vendredi 29 juillet 2011

Un retour discret

La France est généreuse...

C'était, vous en souvient-il, l'une des blagues préférées de monsieur Éric Besson, à l'époque où il occupait le poste de ministre des Expulsions. Personne, à ma connaissance, ne lui a demandé pourquoi cela se voyait si peu.

Il aurait certainement répondu que la France a la générosité discrète.

(Et en insistant un peu du côté des "pourquoi ?", peut-être aurait-il fait une allusion au danger qu'il y a de créer un "appel d'air"...)

Il y presque quinze mois, le 4 mai 2010, ses services avaient approuvé la décision généreuse d'offrir à la famille Vrenezi un aller simple pour le Kosovo. Et preuve qu'on n'y regardait pas de si près - au risque de flanquer des aigreurs d'estomac à la Cour des Comptes -, on avait même tout spécialement dépêché, la veille au soir, un groupe d'une trentaine de gendarmes à l'institut d'éducation motrice de Freyming-Merlebach (Moselle) où le second de la fratrie, Ardi, avait été admis plusieurs mois avant.

La famille Vrenezi au complet.

Ceux qui étaient à l'IEM ce soir-là pouvaient-ils oublier ?

Certainement pas Sylvie Favaro :

J’étais là le soir où les gendarmes sont venus chercher Ardi à l’institut de Freyming-Merlebach. J’ai accompagné l’adolescent jusque dans l’ambulance, je lui avais promis qu’il reviendrait, sans y croire vraiment.

Avec ses ami(e)s du comité de soutien, elle a fini par y croire, malgré les embûches, les mensonges, les découragements et les fausses promesses...

Et finalement la promesse qui a été tenue, ce n'est pas celle des autorités assurant qu'Ardi pouvant être soigné de manière convenable au Kosovo, mais c'est celle de l'infirmière : Ardi Vrenezi, ses parents, son frère et sa sœur sont revenus en France le 28 juillet. Ils "ont atterri vers 20H00 sur la base aérienne 128 de Metz-Frescaty à bord d'un avion sanitaire médicalisé", nous dit la dépêche de l'AFP.

Le retour d'Ardi, vu de loin.
(Photo Karim Siari/Le Républicain Lorrain.)

Je ne suis par sûr que le ministère de l'Intérieur, qui est maintenant en charge des Expulsions, ait voulu faire acte de générosité en accordant à Ardi et sa famille un visa de trois mois - ce qui est, convenez-en, plutôt parcimonieux -, mais il a tenu à ce que leur retour sur le sol français soit empreint de la plus grande retenue. On ne pouvait pourtant craindre qu'on accuse les personnels dépendant de la place Beauvau d'être atteints d'humanitarisme hypertrophié...

Dans son article du Républicain Lorrain, intitulé Ardi rapatrié en catimini, Stéphane Mazzucotelli fait le constat de cette ferme volonté de discrétion :

Personne, en France, n’a été clairement tenu au courant de la date, de l’heure et des conditions du rapatriement.(...)

(...) La famille a voyagé en vol direct depuis Pristina dans un avion médical spécialement affrété par l’État français. Mais au ministère de l’Intérieur, on restait extrêmement vague sur les détails de ce retour, quelques heures plus tôt. Publicité minimum autour de ce cas embarrassant. Même les proches des Vrenezi, les membres des associations qui ont milité pour le retour de cet adolescent, dont l’expulsion avait d’emblée été jugée inhumaine, n’ont pas été tenus au courant.

Les soutiens d'Ardi et de sa famille ont ainsi fait le pied de grue pendant une bonne partie de la journée à l'entrée de la base aérienne 128. Ils ont bien dû constater quelques mouvements, mais les autorités ont pris soin d'évacuer la famille par une autre sortie. C'est la grande sœur d'Ardi, Mimosa, qui les a prévenus, vers 21 h, de leur arrivée à l’hôpital Bon-Secours de Metz, où son frère a été admis dans le service de pédiatrie.

Stéphane Mazzucotelli poursuit :

Isabelle Kieffer, pédiatre du jeune kosovar en France, n’a pas mâché ses mots avant de se précipiter à l’hôpital : « C’est triste et écœurant. Il n’y avait aucun risque. Nous voulions juste voir Ardi et sa famille, leur faire un petit signe, pour leur dire qu’on ne les a pas oubliés. Cela confirme que l’État français n’a pas la conscience tranquille dans cette affaire ».

Finalement, les défenseur(e)s des Vrenezi ont pu les retrouver plus tard dans la soirée, et Sylvie Favaro, qui tient fidèlement le blogue de Ardi, a promis un album photo...

Elle n'avait pas oublié son appareil...
(Photo Karim Siari/Le Républicain Lorrain.)



Ajout du 30 juillet

J'avais tout juste posté ce billet d'hier quand m'est arrivé un communiqué du RESF précisant davantage les circonstances du retour d'Ardi et de sa famille, ainsi que les conditions de leur accueil.

Bien sûr, je n'étais plus devant mon écran... Cet art que je possède de ne pas être là où il faut être m'a condamné à faire blogueur intermittent et non journaliste à plein temps.

Deux points, dans ce communiqué, peuvent attirer l'attention.

Le premier :

Ardi fut conduit à l’hôpital après être sorti de la base aérienne par une porte dérobée. A l’entrée de l’établissement, des vigiles pour en interdire l’accès aux amis et aux soutiens. Quand la mère d’Ardi sortit, accueillie avec l’émotion qu’on devine, elle imposa, avec l’appui du Dr Kieffer, que les personnes qui le connaissaient puissent visiter son fils. A la porte de la chambre, des vigiles encore et des soignants appliquant "des consignes strictes" de limitation des visites et d’interdiction de la presse reçues… de qui ? Pourquoi ?

Asllan Vrenezi et ses deux autres enfants avaient été conduits dans un foyer. Visites interdites. C’est sur le trottoir, en pleine nuit, que leurs amis, leurs connaissances et leurs soutiens les ont retrouvés et embrassés.

Décidément il semble que les "autorités" (mais lesquelles ?) aient bien du mal à ne pas voir, idéalement, la famille Vrenezi dans un centre de rétention...

Le second, sur l'arrivée de la famille à la base aérienne 128 :

Appelée sur son téléphone à l’arrivée de l’appareil, Mimoza passa le combiné à une "dame" qui l’accompagnait en disant "la dame ne veut pas téléphone". La personne en question coupa 15 fois les tentatives de communication. Qui était-elle ? De quel droit ?

Ce fait est confirmé par Isabelle Kieffer, dans le mot qu'elle a posté ce matin sur le blogue de Ardi :

Je sens le besoin d'exprimer clairement ma colère devant l'attitude des autorités, attitude qui n'étonne pas les personnes régulièrement et depuis des années confrontés à cela, mais c'est vraiment lamentable...Ce jeu de cache-cache indigne, ces mensonges depuis le début, cette arrogance de passer au-dessus des lois, cette incapacité de reconnaître qu'il y a eu dérapage, erreur, et qu'il est simplement NORMAL qu'ils réparent leur faute.

Et là au retour, le fait que des personnes se permettent de prendre le téléphone portable des mains d'une jeune femme pour couper la conversation!!! (Mimoza quand elle essayait de m'appeler ou de répondre) tout cela pour empêcher un contact direct, et pour empêcher l'accueil dans la joie de la famille...

Certes, ce petit jeu téléphonique est tout à fait indigne, et totalement ridicule. Mais cette histoire amène à relire la version quasi officielle du retour des Vrenezi donnée par la dépêche de l'AFP :

Ardi Vrenezi, 16 ans, ses parents, son frère et sa sœur âgés de respectivement 18 et 14 ans, auxquels le ministère de l'Intérieur avait délivré un visa la semaine dernière, ont atterri vers 20H00 sur la base aérienne 128 de Metz-Frescaty à bord d'un avion sanitaire médicalisé, a annoncé Joëlle Lang, membre d'un comité de soutien au jeune Kosovar.

Un médecin se trouvait également dans l'appareil affrété par les autorités françaises, a précisé Mme Lang, qui avait reçu dans la journée de Paris l'autorisation d'accueillir la famille Vrenezi à l'aéroport militaire, où les journalistes n'ont pas pu pénétrer.

