lundi 31 mai 2010

Une autre Afrique possible

N'était son coûteux gigantisme, cela pourrait être un monument à la gloire de la culture physique.

Le monument, photographié en travaux,
et de travers.


Le monument de la Renaissance Africaine, que le président sénégalais, monsieur Abdoulaye Wade, dit avoir conçu, et qu'une escouade d'ouvriers nord-coréens a édifié sur une colline près de Dakar, a été inauguré au début du mois d'avril 2010.

Et l'on peut se demander, en contemplant ce pesant groupe allégorique, si l'Afrique, pour figurer sa Renaissance, avait vraiment besoin d'oublier à ce point les belles leçons d'équilibre de lignes et de volumes que les modestes sculpteurs de ses plus humbles villages ont données au monde, quand le monde a bien voulu ouvrir les yeux sur leurs œuvres ?

Il n'est pas certain que cet enfant entre dans l'histoire de l'art.

C'est par l'évocation de ce que prétend symboliser ce monument de la Renaissance africaine que s'ouvre le texte mis en ligne par le FORAM (Forum pour un autre Mali), à l'occasion du cinquantenaire des indépendances africaines.

1960 – 2010
Dakar, l’homme africain, la France
et le cinquantenaire

50 ans d’ingérence et de mépris
ça suffit !

(On peut le lire ici, sur le site du FORAM, ou là, sur le site de 1000 Babords, et signer la pétition à cette adresse.)

La lecture de ce texte, rédigé par des africain(e)s engagé(e)s et conscient(e)s, s'impose au moment où le "25e sommet Afrique-France s'ouvre à Nice* sous le signe du 'renouveau'", pour reprendre le titre du journal Le Monde, qui ne va pas jusqu'à parler de "renaissance".

La renaissance, s'il y avait une, ce serait celle de la Françafrique, évidemment...

Mais une Françafrique "moralisée", avec autant d'efficacité et de rigueur que le capitalisme le fut, souvenez-vous, par monsieur Sarkozy.


* Nice, où est arrivée dimanche la marche des sans-papiers.

Les CRS étaient arrivés avant eux,
et s'ils sont reçus, ce sera par eux.
(Photo Richard Ray et Vincent Bellanger, Nice-Matin.)

Une passante

Elle passait dans l'escalier, en voisine...

Parfois elle y laissait un petit mot, d'une étonnante justesse, ou d'une étrange poésie.

Sans la connaître, je lui prêtais volontiers le sourire de ceux qui savent que si la vie est tragique, point n'est besoin d'en rajouter en la prenant vraiment au tragique.

Et j'apprends ce matin que son sourire s'est éteint.

La nuit fait son noir et ses bruits, je me demande
(Ah, comme tu es loin !) comment tu as dormi
Après des jours de souffrance ?
J'espère
(Quel drôle de verbe qui me vient)
Que tu as pu penser
A revoir la maison bientôt, la chatte que tu aimais, des visages, tout,
Avant que tu t'endormes.
Quelqu'un t'a regardée dans ce dernier sommeil.
(On n'entend plus rien.)

(James Sacré, Une petite fille silencieuse, 2001, André Dimanche Éditeur.)

Petite fille ?

Qui sait quel âge on a vraiment, quand on vous ferme les yeux ?

dimanche 30 mai 2010

Quelque chose de familier

En matière de commentaire littéraire, je n'ai jamais été très bon; et quand il s'agissait de poésie, j'avais, et j'ai toujours, tendance à trancher: Lisez, et si ça ne vous dit rien, passez à autre chose; et n'en dégoutez pas les autres.

Dans les articles critiques, je saute au-dessus des présentations, paraphrases et gloses savantes pour picorer les citations, et parfois - et ceci rassurera les critiques littéraires - j'emprunte le livre dans une bibliothèque.

Une fois, cela commençait ainsi:

A travers des arbres qui sont des érables le beau temps va les fleurir en rouge
quelqu'un a promené longtemps l'histoire
d'un amour qui s'en va minuscule avec
de grands gestes comme une fureur et la mélancolie la voilà partout
le paysage éteint son bleu dans l'herbe dure.
Est-ce que l'amour brille pas quand même ? un village ancien
(tuile et des pruniers) s'emmêle à la couleur ensoleillée des maisons
poème comme une colère avec la joue tendre
ça fait
qu'on marche on sait pas où par exemple un pied
dans la Nouvelle Angleterre l'autre au Poitou.

Je n'ai eu aucune envie de passer à autre chose, et, "un pied / dans la Nouvelle Angleterre l'autre au Poitou", j'ai continué d'avancer dans cette poésie qui me disait quelque chose de familier...

Le vert qui devient plus vert des pelouses
d'en parler dans un poème c'est tellement
banal je sais bien
mais
si ça fait plaisir parce que
voilà qu'on croirait l'expérience montrée d'un cœur
(tant de vert avant l'orage
et la solitude qui attend des maisons c'est

à nouveau les arbres défaits d'un pays d'enfance lesquels sont comme
d'anciennes photos cornées qu'on distingue plus
si c'est de la pluie ou l'impression mal jaunie sur le papier
qui fait l'image empruntée de silence à peine reconnaissable)
si quand même ça fait plaisir est-ce que
c'est pas suffisant pour qu'on essaie d'un poème ?

Ces poèmes me disaient bien sûr la familiarité d'un "pays d'enfance" qui n'est pas si éloigné du mien, dans le temps et dans l'espace - James Sacré est né en 1939, en Vendée, où il a passé son enfance.

Je pense à un village où c'était que des fermes que des gens
à travailler tous les jours dans les champs dans
les cours les bâtiments qu'on y chapuse;
plus loin après l'espace que peut mesurer par exemple une pluie
d'autres villages pareils puis les chemins
deviennent une route on arrive au bourg qui a encore

des paysans mieux convenablement mis,
avec des granges prises dans la compacité urbaine;
dans ce village auquel je pense est-ce que c'était
comme une espèce de liberté ou seulement la pauvreté une habitude
qui faisait qu'on portait longtemps le même gilet déchiré
et des guenilles pour avoir les pieds canigés bien dans les bottes ?

Et tant pis si l'on butte quelquefois sur des manières d'un parler pas très parisien.

Y m'en vas dans le mot paysan façons d'écrire qu'on maîtrise mal
te t'en vas le s'en va comme si

t'effeuillais les choux un matin le temps
renfourne dans l'insignifiance au loin son froid avec la fatigue;

on a été un paysan ça veut dire quoi plus
qu'un mot on l'a depuis longtemps quelque part comme

un caillou dans sa botte ça gêne un peu aussi

te peux jouer avec, o m'arrive en tout cas, o fait
comme un cœur sali entre les orteils.

James Sacré, au Salon du Livre de Paris, en 2010.

Ces quatre extraits sont tirés du livre de James Sacré, Quelque chose de mal raconté, publié en 1981 aux éditions Ryôan-ji - qui ne sont autres, sauf erreur de ma part, que les édition André Dimanche .

Il s'agit bien du premier livre de James Sacré que j'ai lu, après l'avoir emprunté à la "médiathèque" municipale. C'était il y a une vingtaine d'années, et je ne compte plus le nombre de libraires qui m'ont promis de l'obtenir, le trouvant encore "disponible" sur leur base de données...

Aucun n'a réussi.

Après avoir hésité à le voler à la "médiathèque", j'ai jugé préférable de le photocopier avant de le remettre dans les rayons.

Je ne sais pas si monsieur André Dimanche, qui est un honorable éditeur, mesure à quelles extrémités, à la limite de l'illégalité, il m'a réduit en ne réimprimant pas, ainsi qu'il devrait le faire de toute urgence, ce livre qu'on lui a confié.

A sa place, je me sentirais la conscience bien chargée...

Il faut attraper au vol les livres de James Sacré, car, s'il a publié, à ses débuts, chez Gallimard et au Seuil, il semble préférer donner ses textes à des éditeurs de poésie, qui sont aussi ses amis - mais cela ne devrait pas l'empêcher de tancer d'importance ce monsieur André Dimanche. Les tirages sont donc assez limités, n'envahissent pas les tables des marchands de papier imprimé en gros, et tardent à être réimprimés, quand ils le sont.

Vous ne pourrez dons pas trouver Quelque chose de mal raconté, mais vous pourrez trouver, chez votre libraire, d'autres livres de James Sacré, tel le très beau Portrait du père en travers du temps, qui est paru en 2009, aux éditions La Dragonne.

