jeudi 24 septembre 2009

Mur de la honte nationale

Quand on est, comme madame Natacha Bouchart, maire de la ville de Calais, on peut se permettre d'affirmer, sans citer aucun chiffre à l'appui de ses dires, que «ces dernières semaines, les atteintes graves aux Calaisiens de la part des migrants avaient augmenté» et l'on est reprise par le Figaro, qui ne va pas chercher de preuves à cette affirmation.

On peut aussi, au pied des pelleteuses en action dans la "jungle" de Calais, exprimer, avec une indécence certaine, «son grand soulagement», car

«On ne pouvait plus supporter cette situation de non-droit. Nous ne pouvions pas accepter de vivre comme ça en permanence».

A peine trouvera-t-on qu'elle "aura peut-être à cet instant manqué de tact sur la forme" pour reprendre l'expression de É. A., qui signe l'article de la Voix du Nord... Et l'on passera très vite à ses allusions prometteuses concernant l'avenir:

«Nous avons des propositions de développement sur cette zone», a-t-elle, en tout cas, promis. Et de rappeler qu'«il faut prendre en compte les deux problématiques». L'humanitaire («Jamais il n'y a eu autant pour les associations») et le reste... L'économique, notamment. «Les échanges avec les Britanniques doivent continuer de se faire», a-t-elle conclu.

(Eh oui ! madame Natacha Bouchart, relayée par la Voix du Nord, ça décoiffe et ça n'éclaire pas beaucoup...)

Un conseil municipal éclairé et bien coiffé, celui de Calais.

Il ne semble pas que les projets de madame Bouchart sur cette zone, où les abris, les buissons et les arbres ont été rasés («Ils repousseront», a assuré le préfet. «Il ne s'agit pas d'une zone protégée.») , comporte la moindre intention de marquer la mémoire de ce que fut ce lieu.

Mais je soupçonne Madame Bouchart de ne pas apprécier l'initiative prise par son collègue de Billère, dans l'agglomération paloise, de faire recouvrir la façade d'une salle communale d'une fresque "destinée à rappeler le souvenir des enfants expulsés du département avec leurs parents étrangers en situation irrégulière".

Le "mur des expulsés" a été inauguré le 5 septembre par monsieur Jean-Yves Lalanne, maire de Billère, en présence de madame Martine Lignières-Cassou, députée-maire de Pau, et de madame Isabelle Larrouy, porte parole de RESF 64.

«Cette fresque est désormais là pour rappeler ces enfants et ces familles expulsés, pour effacer notre honte qu’un gouvernement mène cette politique au nom de notre République. Nous affirmons ainsi que nous sommes les plus nombreux à dire plus jamais ça et que nous ne lui donnons pas le droit de bafouer nos valeurs fondamentales» a affirmé Jean-Yves Lalanne.

Jean-Yves Lalanne ne cache pas que son "idée est d'entraîner d'autres maires de France à créer des lieux de mémoire ou de lutte, qui rappellent aux citoyens que des familles sont en danger en France, que RESF existe et se bat au quotidien auprès des enfants et de leurs parents sans-papiers, que des élus se joignent à se combat, et refusent l'inacceptable."

Il se doute bien qu'il ne sera pas suivi par tout le monde...

Essais de dégradations d'origine contrôlable.

Lors de l'inauguration, une quinzaine d'opposants qui se présentent eux-mêmes comme des "identitaires béarnais", menés par le coordinateur aquitain du Bloc identitaire, Christophe Pacotte, ont tenu à marquer leur présence en scandant: «C’est la honte», «Lalanne, une chanson, t’es pas un bon maçon» et «Clandestins dehors»...

Comme ils sont très fiers de leur action courageuse face à une assemblée hostile, vous pourrez trouver leur récit sur bon nombre de sites affichant leurs sympathies pour cette mouvance. Je ne vous donne pas les liens, vous trouverez bien, et vous pourrez les noter dans vos favoris... Il n'est pas mauvais d'aller de temps en temps constater l'âcreté des humeurs où marinent ces braves gens si soucieux de faire bloc de leur identité.

Selon eux, leur intervention reçut un soutien non négligeable:

Et tandis que les élus socialistes continuaient leurs discours, trois des sept conseillers municipaux UMP de Billère, parmi lesquels Nadine Eouzan, outrés eux aussi par ce «Mur des expulsés», venaient féliciter les identitaires pour leur action.

Les élus UMP ont peut-être démenti... Auquel cas je n'en ai pas trouvé la trace dans la presse locale.

"Mur de la honte", pour les identitaires bordelais.

Monsieur Philippe Rey, préfet des Pyrénées-Atlantiques, est bien connu pour son zèle. On se souvient peut-être qu'en 2008, "pour mieux garantir l’expulsion d’une famille de Kosovars, Philippe Rey a loué un avion de tourisme, à qui il a ordonné de mettre le cap sur Pristina."

