dimanche 27 février 2011

Un César pour l'Escalier


... pour une bonne semaine, ou une petite quinzaine.

jeudi 24 février 2011

Sens de la fraternité

Je ne me souviens pas que, dans le seul pays du monde arabe que je connaisse un peu, on m'ait un jour appelé "mon fils". Les vieux messieurs du café Riche, au Caire, qui avaient lu Baudelaire, et peut-être aussi Montesquieu, m'ont salué, en français, en m'appelant "monsieur".

Mais un peu partout j'ai été accueilli comme un frère.

Cette fraternité-là, que j'ai acceptée, j'espère ne jamais l'avoir oubliée.

A preuve, peut-être, cette colère qui me prend à lire certaines déclarations...

Mais cela ne fait pas un billet.


PS : C'est peu, mais toujours ça.

Halte aux massacres en Lybie !

Solidarité avec les luttes de tous les peuples arabes

Le Comité Sidi-Bouzid et le Comité de solidarité avec la lutte du peuple égyptien proposent à l'ensemble des collectifs de soutien, marocains, algériens, tunisiens, égyptiens, yéménites, libyens, palestiniens ainsi qu'aux organisations associatives, syndicales et politiques françaises, de se rassembler samedi 26 février, l'occasion de la manifestation prévue dans le cadre de la semaine anti-coloniale. Les organisateurs proposent à l'ensemble de nos associations de rejoindre la tête de la manifestation

pour dire :

  • Halte aux massacres des populations en Libye, à Bahreïn et au Yémen !
  • A bas les dictatures ! Halte au soutien aux dictatures !
  • Halte à l'islamophobie et à la xénophobie d'État !

Les processus en cours dans les différents pays arabes et du Moyen Orient, portent tous l'aspiration immédiate à la démocratie, à la chute des dictatures, et à la justice sociale.

Solidarité sans ingérence avec les luttes de tous les peuples arabes !

Manifestation samedi 26 fevrier 2011
15 heures place de la République - Paris
en direction du ministère des affaires étrangères

Premiers signataires : Comité Sidi-Bouzid, Comité de Solidarité avec la lutte du peuple égyptien, ACHR...

mardi 22 février 2011

Des reliquats de pratiques anciennes

Un fois de plus, monsieur Nicolas Sarkozy ne s'était pas trompé : son excellence Boris Boillon est décidément un personnage plein de ressources.

Parlant, dit-on, un très bel arabe, il aurait pu devenir un remarquable représentant en tablettes de chocolat dans les pays du Maghreb. Madame Marine Le Pen, photo à l'appui, nous en a fait la révélation l'autre dimanche. Elle donnait l'impression de s'en offusquer, et s'est déclarée "effondrée". Peut-être n'aime-t-elle pas le chocolat, et on admettra que c'est son droit le plus strict.

Mais pourquoi vouloir en dégoûter les autres ?

Madame Le Pen tentait de lancer une vaine polémique puisque l'on sait que ce brillant jeune homme, diplômé de Sciences-Po et de Langues-Zo, a décidé de devenir représentant en "philosophie" franco-sarkozienne, avec un sens étonnant de l'à-propos pipolitique.

Ainsi, comme l'a révélé le blogue Big Browser relayant Le Post, on a pu l'entendre évoquer, sur le plateau de Canal+, les amicales relations qu'il avait pu établir avec le délicieux colonel Kadhafi qui l'appelle "mon fils"... On peut le voir, très décomplexé, répondre à un vague frémissement désapprobateur par cette sublime maxime dont la profondeur philosophique abyssale ne devrait pas vous échapper :

"Dans sa vie, on fait tous des erreurs et, dans sa vie, on a tous droit au rachat."

(Combien de fois, "mon fils" ?)

Il parlait des "erreurs" du colonel, pas des siennes.


Le droit à l'erreur, en personne.
(En fait de chiens, on n'en voit qu'un.)

Errare humanum est, ainsi que le proclament les pages roses de mon petit Larousse...

On a comme l'impression que certains pourraient avoir à abuser de cette piètre excuse de minable, s'ils savaient reconnaître leurs "erreurs" - mais de cela on peut douter.

Ce blogue n'ayant pas "vocation à" accueillir toute l'ignominie de la Realpolitik à la française, contentons-nous de retrouver, avec Samuel Laurent, journaliste au Monde, dans son article intitulé Les amitiés libyennes de Patrick Ollier, d'aimables propos de monsieur Patrick Ollier faisant le portrait de l'homme qui envoie actuellement des chasseurs mitrailler son peuple :

"Kadhafi n'est plus le même qu'il y a vingt ans et a soif de respectabilité. Il lit d'ailleurs Montesquieu".

Dit-il dans le Monde.

"Le colonel Kadhafi est un homme surprenant. Quand vous lui parlez, vous avez l'impression qu'il est ailleurs mais en réalité il vous écoute et possède des capacités d'analyse et de décision qui sont stupéfiantes. Contrairement à ce que l'on croit, ce n'est pas un personnage fantasque."

Dit-il dans le JDD,

Avant d'ajouter qu'il "doit peut être exister quelques reliquats de pratiques anciennes comme la torture" en Libye.

Pour ces mots-là, on accrocherait bien monsieur Ollier, en bonne place, à la lanterne.

Tout à fait virtuellement, bien entendu.

Car, dans la patrie de Montesquieu, nous avons depuis quelque temps rompu avec ces "reliquats de pratiques anciennes"...

lundi 21 février 2011

Ils ont bouté le feu au 127 bis

En Belgique, l'équivalent de nos Centres de Rétention Administrative (CRA) portent le nom légèrement moins ambigu de "centres fermés".

Il en existe six, gérés par l’Office des Étrangers. Leur capacité totale est de 628 places. Ils "reçoivent" environ 7000 personnes chaque année.

Les centres fermés ne sont officiellement pas des prisons, mais des lieux "où un étranger est détenu, mis à la disposition du gouvernement ou maintenu", selon les termes des Arrêtés Royaux qui en fixent les règles et le fonctionnement (AR du 8 juin 2009, adoptés après l’annulation partielle par le Conseil d’État de celui du 2 août 2002).