Pour votre libraire: ISBN : 978-2-913465-63-3
Lisez-le et si ça ne vous dit rien...

Ce recueil, illustré de cinq lithographies couleur de Djamel Meskache - peintre, mais également "patron" des éditions Tarabuste -, regroupe des poèmes écrits par James Sacré au fil des années depuis 2001, depuis la mort de son père.

Si je crois pouvoir penser
Te garder vivant dans ces mots

C'est évidemment pas vrai, c'est
Que du plaisir ou de la peine
Qu'on entendra dans mon poème, ça n'est que moi

Qui reste vivant.
Tes derniers gestes vers mes yeux

Pour mettre ensemble nos cœurs silencieux
S'ils pensaient pas déjà
A cet aujourd'hui sans toi ?

(aéroport de Genève, 22 mars 2001)

Dans ce livre aussi, je retrouve quelque chose de familier, qui est pourtant quelque chose de difficile à raconter, mais qu'on ne saurait autrement dire que dans le trébuchement des mots et le boitement des rythmes.

Un peu comme cela, peut-être:



samedi 29 mai 2010

Mentions spéciales

Il n'est pas impossible qu'en un conseil de professeurs, un participant gaffeur ait lâché, à la fin de l'examen minutieux du cas de l'élève Alex Türk, qu'on pouvait en confiance l'admettre en classe supérieure, parce qu'à l'évidence il avait "une bonne tête, ce Türk !"

Ce type de jugement n'était pas rare à l'époque, qu'il soit volontaire ou non. Les plus mémorables d'entre eux constituaient une anthologie qui participait de manière essentielle à la "culture d'établissement". Les appréciations piquantes et les bourdes célèbres y voisinaient avec les fameux motifs de retenue qui atteignaient parfois à la pure poésie. Telle cette mention motivant, au début des années 1960, une "colle" à l'internat d'un lycée où j'eus l'honneur d'exercer: "Pète au dortoir comme on pète en rase campagne".

L'art de péter au dortoir est, hélas ! tombé en désuétude... Quant à celui de péter en rase campagne, il semble toujours pratiqué bien que notre écocitoyenneté nous recommande de contrôler sévèrement nos émissions de méthane.

Dortoir avec vue sur la rase campagne.

Monsieur Alex Türk, président de la CNIL (Commission nationale de l'informatique et des libertés), a été cette année l'heureux élu des Big Brother Awards France, dans la catégorie "Mention spéciale" qui "distingue épisodiquement un candidat qui n’a pas obtenu le prix dans sa catégorie mais que le jury tient tout de même à récompenser", avec l'appréciation suivante:

[Prix Spécial du Jury 2000-2010.] Pour tromperie et dissimulation. Alex Türk endosse les habits du défenseur tout terrain de la vie privée et des libertés alors qu’il en est parfois le fossoyeur et souvent le facilitateur.

Cette appréciation globale est suivie d'un exposé des motifs qui, tout en admettant que "la CNIL dans son ensemble aurait pu être nominée", tient à rendre "à Türk ce qui est à Türk" et détaille les points forts de son action de diversion complaisante à la tête de la Commission.

Les qualités de monsieur Alex Türk l'ont également classé parmi les concurrents de la catégorie "Orwell Novlang", où on lui a préféré monsieur Brice Hortefeux, ministre de l'Intérieur. Son dossier de candidature est néanmoins très honorable dans la catégorie. On pourra y découvrir quelques extraits méritant de figurer dans une anthologie de la "novlangue pur jus".

Monsieur Alex Türk sourit,
car il sait bien, lui, qu'il est vidéosurveillé.

Selon le jury des Big Brother Awards France, monsieur Alex Türk serait

"celui qui affirme que la CNIL protège les libertés des citoyens, des enfants, des salariés, des immigrés, tout en avouant se contenter de veiller au respect d’obligations légales dont il dénonce parfois l’insuffisance (lorsqu’il a besoin de redorer l’image de l’autorité pour justifier l’augmentation de son budget)."

Je ne sais pas si l'opération "coup de poing" et "poudre aux yeux" lancée par la CNIL le 27 mai lui permettra d'obtenir une substantielle "augmentation de son budget", mais elle aura au moins permis de faire entendre à l'opinion que la Commission existait encore, et qu'elle était encore capable de faire résonner les tambours et les trompettes médiatiques, tout en jouant son petit air de pipeau.

On pouvait donc lire:

Le 22 avril 2010, la formation contentieuse de la CNIL a décidé d'adresser un avertissement public à l'encontre de la société AIS 2, exerçant sous l'enseigne ACADOMIA. Cette société, spécialisée dans la mise en relation d'enseignants avec des parents d'élèves, a fait l'objet d'un contrôle sur place en novembre 2009. Ce contrôle a permis de relever, parmi d'autres manquements à la loi "informatique et libertés", la présence dans ses fichiers de milliers de commentaires excessifs, voire injurieux, tels que "gros con", "saloperie de gamin", "cancer du poumon tant mérité" ou encore " élève retourné en prison". Ces commentaires concernent des enseignants, des parents ou des élèves.

Le lecteur, par l'odeur alléché, pouvait découvrir de nouveaux commentaires aussi appétissants dans le corps de l'article, et plus encore dans le texte de la délibération n°2010-113 du 22 avril 2010 qui en propose un assortiment à déguster avec indignation, et un filet de jus de citron.

La société AIS2 reverra ses méthodes de travail, apprendra à ne pas laisser trop longtemps ce type de mention sur le fichier de l'entreprise, mettra au point un mode de communication privé de ces renseignements, ou reviendra à la bonne vieille technique des dossiers papier étoilés de post-it aussi amovibles que confidentiels.

Quant à "l'enseigne Acadomia", elle continuera à faire son abattage sur le soutien scolaire et continuera à nous faire croire qu'elle "croit au potentiel de chaque enfant".

Contrairement sans doute aux membres de l'Éducation Nationale, trop occupés à renseigner les fichiers (irréprochables, forcément irréprochables) de leur administration, également lauréats des Big Brother Awards France 2010, dans la catégorie "Orwell État & Élus", avec cette mention:

Jamais une administration n’avait accumulé en si peu de temps de nouveaux fichiers nominatifs, de Base élèves (dès 3 ans) au "livret de compétences", en passant par ceux qui "décrochent" du système éducatif...

jeudi 27 mai 2010

Cette inusable patience

La psychosociologie à moindre frais et à très bas coût aime assez, en France, recourir à la notion de la nécessaire "figure paternelle" comme élément structurant de l'ordre politique et social. Bien que notre état républicain ne puisse honorer des "pères fondateurs" incontestables comme certains autres, nous nous flattons de posséder, dans la courte liste de nos présidents de la cinquième république, deux bonnes figures bien paternelles, voire paternalistes, en les personnes de Charles de Gaulle et de François Mitterand, le premier dans le genre héroïque, le second dans le genre florentin.

La puissance explicative du fameux "manque du père" est telle que la déploration consensuelle de la société sans pères et sans repères suffit à n'importe quel éditocrate, même peu talentueux, pour expliquer un vaste éventail de disharmonies sociales, allant de l'absentéisme scolaire aux émeutes des banlieues, en passant par la constitution de bandes dans les cages d'escalier et l'éthylisme géant des inscrits Facebook.

Assaisonnées de quelques tours de moulin à paroles d'un pseudofreudisme de dictionnaire des idées reçues, la dissolution de la figure paternelle dans la famille, ou pire encore, son absence, permettent de pointer et dénoncer les graves dangers qui, de nos jours, si l'on n'y prend garde, menacent la cellule sociale élémentaire que constitue la Famille.

(Pensez à certains débats sur les possibilités d'adoption par des couples d'homosexuels, où le retour aux "fondamentaux" de certains pouvait se résumer par: on a toujours besoin d'un vrai papa chez soi, sinon on devient schizophrène, c'est mon psy qui me l'a dit.)

Il est bien possible que nos compatriotes continuent d'ignorer encore longtemps qu'il y a, selon les cultures ou au sein d'une même culture, de multiples manières de fabriquer de la parenté et de la filiation. Cette ignorance, ou cette volonté d'ignorance, fait probablement partie de notre génie national.


Portrait de famille, où le père est absent.

