue tant on est gavé des déclarations de notre ministre de la Culture honoraire.

Georges Frêche, socialiste in partibus.

Monsieur Georges Frêche, au contraire, a l'art de ne jamais passer inaperçu.

Sa défense des propos de monsieur Hortefeux fut donc largement relayée:

La polémique est "ridicule", selon lui. "J'ai entendu ses propos et je n'y trouve rien d'extraordinaire. Aujourd'hui, on demande à tous les hommes politiques de faire de la langue de bois sous peine d'être cloué au pilori. Hortefeux n'est pas raciste !".

On pourrait songer à le nommer à un poste de sous-secrétaire d'état à la sous-merde, qui est une de ses grandes spécialités, comme on sait...

A condition qu'il sache encore lire, on ne peut que lui conseiller l'article que viennent de publier, dans le Monde, Stéphane Beaud et Gérard Noiriel.

Cet article, intitulé Le retour du refoulé, par une analyse complète de la séquence de la blague auvergnate, démonte avec un sérieux impressionnant l'argument de la sortie du contexte, et, au final, replace le bon mot hortefien dans son véritable contexte, celui créé par "la politique identitaire mise en œuvre par le candidat de l'UMP lors des présidentielles de 2007."

Nous avons été nombreux à protester contre le ministère de l'immigration et de l'identité nationale, créé par Nicolas Sarkozy pour rallier les suffrages du FN, parce que nous étions convaincus que le simple fait d'associer les mots "immigration" et "identité nationale" ne pouvait que conforter les préjugés d'une partie de la population à l'égard des Français issus de l'immigration. Cette séquence vidéo confirme hélas nos inquiétudes.

L'UMP a fondé sa stratégie politique sur l'ethnicisation des rapports sociaux, ce qui aboutit à enfermer les individus dans leurs origines ou leur couleur de peau. La célébration de "nos petits Arabes" bien intégrés - auxquels on accorde un strapontin gouvernemental quand ils font partie de l'élite, afin qu'ils fournissent tous les brevets d'antiracisme dont le pouvoir a besoin - va de pair avec la stigmatisation de ceux d'entre eux qui appartiennent aux classes populaires. Ce sont les deux facettes de cette politique identitaire que donnent à voir les images diffusées par le site Internet du Monde.

vendredi 18 septembre 2009

Polémique incompréhensible

Pas de doute, ça doit vous faire un choc quand, à la sortie de votre chambre d'hôpital, on vous annonce, en vous tapant dans le dos, que vous êtes un sacré veinard: vous allez être le bénéficiaire de la deux mille cinq centième transplantation hépatique effectuée dans ce service.

Vous avez droit au tapis rouge. Il y a un animateur professionnel en smoking blanc avec des poches sous les yeux, et une voix de baratineur un peu vulgaire. Une troupe de danseuses avec des plumes greffées un peu partout accompagne votre chariot.

A l'entrée du bloc, le chirurgien vous colle une flute de Clairette des coteaux de Die dans les mains et vous invite à trinquer avec lui, en plaisantant sur le fait que c'est la dernière avant quelque temps. Et comme il est un peu lourd, il ajoute qu'on n'en met pas dans les perfusions parce que c'est fortement déconseillé par la Faculté.

Mais il ne veut pas perdre trop de temps: votre greffon vient d'arriver, il est tout beau, tout frais, une occase, comme neuf, un kilo huit cent cinquante, je sais, il y a un peu plus, mais je laisse, hein...

Il vous le montre pendant que l'infirmière en chef pyrograve dessus un beau 2500, accompagné de la date. Il complète avec sa signature et l'anesthésiste insiste pour faire de même.

Vous vous réveillez plus tard, dans un sacré coltard.

Vous avez un nouveau foie, mais vous ne savez pas trop quoi en faire.

Pendant la transplantation, le ménage continue.

Au lieu de se contenter d'une petite fête sympathique à la bonne franquette, la direction du Centre hépato-biliaire de l'hôpital Paul Brousse, à Villejuif, a vu beaucoup plus largement communiquant en invitant tous les greffés. Dans le Monde, le chirurgien René Adam affirme:

"Nous avons voulu faire une fête conviviale, qu'il ne faut pas détourner. Nous avons invité tous les greffés, pour célébrer une réussite médicale rare".

Et pour communiquer davantage, le Barnum Sarkus a lui aussi été invité.

Succès médiatique garanti.

Mais le but recherché étant d'attirer l'attention de la population sur les besoins en dons d'organe, seul l'avenir, qui ne saurait tarder, nous dira si la venue de monsieur Sarkozy correspond à une hausse notable des dons.

Pour l'instant, on parle surtout de polémique...

En effet, greffer une visite présidentielle sur une réception "conviviale" est une opération de plus en plus aventureuse. Et nos grands patrons du Centre hépato-biliaire ont sous estimé les risques de rejet.

Les premiers signes inquiétants sont venus du syndicat Sud:

Pour Patrice Thomas, délégué du personnel, la facture, "à la charge de l'hôpital", est vraiment trop salée : "200 000 euros", selon ses calculs. Soit "le salaire de huit infirmières pendant un an". Pour ce technicien, voilà qui est "scandaleux, en période de restriction budgétaire".

A en croire l'article paru dans l'Express:

L'assistance publique-Hôpitaux de Paris (AP-HP) réduit cependant le chiffre et annonce 156 000 euros. "Ce n'est pas Paul-Brousse qui règle la note, c'est nous, affirme l'AP-HP. Cette visite était prévue au budget depuis longtemps. Cette somme n'est d'ailleurs pas si importante si on prend en compte l'enjeu que représente la médiatisation autour du don et de la greffe d'organes en France."