A lire naïvement cette dépêche, on pourrait croire de madame Joëlle Lang, "membre d'un comité de soutien", avait pu faire le lien avec les soutiens maintenus à l'extérieur de la base...

La naïveté s'estompe considérablement lorsque l'on constate que sa présence n'est signalée que par l'AFP à qui elle "annonce" et "précise" que tout s'est bien passé.

Et on en vient à se demander ce que c'est que cette histoire de "membre d'un comité de soutien" à ce point isolé des autres, mais pourtant assez reconnu des autorités pour qu'on lui donne "l'autorisation d'accueillir la famille Vrenezi à l'aéroport militaire, où les journalistes n'ont pas pu pénétrer"...

jeudi 28 juillet 2011

Un livre de référence (2)

La première édition du roman Le Camp des Saints s'ouvrait sur trois citations judicieusement choisies par l'auteur. J'ignore si l'irascible Jean Raspail s'est fâché avec ses excellents collègues en écriture Lawrence Durell ("Mon esprit se tourne de plus en plus vers l'Occident, vers le vieil héritage. Il y a peut-être bien des trésors à retirer de ses ruines... Je ne sais.") et Alexandre Soljenitsyne ("A y regarder de l'extérieur, l'amplitude des convulsions de la société occidentale approche du point au-delà duquel cette société devient 'métastable' et doit se décomposer."), mais pour la nouvelle édition, il n'a conservé que cette épigraphe, tirée de l'Apocalypse de Jean :

Le temps des mille ans s'achève. Voilà que sortent les nations qui sont aux quatre coins de la terre et qui égalent en nombre le sable de la mer. Elles partiront en expédition sur la surface de la terre, elles investiront le camp des Saints et la Ville bien-aimée.

Apocalypse, XXe chant.

C'est bien aimable de sa part, puisque cela permet aux ignares en études néotestamentaires de comprendre d'où vient le titre de son livre et dans quelle perspective millénariste il entend le situer...

On peut regretter cependant que l'auteur s'abstienne de citer plus précisément la source de cette adaptation, mais, par défaut, dans l'état d'ignorance où nous sommes, nous lui en attribuerons généreusement la paternité.

Mais nous vérifierons dans la Bible, dite de Jérusalem, que nous avons justement en rayon :

Les mille ans écoulés, Satan, relâché de sa prison, s'en ira séduire les nations des quatre coins de la terre, Gog et Magog, et les rassembler pour la guerre, aussi nombreux que le sable la mer ; ils montèrent sur toute l'étendue du pays, puis ils investirent le camp des saints, la Cité bien-aimée.

Et la révélation johannique poursuit :

Mais un feu descendit du ciel et les dévora.

On voit que Jean Raspail se permet quelques libertés avec le texte de l'apôtre bien-aimé, omettant allègrement Satan, Gog et Magog, soit toutes les choses amusantes, et qu'il va jusqu'à faire silence sur l'essentielle intervention de ce feu descendu du ciel qui a pourtant marqué toute l'iconographie apocalyptique de ce passage.

Là, on le voit bien le feu tombant du ciel.
En prime, vous avez même la Bête...
(Tenture de l'Apocalypse d'Angers, fin XIVe siècle.)

Mais on peut comprendre cette omission, puisque Le Camp des Saints est, pour l'essentiel, le récit de l'incapacité de l'Occident à déclencher ce feu dévorant pour faire face à l'invasion de la multitude allogène rassemblée contre lui et venue s'échouer sur ses plages.

C'est donc l'histoire d'une défaite qui nous est narrée par un des vaincus écrivant dans une semi-clandestinité, réfugié dans une Suisse prête à s'abandonner elle aussi à l'inéluctable "submersion" par les innombrables. Riche idée du romancier qui peut ainsi donner libre cours à sa verve revancharde et flatter le goût d'un certain public pour les sagas complaisantes des soldats perdus - qui, en 1973, après l'amnistie gaullienne de 1968 et en attendant l'amnistie complémentaire de 1974, commençaient à se dire ici ou là.

Malgré la posture divinatoire adoptée par Jean Raspail dans sa nouvelle préface - "Si un livre me fut un jour inspiré, c'est celui-là", dit-il -, aucun ange n'est venu le visiter au bord de la Méditerranée, dans la "monumentale villa de style anglo-balnéaire fin XIXe siècle" où il aurait écrit son roman, en 1971 et 1972. Ses visions prémonitoires lui ont plus probablement été dictées par les sombres prévisions de certains démographes de cette époque, voyant d'un œil lugubre la faible natalité des pays de la vieille Europe comparée à la fécondité profuse des pays formant ce que l'on appelait encore le "tiers-monde"et que, pour une grande part d'entre eux, la récente décolonisation avait abandonnés à leur triste sort. Dans le court avant-propos de la première édition du Camp des Saints, l'auteur ne faisait pas mystère de cette inspiration :

Cependant, je me dois de signaler au lecteur que de nombreux textes prêtés à la parole ou à la plume de mes personnages, éditoriaux, discours, mandements, lois, reportages, déclarations en tout genre, sont textes authentiques. Peut-être les reconnaîtra-t-on au passage... Appliqués à la situation que j'ai imaginée, ils n'en deviennent que plus lumineux.

Par certains de ses aspects, le livre de Raspail, en 1973, pouvait être considéré comme un roman à clés. L'une d'entre elles est réapparue, incidemment, dans le compte-rendu de la réédition par Jérôme Dupuis, pour l'Express : le personnage de Ben Souad, "dit Clément Dio", "Français d'origine nord-africaine, cheveux élégamment crépus et peau bistrée", aurait été inspiré par la figure de Jean Daniel, qui alors gouvernait à gauche le Nouvel Observateur...

Le Nouvel Observateur de ce temps-là
n’encourageait pas la natalité.
(Numéro 334, du 5 avril 1971.)

Obsédé par le risque d’engloutissement de l'Atlantide occidentale par la démographie galopante des "autres" - "Il suffit de se reporter aux effarantes prévisions démographiques de l'an 2000, soit dans 28 ans : sept milliards d'hommes, dont neuf cent millions de Blancs seulement.", disait-il en sa préface à la première édition -, notre auteur imagine, comme point de départ, une grand colère tiers-mondiste se déclenchant à Calcutta, au moment où la foule des parias à la natalité proliférante apprend du consulat de Belgique la décision qui a été prise de suspendre les procédures d'adoption des enfants. Cette multitude, devenue incontrôlable, s'entassera sur les rafiots disponibles pour s'embarquer en direction du paradis européen qui se refuse à ses enfants. Elle prendra pour guide un ancien ramasseur de bouses - car, en ces exotiques contrées, on les utilise comme combustible -, paria entre les parias, géniteur d'un enfant difforme qu'il porte sur ses épaules. Peu à peu, une fois l'avorton affublé de la casquette du capitaine du navire de tête, ce "coprophage" se dégagera comme la seule figure à peu près individualisée dans le "grouillement" des envahisseurs. Mais ce sera celle d'un monstre bicéphale - un Satan à deux têtes ? - menant sa flotte de bateaux déglingués jusqu'aux côtes de la Méditerranée française, après leur avoir fait effectuer une circumnavigation du continent africain...

N'y cherchons pas la vraisemblance, c'est "une allégorie", nous dit l'auteur - qui, par ailleurs, se réclame de la règle classique des trois unités...

Et puis, Jean Raspail sait de quoi il parle : il est officiellement "écrivain de Marine".

Jean Raspail en costume marin.
(Photo Jean-Christophe L'Espagnol.)

C'est dans la description de ce périple que s'épanouit la puissance littéraire de notre écrivain et que se révèle la fécondité de son imaginaire. Pour bien faire sentir à son lecteur que ce "millier de milliers" d'individus qui se dirige vers nos côtes n'est justement pas constitué d'individus, mais qu'il est plutôt une masse organique tout juste animée d'actes réflexes assurant sa survie et sa reproduction, il recourt à la poésie allégorique la plus pure...