Au regard de ce qui fait norme implicite, l'histoire* de Nadia et Mohamed n'avait rien de vraiment extravagant. Quand ils se sont rencontrés, Nadia s'occupait seule de son jeune fils Noufel, et après leur mariage, Mohamed a pris la décision de reconnaître Noufel, et de devenir son père.

Arrêté le 15 avril 2009, Mohamed, époux d'une française et père d'un enfant français, a été expulsé vers la Tunisie le 7 mai suivant.

Naturellement, puisqu'il était sans-papiers, chacun de ses actes, et particulièrement ce geste de reconnaissance en paternité, ont été disséqués, suspectés et interprétés à charge par une administration qui avait à répondre à une mobilisation forte et résolue autour de Nadia et Noufel, soutenus par le Réseau éducation sans frontières.

Ces insinuations, fausses révélations et contre-vérités, diffusées auprès des organes de presse par des "sources proches de l'enquête", ou ce genre, ne laisseront bientôt que le souvenir d'un immense dégoût.

Car depuis plus d'un an, le combat de Nadia et de ses amis du RESF pour le retour de Mohamed n'a pas faibli, fidèlement ponctué par les rassemblements hebdomadaires au kiosque de Montrouge, chaque vendredi soir, à 18h.

Le vendredi 2 avril, une excellente nouvelle arrivait enfin: une décision du Conseil d'État enjoignait au Ministère de l'Immigration et de l'Identité Nationale et le consulat de France en Tunisie de réexaminer la demande de visa de Mohamed.

Comme aucune tracasserie administrative ne saurait être épargnée à la famille Allouche, afin de bien éprouver sa patience, il aura fallu un mois et demi aux autorités tunisiennes pour renouveler le passeport de Mohamed, et le consulat de France à Tunis a besoin d'une bonne semaine pour y apposer, sans doute à contre cœur, le visa...

Demain soir, espérons-le, on pourra annoncer, au kiosque de Montrouge, la date et l'heure du retour de Mohamed chez lui, auprès de son épouse Nadia, et de son fils Noufel.


Noufel et Mohamed, ce père qui l'a choisi.

* Voir, au fil de ce blogue, les billets du 7 mai 2009, du 9 mai 2009, du 15 mai 2009, du 22 mai 2009 et du 9 juin 2009, et le blogue des soutiens à Nadia, Mohamed et Noufel...


Post-scriptum (29/05/2010):

Mohamed est bien arrivé vendredi soir à Montrouge.

Cliquer sur le bandeau pour accéder au compte rendu.

mardi 25 mai 2010

Une palette impressionnante

Le normands élevés au pur jus de pomme le savent bien, mais le monde en général l'ignore: Nous avons inventé l'Impressionnisme.

Et nous avons décidé de n'en être pas peu fiers.

"De juin à septembre 2010, plus de 200 événements culturels", nous dit-on, dévoileront au public local et au public d'importation, "l’impressionnisme sous toutes ses formes. Peinture, art contemporain, musique, cinéma, théâtre, danse, photographie, vidéo, littérature, conférences, son et lumière, déjeuners sur l’herbe, guinguettes…"

Ce grand événement culturel, qui devrait avoir "une dimension touristique, populaire et festive", sera lancé le 4 juin par l'ouverture au public de "l’exposition très attendue Une ville pour l’Impressionnisme, Monet, Pissarro, Gauguin à Rouen, proposée par le musée des Beaux-Arts de Rouen".

Je suis en train de négocier la vente de ma petite sœur pour obtenir un carton d'invitation au vernissage du soir précédent: je veux bien bouffer de l'impressionnisme pendant trois mois, mais sans l'arroser de temps en temps, cela risque de devenir étouffant...

Monsieur Auzou, chocolatier de son état, et établi en la rue du Gros (Horloge) à l'enseigne des Larmes de Jeanne d'Arc de Rouen, n'a rien contre le fait qu'on en boulotte et reboulotte, de l'impressionnisme, à s'en faire éclater la sous-ventrière : comme nous en informait notre fidèle Paris-Normandie, samedi dernier, il vient de lancer une "palette des impressionnistes"...

Cette création attire déjà les touristes
comme en témoigne ce cliché
dont on m'a fait cadeau à une terrasse voisine.

D'autres initiatives devraient suivre très rapidement. Le beau-frère de ma sœur, qui n'est pas le mien - il faut sans doute le préciser pour ceux de mes lecteurs qui traitent les structures de la parenté à la mode de Bretagne - , met au point actuellement, dans son restaurant de cochonnailles normandes, une "palette impressionniste à l'huile de lin flambée à la térébenthine", qui sera bien sûr servie avec "ses petits légumes du marché". Les premiers essais ne sont pas encore très concluants: trois clients sont devenus aveugles, le plat a explosé deux fois et toute l'équipe de cuisine est actuellement en garde à vue, mais le moral est bon.

Cette image vous permettra de localiser la palette.
Pour le restaurant, je vous donnerai l'adresse...

La survie s'annonce plutôt difficile pour les Rouennais qui digèrent mal la cuisine impressionniste.

Je ne saurais trop leur conseiller de profiter d'une occasion de changer radicalement de palette en prenant la route de Mont-Saint-Aignan, où l'air est bleu et vivifiant, pour se rendre à la Maison de l'Université. L'accès est désormais bien dégagé, la météo n'annonce pas de chute de neige avant quelques mois: les équipements spéciaux ne sont donc pas nécessaires.

Là, ils pourront voir l'exposition des huiles sur toile ou bois de Mathieu Colloghan, intitulée Peintures-Luttes, nouvelles peintures politiques fraîches (à l'huile), et accueillie jusqu'au 29 mai, au 2 place Emile Blondel. Bonne occasion d'apprécier en vraie grandeur son travail de peintre, dans un lieu un chouïa trop étroit, mais éclairé en lumière naturelle.


On peut se faufiler, quand même...
(Au fond, huile sur toile, à droite, huile sur bois.)

Comme je n'en suis qu'à mes débuts de blogueur critique d'art, je suis incapable de vous dire combien d'œuvres sont exposées, quelles sont leurs dimensions et à quel prix vous pouvez les acquérir. A vous de voir tout cela sur place.

Quant aux choses intelligentes que l'on peut dire sur cette peinture, vous les trouverez, dites par Mathieu Colloghan lui-même, dans l'entretien publié par Article XI, mené par les excellents JBB et Lémi, qui, contrairement à moi, ont perfectionné, en suivant de longues études d'œnologie, leur naturel talent pour poser d'intelligentes questions et obtenir d'intelligentes réponses.

Pour ma part, j'ai été frappé par la justesse et la perspicacité de cette remarque de Daniel Mermet, qui écrivait, le 13 mars 2010:

Depuis que les frères Van Eyck ont inventé la peinture à l'huile au XVe siècle, personne n'avait réussi à peindre les pavés aussi bien que Mathieu Colloghan.

Cela éclaire parfaitement cette structuration cubique réalisant un véritable pavage de l'espace pictural dans les tableaux de notre artiste. Mais j'irai même jusqu'à soutenir que la peinture de Mathieu Colloghan fonde, de manière exemplaire, l'esthétique du pavé dans "leur" gueule.

Et c'est en couleur...



PS: On peut visiter le Colloblog où Mathieu Colloghan présente ses tableaux, et, évidemment, Article XI, où il donne des chroniques aussi colorées que ses toiles.

dimanche 23 mai 2010

Ethique à géométrie variable

Dans un silence médiatique de mort, j'en arrive à me demander si je n'ai pas raté quelque chose, qui rendrait indéfendable le cas d'Ardy Vrenezi...

Et, pour résumer la situation, s'impose à moi un face-à-face exemplaire, en montage parallèle, avec deux personnages, un homme, une femme.

J'imagine que le premier, chaque matin, investit son bureau pour retrouver ses dossiers, rasé de frais et revêtu d'un costard-cravate de bonne coupe, mais sans ostentation. Fonction oblige. Ce titulaire d'une maîtrise de Droit a longtemps œuvré dans les cabinets, zone indécise entre politique et administration. On le présente souvent comme l'ancien "bras droit" de madame Bernadette Chirac, et depuis que la dame aux pièces jaunes a retrouvé l'usage de ses membres, il a intégré le corps préfectoral. Il administre maintenant une région, et, ainsi qu'il est écrit au grand livre de la Loi républicaine, il y est le principal représentant de l'État.