Quelques anecdotes nous renseignent aussi sur les inévitables désagréments (doux euphémisme) qui accompagnent de manière inéluctable les déplacements de monsieur Nicolas Sarkozy. Les mesures de sécurité, qu'on voudrait nous faire accepter comme normales pour un chef d'état démocratique, ont empoisonné la vie d'un hôpital entier, que cela soit celle des personnels, des malades ou des proches des malades.

Les mécontents ont bien sûr été tenus à l'écart.

Cela va de soi.

Quant à la grande opération de communication sur le don d'organe, l'AP-HP en sera pour ses frais. Ce qui a surtout été retenu de cette visite est une sortie assez convenue du président à propos de la polémique qui a précédé son déplacement:

"Je trouve particulièrement incompréhensible qu'il puisse y avoir la moindre polémique liée à la présence du président de la République au milieu des greffés, au milieu des équipes médicales, parce ce que ce qui serait scandaleux, c'est que je n'y sois pas."

On peut trouver que ce serait aussi bien qu'il n'y soit pas.

Non ?

Et avant de faire quelques annonces que j'ai déjà oubliées et que vous, qui avez encore de la mémoire, aurez oubliées demain, il a ajouté:

"J'ai beaucoup de peine pour ceux qui font des polémiques, ils doivent être si malheureux dans leur vie qu'ils ne comprennent pas les enjeux."

Il a beaucoup de peine ! Mais ne vous faites pas de bile, ça lui passera.

jeudi 17 septembre 2009

Défenseur générique universel

C'est probablement sans rire que monsieur Luc Chatel, porte-parole du gouvernement, par ailleurs ministre de l'Education nationale et amoureux de l'orthographe, annonce que la création envisagée d'un "Défenseur des Droits" constitue "une véritable révolution en matière de protection des libertés".

Monsieur Luc Chatel, fort souriant au demeurant, n'a pas le profil requis pour faire un doigt d'honneur en se marrant comme une baleine.

Question de style...

Et pourtant, lorsque l'on regroupe sous cette appellation générique à large spectre de "Défenseur des Droits", aux attributions prétendument élargies, les missions assurées actuellement par la Défenseure des enfants, par le médiateur de la République et par la Commission nationale de déontologie de la sécurité, on peut être fier de son coup.

La suppression de fait de l'Autorité indépendante chargée de défendre et de promouvoir les droits de l’enfant, est une mesure qui, au temps de mes premières indignations, aurait été qualifiée de "scélérate".

Et ce n'est pas parce que le mot est tombé en désuétude qu'elle ne l'est pas.

Madame Dominique Versini, Défenseure des enfants.

C'est madame Dominique Versini qui, je crois, a attiré l'attention sur cette mesure, par un communiqué à la presse daté du 15 septembre.

Comme je pense que madame Versini défend très bien sa fonction et son action, je vous renvoie à sa page internet.

Elle a été suivie par un grand nombre d'associations qui se sont associées à sa protestation. On y retrouve la LDH, Amnesty International France, RESF, et bien d'autres à venir...

Parmi les réactions, je vous recommande le billet de madame Claire Brisset, qui a précédé madame Dominique Versini au poste de Défenseure des enfants.

Illustration de l'article de Claire Brisset sur Youphil.com


PS: Je ne vous l'avais jamais dit, mais j'ai un beau-frère qui dans son genre est assez générique et à large spectre. Je le soupçonne fort d'avoir posté un commentaire bien senti à la suite de la brève du Monde qui informait de la création de ce poste de défenseur attrape-tout:

Médiateur de la République, CSA, HALDE, CNDS, Défenseur des enfants, Contrôleur général des Libertés,.... combien encore de postes allait-on encore créer sur mesure pour des hauts fonctionnaires ? on ne va pas se mobiliser pour les droits acquis de trois péquins qui coûtent cher à l'Etat... là, c'est une mesure qui les met en demeure de réintégrer leur corps d'origine ou de retourner devant le suffrage universel. attendons la suite avec la réforme des collectivités territoriales !

C'est un citoyen qui pense loin, mon beau-frère.

Il aime vivre en Sarkozie.

Post-PS du 18/09/09: Une pétition de soutien est en train de se mettre en place.

Coordination des soutiens pour un Défenseur des enfants indépendant

Le 6 mars 2000, le Parlement a voté la création d’un Défenseur des enfants, autorité indépendante chargée de défendre et promouvoir les droits fondamentaux des enfants posés dans la Convention internationale des droits de l’enfant que la France a ratifiée en 1990.

Depuis 9 ans cette institution représentée successivement par Claire BRISSET puis par Dominique VERSINI est intervenue comme un médiateur interinstitutionnel pour plus de 20.000 enfants dont les droits n’étaient pas respectés par une administration ou une personne privée ou pour les enfants qui n’avaient pas de droits reconnus. Elle s’est aussi imposée comme une force constructive de proposition législative et réglementaire et parfois d’interpellation auprès des pouvoirs publics.

Au moment où dans le monde entier, se préparent les célébrations du 20ème anniversaire de la Convention internationale des droits de l'enfant, la France ne peut pas être le pays qui supprime son institution indépendante « Défenseur des enfants ».

Tous les enfants et adolescents vivant dans notre pays ont le droit d’avoir accès à un Défenseur indépendant et consacré à la défense et à la promotion de leurs droits fondamentaux.

J’apporte mon soutien au maintien d’un Défenseur des enfants indépendant.