Ami(e)s poètes, jugez-en :

(...) La chaleur aidant, l'inaction, le soleil sur la peau et dans les cerveaux comme une drogue, l'espèce de climat mystique où baignait cette multitude et, surtout, l'inclination naturelle d'un peuple pour qui le sexe n'a jamais été synonyme de péché, la chair se mit à bouillonner sourdement. Il naquit, parmi les formes allongées, des mouvements en tout genre. (...) Des mains se levaient, des bouches, des croupes, des sexes masculins. Sous les tuniques blanches coururent des ondes de caresses. (...) On embouchait des verges jusqu'à la garde, des langues pointées trouvaient un fourreau de chair, des femmes masturbaient leurs voisins. Sur les corps, entre les seins, les fesses, les cuisses, les lèvres, les doigts, coulaient des ruisseaux de sperme.(...)

Ce passage se termine par :

Ainsi, dans la merde et la luxure, et aussi l'espérance, s'avançait vers l'Occident l'armada de la dernière chance.

Si cette page flamboyante aborde, avec une légèreté un peu pataude, la thématique de la "luxure" - "magnifique, la luxure", disait pourtant Rimbaud -, d'autres s'attardent, et pataugent, pour la plus grande délectation des lecteurs, dans le domaine, également riche, de l'excrémentiel. Après avoir inventé le personnage de son "rouleur de bouse", le Moïse bicéphale conduisant l'exode maritime, Jean Raspail ne lâche pas l'affaire. Ainsi les ponts des rafiots en goguette vers l'Europe se peuplent de charmants "enfants chasseurs d'étrons, courant de-ci de-là, les mains jointes en forme de coupe", histoire d'assurer l'indépendance énergétique de l'armada. Bien documenté sur la question, l'auteur insiste sur le fait que les matières ainsi recueillies doivent être convenablement malaxées pour en évacuer l'humidité avant d'en faire usage de combustible.

Ainsi la flottille progresse-t-elle sur les mers, précédée d'une puanteur considérable...

(Car, dans les bons romans visionnaires, l'étranger, en plus d'être étranger, sent mauvais. Ce sont des choses qui se font.)

Mais ses agréments littéraires, ici trop rapidement notés, ne doivent pas nous faire oublier que Le Camp des Saints est également un livre de réflexion sur les menaces qui pèsent sur notre Occident, représentées par cette flottille merdeuse qui finit par s'échouer sur nos plages.

On peut couper au plus court dans les nombreuses pages que l'auteur consacre à de prétendus débats d'idées - elles sont très ennuyeuses et leur mise en dialogue est très scolairement lourdingue - et ne retenir que cette intervention d'un petit secrétaire d’État ubuesque, issu de la "majorité marginale" - et de Normale-Sup Lettres -, au cours d'un conseil des ministres consacré à la question :

"Monsieur le président", dit le secrétaire d’État, "lorsque mes collègues voudront enfin converser raisonnablement, je me permettrai de leur suggérer vingt solutions sérieuses à ce problème bouffon." Le Président : "Par exemple ?" Se dressa le secrétaire d’État, balayant la table du conseil de ses deux mains pointées de façon enfantine comme une arme imaginaire : "Tac tac tac tac etac etac tac tac. Vous êtes tous morts", dit-il. L'effarement fut à son comble lorsqu'on entendit l'amiral, dissimulé sur un tabouret derrière le fauteuil de son ministre : "Poum ! Poum ! Poum !" fit-il. "Qu'est-ce que c'est ?" demanda le ministre, l’œil affolé, en se retournant. "Monsieur le ministre, c'est le canon", répondit l'amiral.

(On voit que ce, chez les réalistes défenseurs de l'Occident, le fantasme massacreur ne date pas d'aujourd'hui.)

La fine suggestion du facétieux secrétaire d’État ne pourra être suivie - la faute à Big Other -, mais elle fera l'objet d'une mise en œuvre désespérée par un dernier noyau de fidèles aux valeurs occidentales qui, dans la joie et la bonne humeur, tireront dans le tas, jusqu'à ce que des avions portant "la cocarde de nos armées" déversent sur eux le feu du ciel qui les dévorera.

Quelques hélicoptères auraient peut-être été suffisants, mais il fallait bien faire comprendre aux lecteurs que ces vingt-là étaient des héros...

Des vrais, animés d'un vrai désir d'occire.

mercredi 27 juillet 2011

Un livre de référence (1)

Il y a déjà quelques mois de cela, un minutieux balayage des fréquences modulées sur mon récepteur me fit échouer sur une station de radiodiffusion peu audible dans la vallée profonde où je réside mais dont la réception est tout à fait claire sur les hauteurs de Belleville où je villégiaturais. Je pus ainsi suivre d'une oreille attentive un fragment de débat courtois portant sur la délicate question de la composition de l'équipe nationale de "balle-au-pied" - pour reprendre l'expression utilisée par l'un des participants qui voulait faire le plaisant. Peu friand de cette thématique essentiellement sportive, je poursuivis mon exploration et je crains fort de n'être resté assez longtemps à l'écoute pour avoir été suffisamment ré-informé. Je pus tout de même noter les deux références citées par les éclairés discoureurs : "1984" et "le livre de Jean Raspail"...

En première édition, le "livre de Jean Raspail".

Ce "livre de Jean Raspail", si connu des auditeurs qu'il serait vain d'en préciser le titre, est le roman à prétentions apocalyptiques que cet "écrivain, journaliste, voyageur et explorateur français, consul général de Patagonie" - dixit Wikipedia - a fait paraître, en 1973, dans la maison fondée et dirigée par Robert Laffont.

On sait que cet honorable éditeur a également publié des œuvres littéraires. Les amateurs de fictions subtiles et d'écritures sophistiquées lui doivent, notamment, ce très pur joyau qu'est la traduction du What Daisy Knew, de Henry James, par Marguerite Yourcenar, publiée en 1947 dans sa collection de littérature étrangère "Pavillons". Mais on sait aussi que, désireux d'importer en France la culture anglo-saxonne du best-seller plus ou moins manufacturé, Robert Laffont fut un grand chasseur de têtes de gondoles pour supermarchés du livre. On pourrait évoquer, à titre d'exemple, le succès obtenu avec le très exotique et très fabriqué Papillon d'Henri Charrière...

Je ne saurais dire s'il avait flairé dans Le Camp des Saints un chef-d’œuvre littéraire ou une meilleure vente potentielle, mais, selon l'auteur lui-même qui s'en vante en toute fausse modestie, Robert Laffont s'enticha de ce roman au point de s'en faire l'infatigable propagandiste.

Ce qui, à l'heure du déjeuner, dans le "bistrot italien de la rue des Canettes" où il avait l'habitude de tenir "table ouverte", n'était probablement pas du meilleur goût...

Édition de poche (1989, je crois).

Malgré les efforts de promotion de son éditeur, Le Camp des Saints n'est pas devenu un véritable best-seller, mais s'est plutôt imposé comme livre-culte d'un extrémisme de droite soucieux de la préservation de la civilisation occidentale ou déjà abîmé dans le regret de sa disparition. D'où sa longue carrière d'ouvrage de fond, soit de long-seller, constamment demandé et réimprimé, jalonnée de deux reprises en collection de poche, jusqu'à la récente nouvelle édition...

Toujours aux éditions Robert Laffont.

C'est Jean Raspail qui a suggéré à madame Nicole Lattès, directrice générale des éditions Robert Laffont de proposer au public cette nouvelle édition de son ouvrage prophétique, assorti d'une nouvelle préface permettant de le replacer dans le contexte contemporain. Ce texte, long de 27 pages, devait permettre à notre auteur de "mettre un certain nombre de points sur les i"... Nicole Lattès, dit-on, l’approuva sans réserves, mais son service juridique en émit de nombreuses et demanda des modifications, évidemment refusées par Raspail.

Une réunion de crise fut tenue, où, face à Me Jean-Claude Zylberstein, avocat des éditions Laffont, l'inflexible auteur fit intervenir son ami Me Jacques Trémollet de Villers, qui fut jadis le défenseur du milicien Paul Touvier. Ce bon maître dut convaincre tout le monde, puisque le livre est paru tel que Jean Raspail le voulait : avec sa préface, et une annexe où l'on peut trouver, pour information, et sans doute pour le plus grand plaisir de l'auteur, une liste de 87 passages du roman qui seraient susceptibles d'être poursuivis pour incitation à la haine raciale s'il paraissait actuellement.