A la même heure, ou un peu plus tôt, j'imagine que la seconde enfile sa blouse blanche, en vérifiant la présence dans ses poches des bricoles nécessaires. Elle aussi va s'occuper de ses dossiers urgents ou "en souffrance": docteur en médecine, elle occupe un poste de pédiatre en milieu hospitalier, et ses dossiers à elle ont un visage, une voix, un sourire, et un regard qui se lève souvent vers elle, éclairé d'un increvable espoir. Cet increvable espoir de guérison qu'elle sait parfois être illusoire...


Non, ce n'est pas monsieur Bernard Niquet en visite...
Il s'agit d'un souvenir du passage de Docteur Sourire
en 2008, à Hospitalor Saint-Avold,
où travaille le docteur Isabelle Kieffer.

Le premier a décidé de l'expulsion d'Ardy Vrenezi, polyhandicapé de 15 ans, et de sa famille, et pour lui l'affaire est formellement close; la seconde a soigné Ardy avant qu'on l'arrête, et elle continue, maintenant qu'on l'a renvoyé au Kosovo, de prendre soin de lui.

Il y a là, assurément, une grande différence d'éthique professionnelle, ou encore, plus généralement, de sens de la responsabilité que l'on peut avoir à assumer face à un être humain dont la vulnérabilité est évidente.

Une copie byzantine du XIIe siècle du serment d'Hippocrate,
que l'on ne prononce pas dans la fonction publique.

Même si les témoignages qui nous parviennent ne sont pas revêtus de suffisamment de tampons ministériels, ou autres, pour avoir, au sens de la préfecture de Lorraine ou de "notre ambassade de France à Pristina", "valeur officielle ou juridique" (voir ici, ou encore là), nous savons maintenant que cette expulsion a eu pour conséquence la mise en danger de la vie d'Ardy.

Et, plus, nous savons que l'Administration, elle aussi, le sait.

N'est-ce pas ce qui transparait dans cette déclaration d'"une porte-parole de la préfecture", que j'ai déjà retranscrite, où l'on semble envisager, avec beaucoup de discrétion, la possibilité d'une issue fatale à l'expulsion d'Ardy dans un pays où les structures hospitalières ne peuvent prendre en charge convenablement l'évolution de sa maladie ? Comment autrement interpréter cet accent subitement mis sur la souveraineté de l'Etat kosovar ("Et l'Etat souverain du Kosovo a dit oui"), ou encore cette insidieuse mise en cause des parents d'Ardy ("La préfecture ne peut pas surveiller les faits et gestes des Vrenezi dans leur pays" ou "C'est à la famille de faire ce qu'il faut maintenant") ?

Ce risque, implicitement reconnu, a été dénoncé dès le début par le docteur Kieffer, et par le collectif de soutien pour le retour d'Ardy.

Et il me vient comme une envie de hurler, du fond de mon trou normand, devant cette misérable tentative de faire endosser à d'autres les conséquences du risque qui a été pris...

Image (simulée) des distorsions gravitationnelles
causées par un trou normand vers le Grand Nuage de Magellan.
(J'habite au centre, c'est pourquoi ma voix est si faible.)


Encore faut-il peut-être voir en cette tentative comme un reste de scrupule moral, avec une légère coloration d'hypocrisie, comme il se doit...

Car dans cette affaire, tout s'est passé comme s'il était de la responsabilité de hauts fonctionnaires de décider si une vie fragilisée par la maladie méritait d'être ainsi "risquée" dans une expulsion légale.

Cette considération aurait pu conduire nos philosophes de l'éditocratie à poser la question plus générale de savoir s'il entre bien dans les attributions de l'État, ou de ses représentants, de décider quelles vies sont dignes d'être vécues et protégées, et quelles vie ne le sont pas...

Ils ont dû juger que la question de l'interdiction (ou pas) des apéros géants posait un problème éthique plus urgent.

vendredi 21 mai 2010

Un peu de musique pour Wallace Berman

Quand il est mort, après avoir été renversé par un chauffard qui avait dû écluser un apéro géant à lui tout seul, Wallace Berman (1926-1976) n'avait toujours pas donné de titre à cet étrange objet cinématographique qu'il désignait par "my film" ou par "my movie".

C'est Tosh Berman, le fils de Wallace, qui a donné un titre, Aleph, à ces huit minutes de montage syncopé sur lesquelles son père a travaillé entre 1956 et 1966.

Je me demande si chacun de nous ne porte pas en lui le scénario d'un tel film... Mais Berman a été un des rares artistes à le mettre en images, et cela donne ceci:




(Vidéo empruntée au site Dangerous Minds, qui donne le lien vers Ubuweb. On peut aussi trouver Aleph sur YouTube.)

C'est sur ces images que John Zorn, Trevor Dunn et Joey Baron, ont inventé d'improviser lors d'un concert donné dans les marges de l'exposition Radical Jewish Culture Scène musicale New York, au Musée d'Art et d'Histoire du Judaïsme.

Après avoir vu le film, vous pouvez imaginer ce que cela a pu donner...

Quelque chose comme ça...
Wallace Berman, Untitled Music, 1974.


Je n'en dirai donc pas plus sur ce moment auquel monsieur Jack Lang nous fit l'honneur d'assister.

Seule, la triste statue du capitaine Dreyfus, œuvrée par Louis Mitelberg, plus connu pour ses tristes dessins satiriques, qu'il signait "TIM", est restée tristement dans le coin de la cour où on l'avait remisée, en attendant que tout le monde s'en aille...

Rompez !
(La statue à sa place habituelle.)


PS: Malgré la présence de son nom dans la liste des artistes exposés en 2006 au Centre Pompidou pour le grand spectacle Los Angeles 1955-1985, Wallace Berman est bien peu connu en France.

Pourtant son rôle et son influence dans l'épanouissement artistique (ou contre-artistique) de la côte ouest étazunienne, dans les années 1950-1960, sont reconnus. Mais on nous le présente surtout, sur un mode assez peu critique, comme une "figure légendaire du mouvement Beat en Californie", un "gourou de la scène contre-culturelle californienne", et l'on cite ce jugement cavalièrement facile de Dennis Hopper:

«Il a marqué et influencé tous ceux qui étaient sérieusement impliqués dans le monde de l’art à Los Angeles dans les années 1950. S’il y a eu un gourou, c’était lui – le grand prêtre, le saint, le rabbin.»

(A la même époque, moi, j'étais le pape !)

On aime aussi nous parler de la grande impression qu'il fit, en 1963, sur Andy Warhol, sans interroger le rapport entre l'artiste "assembleur" de rebuts et de déchets et le célèbre marchand de soupe culturelle...

Et, le fin du fin consiste à le retrouver parmi les membres du Sgt. Pepper's Lonely Hearts Club Band !



Au début de l'année 2009, la galerie Frank Elbaz a présenté une exposition sur une partie de son œuvre, les Verifax Collages et les Shuffles, dont on pourra consulter le dossier sur le site de la galerie.

C'était un bon moyen de sortir des lieux communs contre-culturels et des anecdotes... mais ce n'était qu'un début.

Pour une rétrospective, on n'aurait pas besoin du Grand Palais...

Photo légendée: "Wallace Berman with his gallery",
postée sur la page Flickr de Camden Arts Centre.

jeudi 20 mai 2010

L'art et la manière d'assumer

Avant hier, pour rendre compte du résultat de la rencontre entre le préfet de Lorraine et une délégation du collectif de soutien à la famille Vrenezi, Stéphane Mazzucotelli intitulait son article du Républicain Lorrain:

Handicapé expulsé : le préfet assume.

Et il expliquait que:

Loin de faire machine arrière, le représentant de l'État continue de justifier cette décision administrative de reconduite à la frontière malgré la vague d'indignation qui a suivi la médiatisation de cette affaire.

En somme:

Pour l'instant, l'Administration fait front et assume.

L'administration est grande, majeure et probablement vaccinée contre les états d'âme; qu'elle assume donc...

Cliquer sur l'image pour accéder au blogue du collectif de soutien.

De leur côté, les soutiens d'Ardy et de sa famille assumeront leur refus de cet acte de pure barbarie légale qui consiste à expulser de notre territoire - car, savez-vous, c'est aussi le nôtre - un enfant gravement malade, sans avoir, à l'évidence, de garantie de prise en charge de son affection dans le pays d'arrivée.