Le centre 127bis est situé en bordure de l’aéroport de Bruxelles National, sur la commune de Steenokkerzeel. Construit en 1993, il dispose de 120 places.


Photo de Tristan Locus, empruntée au site
Ouvrons les yeux sur les centres fermés,
auquel j'ai également emprunté les renseignements chiffrés.

Au cours de la semaine passée, nous parvenait la nouvelle d'une grève de la faim des détenus du 127 bis. L'information était donnée par RTL-Info-point-be :

Plusieurs détenus du centre fermé 127 bis de Steenokkerzeel ont entamé mercredi une grève de la faim, selon l'organisation "No Deportation" et la Coordination contre les Rafles, les Expulsions et pour la Régularisation (CRER). Les grévistes de la faim et ces associations dénoncent des actes de maltraitance psychologique et physique envers plusieurs détenus.

Mardi soir, un jeune Égyptien aurait ainsi été emmené dans une salle d'isolement, où il aurait été maltraité par quatre gardiens. Ceux-ci auraient également proféré des menaces à l'encontre du jeune homme afin qu'il accepte son expulsion dans le calme et qu'il ne revienne plus jamais en Belgique. Il porterait des marques sur le corps. Lundi, six Arméniens, après avoir tenté de s'évader du 127 bis, auraient également été traités de manière dégradante, car "obligés de rester à l'extérieur alors que les chambres étaient fouillées", indique le communiqué de "No Deportation", organisatrice du "No Border Camp" à Bruxelles en 2010.

On peut s'étonner que cette information ait été relayée alors que "la direction du centre fermé n'a[vait] pas encore pu réagir, celle-ci étant injoignable dans la soirée de mercredi", mais cela se passe en Belgique, pas en France.

Une manifestation de solidarité a été organisée, hier, devant les grilles du 127 bis. Une quarantaine de personnes étaient présentes, derrière une banderole dénonçant les "Droits humains en danger", pour protester contre les violences et l'impunité des gardiens. RTL-Info-point-be présente la suite dans son style inimitable :

Ayant le sentiment d'être soutenus et entendus, plusieurs demandeurs d'asile se sont sentis pousser des ailes à la vue des manifestants et ont causé des dégâts à l'intérieur du centre. Ils ont bouté le feu et brisé plusieurs vitres. Certains d'entre eux sont aussi aller (sic) crier leur colère sur le toit.





Ce matin, un nouvel article faisait le point sur la suite des événements :

(...) Vers minuit, après le transfert de la plupart des personnes ayant pris part aux incidents vers les centres de Bruges, Vottem et Merksplas, le calme est revenu dans ce centre qui accueille des candidats réfugiés déboutés. Selon l'officier de garde de la police, Alex Mylemans, le feu n'a fait que des dégâts secondaires par rapport à ceux occasionnés par les vandales dont "certains se sont comportés comme des sauvages".

Les dégâts les plus importants ont été causés dans l'aile, réservées aux hommes, où les incidents ont éclaté. Une deuxième aile où sont également logés des hommes est aussi provisoirement inhabitable. Selon le porte-parole de la police, tous les sanitaires et tous les éclairages ont été endommagés. A la suite d'un court-circuit, il n'y a plus non plus d'électricité. (...)

Il a fallu attendre le début de l'après-midi pour avoir, par le même canal, confirmation de l'information qui avait circulé dès dimanche soir sur les listes des réseaux militants :

Centre 127 bis: un résident s'est échappé lors des incidents de dimanche

C'est monsieur Freddy Roosemont, directeur de l'Office des Étrangers, qui l'affirme dans un bel exercice de communication :

L'homme a reçu l'aide de manifestants, selon le directeur, qui attribue une partie de la responsabilité des incidents aux protestataires.

"Différents témoins ont vu comment ce résident a été aidé par des manifestants pour passer la clôture", affirme Freddy Roosemont. "Il est signalé et la police le recherche mais pour l'instant sans résultat." D'après le directeur de l'Office des Étrangers, la manifestation est à l'origine de l'incendie et des troubles dans le centre même. "Ces manifestants ont le droit absolu de manifester contre l'existence de ce centre mais pas avec la manière qui a été utilisée ce dimanche. Il y a une différence entre prononcer des slogans calmement et s'agripper à la clôture et hisser des résidents."

Par ailleurs, sans surprise, on apprends que le directeur n'exclut pas de se constituer partie civile en cas de poursuite pénale.

Malgré le délicieux sentiment de dépaysement et d'exotisme que l'on éprouve toujours en entendant parler de la Belgique, on sent bien que, là-bas aussi, l'Europe des privations de liberté est en marche

dimanche 20 février 2011

Sa voix, et celles de tout un peuple

Il faut d'abord entendre la déclamation cadencée de cette voix, celle d'Anna Akhmatova, poète entre les poètes, sur ces étranges images tremblées (1) :



Le poème que la voix d'Anna Akhmatova scande ici, a été écrit en 1924, à Leningrad. Jean Malaplate en a donné une traduction française en décasyllabes rimés :

La Muse

Quand je l'attends au sein de la nuit noire,

La vie, alors, ne compte plus pour rien;
Qu'importent liberté, jeunesse, gloire,

Lorsque , sa flûte aux doigts, elle survient.


Oui, la voilà brusquement dévoilée...

Fixé sur moi, son regard m'éblouit

Et je demande : "Est-ce sous ta dictée
Que Dante fit l'Enfer ?" Elle dit : "Oui."
(2)

Akhmatova avait prévu d'inclure ce poème dans un recueil regroupant des pièces écrites de 1924 à 1941, intitulé Le Roseau, qui ne fut pas édité de son vivant. (3)

La réponse abrupte qui clôt les deux derniers vers évoque cette autre réponse, qu'Akhmatova fit elle-même, et qu'elle a placée en liminaire à son Requiem - qui devait être la dernière section du Roseau.