L'existence de cette fresque ne pouvait que perturber son sommeil de grand serviteur de l'idéal républicain. Après réflexion, que j'imagine intense, il a intenté un recours devant le tribunal administratif de Pau, arguant de sa mission de contrôle de légalité des actes des collectivités territoriales. Son recours porterait sur trois points: le défaut de transmission d’une délibération relative à cette initiative, l'absence de déclaration préalable de travaux et l’utilisation du mur d’un bâtiment public pour un objet autre que l’intérêt communal.

Monsieur Jean-Yves Lalanne se rendra donc à la convocation devant le tribunal administratif le 1er octobre.

Il n'aura pas le soutien des élus UMP de Billère, qui ont pu s'exprimer au cours du conseil municipal d'hier soir, et dont les propos sont largement relayés par le Sud-Ouest de ce jour:

«Le maire représentant de notre commune a pris une décision de manière arbitraire, unilatérale, au mépris de la démocratie participative. Cela n'a rien d'une démarche humaniste, c'est une peinture militante, de propagande politique, réalisée au mépris des règles administratives. L'argent des contribuables ne doit pas être utilisé à des fins politiques», a notamment déclaré Nadine Eouzan (UMP).

Un argumentaire qui s'éloigne un peu de celui que l'on peut trouver sur le tract des identitaires aquitains.



PS:Le mouvement des jeunesses identitaires lyonnaises peut lui aussi être fier de son coup: en cherchant à intimider la bibliothèque du 4ème arrondissement de Lyon pour dénoncer une «collaboration entre un établissement public et une organisation d’extrême gauche soutenant des délinquants en situations irrégulière», autrement dit l'accrochage de l'exposition Les chiffres ont un visage du photographe Bertrand Gaudillère, il assure à cette exposition sur la condition des sans-papiers une ouverture médiatique inattendue.

4 commentaires:

N°D-503 a dit…

Sur TOULOUSE la suite du feuilleton .

Le 24/09/2009 à 18:39

Un juge des libertés et de la détention (JLD) du tribunal de Toulouse a ordonné jeudi la remise en liberté de 15 migrants transférés au centre de rétention de Cornebarieu (Haute-Garonne) après leur évacuation de la "jungle" de Calais, a-t-on appris auprès de leurs avocats.

Le parquet a aussitôt fait appel de cette décision, selon Me Ludovic Rivière, l'un des quatre avocats commis d'office pour défendre ces 15 migrants, 13 Afghans, un Pakistanais et un Iranien, arrivés mercredi soir au centre de rétention administratif (CRA) de Cornebarrieu (banlieue de Toulouse), en compagnie de 15 autres migrants de Calais.

Les quatre avocats ont contesté la régularité de la procédure, arguant de "l'atteinte aux droits de la défense" et "l'exercice illégal du droit".

"Pourquoi les envoie-t-on à Toulouse alors qu'il y a de la place dans les CRA du Nord-Pas-de-Calais?", s'est interrogé Me Sylvain Laspalles soulignant à l'audience qu'"il y avait pourtant de la place dans les CRA de Lille et Coquelle pour les 99 interpellés dans +la jungle+".

"Je ne suis pas Candide, c'est pour les couper de leurs soutiens associatifs et de leurs avocats", a-t-il déploré, regrettant ainsi qu'on ait "voulu rendre très difficile les droits de la défense".

Pour Me Agnès Prado, "les migrants, qui ont effectué 14 heures (d'autocar) alors que leurs dossiers sont arrivés en avion, n'ont pas été en mesure d'exercer leurs droits". Elle a ainsi contesté "leurs conditions de rétention avant le transfert à Toulouse".

Dans un communiqué, la Cimade demande "la libération immédiate" des personnes arrêtées et juge "inacceptable" que "ces personnes venues chercher asile et protection soient menacées d'être renvoyées en Afghanistan, un pays en guerre".

Vendredi, les 15 autres migrants arrivés au CRA de Toulouse après la fermeture de +la jungle+ de Calais, décidée par le ministre de l'immigration Eric Besson, seront entendus par le JLD.

Les 130 migrants majeurs interpellés lors de la fermeture des campements de migrants clandestins ont été transférés vers des centres de rétention du sud de la France, notamment à Marseille, Nîmes, Lyon et Toulouse.

Les 125 mineurs interpellés ont quant à eux été placés dans des centres d'accueils spécialisés dans le Pas-de-Calais et dans l'est de la France.

Guy M. a dit…

Les avocats ont fait leur boulot...

On peut trouver le communiqué de la Cimade à cette adresse:
http://www.cimade.org/communiques/1845-Evacuation-de-la----jungle----de-Cala

JBB a dit…

Je ne sais pas si c'est une impression. Mais j'ai le fichu sentiment, depuis un moment, que les identitaires, et autres nationalistes de toutes obédiences (antisémites à la Dieudo, chiites extrémistes et nouveaux national-socialistes), se sentent pousser des ailes. Et la tolérance d'une partie de la "droite classique" (ainsi que le montre bien la réaction des élus ump lors de l'inauguration) ne fait que les encourager.

Guy M. a dit…

On sent bien une certaine agitation de ce côté-là. Pas très adroite, certes, il ne faut pas trop en demander, mais assez pour trouver un écho chez monsieur francais-moyen, rendu encore plus perméable à ce discours par le spectacle d'une certaine décontraction des "classiques".