Le 11 mai, plus d'une semaine après l'arrestation d'Ardy au centre où il était soigné, le Républicain Lorrain publiait un entretien avec le docteur Isabelle Kieffer, qui l'a suivi en pédiatrie, et qui est sans doute le médecin connaissant le mieux son dossier. Ses propos ont été recueillis par le journaliste Stéphane Mazzucotelli à qui l'on doit la quasi totalité des informations paraissant dans la presse, trop peu reprises par les médias nationaux.

Ces mots, prononcés par quelqu'un qui assume pleinement son rôle de médecin, méritent qu'on les lise:

Q: Docteur, pouvez-vous nous dire de quelle maladie souffre Ardy Vrenezi ?

R: On a beaucoup parlé de maladie dégénérative, mais ce n'est pas le cas. Ardy souffre de complications graves suite à une maladie infectieuse de l'enfance. Ces complications sont très handicapantes et elles iront en s'aggravant, surtout si la prise en charge n'est pas adaptée. Il y a deux ans, Ardy est arrivé en France dans un état quasi comateux. Il convulsait constamment mais, au Kosovo, aucun médecin n'a posé de diagnostic précis. (...)

Q: Comment la famille Vrenezi s'est-elle retrouvée en Moselle-Est ?

R: Sur demande de la Ddass, l'association Horizon a été chargée de trouver un logement aux Vrenezi. Ils sont donc arrivés à Valmont courant 2009. Le neuropédiatre de Metz qui suivait Ardy a donc transmis son dossier au neuropédiatre d'Hospitalor Saint-Avold. Puis une place s'est libérée à l'Institut d'éducation motrice de Freyming. Elle a été attribuée tout à fait officiellement à Ardy. (...)

Q: De quoi a besoin Ardy Vrenezi pour se soigner ?

R: Il a besoin d'un suivi neuropédiatrique, d'un suivi de rééducation fonctionnelle pédiatrique et d'un suivi pédiatrique classique avec conseil de nutrition notamment.

Q: Aujourd'hui, vous vous dites surprise par les informations rassurantes de la préfecture concernant la prise en charge d'Ardy au Kosovo ?

R: Effectivement je m'interroge. La préfecture n'arrive pas à me donner d'emblée le nom de l'équipe médicale qui s'occupe d'Ardy depuis son retour au Kosovo. Cela semble montrer qu'aucun réel relais n'était organisé, et que la France s'est simplement contentée de voir s'il était en état de voyager... Pourquoi n'ai-je pas reçu une demande officielle pour transmettre le dossier médical ? Nous avions fait fabriquer une coque pour son confort. On voudrait l'envoyer au Kosovo. Mais on ne sait même pas à qui livrer le matériel médical. (...)

Q: Les nouvelles du Kosovo seraient peu rassurantes. Ardy ferait des crises de convulsions.

R: C'est possible. C'est terrible car Ardy avait fait des progrès énormes. Il recommençait à marcher un peu avec de l'aide. Mais pourquoi, d'après sa famille, Ardy n'était-il toujours pas hospitalisé vendredi alors que la préfecture parle d'un accord de soins gratuits ? Cela ne tient pas debout. (...)

L'article du Républicain Lorrain.

Depuis cet entretien, dix jours se sont écoulés, et des actions ont été engagées par le comité pour le retour d'Ardy Vrenezi. Plusieurs manifestations ont eu lieu, dont une, le samedi 15 mai, est partie de l'Institut où était accueilli Ardy, avec, "à l'avant du cortège, un fauteuil roulant muni d'une coque. Symboliquement vide". Un fauteuil roulant comme celui dont Ardy aurait besoin...

Quelques contacts ont pu enfin être pris avec les équipes médicales du Kosovo par les médecins français: ils sont bien loin de confirmer le "tout va bien, nous avons tout prévu" ressassé par l'Administration...

Inlassablement, Isabelle Kieffer continuera à dénoncer, avec calme, précision et détermination, cet optimisme de façade. Il suffit de lire ses commentaires dans le blogue du comité de soutien.

Elle faisait partie de la délégation reçue lundi soir par monsieur Bernard Niquet, préfet de Lorraine, pour une réunion où il a répété, de son fauteuil préfectoral, ce que ses collaborateurs avaient déjà soutenu:

«Le préfet continue de dire qu'il n'y a pas de problème, qu'il a reçu l'assurance qu'Ardy serait bien soigné au Kosovo.»

Pouvait-elle déclarer à la sortie de cette entrevue, ajoutant:

«Or, les quelques informations dont nous disposons nous disent le contraire.»

Et Alain Cocq, du collectif des démocrates handicapés pouvait préciser:

«Nous avons une lettre du ministère de la Santé kosovar qui dit noir sur blanc, contrairement à ce que soutient la préfecture de Moselle, que les services qui accueillent Ardy sont primaires, inadaptés pour lui. Il est même dit qu'un seul médicament est disponible, sur les trois que doit prendre impérativement le gamin.»

Ces documents, présentés au préfet lundi, devaient faire l'objet de "vérifications" de la part de ses services.


Les collaborateurs de la préfecture doivent être d'une célérité confondante dans les "vérifications", car la réponse n'a pas tardé. On la trouve dans un article du Républicain Lorrain, réservé aux abonnés, mais reproduit en format image sur l'indispensable blogardy.

La première partie de cet article permet de bien apprécier l'optique de l'Administration:

Lors d'une réunion en préfecture lundi soir, des documents ont été fournis au préfet par le collectif. Selon des soignants français d'Ardy et Alain Cocq, du groupe des démocrates handicapés, ces lettres qui témoignent du manque de moyens au Kosovo pour soigner la maladie visée "ont reçu le tampon officiel des Nations unis et de l'Etat kosovar". A la préfecture de Metz, on balayait l'argument d'un revers de main lundi matin: "Nous avons soumis ces documents à notre ambassade de France à Pristina qui a contacté le directeur de la Santé du Kosovo. Il en ressort que ces documents n'ont aucune valeur officielle ou juridique".

Si vous vous attendiez à ce que l'on s'interroge sur la valeur médicale de ces documents, c'est que vous n'avez aucune idée des "valeurs" qui doivent prévaloir dans l'Administration.

(Vous pouvez toujours faire médecine...)

Forte de cette non-"valeur officielle et juridique" de ces premiers documents, la préfecture ne va tout de même pas se soucier "d'un énième courrier signé de médecins qui ont soigné Ardy", admis ce ouiquende à l'hôpital universitaire de Pristina...

Et pourtant, selon Isabelle Kieffer:

«Le Dr Zeka, neurologue pédiatre référent du Kosovo, le Dr Gërguri, pédiatre, le professeur Dr Zejnullahu, pédiatre généticien, assurent, dans cette lettre, qu'en raison de l'évolution de la maladie, de la nécessité d'un traitement multidisciplinaire, l'enfant aurait besoin d'une prise en charge ultérieure à l'étranger.»

Dans la seconde partie, "une porte-parole de la préfecture" développe, en toute bonne conscience, probablement, ce tableau définitif:

« L'enfant est parti avec deux mois de médicaments. Avant sa reconduite nous nous sommes évidemment assurés que le Kosovo était prêt à le recevoir et à le soigner. Et l'Etat souverain du Kosovo a dit oui. Des gens de l'ambassade se sont même assurés que les médicaments nécessaires étaient disponibles dans les pharmacies de la ville. C'était le cas. Maintenant, la préfecture ne peut pas surveiller les faits et gestes des Vrenezi dans leur pays. Nous nous sommes engagés à faciliter le contact entre les médecins français et kosovars. C'est à la famille de faire ce qu'il faut maintenant. L'adolescent doit désormais faire une demande au ministère de la Santé de son pays pour bénéficier d'un protocole de soins gratuits, puis il doit passer devant une commission médicale. Si cette commission déclare que son état de santé ne peut effectivement pas être pris en charge là-bas, rien n'empêchera la famille de passer par une procédure légale pour demander à ce que l'enfant soit soigné dans un autre pays. »


Il y aurait beaucoup à dire de ce parfait morceau de prose déshumanisée.

Mais je ne le ferai pas.

Au moment où je terminais de le mettre en page, un message du docteur Kieffer a été posté sur le blogue du comité de soutien, et il me semble plus important de le relayer que d'ajouter mes subtils commentaires de second degré au texte préfectoral, dont l'ignominie apparaît assez clairement à qui sait lire .