EN GUISE DE PRÉFACE

Au cours des années terribles du règne de Iéjov*, j'ai passé dix-sept mois à faire la queue devant les prisons de Leningrad. Une fois, quelqu'un m'a pour ainsi dire "reconnue". Ce jour-là, une femme qui attendait derrière moi, une femme aux lèvres bleuies qui n'avait bien sûr jamais entendu mon nom, a soudain émergé de cette torpeur dont nous étions tous la proie et ma demandé à l'oreille (là-bas, tout le monde parlait à voix basse) :

- Et ça, vous pouvez le décrire ?
Je lui ai répondu :
- Je peux.
Alors un semblant de sourire a effleuré ce qui avait été autrefois son visage.


1er avril 1957

Leningrad

* Chef du NKVD de septembre 1936 à juillet 1938. (Note de la traductrice)
(4)

Si la Muse avait pu dicter à Dante son Enfer, Anna Akhmatova pouvait, elle, transcrire ce que lui dictaient "à voix basse" tous ceux et toutes celles qui attendaient "devant les prisons de Leningrad", dans l'espoir d'avoir des nouvelles d'un prisonnier.

Pour elle, le prisonnier était Lev Goumilev, le fils qu'elle avait eu de son premier époux, le poète Nikolaï Goumilev, lui-même fusillé en août 1921 sous prétexte de complot monarchiste (5).

Considérée comme un irréductible élément bourgeois aux écrits "socialement trop peu pertinents", Anna Akhmatova ne fut pourtant jamais arrêtée, mais à partir de 1922, elle fut pratiquement interdite de publication. Elle continua de composer de la poésie, la confiant souvent, par prudence, à sa mémoire et à celles d'amis sûrs. "De temps à autre, Akhmatova en passait révision : on devait lui réciter par cœur tel ou tel fragment." (6)

Espérant toujours la libération et le retour de son fils, elle n'envisagea jamais de s'exiler.

Elle put ainsi placer en exergue de son Requiem ce quatrain :

Non, je n'étais pas sous un autre ciel,
Protégée sous une aile étrangère ;

J'étais alors avec mon peuple,

Là où il était pour son malheur.
(7)

Ce cycle de poèmes fut pour la première fois publié, "sous une aile étrangère", à Munich, en 1963, trois ans avant la mort d'Akhmatova. Les éditeurs tenaient à préciser que cette publication avait été faite "à l'insu de l'auteur". Un exemplaire parvint à Anna Akhmatova, sur lequel elle put apporter des corrections. Dans son pays, le Requiem ne parut que bien après sa mort, en 1987. (8)

Mais Anna Akhmatova avait tenu la promesse faite, "au pied du mur rouge, du mur aveugle", à cette "femme aux lèvres bleuies qui n'avait bien sûr jamais entendu [s]on nom"...

************Épilogue

*************** 1

J'ai su comment les visages se défont,
Comment on voit la terreur sous les paupières,

Comment des pages d'écriture au poinçon
Font ressortir sur les joues la douleur,
Comment les boucles noires ou cendrées
Ressemblent soudain à du métal blanc.
Le sourire s'éteint sur les lèvres dociles
Et la peur tremble dans un petit rire sec.
Si je prie, ce n'est pas pour moi seule,
Mais pour tous ceux qui ont avec moi attendu
Dans le froid féroce, ou sous la canicule,
Au pied du mur rouge, du mur aveugle.

*************** 2

Il va être temps de se rappeler.
Je vois, j'entends, je vous sens là :

Toi, qu'on a traînée vers la fenêtre,
Toi, qui n'étais pas sur ta terre à toi,

Toi qui secouais ta jolie tête
Et qui disais : "Je viens ici comme chez moi."

Je voudrais vous nommer toutes par votre nom.
Mais ils ont pris la liste. Où poser les questions ?

J'ai tissé pour elles un grand voile
Avec ces pauvres mots qu'elles m'ont donnés.

Je me les rappelle toujours et partout.
Que vienne un autre malheur, je n'oublierai rien.

Et si l'on bâillonne ma bouche torturée,
A travers laquelle crient des millions d'êtres,

Alors qu'on ait de moi semblable mémoire
A la veille du jour anniversaire.

Et si, je ne sais quand, dans ce pays,
On songe à me dresser une statue,

Je donne mon accord pour la cérémonie.
Mais j'y mets une condition : qu'on la place

Non pas près de la mer qui m'a vu naître
(Avec la mer tous les liens sont rompus),

Non dans le parc des souverains, près de la souche
Où me cherche une ombre inconsolable,

Mais ici, où j'ai attendu trois cents heures
Sans que pour moi s'ouvrent les verrous.

C'est que j'ai peur, dans la mort bienheureuse,
D'oublier quel bruit faisaient les fourgons noirs,

D'oublier la porte qu'on claquait affreusement,
et la vieille qui hurlait comme une bête blessée.

Que, des paupières de bronze, immobiles,
La neige en fondant coule comme des larmes !

Que le pigeon de la prison roucoule au loin
Et que sur la Néva glissent doucement les bateaux !

1940. Mars (7)



Notes :

(1) Ces images ouvrent le film réalisé par Semyon Aranovich que l'on peut trouver en dvd sous le titre The Anna Akhmatova File (1989).




(2) Cette traduction figure dans Poèmes, paru en 1992 aux Éditions Librairie du Globe.

(3) Le Roseau a été "reconstitué" dans une belle édition bilingue, avec la traduction de Christian Mouze, chez Harpo & (2007).

(4) Le texte français est ici celui de Sophie Benech, qui a donné une édition bilingue illustrée du seul Requiem aux Editions Interférences, en 2005.

(5) Son troisième mari, Nikolaï Pounine sera arrêté en 1935 et mourra dans un camp en 1953.

(6) Joseph Brodsky, préface des Poèmes (Éditions Librairie du Globe)

(7) La traduction est celle de Jean-Louis Backès, figurant dans Requiem, Poème sans héros et autres poèmes, paru en 2007 dans la collection Poésie/Gallimard.