A côté des talents oratoires de l'avocat, il n'est pas impossible qu'un autre élément soit intervenu... Dans son blogue, Pierre Assouline, qui connaît un peu (trop) le monde de l'édition, affirme que :

en cas de refus, [Jean Raspail] aurait repris ses droits et fait rééditer son livre par Lattès, maison animée par Isabelle et Laurent Laffont, les enfants de son ami Robert Laffont qui l’avait en son temps défendu bec et ongles auprès des libraires et de la presse.

A cette préface, dont la publication lui semblait si indispensable, Jean Raspail a donné le titre de Big Other. N'y voyez surtout pas une fine allusion translinguistique et humoristique au "grand Autre" de Jacques Lacan : quand on s'inquiète tant de la "submersion" de l'Occident par les "Autres", avec la complicité des traîtres et renégats,

la meute médiatique, showbiztique, artistique, droit de l'hommiste, universitaire, enseignante, sociologue, littéraire, publicitaire, judiciaire, gaucho-chrétienne, épiscopale, scientifique, psy, militante humanitaire, politique, associative, mutualiste,

(et il en passe),

ce n'est pas le moment de faire du comique post-lacanien...

Mais, on l'a vu, une discrète allusion à Georges Orwell ne peut pas faire de mal auprès du public diversement ré-informé, aussi avons-nous droit à des morceaux de bravoure comme celui-ci :

Big Other vous voit. Big Other vous surveille. Big Other a mille voix, des yeux et des oreilles partout. Il est le Fils Unique de la Pensée dominante, comme le Christ est le Fils de Dieu et procède du Saint-Esprit. Il s'insinue dans les consciences. Il circonvient les âmes charitables. Il sème le doute chez les plus lucides. Rien ne lui échappe. Il ne laisse rien passer.

On voit que notre grantécrivain maîtrise avec brio l'art délicat du détournement...

Pour le reste, cette préface ne me semble pas aller plus loin que la plupart des discours à parole libérée qui se font entendre un peu partout, et je n'ai pas cherché à souligner les passages qui ont pu faire trembler les conseillers juridiques des éditions Laffont, du moins avant qu'ils ne soient convaincus du peu de risque pris à la publier.

Le président-directeur général de la maison, monsieur Leonello Brandolini, a pourtant cru bon de rédiger une Note de l'éditeur pour le moins curieuse. En deux petites pages assez étriquées, il cherche à justifier la décision de rééditer le roman tout en se démarquant, avec une extrême discrétion, de l'opinion de son auteur. La phrase la plus explicite de son pensum est :

Jean Raspail connaît mon opinion, qui n'est pas la même que la sienne.

Aussitôt atténuée par :

Il connaît surtout la volonté que j'ai de permettre aux auteurs de s'exprimer en toute liberté.

On sent bien, là, qu'il faut admirer le courage - ça doit être le mot - de ce grand patron de l'édition, prêt à faire fi de ses propres convictions au nom de la liberté de ses auteurs - surtout de ceux qui peuvent se vendre ?

Un détail de la mise en page du volume que j'ai entre les mains attire mon attention : cette Note de l'éditeur est placée après l'épigraphe choisie par Jean Raspail, comme si elle faisait partie de l’œuvre elle-même...

Elle fait, quoi qu'il en soit, partie de la mise place commerciale de cette réédition.

Ce qui, on en conviendra, est une étrange manière de prendre ses distances avec un livre de référence au contenu raciste affirmé.

lundi 25 juillet 2011

Projection rouennaise

Projection publique / invitation
27 juillet 2011 / 19h
Centre ressource d'Echelle Inconnue
18, rue Sainte Croix des Pelletiers
à Rouen

De février à juin 2011, Echelle Inconnue organisait, à Marseille et dans le cadre de son projet «Smala», un cycle de conférence autour de l'Islam et de la ville. Non pour éclairer ce qui se passe ici du regard du spécialiste, mais pour envisager, à l'heure où, d'évidence, une stratégie de mé-connaissance est à l’œuvre, en quoi l'Islam et ses lieux structurent, aussi, l'espace de la ville.

Aujourd'hui, Echelle Inconnue vous invite à la diffusion de la première de ces conférences :

France rêve de mosquée : les imaginaires sociaux à propos des projets de lieux de culte musulman

par le politologue Vincent Geisser*.

«On a coutume de présenter les projets de lieux de culte musulman comme le produit d'une demande homogène émanant de la communauté musulmane. Or, derrière ce thème apparemment fédérateur se cachent en réalité des aspirations hétérogènes, révélatrices de la manière dont les imaginaires sociaux investissent la place et le rôle des lieux de culte musulmans au sein de l'espace urbain.»


* VINCENT GEISSER est politologue, chercheur à l'Institut de recherches et d'études sur le monde arabe et musulman (IREMAM) et enseignant à l'Institut d'Etudes Politiques (IEP) d'Aix-en-Provence.

Cette conférence de Vincent Geisser a été donnée à Marseille le 26 février 2011.

La diffuser à Rouen, c'est l'opportunité de rendre lisible le travail effectué à Marseille ou ailleurs par Echelle Inconnue. Une exposition courant septembre devrait suivre.

vendredi 22 juillet 2011

Si lointain, le regard d'Ardi

La photographie, de petit format, est plutôt ancienne et de médiocre qualité technique.

Elle représente le jeune Ardi Vrenezi, peut-être avant sa maladie, peut-être à son début.

Ardi Vrenezi.

En la regardant, j'ai souvent pensé à celles et ceux qui, à l'institut d'éducation motrice de Freyming-Merlebach, en Moselle, se sont employés à raviver cet éclat dans les yeux d'Ardi.

Jusqu'à ce que les autorités françaises décident de l'expulser, lui qui n'avait pas les papiers nécessaires...

Et je partage leur colère depuis assez longtemps pour imaginer leurs sentiments devant les dernières images reçues du Kosovo, où le regard d'Ardi semble perdu dans le lointain.

Détail d'une photo de mai 2011.

Hier soir, sur le blogue du comité de soutien à Ardi et sa famille, paraissait un lien vers une brève du Figaro, reprenant une dépêche de l'AFP et annonçant "Enfant malade expulsé : retour en France".

Il s'agissait bien d'Ardi.

Afin d'éviter le voisinage nauséabond des commentaires des lecteurs de ce quotidien - pourtant pas méchant pour deux sous, je souhaiterais volontiers à la plupart toutes les maladies dégénératives du monde -, il est préférable de se reporter au communiqué initial, rédigé conjointement par le RESF et l'APF (Réseau Éducation sans Frontières et Association des Paralysés de France) :

Ardi Vrenezi et ses parents autorisés à revenir en France

Son frère et sa sœur doivent l’être aussi !

La nouvelle vient de nous arriver par un mail de Mimoza, la sœur d’Ardi : ses parents et Ardi lui-même vont bénéficier d’un visa les autorisant à revenir en France. L’ambassade de France à Pristina confirme.

L’Association des paralysés de France (APF) et le Réseau Education sans frontière (RESF) se réjouissent de cette belle nouvelle. C’est un soulagement pour tous ceux qui se battent pour empêcher que cet adolescent polyhandicapé sévère subisse une mort prématurée et dans des conditions inacceptables faute de la prise en charge qui lui était donnée en France.

C’est d’abord la victoire de la famille d’Ardi qui a su tenir, ne pas lâcher, continuer d’espérer. C’est aussi celle de ceux qui, les premiers, se sont dressés contre cette situation scandaleuse : les soignants, les infirmières, les médecins, l’APF, RESF, le comité de soutien local à Ardi. Et puis c’est la victoire de tous ceux qui, chacun à leur place ont tenu à manifester leur refus que de tels faits se produisent. Les associations, les militants, les milliers de signataires des appels au retour d’Ardi, les personnalités qui ont mis leur notoriété au service d’une belle cause, les élus qui, par dizaines, sont intervenus, Manon Loizeau dont le documentaire (L’Immigration aux frontières du droit) a relancé la mobilisation, le Conseil régional d’Ile de France qui a affiché la photo d’Ardi sur ses grilles, le Conseil de Paris qui a adopté un vœu demandant son retour. Impossible de tous les citer mais un grand merci à chaque personne qui a été touchée par cette histoire.

Tout n’est pourtant pas acquis : si les parents d’Ardi ont bien un visa, sa sœur Mimoza, âgée de 18 ans et quelques mois, et son jeune frère Eduardi, 14 ans, eux, n’en ont pas. Envisage-t-on sérieusement, à l'Élysée, de les laisser au Kosovo sans leurs parents et sans ressource ? Il tombe sous le sens qu’ils doivent accompagner leurs parents.