Voici le message d'Isabelle Kieffer:

Nouvelles dramatiques

Je me permets de revenir vers vous en raison de nouvelles que je viens d'avoir directement auprès de Mimoza, la grande sœur de 17 ans d'Ardi, ce jour (20 mai) vers 15h10.


J'ai été également à l'instant (16h) en contact avec la cousine d'Ardi, qui réside habituellement en Allemagne, et qui est actuellement au Kosovo. Elle confirme la dégradation de son état. Elle m'a appelée pour me dire qu'il y aurait eu des pressions sur les médecins de Pristina pour ne plus transmettre de données alarmantes et de ne plus dire qu'ils n'ont pas les moyens pour le soigner.


Ardy a de nouvelles crises d'épilepsie fréquentes, depuis que les médicaments sont épuisés.


Et Mimoza, la grande sœur, et la nièce, confirment qu'ils n'avaient qu'un stock de médicaments pour à peine une semaine, et les ordonnances faites ne permettent pas d'obtenir les médicaments qui ne sont pas disponibles au Kosovo (cf précédent mail, je vous joins les justificatifs originaux et traduits). Il s'alimente difficilement, avec des aliments moulinés. Son épilepsie s'aggrave "de jour en jour" avec des crises plus longues et plus fréquentes.

Les médecins de Pristina ont dit au papa qu'"ils ne peuvent rien de plus pour lui, qu'il doit se faire soigner en France". Cf document joint avec demande de soins à l'étranger, signée par 3 médecins, dont le Dr Naïm Zeka, référent au Kosovo pour la neuropédiatrie d'après le Dr Banlu Anlar de la Société européenne de neurologie pédiatrique ( PJ "CR Ardy clinique pédiatrique Pristina")


La situation médicale est vraiment préoccupante, cette expulsion était une erreur à tous les niveaux, et l'enfant risque de la payer très cher - et le paye déjà très cher! - ainsi que toute sa famille.


Savez-vous qui est en charge du dossier, pour obtenir une "réparation" rapide de cette erreur?

Dr Isabelle Kieffer


(Tous les documents joints sont sur le blogardy, je ne reproduis que la traduction du "rapport pour un traitement médical à l'étranger".)

Cliquer sur l'image pour agrandir.

mardi 18 mai 2010

La maréchaussée fait du rab'

Aux abords de la salle Sainte-Croix-des-Pelletiers, je n'ai pas vu d'affiches invitant à assister, en la dite salle, au concert organisé par le collectif de soutien aux inculpés de Villiers-le-Bel, le 19 mai, à 19 heures.

(Avec Demon One, Kommando Toxik, Abou2ner, DJ Plaiz, Dokou, Légendaire, Gueltou et DJ Smoke.)

Faut-il croire que les organisateurs n'avaient pas prévu d'en coller dans un plan comm' à la gomme... ou qu'on les aurait lacérées ?

Me suis-je un instant demandé...

Mais la présence, intacte, d'une affiche de format A3 annonçant la tournée de soutien et la manifestation du 19 juin en gare de Pontoise, collée vers le haut de la rue Cauchoise, m'a rassuré.

Ainsi que les traces d'une seconde affiche, sur un mur voisinant la place Saint-Gervais:

L'affiche est bien déchirée, je l'avoue...
Mais on peut humer l'ambiance rouennaise,
dans cette amorce de dialogue.

L'annonce de l'organisation des concerts, dont les recettes seront utilisées pour assurer la défense des quatre inculpés de Villers-le-Bel, incarcérés préventivement depuis février 2008, lors de leur procès commençant le 21 juin, avait déjà fait l'objet de commentaires, plus ou moins dominés.

On pourra consulter, dans le Parisien-Aujourd'hui-en-France, un article au titre évocateur: Des concerts de soutien aux tireurs présumés des émeutes, paru le 29 avril, qui parle d'une "initiative surprenante".

(On verra qu'il y a d'autres initiatives autrement surprenantes...)

Quant à la presse en ligne de l'extrême droite, elle titre, le même jour, Scandale : une association de banlieue soutient les tireurs de Villiers-le-Bel ! On y lit, entre autres choses très nuancées:

Dans la France de 2010, mieux vaut soutenir les tueurs de flics que militer pour la défense de son identité française.


L'affiche en entier.
(Version pdf haute définition en cliquant sur l'image.)


On peut trouver plus surprenante l'initiative prise, le 10 mai, par monsieur Nicolas Comte, secrétaire général du syndicat Unité SGP Police-Force Ouvrière, en envoyant à monsieur le ministre de l'Intérieur, une lettre destinée à attirer son attention, sans doute trop flottante. Cette missive est disponible sur le site du syndicat, mais la voici, pour ceux qui ne veulent pas se déplacer:

Monsieur le Ministre,

Les événements de 2007 à Villiers-le-Bel laissent le souvenir amer des violences urbaines, ainsi que des policiers blessés dans l’exercice de leur mission, à savoir restaurer la paix publique.

Depuis le début du mois de mai 2010, un comité de soutien aux mis en cause dans les violences ci-dessus mentionnées effectue une propagande sur Internet qui, j’en suis certain, ne manquera pas de retenir votre attention.

Ce comité calomnie l’action de la police lors des opérations de maintien de l’ordre ainsi qu’au cours de l’enquête judiciaire. Plus important encore, est l’incitation à la révolte face à la police, face au pouvoir. Du 9 mai au 19 juin 2010, ledit comité de soutien organise des concerts et rassemblements dans plusieurs villes de France.

Cette situation provoque un émoi dans les rangs de la Police Nationale. Au nom de l’ensemble des fonctionnaires de police, visés par ces calomnies et l’incitation à la rébellion, l’Unité SGP Police dénonce cet appel à la libération des inculpés de Villiers-le-Bel et se déclare choqué par la tenue de ces concerts.

Confiant dans les suites que vous donnerez à cette affaire, je vous prie d’agréer, Monsieur le Ministre, l’expression de mes sentiments les plus respectueux.

J'ignore si l'attention de monsieur Hortefeux a été retenue par cette lettre de dénonciation au ton mielleusement protocolaire, mais il ne semble pas qu'il ait donné "à cette affaire" des "suites" assez énergiques au sens de nos syndicalistes, puisque deux d'entre eux, messieurs Frédéric Desguerre et Olivier Marin, sont revenus à la charge dans les colonnes du quotidien local Paris-Normandie.

Cet article, paru le samedi 15 mai, cite amplement les déclarations monsieur Frédéric Desguerre à propos du concert prévu à Rouen:

«C'est une démarche provocatrice. Imaginez un comité de soutien à des policiers qui organiserait un concert sur le thème : comment kärcheriser les cités ? Ce comité appelle clairement à casser du flic, cela n'est pas tolérable dans un État de droit. Peu importe sa forme, la liberté d'expression est fondamentale, mais elle doit exister dans le respect des uns et des autres. On ne peut pas appeler impunément à tuer un autre homme. Il faut regarder certains clips des artistes, qui doivent se produire, pour comprendre la haine qu'ils ont envers la police.»

(Le quotidien s'empressera de mettre en ligne deux "vidéos qui font polémique"...)

Finauds, nos deux compères ne demandent aucune interdiction.

Mais non, voyons !

Monsieur Olivier Marin précise simplement:

«Nous avons écrit à Mme le maire de Rouen et à M. le préfet pour les alerter. Il est clair que certains troubles à l'ordre peuvent exister avec la tenue de tels événements. C'est à eux de prendre leur responsabilité. L'État est censé protéger les fonctionnaires de police.»

Bien entendu, le directeur de cabinet du préfet, monsieur Jean-Christophe Bouvier, n'avait pas, samedi dernier, "d'éléments susceptibles d'être donnés ni dans un sens, ni dans l'autre" et pensais "qu'on y verra[it] plus clair en début de semaine prochaine".

Sans attendre, les organisateurs ont répondu à cette "tentative d'intimidation" et appellent "toutes les personnes solidaires des inculpés de Villiers-le-Bel ainsi que toutes celles et ceux qui trouvent intolérable que ce concert puisse être menacé, à venir, quoi qu’il arrive, le 19 mai à 19H à la Salle Ste Croix des Pelletiers de Rouen".

L'ancienne église Sainte-Croix-des-Pelletiers.
Il n'y a plus de tonneaux devant,
mais le reste n'a pas changé.