(8) On trouve pourtant, sur le site ImWerden, un fichier audio où l'on peut entendre Akhmatova dire Requiem. J'ignore dans quelles circonstances et à quelle date il a été enregistré. Je suis même incapable de dire quels poèmes du cycle il contient...

Doigté diplomatique

Monsieur Boris Boillon, ambassadeur de France en Tunisie, est en passe de devenir une célébrité de la toile, et pas seulement pour son art du planter de la fourchette dans son assiette que l'on peut admirer à 3 min 24 sec dans la vidéo postée ci-après. On peut aussi, et surtout on doit, applaudir le superbe contrôle de soi qui l'amène, dans la délicate situation où il se trouve, à ne pas parler la bouche pleine...

On voit par là que la diplomatie française, quoi qu'on dise, sait encore mener grand train et a conservé grand style :




Cet ambassadeur plein de panache, au vocabulaire et à la gestuelle d'un parfait mimétisme sarkozien, est probablement le modèle des diplomates nouveau style que le Quai d'Orsay envisage d'envoyer de par le monde développer ce qu'on y appelle une "philosophie".

On peut leur prédire un joli succès.

Monsieur Boris Boillon a dû s'excuser, assez platement, samedi dernier :

"J'ai une énergie et une volonté bien déterminée de promouvoir des relations bilatérales. J'ai été spontané plus que je n'aurais dû l'être. Dorénavant je dois parler de manière plus polie."

Ces fausses explications répondaient aux manifestants tunisiens qui, devant l'ambassade de France, demandaient son départ :

Demande adressée en bon français.
(Photo : Fethi Belaid/AFP.)


Au vu des réussites, saluées par la presse internationale, de notre nouvelle diplomatie décomplexée, je vais m'employer, avec "une énergie et une volonté bien déterminée", à proposer aux Ministère des Affaires Étrangères un nouveau logo, symbolisant de manière beaucoup plus lisible l'action de la France dans le monde :


Il n'y manque qu'un peu de bleu-blanc-rouge.

vendredi 18 février 2011

Retour ou abandon des tours d'abandon

Les heureux habitants de la ville de Rouen peuvent voir, s'ils le désirent, à l'entrée Germont de l'hôpital Charles-Nicolle, les restes du "tour d'abandon" qui y fut installé en 1813. Ce mécanisme en tourniquet, encastré dans le mur, permettait d'y déposer, en tout anonymat, l'enfant que l'on avait pris la décision d'abandonner. Un demi-tour, et l'on pouvait espérer qu'il aurait une vie meilleure de l'autre côté de la muraille - ce qui était loin d'être le cas.

Les tours d'abandon, dont il reste de nombreuses traces dans nos villes, avaient fait leur réapparition en 1811, rendus obligatoires sur toute l'étendue du territoire par un décret impérial du 11 janvier. Ils furent progressivement remplacés par les bureaux d'admission des enfants abandonnés, mais certains restèrent en service jusqu'au tout début du XXe siècle. Ils ont été officiellement abolis en France par une loi du 27 juin 1904.


Le tour d'abandon de l'entrée Germont.


La Convention avait pourtant voté, le 28 juin 1793, un texte qui légalisait le secret de l’accouchement et assurait à la parturiente l'assistance de la Nation :

"Il sera pourvu par la Nation aux frais de gésine de la mère et à tous ses besoins pendant le temps de son séjour qui durera jusqu'à ce qu'elle soit parfaitement rétablie de ses couches. Le secret le plus inviolable sera conservé sur tout ce qui la concerne."

Le nourrisson, lui, devenait "enfant de la patrie".

Cette disposition, qui demeure en droit français (article L 222-6 du Code de l’Action Sociale et des Familles), ne fut que très difficilement mis en application. Cela explique en partie le retour en arrière impérial, où, on l'aura remarqué, le sort des femmes en "gésine", dont se souciaient les régicides de la Convention, est bel et bien passé à la trappe, ou au tourniquet.

Car le décret napoléonien avait aussi pour objectif de dissuader les femmes d’abandonner leurs enfants, en espérant l'effet d'une mise en scène mélodramatique du caractère définitif de l’acte d'abandon.


Scène d'abandon mélodramatique.


De ces femmes anonymes, nous ne savons pratiquement rien.

Seuls nous restent ces lettres et signes de reconnaissance laissés sur les nourrissons abandonnés. En 2008, pour l'exposition Les Enfants du Secret, enfants trouvés du 17e siècle à nos jours, le Musée Flaubert et d'histoire de la médecine, à Rouen, a présenté quelques-unes de ces "archives". Dans le dossier de presse, on pouvait trouver cette remarque :

La lecture des billets et l'étude des marques de reconnaissance laissées par les parents dans les langes des nourrissons permettent d'évoquer les causes et circonstances de l'exposition et amènent à se demander si l'abandon ne fut pas parfois, paradoxalement, un geste d'amour.

Ce "paradoxalement", placé en incise, me semble indiquer à quel point il est difficile d'aborder cette question en se déprenant des représentations largement dominantes.

Distrait, j'ai presque entendu "geste d'amour maternel"...
Exemple tiré du même dossier de presse.


Or, ce qu'il faut d'abord poser c'est le droit, pour une femme, de prendre, en tout anonymat, la décision de ne pas devenir la mère de l'enfant qu'elle a porté.

La législation française, revenant finalement aux principes énoncés en 1793, reconnaît pleinement ce droit dans la procédure dite de "l'accouchement sous X", dont une remise en cause radicale se prépare doucement.

(A titre d'indices, on retiendra la publication du rapport Barèges, et les récentes décisions de justice concernant "l'affaire d'Angers".)

Il n'est pas impossible que le "détricotage" - comme on dit - de cette loi, que l'on peut considérer, avec Christine Delphy, comme "une des rares avancées du droit français", n'entraîne le retour de dispositifs d'abandon plus fonctionnels que les tours. En Allemagne, où l'accouchement sous X n'existe pas, sont désormais installées environ 80 Babyklappen modernistes. Les fabricants de ces guichets à bébés assurent que des détecteurs permettent d'alerter les personnes de garde dans le quart d'heure suivant un dépôt.