Leur retour doit d’autre part, s’effectuer par avion spécial, car Ardi est lourdement handicapé et difficilement transportable.

Une délégation de l’APF et du RESF vient de solliciter le Ministère des Affaires Étrangères afin d’être reçu dès demain vendredi 22 juillet pour régler ces derniers points.

J'ignore si ce rendez-vous a été accordé, et quels en ont été les résultats...

Patience !

mercredi 20 juillet 2011

Les mystères de Saint-Sulpice

Lorsque, de la rue de Vaugirard, je rejoins la place Saint-Sulpice en empruntant l'allée du séminaire, il est extrêmement rare que je songe à Ernest Renan et que, par suite, je médite sur sa définition de la Nation ("une âme, un principe spirituel" ?). Si parfois ma pensée s'élève jusqu'à envisager une relecture de Là-bas de Joris-Karl Huymans, j'avoue que, la plupart du temps, la grossièreté native de ce qui me tient lieu d'âme me pousse à seulement retrouver la mémoire de ces quelques vers :

Je hais les tours de Saint Sulpice
Quand par hasard je les rencontre
Je pisse
Contre.

On les trouve parfois comptés de manière encore plus irrégulière :

Je hais les tours de Saint-Sulpice
Quand je les rencontre
Je pisse
Contre

Mais les rimes demeurent.

Souveraines...

Ce quatrain est attribué au discret Raoul Ponchon (1848-1937), qui disait de lui-même, en réponse aux demandes qu'on lui faisait de réunir en recueils ses "gazettes rimées" :

Je suis un poète de troisième rang, je ne puis admettre que l’on me mette au premier.

C'était en 1920. Le volume parut sous le titre La muse au cabaret, chez Fasquelle. Il a été repris en 1998 dans Les Cahiers Rouges des éditions Grasset.

Raoul Ponchon au Chat Noir. Dessin de Georges Redon.
(Illustration empruntée au blogue de Bruno Monnier
où l'on trouvera bien des choses sur Ponchon.)


Je n'avais jamais mis en doute cette attribution jusqu'à ce que je trouve, sur le site lyrikline.org, quelques poèmes enregistrés par Jacques Roubaud pour le printemps des poètes 2006, et notamment celui-ci :

Les tours de Notre-Dame

quand par hasard je rencontre
les tours de Notre-Dame
à la différence de Tristan Derème
qui

rencontrant les Tours de Saint-Sulpice
pissait
contre
je médite

d'une méditation quasi
modale
esméraldine presque, hugolâtre quoi,
assis dans le square

derrière
les nuages révérends se détournent
les pigeons gargouillent les touristes japonais se
photonumériquent
devant

fermé de grilles le pas-mal-à-l'abandon-jardin
où trois petits chats noirs boivent
le bon lait blanc de la France
Catholique

ils appartiennent à Monseigneur
(Lustiger)
plus tard ils grimperont parmi tes girouettes
ô joyau de l'art gothique!

(Pour l'entendre dit par Roubaud, il faut aller chez lyriklin.org.)

Vous l'avez lu et entendu, c'est au gentil Philippe Huc, en poésie Tristan Derème (1889-1941), qu'est attribué ici le compissage poétique et systématique des tours de Saint-Sulpice...

Et cela me trouble fort, reconnaissant en Jacques Roubaud, mémoire vivante de la poésie française, un des marcheurs les plus érudits de la capitale, capable de se promener à l'aise, et en vers, dans des rues disparues.

Promeneur des rues mortes

***************************A François Caradec

Je suis dans Paris un promeneur des rues mortes
Des rues qui ne sont plus, des rues débaptisées,
Effacées, trucidées, tronquées, amenuisées,
Rue du Contrat Social ou Rue Entre-Deux-Portes
Où es-tu Rue Sensée, Ruelle des Fouetteurs
Rue de la Pomme Rouge , Rue du Pot au Lait
Ruelle des Paillassons, Rue du Grand Hurleur,
Rue Perdue, Rue Grillée, Petit Four, Petit Pet
Oh belles disparues, De La Champignonière,
Ruelle des Trois Morts, Rue des Trois Crémaillères,
Rue Qui Trop Va Si Dure et Rue du Champourri
Passages! Cul-de-sacs! Chemins! Quais! Places! Sentes
Piéton ignoré de la foule indifférente
Je marche seul dans la Rue Où Dieu Fut Bouilli

(Pour l'entendre dit par Roubaud, il faut toujours aller chez lyriklin.org.)

Oui, mais voilà : je doute.

J'ai donc décidé de faire de cette taraudante question notre grand jeu culturel de l'été.

Pour gagner, il faudra bien sûr trancher, preuves à l'appui, entre Ponchon et Derème...

Afin de départager la foule des candidat(e)s, il sera demandé à chacun(e) un développement en 1500 signes typographiques, espaces compris, sur l'histoire et la géographie de cette curieuse "Rue Où Dieu Fut Bouilli". Les alexandrins, même boiteux seront acceptés.

Le premier prix sera une dédicace autographe de mes œuvres posthumes.

Il n'est pas impossible qu'il y ait un peu de délai à prévoir...


PS : Il est possible que ces deux poèmes de Jacques Roubaud soient repris dans La forme d'une ville change plus vite, hélas, que le cœur des humains, aux éditions Gallimard... Mais n'ayant pas le livre sous la main, je ne puis vérifier.

PPS : D'une perquisition toute récente au cœur de ma bibliothèque, il appert que Promeneur des rues mortes a été publié dans Churchill 40 et autres sonnets de voyage, aux éditions Gallimard, en 2004. Quant au poème sur Les tours de Notre-Dame, qui n'ont aucune raison d'être moins mystérieuses que celles de Saint-Sulpice, et sont infiniment plus belles, il est peut-être resté inédit...

dimanche 17 juillet 2011

Que maudit soit mon beau-frère

Une terrible malédiction poursuit Laurent Joffrin : quand il veut faire de l'esprit, il atteint à peine le niveau prudhommesque de mon beau-frère qui doit bien être, sans conteste, le beau-frère le plus bête de France - oui, j'ai de la chance, et ma sœur aussi.

Pour introduire sa profonde réflexion sur les récents propos de madame Eva Joly, notre éditorialiste maudit écrit :

Supprimer le défilé militaire du 14 juillet ? Avec tout le respect qu'on lui doit, il faut dire à Eva Joly que cette idée respire la naïveté inconséquente et que la candidate écologiste aurait mieux fait, ce jour-là, d'aller s'occuper de son jardin bio.

(Je n'y peux rien, j'entends le rire crétin de mon beau-frère... Serais-je poursuivi par cette malédiction-là ?)

Elle n'est pas mauvaise, hein, ma bien-bonne ?
(Photo SIPA, choisie pour illustrer les éditos de notre auteur.)

Homme de haute culture de gauche, l'éditorialiste le plus creux de France poursuit :

Il y a certes une tradition d'antimilitarisme à gauche, qui a ses justifications. Entre les assassins de 1848, les émules de Badinguet, les fusilleurs de la Commune, les accusateurs de Dreyfus, les ganaches de 14-18 si prodigues du sang des soldats, les militaires pétainistes ou les agents du colonialisme armé, jusqu'aux putschistes de l'Algérie française, il y a eu dans l'histoire suffisamment de militaires rangés du côté de la plus noire réaction pour expliquer cette tradition qu'on retrouve aujourd'hui encore au Canard Enchaîné, à Charlie Hebdo ou dans les rangs de l'altermondialisme.

On lui saura gré de faire une liste "suffisante", mais sûrement incomplète, non pas pour justifier, la survivance d'une "tradition d'antimilitarisme" qui se serait ringardisée "au Canard Enchaîné, à Charlie Hebdo ou dans les rangs de l'altermondialisme", mais pour motiver une position antimilitariste conséquente et rien moins que naïve, totalement ignorée de monsieur Joffrin, "avec tout le respect qu'on lui doit".

