Pas de doute, ça doit vous faire un choc quand, à la sortie de votre chambre d'hôpital, on vous annonce, en vous tapant dans le dos, que vous êtes un sacré veinard: vous allez être le bénéficiaire de la deux mille cinq centième transplantation hépatique effectuée dans ce service.
Vous avez droit au tapis rouge. Il y a un animateur professionnel en smoking blanc avec des poches sous les yeux, et une voix de baratineur un peu vulgaire. Une troupe de danseuses avec des plumes greffées un peu partout accompagne votre chariot.
A l'entrée du bloc, le chirurgien vous colle une flute de Clairette des coteaux de Die dans les mains et vous invite à trinquer avec lui, en plaisantant sur le fait que c'est la dernière avant quelque temps. Et comme il est un peu lourd, il ajoute qu'on n'en met pas dans les perfusions parce que c'est fortement déconseillé par la Faculté.
Mais il ne veut pas perdre trop de temps: votre greffon vient d'arriver, il est tout beau, tout frais, une occase, comme neuf, un kilo huit cent cinquante, je sais, il y a un peu plus, mais je laisse, hein...
Il vous le montre pendant que l'infirmière en chef pyrograve dessus un beau 2500, accompagné de la date. Il complète avec sa signature et l'anesthésiste insiste pour faire de même.
Vous vous réveillez plus tard, dans un sacré coltard.
Vous avez un nouveau foie, mais vous ne savez pas trop quoi en faire.
Au lieu de se contenter d'une petite fête sympathique à la bonne franquette, la direction du Centre hépato-biliaire de l'hôpital Paul Brousse, à Villejuif, a vu beaucoup plus largement communiquant en invitant tous les greffés. Dans le Monde, le chirurgien René Adam affirme:
"Nous avons voulu faire une fête conviviale, qu'il ne faut pas détourner. Nous avons invité tous les greffés, pour célébrer une réussite médicale rare".
Et pour communiquer davantage, le Barnum Sarkus a lui aussi été invité.
Succès médiatique garanti.
Mais le but recherché étant d'attirer l'attention de la population sur les besoins en dons d'organe, seul l'avenir, qui ne saurait tarder, nous dira si la venue de monsieur Sarkozy correspond à une hausse notable des dons.
Pour l'instant, on parle surtout de polémique...
En effet, greffer une visite présidentielle sur une réception "conviviale" est une opération de plus en plus aventureuse. Et nos grands patrons du Centre hépato-biliaire ont sous estimé les risques de rejet.
Les premiers signes inquiétants sont venus du syndicat Sud:
Pour Patrice Thomas, délégué du personnel, la facture, "à la charge de l'hôpital", est vraiment trop salée : "200 000 euros", selon ses calculs. Soit "le salaire de huit infirmières pendant un an". Pour ce technicien, voilà qui est "scandaleux, en période de restriction budgétaire".
A en croire l'article paru dans l'Express:
L'assistance publique-Hôpitaux de Paris (AP-HP) réduit cependant le chiffre et annonce 156 000 euros. "Ce n'est pas Paul-Brousse qui règle la note, c'est nous, affirme l'AP-HP. Cette visite était prévue au budget depuis longtemps. Cette somme n'est d'ailleurs pas si importante si on prend en compte l'enjeu que représente la médiatisation autour du don et de la greffe d'organes en France."
Quelques anecdotes nous renseignent aussi sur les inévitables désagréments (doux euphémisme) qui accompagnent de manière inéluctable les déplacements de monsieur Nicolas Sarkozy. Les mesures de sécurité, qu'on voudrait nous faire accepter comme normales pour un chef d'état démocratique, ont empoisonné la vie d'un hôpital entier, que cela soit celle des personnels, des malades ou des proches des malades.
Les mécontents ont bien sûr été tenus à l'écart.
Quant à la grande opération de communication sur le don d'organe, l'AP-HP en sera pour ses frais. Ce qui a surtout été retenu de cette visite est une sortie assez convenue du président à propos de la polémique qui a précédé son déplacement:
"Je trouve particulièrement incompréhensible qu'il puisse y avoir la moindre polémique liée à la présence du président de la République au milieu des greffés, au milieu des équipes médicales, parce ce que ce qui serait scandaleux, c'est que je n'y sois pas."
On peut trouver que ce serait aussi bien qu'il n'y soit pas.
Non ?
Et avant de faire quelques annonces que j'ai déjà oubliées et que vous, qui avez encore de la mémoire, aurez oubliées demain, il a ajouté:
"J'ai beaucoup de peine pour ceux qui font des polémiques, ils doivent être si malheureux dans leur vie qu'ils ne comprennent pas les enjeux."
Il a beaucoup de peine ! Mais ne vous faites pas de bile, ça lui passera.
6 commentaires:
Pour un peu, j'aurais envie d'une transplantation (quoique… non, en fait), pour bénéficier du traitement privilégié que tu décris dans la première partie du billet : danseuses à plumes et clairette, je signe tout de suite !
Je ne sais pas quel millésime va être célébré en grande pompe maintenant...
Tu peux tenter ta chance, mais pour trouver un foie comme le tien (dimensions, poids et... contenance), ça va être duraille.
Et pendant qu'on cause de ça à la populace, on ne lui cause pas du reste…
Il y a dans cette opération de communication arrangée par les grands patrons une marque de servilité assez écœurante.
Rien ne les empêchait de faire leur réception en mettant en avant les difficultés rencontrées par notre système de santé.
Moi je suis POUR cette fête, un peu lourde, un peu chère, mais qui a permis à l'inconscient de notre président d'exprimer le fond de sa pensée en parlant de, je cite: "greffe de la foi"(vidéo visible sur Daily Mation).
Je savais bien qu'il finirait par faire des "mots d'enfant" tout à fait adorables...
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