Mode d'emploi d'une fenêtre à bébés.

jeudi 17 février 2011

Les crétins n'ont pas d'oreille

Lorsque je fis mon entrée à l'école communale de Bouseuville-lès-Trifouillis, l'une des injures les plus en vogue était "Crétin des Alpes !"

C'était mignon.

Mais c'était il y a plus d'un demi-siècle.

J'ai très vite appris, car j'apprenais vite à l'époque, que si le crétinisme avait quasiment disparu, non seulement des Alpes, mais aussi des autres régions françaises, la crétinerie était la chose du monde la plus répandue.

Car "ils" sont partout.

Même dans le Gard !

On vient, en effet, de découvrir une poignée d'irréductibles crétins enracinés dans ce beau département. Il semble qu'ils se soient appariés, accouplés et reproduits. Ils sont ainsi devenus "parents d'élèves"; ce qui n'arrange pas leur cas déjà bien inquiétant, car ils sont dotés d'un très grand sens patrimonial inné (forcément) : ils ne voient pas pourquoi leurs enfants seraient moins crétins qu'eux-même.

Quelques-uns de ces tristes abrutis, parents d’élèves du regroupement pédagogique intercommunal des communes de Pin et Saint-Pons-la-Calm, dans le Gard, ont tenu à faire savoir qu'ils étaient "étonnés que leurs enfants apprennent une chanson arabe à l’école". Il ont, en conséquence, pris l'initiative d'adresser à tous les autres parents une lettre courageusement anonyme dénonçant les pratiques pédagogiques étonnantes de l'institutrice en charge de la classe de CP-CE1.

Il est sans doute utile de préciser que cette présumée "chanson arabe" est une berceuse bilingue, écrite par Gabriel Yared, qui accompagne le début du film d’animation Azur et Asmar (2006), réalisé par Michel Ocelot. La projection de ce film aux enfants, il y a trois mois, s'est faite dans le cadre très institutionnel du "dispositif" École et cinéma, mis en place par l'Éducation Nationale, avec différents partenaires, dont le CNC (Centre national du cinéma et de l'image animée). L'étude de cette petite chanson par les élèves qui ont vu le film fait partie de ce qui est préconisé officiellement sous le nom, assez clair, de "travail pédagogique d'accompagnement".


Cliquez sur l'image pour accéder à la page
du Centre national de documentation pédagogique.


Nos crétins auraient pu manifester leur étonnement en apprenant qu'on allait travailler en classe sur les thèmes abordés par ce "dessin animé" qui semblent plus dérangeants, dans leur optique de crétins, que les quelques mots d'arabe de la chansonnette. Mais il est probable qu'ils se moquent pas mal de ce qui se fait à l'école - d'ailleurs, pour eux, on n'y fait plus rien...

Au bout de trois mois, ils en ont eu assez d'entendre de l'arabe à la maison - car l'enfant de CP, ou même de CE1, chantonne, savez-vous...

Et ils ont pris leur plus belle plume :

"Nous parents, à l’heure où certaines catégories d’individus sifflent la Marseillaise, nous posons la question : “Pourquoi ne pas, plutôt que des chants arabes, enseigner notre Marseillaise à nos enfants ?”"

Ils ont reçu, sur ce point, une réponse rassurante de la direction de l'école : leurs enfants apprendront bien "notre Marseillaise".

Malgré les explications, rencontres, réunions, il est à supposer que cela ne dégonflera pas leur acrimonie.

C'est que c'est un travail pédagogique de longue haleine que d'éclairer la raison d'un crétin.

J'espère que la professeure mise en cause, et ses collègues qui la soutiennent, recevront localement tout le soutien nécessaire.

Et surtout que leur hiérarchie continuera, elle aussi, de les soutenir fermement. Et cela malgré la remise en cause très nette, à la tête de l'état, du "multiculturalisme".




Petit enfant deviendra grand...

Mais qu'il doit être difficile de grandir dans cet espace étriqué, entre les murs érigés par les crétins, à l'âge où les découvertes ont les couleurs de l'émerveillement !

Souhaitons à ces enfants de garder longtemps dans l'oreille un peu des beautés de cette langue arabe qu'ils ont chantée dans leur petite école du Gard. Peut-être pourront-ils comprendre, mieux que leurs parents, la secrète fierté de Naguib Mahfouz, au début de son discours de réception du prix Nobel de littérature, en 1988, à Stockholm :

Avant tout, je tiens à remercier l'Académie suédoise et son comité Nobel d'avoir prêté attention à ma longue et persévérante entreprise. Je vous demanderai de faire preuve de tolérance en m'écoutant, car je m'adresse à vous dans une langue que vous êtes nombreux à ne pas connaître. Mais c'est elle la véritable lauréate de ce prix et il n'est donc que justice que sa mélodie flotte pour la première fois sur cette oasis de culture et de civilisation.

Naguib Mahfouz savait très bien qu'apprécier la mélodie de la langue qu'il avait illustrée de si belle manière n'était pas seulement une question de tolérance, mais aussi d'oreille...

Mais les crétins, décidément, n'ont pas d'oreille.


PS : La traduction française, par Marie Francis-Saad, du discours de réception du prix Nobel a été publiée, en 2001, aux Éditions de l'Aube, dans un recueil de nouvelles de Naguib Mahfouz, intitulé Le vieux quartier.

mercredi 16 février 2011

Un retour médiatique attendu

Depuis quelques mois, nous avons tous remarqué l'étonnante discrétion médiatique de monsieur Éric Besson. Personne de ma connaissance ne sait, à titre d'exemple, où il a bien pu passer ses vacances de fin d'année. Il est vrai que cela ne me regarde pas, et que, dirait-il probablement, cela relève de la sphère de sa vie privée.

J'ai donc été très heureux de l'entendre sortir de sa réserve lundi dernier, car j'avais peur que cette réserve ne se transforme en un placard où l'un de mes personnages bloguistiques préférés se muerait en un gris tâcheron ministériel couleur de muraille.