Il lui suffira d'aligner quelques "réalités élémentaires" chères au sens commun et à la propagande des services de la communication des armées avant de pouvoir conclure :

Si l'on considère ces quelques réalités élémentaires, le défilé du 14 juillet est parfaitement légitime. On ne peut demander aux soldats français de secourir telle ou telle révolution démocratique, de protéger nos ressortissants à l'étranger ou de couvrir telle ou telle opération humanitaire et les cacher ensuite comme si nous en avions honte. Eva Joly devrait y réfléchir.

Je suis persuadé qu'après avoir lu ce merveilleux texticule si joliment tourné, madame Eva Joly est en train de réfléchir à toutes ces occasions où l'on aurait vu les soldats français effectivement "secourir telle ou telle révolution démocratique", ou "protéger nos ressortissants à l'étranger", ou encore "couvrir telle ou telle opération humanitaire"...

Mais il est probable que leur désintéressement, dont monsieur Joffrin fait un vibrant éloge, les a conduits à cacher les éclats de tels succès.

Pas le genre à exhiber leurs médailles...
(Photo M. Medina/AFP)

L'avantage que l'on peut retirer de la lecture de ces plates joffrinades, si niaisement consensuelles, est peut-être d'avoir envie de lire des choses plus consistantes...

Sortant de cette dénonciation bêtasse de l'antimilitarisme, m'est venue l'idée de retrouver dans La Boucle (éditions du Seuil, 1993), de Jacques Roubaud, quelques passages où, parlant de son père Lucien Roubaud, il évoque ces normaliens de la rue d'Ulm qui, dans les années 20, s'affirmaient pacifistes et antimilitaristes dans le sillage du philosophe Alain - violemment dénoncé par ceux qui allaient constituer, plus tard, la "droite collaboratrice". Par conviction, ces jeunes gens s'opposaient de toutes les manières possibles aux séances de PMS (Préparation militaire supérieure) auxquelles les conviaient instamment les autorités militaires. Jacques Roubaud cite, pour notre plus grand plaisir, une lettre adressée par son père au directeur de l’École normale supérieure qui lui demandait des explications sur son absentéisme :

Monsieur,

J'ai estimé qu'il était vraiment trop inutile pour moi, et pour les autres, de m'adonner à la préparation intensive d'un examen dont le résultat, en ce qui me concerne, est déjà décidé. J'ajoute que je n'ai été empêché de prendre part aux séances de Romainville, où j'avais cependant l'intention d'aller, que par le pensée des perturbations que mon inexpérience ne pourrait manquer de jeter dans les manœuvres. Veuillez croire, Monsieur, à ma considération.

Jacques Roubaud a retrouvé cette lettre dans l'ouvrage Génération intellectuelle : Khâgneux et normaliens dans l'entre deux guerres (Fayard, 1988, puis Quadrige/Presses Universitaires de France, 1994), de Jean-François Sirinelli. La référence "Arch. Nat. 61 AJ 198" y est indiquée et il est précisé :

Le passage en italique était souligné par le destinataire, avec, en marge, cette appréciation : "raison inadmissible".

D'autres stratégies étaient, bien sûr, mise en œuvres :

Mon père a souvent évoqué la réussite de Canguilhem, renversant comme sans le faire exprès, lors d'une inspection, une lourde mitrailleuse sur les pieds d'un colonel.

Et pourtant Georges Canguilhem et Lucien Roubaud, et beaucoup d'autres de cette génération haïssant la chose militaire, se sont retrouvés dans les rangs de la résistance à l'occupant.

Jacques Roubaud recourt à la notion simple mais forte d'un "patriotisme" immédiat, détaché de tout nationalisme et de tout militarisme :

Avant toute autre considération (l'antifascisme, l'antiracisme par exemple) mon père s'est engagé par patriotisme. Et il ne l'a pas fait à moitié. Le disciple d'Alain, l'étudiant pacifiste, antimilitariste des années vingt, qui avait refusé (comme ses amis d'alors) le Préparation militaire supérieure et avait fait son service militaire, volontairement, comme simple soldat, se mit, en 43, au service d'un général dont il ne partageait guère les convictions politiques ou religieuses (et il se sépara de lui la guerre finie, précisément pour cette raison-là : leur unique point commun fut de ne pas accepter l'avilissement national que représentaient l'armistice, le règne des Allemands et de leurs disciples français, les "collaborateurs").

Monsieur Laurent Joffrin "devrait y réfléchir".

vendredi 15 juillet 2011

Pour garder les yeux ouverts

"Regarde de tous tes yeux, regarde !"
Jules Verne, Michel Strogoff, 1876.


Je me souviens que Georges Perec aimait cette citation.

Et cela m'est revenu en regardant cette vidéo, réalisée à la demande de l'association augenauf de Zurich.

On pourrait lui donner le titre très perecquien de

"Tentative de reconstitution de la préparation d'une expulsion",

et le parti-pris de la mise en scène d'éviter tout pathos en se concentrant uniquement sur les gestes techniques dans un décor minimal situe peut-être ces images dans le domaine de l'infraordinaire.

Ce qui ne les empêche pas d'être parfaitement glaçantes.

L'option d'intégration étant désactivée, il faut regarder la vidéo sur YouTube.
Cliquez sur la capture d'écran pour y accéder.

L'association augenauf précise que cette reconstitution a été réalisée à partir des témoignages de personnes expulsées selon cette procédure par les autorités suisses, complétés par l'étude du matériel documentaire utilisé pour la formation des personnels de la police suisse.

Enfin, augenauf rappelle que le 17 mars 2010, Joseph Ndukaku Chiakwa est mort ficelé sur une telle chaise, tandis que 16 autres personnes, ligotées comme lui, attendaient d'être placées dans le même avion que lui, en partance pour Lagos, au Nigeria.

jeudi 14 juillet 2011

La bonne conscience du monde

Il est probable que la rédaction de la Voix du Nord se trouvait trop dégarnie, en cette période estivalo-vacancière, pour envoyer quelqu'un(e) "couvrir" l'audience de mardi dernier au tribunal de grande instance de Boulogne (sur Mer).

Je ne sais si j'arriverai à m'en consoler...

C'est donc dans les Inrocks que l'on pourra lire, sous la signature de Camille Polloni, le compte-rendu du procès du 12 juillet, où étaient cités à comparaître trois militant(e)s no border accusé(e)s d'un joli assortiment de faits délictueux, comprenant violence en réunion, occupation illégale et refus de soumission à la prise d’empreintes.

Et que l'on apprendra que Jans, Lauren P. et Lauren L. ont été "relaxés au bénéfice du doute pour les faits de rébellion et condamnés pour le refus d’empreinte, mais avec une dispense de peine".

Camille Polloni ajoute :

Jugement accueilli par une salve d'applaudissements.


Un peu de couleurs dans ce monde trop gris...
(Photo empruntée à fragmentdetag.)

Les faits reprochés aux trois militant(e)s remontent au 21 avril, à 9 heures du matin, lors d'une visite, tout à fait discourtoise, de fonctionnaires de la police aux frontières (PAF) et de quelques CRS à l'African House. Il s'agissait - le lieu a depuis été évacué - de locaux industriels désaffectés reconvertis en squat où les migrants pouvaient alors dormir .

Le président du tribunal rappelle les faits : Jans et les deux Lauren, "membres de la mouvance No Border", auraient résisté à leur interpellation sur ce terrain squatté. Lauren P. est accusée de s'être jetée sur une gardienne de la paix pour tenter de lui arracher la caméra fixée à son épaule. La justice reproche à Jans d'avoir attaqué à son tour pour défendre son amie, et porté un coup au policier qui la maîtrisait. La jeune fille aurait alors pu charger un autre fonctionnaire. Lauren L., enfin, se serait précipitée sur un de ses collègues.

Un corps-à-corps qui se termine au commissariat, et dont ne subsiste, selon le médecin légiste qui a examiné les policiers, aucune "stigmate lésionnelle visible".

L'article des Inrocks donne le verbatim de la version de la redoutable Lauren P. qui selon la version officiellement assermentée aurait, avec l'aide occasionnelle de Jans, mis hors de combat deux fonctionnaires de police....

"J'ai suivi une femme policier qui entrait dans l'entrepôt, en la filmant. Les migrants montaient sur le toit pour s'enfuir, elle a retiré l'échelle. Elle est allée contrôler l'identité d'un premier migrant, puis d'un deuxième. Je la suivais toujours, elle était de plus en plus hostile envers moi, mettait sa main devant, se retournait, m'empêchait de filmer. Je la contournais, à un moment j'ai décidé de m'asseoir. Elle a saisi la caméra, l'a retiré de ma main et a marché dessus. Quatre policiers m'ont alors traînée par terre puis menottée. A l'extérieur, j'ai donné mon passeport, puis attendu quelques minutes avant d'être emmenée au commissariat."