Ils auront au moins été entendus par les élus écologistes de Rouen qui, en y mettant les formes mais en restant solidaires, ont publié dans la soirée du lundi 17 mai le communiqué suivant:

Les élus écologistes tiennent à apporter leur soutien au concert du 19 mai dont la tenue est remise en cause par un syndicat de police

Nous avons appris avec stupéfaction par voie de presse (cf. Paris-Normandie du samedi 15 mai) qu’un syndicat de policiers tente de faire pression sur le Préfet pour faire interdire un concert de rap prévu le 19 mai à la salle Sainte Croix des Pelletiers à Rouen.


L’objet de ce concert, organisé par le collectif de Soutien aux inculpés de Villiers-le-Bel est de reverser directement l'argent récolté par l’évènement au comité de soutien afin de pouvoir payer les avocats et autres frais liés au procès des personnes mis en examen, qui doit se tenir le 21 juin prochain. Rouen est la première étape d’une tournée nationale qui prévoit une série de concerts de rap, de débats, projections, manifestations et tournois de foot.


Dans un courrier envoyé au Préfet par le syndicat Unité SGP Police, nous notons le glissement sémantique de « soutien aux inculpés » à « soutien aux émeutiers ». Nous tenons à rappeler que tant que la justice n’aura pas statué, les prévenus emprisonnés depuis plus de deux ans sont présumés innocents. Nous sommes pleinement conscients de la gravité des évènements qui se sont déroulés à Villiers-le-Bel en novembre 2007. Nous déplorons les actes de violence quels qu’en soient les responsables.


Cependant, il n’existe à ce jour aucun motif légal d’interdiction du concert prévu le 19 mai.


Nous, écologistes de Rouen et de la Région Haute Normandie avons été alertés par le collectif et souhaitons apporter notre soutien plein et entier au déroulement de ce concert. Il nous apparaîtrait impensable que cet évènement puisse être interdit car cela représenterait une grave atteinte aux libertés publiques ainsi qu’à la liberté d’expression et de création.


Les élus du groupe Vert à la mairie de Rouen -Les élus du groupe Europe Ecologie à la Région Haute-Normandie-Le groupe des verts de Rouen
Fait à Rouen, le 17 mai 2010.

(Repris du blogue de Laure Leforestier.)

Pour l'heure, le concert est maintenu.

On peut s'attendre à une peu discrète présence policière dans les rues avoisinantes, et peut-être même à une vaste opération de séduction pédagogique en chaussettes à clous. Devant le journaliste de Paris-Normandie, qui a rapporté leurs propos, messieurs Frédéric Desguerre et Olivier Marin "n'exclu[ai]ent pas d'organiser «une contre-manifestation à proximité. Pour, nous aussi, sensibiliser la population et dialoguer avec elle.»"

Un dialogue "sur le thème : comment kärcheriser les cités ?"...

Ou quelque chose de ce genre.

jeudi 13 mai 2010

Ascension à la marche

En ce jour sacré pour tous les ascenseurs, l'escalier a inventé de tomber en panne.

Histoire de faire le pont, sans doute.


Construction des décors du film Hôtel du Nord (1938)
dans les studios de Boulogne-Billancourt.
(Photo du livre de Marie Babey
Je me souviens du canal Saint-Martin,
aux éditions Parigramme.)

mercredi 12 mai 2010

Confidences au pied du mur

Peut-être ai-je été un peu trop expéditif avec monsieur Philippe Rey dans mon billet précédent...

(J'en profite pour rappeler à mes neveux et nièces de la lointaine province que, dans le blogue à tonton, qui fonctionne selon la logique du ouaibe double zéro, c'est comme dans le métro parisien: c'est celui qui s'est tassé dedans le dernier qui doit sortir le premier.)

J'avais laissé entendre qu'il n'était pas très expansif.*

Monsieur Philippe Rey, vu par T. Suire, pour Sud-Ouest.

Pour me contredire, Sud-Ouest a publié un entretien du préfet avec Olivier Plagnol, ou l'inverse, sous le titre Immigration et expulsions : « La loi, c'est la loi ».

Cela donne un document atterrant, dont il faut conseiller une lecture complète mais précautionneuse. La parole de monsieur Philippe Rey est rare, dense, précise et surtout glaciale. Munissez-vous d'une petite laine !

Cette remarquable qualité se retrouve sur tous sujets.

Les objectifs chiffrés:

On essaie d'atteindre ces indicateurs, qui ne portent pas sur les arrestations mais sur les reconduites. Cette législation a pour objectif de maîtriser l'immigration. Faire du chiffre n'a absolument rien de péjoratif. C'est tout à fait normal qu'on essaye d'empêcher des personnes qui n'ont pas de titre de séjour de séjourner en France, et des personnes qui n'ont pas de titre pour y entrer, de passer la frontière. Le maximum on en prend, le maximum la loi est respectée. Je n'ai absolument pas à m'en cacher.

L'esprit de l'application de la loi:

La loi, c'est la loi. On n'a pas la possibilité de l'appliquer de façon plus ou moins souple. Ce que prévoit la loi, ce sont des possibilités, à titre exceptionnel et pour des raisons humanitaires, d'accorder le séjour à des personnes qui ne remplissent pas les conditions. Certains groupes de pression voudraient que l'exception devienne la règle. Non. Chaque cas n'est pas exceptionnel. Et aucun préfet ne considère l'exception comme la règle, ça n'est pas possible.

Ou lui-même:

Question: Les critiques, le fait que l'on dise que vous appliquez avec zèle la législation, vous touchent-elles, en tant qu'homme ?

Réponse: Non. J'applique avec zèle, c'est mon rôle. Mais on s'attache à le faire de façon humaine, quoi qu'on en dise, et rigoureuse. La preuve, c'est qu'il est très rare que le juge considère qu'on a mal appliqué la loi.

Une seule trace d'humanité dans ces confidences, sur la précarité des postes préfectoraux:

Vous savez, nous avons un contrat à durée déterminée renouvelable toutes les semaines, tous les mercredis…

Forcément, on pleure.



* Et il est vrai qu'il n'est peut-être pas aisé pour lui de goûter l'humour plus exubérant de Jean-Yves Lalanne :

Le journal Sud-Ouest rapporte qu'hier,"croisant le préfet lors de la cérémonie de la commémoration de l'abolition de l'esclavage", le maire de Billère en a profité pour lui suggérer "d'abandonner ses poursuites", et pour lui demander de régulariser les deux étudiantes comoriennes, Sitti et Liouize, au lieu de tout faire pour les expulser, en soulignant qu'elles "ne troublent pas l'ordre public, elles".

(Sur le cas de Sitti et Liouize, et la réaction des palois, explorer la page Resf64.)

Dessin d'Aurel, paru dans le Monde, 25 février 2010.

Le Bloc fait dans l'aquarelle

"I would prefer not to."

A dû penser Jean-Yves Lalanne, maire de Billère (Pyrénées Atlantiques), quand il a reçu du tribunal administratif l'injonction de faire procéder à l'effacement du "Mur des expulsés" (jugement du 12 janvier 2010), "au motif du non respect du principe de neutralité du service public, qui s’oppose à ce que soient apposés sur les édifices publics des signes de revendication d’opinions politiques, religieuses ou philosophiques".

Et il a estimé qu'il était urgent d'attendre. Et il a fait appel de cette décision.

(Cet appel n'est pas suspensif.)

Monsieur Philippe Rey, préfet du des Pyrénées Atlantiques, assez impatient de voir disparaître ce mur, a, de son côté, "saisi la cour administrative d’appel, compétente en application du code de justice administrative, afin qu’elle définisse les mesures d’exécution du jugement".

Symbole d'une résistance ?
A effacer !

Il y a d'autres individus qui sont furieusement impatients de voir disparaître ce qu'ils appellent le "mur de la honte", et qui ont décidé, pour le 8 mai, de faire un petit cadeau à monsieur le préfet, sans doute pour marquer l'anniversaire de la capitulation de l'Allemagne nazie.

Adoncques les preux militants identitaires du Béarn ont dépêché sur place une équipe de barbouilleurs pour recouvrir "la fresque illégale à la gloire des immigrés clandestins expulsés de France".