Peut-être a-t-il fait son retour parce qu'il était bien le seul à pouvoir réagir de la bonne manière face à "l'invasion" de l'Europe par des "flux en provenance de Tunisie voire d'Egyte" :

Le ministre de l'industrie, Eric Besson, a affirmé, lundi 14 février, qu'il n'y aurait pas de "tolérance pour l'immigration clandestine" au sujet des flux de Tunisiens vers l'Italie, estimant que les soutiens de Zine El Abidine Ben Ali pouvaient prétendre à l'asile politique.

Très empathique, il s'est adressé directement au peuple tunisien tout entier pour le dissuader de traverser la Méditerranée, ce "cimetière à ciel ouvert" :

"Ne faites pas cela. Ne le faites pas parce que vous mettez votre vie en danger et ne le faites pas parce que l'entrée en Europe, contrairement à ce que vous pensez, n'est pas automatique."

Et, à l'attention des anciens soutiens du président Ben Ali qui auraient l'intention de demander l'asile politique, monsieur Eric Besson a ajouté cet avertissement :

"Ceux qui sont arrivés en Italie vont voir leur situation individuelle regardée au cas par cas ; ceux qui ont droit à l'asile, ceux qui s'estiment menacés et qui vont en apporter la preuve, vont pouvoir rester sur le sol européen, mais tous les autres vont être reconduits dans leur pays. Donc prise de risques insensés pour un résultat extrêmement limité pour eux."

Les faits n'étant pas encore connus, monsieur Éric Besson n'a pas été interrogé sur le naufrage d'un bateau transportant 120 passagers, qui, selon les récits de survivants, semble bien avoir été provoqué par les gardes côtes tunisiens.

Son avis sur ce type de coopération dans la lutte contre l'immigration dite "illégale", aurait été éclairant.


Expert en droit d'asile.
(Photo Wikipédia.)

En réalité, monsieur Éric Besson ne s'occupe plus du tout de l'immigration... Il est actuellement ministre chargé de l'Industrie, de l'Énergie et de l'Économie numérique.

C'est à ce titre qu'il a répondu ce matin, sur Europe 1, à quelques questions sur la prospection des ressources nationales en gaz de schiste et leur éventuelle exploitation. La prospection est pour le moment suspendue dans le sud de la France, en attentant les "conclusions d'une mission d'évaluation des enjeux environnementaux prévues pour le 31 mai".

Monsieur Besson a eu une belle formule, un véritable bonheur d'expression :

"La France n'a pas fermé la porte au gaz de schiste."

La métaphore de la porte ouverte ou fermée est peut-être assez pertinente dans le domaine de l'immigration "clandestine" qui vient assiéger nos murailles, mais on admettra qu'elle s'accommode assez mal avec cet particulier état de la matière qui est la phase gazeuse. Elle ressemble alors plutôt à une "vanne"...

vendredi 11 février 2011

Sacrée soirée démocratique

On s'est demandé pourquoi le président Hosni Moubarak s'était fait si longtemps attendre avant de prendre la parole, hier soir. Au Caire a couru le bruit, tout à fait plausible, qu'il hésitait sur le choix de ses chaussures, ayant l'intention de partir en courant à la fin de son allocution. Plausible, mais fausse, cette rumeur, puisqu'il a annoncé qu'il ne partirait pas tout de suite.

La vérité est qu'il attendait la fin de l'émission de télé-réalité politique à laquelle participait son collègue et ami, le président Sarkozy. La demande lui avait été courtoisement adressée par les services diplomatiques français, et, malgré sa volonté clairement affirmée de ne pas céder aux ingérences étrangères, il avait accepté de retarder un peu son apparition.

Sa gentillesse fut bien mal récompensée, car monsieur Sarkozy, comme tout voyageur de commerce que l'on invite à s'asseoir quelque part, fut indécramponnable. Il avait appris une pleine broutée de chiffres par cœur, il fallait bien qu'il les régurgite face à une France médusée...

Patient, mais considérant qu'après tout, personne en France n'attendait une annonce de démission de la part de son homologue, monsieur Moubarak est finalement entré en scène pour affirmer que lui non plus ne démissionnerait pas.

D'ailleurs, il n'avait pas mis des chaussures lui permettant de partir en courant.

Ce que ses compatriotes lui ont bruyamment reproché.

Droit dans ses godasses, monsieur Hosni Moubarak affirmait :

"L'Égypte demeure une patrie chère qui ne peut me quitter et que je ne peux quitter, jusqu'à ce que je meure sur cette terre."

(Prouvant par là que, lui aussi, parlait couramment l'Henriguaino.)

Pendant ce temps-là, en France, où la volonté démocratique a plutôt tendance à s'avachir dans les canapés faux-cuir du salon, peu de chaussures furent brandies au nez du président. On signale quelques savates et charentaises lancées en direction des téléviseurs, sans grande incidence sur l'audimat.

Au lendemain de cette prestation télévisée du chef de l'État, il fallut bien constater que le président Moubarak lui avait volé la vedette à la Une des quotidiens...

Il devait continuer à le faire puisque, ayant probablement retrouvé ses baskets, il finissait par décamper.

La volonté du peuple égyptien continuait de camper sur la place Tahrir.

jeudi 10 février 2011

Mutilation au fil des dépêches

On pourrait conseiller à monsieur François Baroin, qui vient tout juste de comprendre que "Dominique Strauss-Kahn se rasait le matin", de lire le Flash-Actu (sic) de lefigaro-point-fr. Il pourrait y apprendre bien des choses tout aussi essentielles à la poursuite de sa brillante carrière.

Par exemple : "Obama ne se teint pas les cheveux", selon une dépêche de l'AFP du 09/02/2011, mise à jour à 17:21, qui a déjà suscité 18 commentaires, tous intelligents.

Saurez-vous le reconnaître ?

Le Flash-Actu est cependant un outil incomparable pour suivre le fil de l'information jugée comme secondaire par la rédaction. Faits divers y abondent, qui prendront de l'importance. Ou non. C'est selon.