Selon elle, sa caméra serait maintenant "détruite" et lui aurait été rendue "sans carte mémoire"...

Il faut dire que ce n'est guère plaisant d'être filmé pendant ses heures de travail.

Et il faut peut-être aussi rappeler que ces faits intervenaient une dizaine de jours après la mise en ligne, sur le site des Inrocks et celui de Rue 89, des "vidéos qui font honte" justement tournées par des militant(e)s no border. Maître Marie-Hélène Calonne, avocate de la défense, fera allusion à ces vidéos : "Effectivement ce sont des vidéos qui font honte à la police et à la façon dont elle travaille."

Il semble que le président ait laissé dire, mais un peu avant, alors que Jans venait de déclarer

"Nous sommes là à cause des brutalités policières, c'est pour ça que nous avons des caméras."

il avait cru bon d'ironiser

"Oui oui, vous êtes la bonne conscience du monde."

J'ignore si le libre exercice de ce type d'ironie méprisante fait partie des prérogatives d'un président de tribunal...

(Mais je ne m'aventurerai pas à supposer qu'à force de juger en son âme et conscience on puisse finir par l'avoir mauvaise.)


Face à l'ironie magistrale, la solidarité des consciences.
(Photo Les Inrocks.)

PS :

Le travail mené sur le terrain par les militant(e)s no border a abouti, le 22 juin dernier, à la publication de Calais : cette frontière qui tue, un "rapport d'observation des violences policières à Calais depuis 2009".

Soutenu par une vingtaine d'associations et d'organisations telles que le Groupe d'information et de soutien des immigrés (Gisti), la Ligue des droits de l’homme, Emmaüs International, le syndicat de la magistrature ou encore le syndicat des avocats de France (SM), "No Border" a d'ores et déjà envoyé une lettre de saisine au Défenseur des droits s'appuyant sur ce dossier. Les associations demandent ainsi à Dominique Baudis de "mettre en œuvre les moyens d'investigation propres à vérifier et corroborer l'existence des violences constatées" par elles-mêmes.

Pour lire ce rapport, il faut le télécharger.

A condition que la fréquentation de "la bonne conscience du monde" ne vous rebute pas trop...

mardi 12 juillet 2011

Pas vraiment au courant

Reçu hier en fin de matinée, ce courriel émanant du CSP59 :

NFAKARY A RENDEZ VOUS AVEC UN CHIRURGIEN, IL NE PEUT ÊTRE EXPULSE !

Et pourtant c’est ce que vient de faire le préfet du Nord avec Nfakary qui allait être libéré après 30 jours de détention au CRA de Lesquin.

Nfakary a été amené à l’aéroport de Lesquin en vue d’être expulsé en Guinée.

Cet ex-gréviste de la faim de 2007 (près de 60 jours sans manger) a subi une opération de la jambe dans laquelle a été vissée une broche et qui doit être extraite par une opération chirurgicale.

La préfecture du nord n’en a rien à faire et l’embarque en vue de l’expulser.

Le CSP59 dénonce cet acharnement de la préfecture qui continue de se venger contre les grévistes de la faim de 2007.

Le CSP59 rappelle que la communauté guinéenne de France et particulièrement de Lille dont les sans papiers ont par des manifestations soutenues les luttes du peuple de Guinée contre l’autocratie militaire et pour la démocratie.

Le CSP59 interpelle les autorités guinéennes et appelle le peuple fier de Guinée afin de faire respecter par la France les droits de ressortissants guinéens.

Fait le 11/07/11.


Considérant qu'il est peu probable qu'une agence de presse s'intéresse à cette information et diligente un(e) de ses correspondant(e)s pour la vérifier, je la copicolle telle que, sans même savoir si l'expulsion a bien eu lieu... Au cas où, un(e) porte parole d'une des administrations ayant participé à cette discrète ignominie sera venu(e) expliquer qu'il est tout à fait possible de renvoyer un "clandestin" en attente d'une opération chirurgicale si la possibilité de soins existe dans son pays d'origine.

Et en l’occurrence, on nous dira qu'il est avéré que l'on peut trouver d'excellents tournevis en Guinée.


Modèle compact dit "quatre en un".
Existe aussi en acier chirurgical.

Si Nfakary a été "reconduit" avec une broche dans la jambe, Ardi Vrenezi a été expulsé vers le Kosovo, avec sa famille mais sans son fauteuil...

C'était le 4 mai 2010.

Pour ceux qui ne seraient pas vraiment au courant, voici le résumé des faits, tiré du texte de l'appel pour le retour d'Ardi et de sa famille mis en ligne par le RESF :

Ses parents étaient venus avec lui en France en juillet 2008 pour qu’il soit soigné, n’ayant pas eu de diagnostic pour sa maladie dans leur pays, et aucun traitement efficace de sa pathologie. Ils avaient vendu leur maison pour payer le voyage. Hospitalisé dès son arrivée en France dans un état préoccupant, l’évolution de la maladie avait été freinée : « un miracle » disaient ses parents.

Le 3 mai 2010, les parents, le frère et la sœur d’Ardi sont interpellés. Ardi est arrêté le soir même au sein de l’institut d’éducation motrice où il était soigné, par une escouade de policiers. Le directeur de l’institut n’a pas été prévenu, les infirmières non plus. La plupart des enfants dorment. Ardi est arraché de son lit, transféré sur un brancard, placé dans une ambulance et mis en centre de rétention pour la nuit. Le lendemain matin il est mis dans un avion avec sa famille à destination de Pristina.


Depuis lors, faute de médicaments et de soins adaptés, son état s’est considérablement dégradé. Il ne se lève plus, ne sourit plus, ne parle plus. Il a des difficultés de déglutition qui s’aggravent et nécessiteraient une aide alimentaire, impossible au Kosovo. Il maigrit, il a faim. Il reçoit les médicaments indispensables de France, ceux-ci n’étant pas accessibles ou étant même inexistants au Kosovo. Interpellé sur cette situation inacceptable, l’État Français persiste dans sa dramatique erreur d’appréciation, et accrédite par tous les moyens la thèse qu’il y aurait au Kosovo une prise en charge adaptée à la situation de polyhandicap. Ceci est faux.

La pathologie dont Ardi est atteint ne laisse certes pas espérer de survie à long terme. Ardi va mourir, mais sans les soins adaptés, il mourra plus vite, et dans des conditions inacceptables de faim et de douleurs.

Depuis plus d'un an, le comité de soutien à Ardi et sa famille tente d'interpeller les autorités et d'alerter l'opinion - on trouvera tous les détails des actions entreprises sur le blog de Ardi tenu depuis le 8 mai 2010. Il se heurte à un mur bétonné de silence et d'indifférence qui commence à peine à se lézarder...

La dernière action en date, épaulée activement (enfin !) par le Réseau Education Sans Frontières, a eu lieu le 7 juillet, le jour même choisi par l'UMP pour tenir convention sur "les défis l'immigration". Commencée aux abords de l'Assemblée Nationale, où, pour reprendre l'expression de Marine Turchi et Carine Fouteau dans Médiapart, les militants et les élus pouvaient "se lâcher", la journée s'est achevée par l'accrochage symbolique d'une affiche appelant au retour d'Ardi sur les grilles du siège du Conseil Régional d'Ile de France.

Au 57 rue de Babylone, Paris VIIe.

La presse n'a pas fait grand cas de cette manifestation.

Curieusement c'est dans l'Express que l'on trouve une courte vidéo, introduite par :

En marge de la convention que tenait ce jeudi l'UMP sur l'immigration à l'Assemblée nationale, un rassemblement symbolique était organisé ce jeudi 7 juillet afin d'interpeller le parti majoritaire sur le destin d'Ardi Vrenezi, adolescent polyhandicapé expulsé vers le Kosovo il y a un an.

Gino Delmas et Aurélien Chartendrault, qui ont réalisé ce reportage, ont sans doute voulu, par souci d'équilibre journalistique, donner la parole à quelques fervents défenseurs de la politique gouvernementale - ce sont des choses qui se font, dans la presse -, aussi pouvons nous voir et entendre messieurs Lionnel Luca (à 1 min 30 sec) et Claude Goasguen (à 2 min 04 sec).