Samedi matin, "en plein jour", et "alors que se déroulaient les cérémonies du Souvenir du 8 mai 1945", trois voitures immatriculées en Gironde ont amené à pied d'œuvre nos blancs chevaliers, ainsi que des pots de peintures ( "à l'eau", ont-ils précisé), des brosses et des échelles, afin de mener à bien cette "action citoyenne". Ils ont pris soin de prendre photos et vidéos afin de revendiquer cet exploit. On pourra en voir les traces aux adresses habituelles (je ne donne plus les liens, par amitié pour une lectrice allergique qui est capable de me faire une syncope, mais si j'ai pu les trouver, vous le pourrez aussi).

La bande à Ripolin en action.

Mais comme on dit, c'était mieux avant...

Il est assez difficile de savoir si le cadeau a été apprécié par monsieur Philippe Rey. On ne peut pas dire que ce monsieur soit un grand expansif.

Son communiqué, d'une quinzaine de lignes, détaille mécaniquement l'historique de la procédure engagée par le préfet contre le maire de Billère, et se contente d'une allusion finale à la prétention des identitaires bordelais d'avoir, selon leurs termes, contribué à "aider à faire appliquer la loi comme tout bon citoyen en a le devoir" :

«Il est du devoir des responsables publics, et notamment du maire, de respecter le droit et d’exécuter les décisions de justice. En cas de défaillance de leur part, c’est bien évidemment selon les seules procédures légales que le respect du droit doit être obtenu.»

Jean-Yves Lalanne, têtu comme un Béarnais, a envoyé les services techniques de sa ville au pied du mur, avec un nettoyeur à pression de marque non précisée. Et le miracle se produisit:

«C'est comme le Saint-Suaire, si je peux me permettre la comparaison, la fresque réapparaît après le nettoyage.»

Déclara-t-il, avec une faconde un peu... gasconne, que le préfet risque de ne pas trop saisir.

Résurrection en cours.
(Photo Luke Laissac, dans Sud-Ouest.)

A ceux qui trouveraient un peu stupide de la part du commando de ripolineurs d'avoir utilisé de la peinture à l'eau, monsieur Fabrice Robert, président du mouvement identitaire, envoie dire ceci:

« C'était calculé ! Nous connaissons le droit pénal. On savait qu'il fallait utiliser une peinture détachable. Nous n'avons pas pris de peinture indélébile pour ne pas encourir de poursuites judiciaires. Le maire peut porter plainte contre nous, mais je le vois mal défendre une fresque illégale. »

Avec cette réponse-à-tout procédurière, le très rock'n roll monsieur Robert montre bien qu'il n'y a pas que la peinture qui peut être indélébile.


PS: Un rassemblement est prévu ce mercredi à 18 h devant le mur restauré.

mardi 11 mai 2010

Encore ces salauds de pauvres

Le bourgeois, de quelque variété qu'il soit, n'aime pas trop faire les poubelles, mais il aime assez "chiner". Aussi fréquente-t-il assidûment, avec de grands airs de connaisseur, les diverses foires-à-tout et vides-greniers des culs terreux, ou, s'il est parisien, les marchés aux puces de la capitale.

Quand il désire s'encanailler, on voit opérer le tropisme de l'est parisien, et dépassant largement la Courtille, Belleville, Ménilmontant et Charonne, il va baguenauder aux puces de Montreuil.

Car, nous dit-on, "voilà bien le plus puce des marchés aux puces de la capitale". Et MarieClaireMaison.com nous prévient, dans un articulet qui doit dater du siècle dernier:

Inutile de leur chercher du charme. C'est plutôt la rudesse des crocheteurs de poubelles du siècle passé qu'on y rencontre. Si, ici, avec un peu de chance, on peut encore payer un objet un euro, il faut d'abord s'armer de patience et traverser des allées entières de fripes, de quincaillerie, de pièces détachées, de babioles clinquantes et de foule intense avant d'arriver sur la petite place où se regroupent les brocanteurs, au bout de l'allée longeant le périph'.

Un "objet" à un euro, ça se mérite...

Un peu de rudesse dans ce monde de dindes:
Le petit chiffonnier appuyé contre une borne
,
photographie de Charles Nègre, 1851.
(Image RMN (Musée d'Orsay) / Béatrice Hatala,
empruntée au site du Mheu.*)

La vente à la sauvette est pratiquée, et quasiment tolérée, depuis toujours aux environs des marchés aux puces parisiens; et cela fait leur charme, même pour le bourgeois encanaillé qui aime à raconter comment il a retrouvé, en vente sur le trottoir, le sac qu'on venait de lui arracher sur le passage piétonnier.... (S'ensuit un récit épique et trépidant que je vous épargne.)

Cependant...

Selon un petit article d'Indymédia Paris-Ile-de-France, le samedi 8 mai, aux abords des puces de Montreuil, "d’étranges slogans écrits sur des draps blancs" pendouillaient aux fenêtres des riverains. On pouvait y lire: "AU SECOURS POLICE"; "INDÉSIRABLES"; "DU BALAI"; "POLLUEURS"; "NON AUX PUCES SAUVAGES"...

Et l'article ajoute:

Une rumeur inquiétante circule : les commerçants des puces "officielles" voisines prépareraient une manifestation contre les puces libres ! pour ce LUNDI 10 MAI 2010.

C'est moche, mais demande moins de soins que le géranium.

Cette manifestation a bien eu lieu, ce lundi.

Le Parisien en donne un compte-rendu un peu sec, mais suffisant:

Les riverains et les associations de commerçants des Puces de Montreuil ont manifesté ce lundi matin au côté de la maire du XXe arrondissement, Frédérique Calandra, pour protester contre la présence des vendeurs à la sauvette aux alentours du site. La manifestation a rassemblé environ 300 personnes, entourées par un important dispositif policier.

P*** T***, dans 20minutes.fr, donne largement la parole aux mécontents, commerçants patentés et riverains agacés, et nous la joue trémolo allusif:

(...) «C'est infernal, soupire Mustapha. Le week-end, on n'invite même plus nos amis.» Un vendeur est installé devant sa porte. Il est impossible de passer, à moins d'enjamber son stand. De sa fenêtre, une vieille dame fait signe. Elle n'est pas sortie depuis deux jours. Comme tous les week-ends.

Mais de quoi a-t-elle peur ?

Cherchez la vieille dame.

L'engagement de madame Frédérique Calandra, maire du XXe arrondissement, dans cette affaire est explicité par une dépêche de l'AFP, reprise par le Figaro. On y apprend qu'elle a poussé un véritable "cri d'alarme":

« Il y a de la contrebande de cigarette, du trafic de drogue, du recel de vol. Les biffins sont mis en danger face à des gens qui s'auto-proclament "placiers" et qui rackettent les autres. Tous les trottoirs sont occupés, les riverains ne peuvent plus rentrer chez eux dans des conditions normales. »

(Bigre, à l'entendre, il ne manquerait plus que la prostitution...)

Son déchirant "cri d'alarme" est parvenu aux oreilles du préfet de police, monsieur Michel Gaudin, qui a promis des renforts de police.

Madame Calandra peut reposer sa voix, et respirer un peu.

Il est souhaitable qu'elle en profite pour examiner d'un peu plus près la situation de la porte de Montreuil, et pour tenir compte de ces informations données par Rimb dans son article d'Indymedia : il se trouve que les banderoles accrochées aux fenêtres s’adressent aux divers marchands de rue, mais surtout, parmi eux, aux vendeurs Roumains qui sont désignés par les riverains et les commerçants comme responsables de tout, et invectivés, et déjà pourchassés par les policiers...

Que madame Calandra ne respire pas trop fort : il semble bien qu'elle ait mis le pied dans une matière à dominante brune (comme certains matins), qui colle aux semelles et qui sent très mauvais.


PS: Et puisqu'on parle de "marché de la misère"...



Léo Ferré, à Bobino en 1969.



* Sur le site du Mheu (Musé historique environnement urbain), ce cliché est accompagné d'une notice sur une pratique que j'ignorais, celle de la médaille du chiffonnier:

A-t-il seulement sa médaille, ce jeune chiffonnier ?

Car le métier de chiffonnier est règlementé à partir de 1828 : l'ordonnance royale prévoit que les chiffonniers doivent porter une médaille délivrée par le Préfet de Police et être munis d'un petit balai pour « relever les ordures quand ils auront fouillé un tas » et d'une lanterne.


Ces médailles sont d'abord distribuées aux anciens forçats et repris de justice en contrepartie de « renseignements » (ce qui n'améliora pas la réputation de la profession) puis aux vieillards, aux estropiés, enfin à tous ceux qui en font la demande, et même aux enfants.