C'est ainsi que j'ai appris, mardi, qu'une "rixe" entre "bandes" avait eu lieu la veille au soir, à Audincourt, dans le Doubs. Les sources de l'information sont fiables, il s'agit de la préfecture et du parquet.

Une centaine d'individus armés de barres de fer, de battes de base-ball et de pierres s'étaient donné rendez-vous pour en découdre. Ils se sont affrontés sur une place d'Audincourt avant l'intervention d'une quarantaine de policiers qui ont fait usage de gomme cogne, a précisé à l'AFP la directrice de cabinet de la préfecture, Vanina Nicolila.

Un homme a été sérieusement blessé à un œil, il a été opéré lundi soir, a ajouté la même source qui n'a pas pu donner d'autres précisions sur cette personne.

Si l'on ne peut "donner d'autres précisions", on fait part de ses doutes :

"Les services de police font les investigations nécessaires et une expertise médicale sera menée pour déterminer l'origine de la blessure. A ce stade, il n'est pas établi que la blessure ait été causée par un tir de flash ball", a déclaré la directrice de cabinet.

Le même jour, mais vers 16h 16, on peut apprendre que c'est un "jeune de 17 ans qui a perdu un œil lundi soir" et qu'il "pourrait avoir été victime d'un tir de Flash-Ball". La source est alors monsieur Martial Bourquin, le très prudent sénateur-maire socialiste d'Audincourt, qui, à propos de cette blessure, conclut : "L'enquête dira si c'est suite aux affrontements ou au tir de Flash-Ball".

Cependant :

Un policier a expliqué avoir tiré avec cette arme qui projette des balles en caoutchouc sur un jeune particulièrement agressif, mais en le visant au thorax, a-t-il précisé.

Cette dépêche Reuters est rédigée d'une manière qui fait un peu désordre, mais on peut comprendre :

Ni la police nationale, ni le parquet n'ont souhaité s'exprimer dans l'immédiat.

Alors on ne sait quoi dire...

Pendant ce temps-là, les journalistes locaux recueillent ces étranges récits qu'on appelle "témoignages". Ils paraîtront le lendemain dans L'Est Républicain et Le Pays.


Illustration d'un article du Pays,
qui crédite Lionel Vadam et...


Pour que l'on parle vraiment du blessé, qui deviendra "l'ado éborgné", il faudra attendre, semble-t-il, les déclarations de son avocat et celles de la procureure de la République de Montbéliard.

Le premier, qui n'hésite pas à parler de "bavure policière", précise que le jeune homme a complètement perdu un œil, que le second a été touché, et qu'il a le nez fracturé. Il présente la victime comme "un gamin gentil, travailleur qui n'avait rien à voir avec les affrontements". Il ne semble pas douter un seul instant que son client a bien été "victime d'un tir de Flash-Ball".

La seconde semble plutôt attachée à ses doutes :

L'Inspection générale de la police nationale "devra établir si vraiment la blessure a été causée par un tir de Flash-Ball, ce qui est une hypothèse possible mais pas du tout une certitude", avait indiqué mardi la procureure de la République de Montbéliard (Doubs), Thérèse Brunisso. Si l'hypothèse s'avérait exacte, l'IGPN devrait également "déterminer si le tir a été effectué dans des circonstances réglementaires", selon la magistrate.

Mais elle précise tout de même un point :

"Deux policiers municipaux et trois hommes de la police nationale se sont retrouvés pris en tenailles entre les deux groupes, dont la plupart des membres étaient armés de barres de fer et de battes. Il y a eu un tir de Flash-Ball."

On finissait par croire que tout le monde avait rêvé...

Dans la soirée d'hier, une dernière dépêche complète les propos de la procureure :

D'après les premiers éléments de l'enquête, le visionnage des vidéo-surveillances de la ville d'Audincourt et "le timing des images, on pense que le tir de Flash-Ball est probablement à l'origine de la blessure à l'œil" du jeune homme, a déclaré le procureur, Thérèse Brunisso.

Qui ajoute :

D'après les "dépositions concordantes et constantes" des cinq policiers présents, ils se sont considérés en "état de légitime défense".

Et qui tient même à préciser :

Les vidéos ne montrent pas le policier tirer, en revanche "on voit le jeune participer au mouvement de foule, ce qui ne veut pas dire qu'il était violent ou armé".

Madame la procureure aime sans doute beaucoup regarder planer les doutes...


PS: En complément à ce récit dont on peut se demander de quel fil il est cousu, on pourra consulter les articles des quotidiens régionaux :

- L'Est Républicain, témoignages, interpellations, appel au calme,

- Le Pays, témoignages, reportage, plainte.

mercredi 9 février 2011

Menaces sur le Lycée Autogéré de Paris

Comme je suis, à mes moments perdu, un provincial enraciné, en achetant Le Monde, je me paye une tranche de nouvelles pas fraîches, mais pourtant datées du jour. Et parfois, un supplément intemporel.

Aujourd'hui, c'était Le Monde Éducation, qui me promettait, certes, "Actualité Enjeux Débats Innovation Orientation", mais surtout un dossier sur la redécouverte très mode de ce "remède miracle" que constituerait l'internat, "des classes préparatoires à l'école primaire" - et on a (encore !) oublié la maternelle.

Ce dossier vous donnera tous les éléments pour illustrer vos propos si le sujet se trouve mis en discussion aux abords de la machine à café de votre entreprise.

On n'y a (évidemment) pas oublié de parler des fausses "nouveautés" de la moderne ère sarkozienne. Les établissements de réinsertion scolaire sont présentés grâce à un reportage en immersion avec les trois pensionnaires de Port-Bail (Manche). Et les internats d'excellence donnent lieu à un reportage un peu moins trépidant auprès de l'équipe d'encadrement de Sourdun (Seine-et-Marne).

Les grands classiques historiques sont présents avec une évocation de l'histoire de l'internat, et deux publi-reportages, l'un sur l'internat du lycée Saint-Louis, à Paris, et le second sur un internat tenu par les bons pères, à Reims.