L'un n'est au courant de rien - et puis il semble si pressé de rejoindre ses amis vrais amateurs de saucissonnage qu'il ne peut s'attarder -, et l'autre, peut-être pas plus informé, professe une foi très touchante dans le dogme républicain de l'infaillibilité préfectorale...




(Pardon pour les publicités qui m'ont été imposées... )



PS : Pour signer l'appel RESF, c'est à cette adresse.

Et pour lire La lettre d'Ardi Vrenezi, qui fait le point sur la situation, c'est à cette autre adresse.

mardi 5 juillet 2011

Projet de mise en vacance

C'est comme un rêve, mais aussi le programme idéal de la mise en vacance que je compte bien approcher dans les semaines qui viennent :

Aujourd'hui je n'ai rien fait.
Mais beaucoup de choses se sont faites en moi.

Des oiseaux qui n'existent pas
ont trouvé leur nid.
Des ombres qui peut-être existent
ont rencontré leurs corps.
Des paroles qui existent
ont recouvré leur silence.

Ne rien faire
sauve parfois l'équilibre du monde,
en obtenant que quelque chose aussi pèse
sur le plateau vide de la balance.

Roberto Juarroz, Treizième poésie verticale, 52,
dans la traduction de Roger Munier, pour les éditions José Corti (1993).

Ce qui donne, en version originale, et pour l'oreille des hispanisant(e)s :

Hoy no he hecho nada.
Pero muchas cosas se hicieron en mí.

Pájaros que no existen
encontraron su nido.
Sombras que tal vez existan
hallaron sus cuerpos.
Palabras que existen
recobraron su silencio.

No hacer nada
salva a veces el equilibrio del mundo,
al lograr que tambièn algo pese
en el platillo vacío de la balanza.



Ps : Comme ce projet a quelque chose de surhumain, il est possible que, de temps à autre, le strict silence dont tout le monde rêve, soit interrompu par une note intempestive...

vendredi 1 juillet 2011

Corps étranger

En découvrant, sur le site de Rue 89, le "grand entretien" avec Catherine Millet, un premier étonnement, minuscule : ainsi donc, cela ne fait que 10 ans qu'a été publiée La Vie sexuelle de Catherine M. !

De cette lecture, que je découvre pas si ancienne que je l'aurais cru, me reste surtout le souvenir d'un long texte ennuyeux, essentiellement descriptif, dont le seul tour de force m'avait semblé être de pouvoir discourir de vie sexuelle en évitant presque totalement de parler des plaisirs qui en font, dit-on, le principal agrément. Si je me souviens bien, l'auteure y évoque davantage, en diverses figures avec ou sans style, son excitation que sa jouissance...

A cette impression, ajoutons un certain agacement à entendre un peu partout célébrer l'écriture de ce livre qui, en somme, ne faisait qu'appliquer le déjà vieux procédé littéraire de l'écriture blanche au récit d'une autobiographie sexuelle - au sens où l'on parle d'autobiographie intellectuelle. On mesurera la nouveauté de la recette en se rappelant que L’Étranger d'Albert Camus, qui est peut-être la grande réussite du genre, est paru en 1942.

Édition de poche, Points Seuil, 2002.

D'autres étonnements sont nichés dans le corps de cet article où "dix ans après, Catherine Millet vous reparle de sexe (et d'amour)"...

Je ne sais pas si Catherine Millet parlait du viol il y a dix ans, et je n'ai pas envie de relire son livre pour vérifier, mais il se trouve qu'elle est ici conduite à aborder le sujet.

Après avoir dit toute son admiration pour Anne Sinclair, elle est appelée à se prononcer sur l'articulation possible entre "libertinisme et féminisme".

Cri du cœur et/ou forte pensée :

Plutôt que de créer des associations pour aider les femmes à déposer des plaintes et payer des avocats, les féministes feraient mieux de leur apprendre à considérer ces agressions sexuelles avec une certaine distance, à les relativiser, à renforcer leurs « défenses naturelles ». Il faut aider les femmes à être fortes par elles-mêmes plutôt qu'en se réfugiant derrière la loi.

Et puisqu'on en arrive aux leçons à donner, Catherine Millet ne va pas se priver. Il faut dire qu'elle a au moins une forte référence : elle en a parlé, "il y a longtemps", avec la romancière Christine Angot qui "trouve atroce l'entourage des filles violées et notamment, victimes d'un inceste, et qui les entretiennent dans ce traumatisme par des procès intentés des années après" (orthographe Rue 89), et elle sait ce qu'on devrait leur dire, à ces "filles violées" :

«La chose a eu lieu, elle ne t'a pas marqué de façon indélébile, tu peux vivre ta vie dans un autre habit que celui de la jeune fille victime d'un viol.»

Et, comme si cela ne suffisait pas, elle insiste :

Je risque de choquer, mais je ne comprends pas les femmes qui se disent traumatisées, sévèrement traumatisées par un viol.

(En général, quand on reconnaît que l'on "risque de choquer", on éprouve une sorte de jouissance d'ordre intellectuel. On est bien content de la voir varier ses plaisirs...)

Mais face à de telles affirmations, qui pourraient révéler un beau cas de résilience, on est conduit à se poser une question :

"Avez-vous été vous-même victime d'un viol ?"

Elle répond :

"Non, et j'espère que cela ne m'interdit pas d'avoir une opinion sur la question ! Je pense que s'il m'était arrivé de me voir imposer un acte sexuel - et après tout, ça m'est peut-être arrivé, et j'ai oublié -, j'aurais laissé faire en attendant que ça se passe, et je m'en serais tirée en me disant que c'était moins grave que de perdre un œil ou une jambe. Je ne me serais pas sentie atteinte. Ma personne ne se confond pas avec mon corps."

J'espère que le fait de n'avoir jamais violé personne ne m'interdit pas d'avoir, moi aussi, "une opinion sur la question", et même une opinion sur cette "opinion sur la question"... Ce que je m'interdis, c'est de porter le moindre jugement sur la manière dont les "filles violées" cherchent à surmonter ce qui, pour elles, a été, est encore et restera un traumatisme.

C'est justement sur ce mot de "traumatisme" que Catherine Millet ergote, avec toutes les ressources de la mise en situation de son imagination. Elle aurait donc "laissé faire en attendant que ça se passe" et s'en serait "tirée" en se disant "que c'était moins grave que de perdre un œil ou une jambe".

La documentation de l'interviewée étant de toute évidence très limitée, on aurait pu lui signaler que cette tentative de mise à l'abri en se dissociant de son corps revient très souvent dans les récits de viols faits par les victimes, et que cela n'empêche aucunement le traumatisme et les conséquences du traumatisme...

Catherine Millet dirait peut-être que ces femmes ne sont pas assez "fortes", et que surtout elles ignorent, ces nulles, ce grand principe métaphysique dualiste :

Ma personne ne se confond pas avec mon corps.

Pour qui entendrait là comme un écho pas trop assourdi de sacristie janséniste, Catherine Millet tient à le confirmer - après un détour où elle expédie la "morale de l'Islam" ("Mon opinion est qu'une femme née dans cette culture-là doit s'en libérer. C'est tout.") -, en citant l'inévitable Saint Augustin (La Cité de Dieu) :

« Tant que se maintient ferme et inchangée cette volonté [vertueuse], rien de ce qu'un autre peut faire du corps ou dans le corps, et qu'on ne peut éviter sans pécher soi-même, n'entraîne de faute pour qui le subit… »

La lumière augustinienne éclaire d'une bien intéressante façon le mépris du corps affiché par la "permissive" post-soixante-huitarde Catherine Millet.

Et curieusement, cela me rappelle un ouvrage que j'ai lu avec plus d'attention que La Cité de Dieu en ces années soixante-dix. C'était l'adaptation française d'un livre américain de 1971, écrit par un certain "Collectif de Boston pour la santé des femmes". Je ne me souviens plus du titre de la version anglaise que j'avais lue d'abord, mais en français, cela avait donné :

Notre corps, nous-mêmes

Le papier était de mauvaise qualité, les photos très moches,
mais on y oubliait allègrement Saint-Augustin.