En sortant la tête de ce dossier, les aventuriers de la pensée critique pourront se récompenser en lisant, en dernière page de cet encart, une "rencontre" avec un des pionniers de ce domaine, monsieur Jean-Pierre Raffarin. Le compte-rendu de cet entretien est intitulé, sans rire, "La France dispose d'atouts dans la bataille de l'intelligence". Je ne sais si monsieur Raffarin se place dans les "atouts"...

Vous aurez compris que, dans ce supplément, on ne s'intéresse qu'à la réflexion pédagogique innovante et de haut vol. Vous n'y trouverez donc aucune information sur la réduction drastique des moyens dans l'Éducation Nationale, et sur les suppressions de postes subséquentes.

Rien non plus, par conséquent, sur la journée d'action organisée demain, 10 février, par les syndicats.

Sauf peut-être à la rubrique des faits divers, sous rubrique mammouths écrasés.

Activité pédagogique du mercredi,
un mammouth à colorier !
(Merci jecolorie.com)

Et c'est probablement dans le célèbre Carnet du Monde qu'on annoncera la disparition du Lycée Autogéré de Paris (LAP) si la politique gestionnaire du Ministère de l'Éducation Nationale parvient à l'étouffer.

Il y a deux jours, était lancée cette alerte :

Le Lycée Autogéré de Paris est un établissement public expérimental crée en 1982. Le lycée fonctionne en autogestion, avec l’action concertée des élèves et des membres de l’équipe éducative. La collectivité se partage les activités de gestion, les tâches administratives et l’entretien des locaux. Les instances décisionnelles sont composées d’élèves et de professeurs qui contribuent à la vie démocratique du lycée. Les apprentissages se font dans le cadre de cours, de projets et d’ateliers, souvent en interdisciplinarité avec un binôme enseignant. Depuis sa création, 2500 élèves ont partagé cette expérience différente de l’école.

Problème ! Notre établissement a reçu sa Dotation Horaire Globale pour l’année scolaire 2011-2012 ; de 500 heures attribuées en 2010, nous passons à 408 heures, soit une baisse de 20 %. Cette baisse entraîne la suppression de 5 postes d’enseignants sur les 25 actuels. Pour nous cela signifie purement et simplement la fermeture définitive de notre établissement.


Cette alerte était accompagnée d'un appel à pétition, auquel vous pourrez répondre en cliquant sur l'image :


Aujourd'hui, une dépêche de l'AFP reprend cette information, en l'accompagnant de l'exposé du point de vue très comptable du rectorat de Paris :

Au rec­to­rat de Paris, on recon­naît que la baisse de la dota­tion horaire (DHG) et celle du nombre de postes sont bien pré­vues pour la ren­trée pro­chaine, mais sans remettre en cause l’existence du lycée.

"Certes, comme tous les établis­se­ments, on demande au Lycée auto­géré de par­ti­ci­per à un effort natio­nal de ges­tion res­ser­rée, mais on ne met pas du tout en péril son exis­tence, il gar­dera trois classes à chaque niveau, seconde, pre­mière et ter­mi­nale", a expli­qué à l’AFP Philippe Fatras, ins­pec­teur d’académie chargé du second degré à Paris.

Selon le rec­to­rat, la DHG du lycée n’avait pas cessé d’augmenter ces der­nières années et les pré­vi­sions font état d’une baisse du nombre d’élèves (204) à la ren­trée 2011. De telle sorte que, mal­gré la baisse de DHG pré­vue, le "taux d’attribution" (nombre d’heures/nombre d’élèves) du Lycée auto­géré sera de 2, contre 1,42 en moyenne dans les lycées parisiens.

Et monsieur Fatras de souligner que le LAP sera encore "plus doté que n’importe quel lycée géné­ral de Paris", en espérant sans doute que l'opinion va tirer à bout portant sur ces râleurs privilégiés.

Le LAP a répondu par le texte suivant, que je relaye in extenso en essayant de respecter la mise en page :

Communiqué

« Jamais l’Etat n’aura autant investi » ?

Il paraît bien loin le temps où le Ministère de l'Éducation Nationale justifiait les suppressions de postes par des baisses démographiques ou par un taux d’encadrement supérieur en 2010 à celui de 1990. Et pourtant, il aura fallu moins d’une année scolaire pour que s’effondre l’argument selon lequel un changement « d’organisation et d’efficacité du système » permettrait une diminution des moyens en douceur.

Désormais, le Rectorat de Paris propose de réduire brutalement certaines DHG au nom d’un « effort national de gestion resserrée ». L’annonce de ne pas remplacer un fonctionnaire sur deux partant à la retraite devient l’emblème d’une politique obstinée, aveugle des conséquences humaines et méprisante de l’intérêt général.

Les chiffres du Rectorat de Paris

Frédéric Fatras, inspecteur d’académie, confirme la proposition de baisser la DHG du Lycée Autogéré de Paris (LAP) de près de 20% à la rentrée 2011. Selon lui, ce serait justifié par une DHG en hausse depuis des années et des prévisions d’effectif en baisse.

Précisons :

- Le nombre de postes d’enseignement attribué au LAP entre 1996 et 2008 est resté de 24,5. En septembre 2008, lors d’une rencontre avec le directeur d’Académie Monsieur Michel Soussan, nous évoquions les difficultés à travailler à mi-temps dans une expérience telle que le LAP où le temps de présence hebdomadaire des enseignants est de 25 heures. En réponse à nos besoins, le nombre de postes à été porté à 25, ce qui est toujours le cas aujourd’hui. Ainsi, au cours des 15 dernières années, le Rectorat n’a décidé qu’une fois d’augmenter notre DHG.

- Le rectorat prévoit 204 élèves au LAP à la rentrée 2011. Pourtant, dans la proposition qu’il nous a transmis il est question de 230 élèves. De plus, nous avons communiqué aux services académiques qu’entre 240 et 250 élèves seraient inscrits au Lycée pour cette même rentrée. Ce procédé d’estimation hasardeux est-il déployé nationalement ? De surcroît, chaque année des centaines d’élèves en rupture avec le système scolaire s’adressent au LAP avec l’espoir de trouver une place dans l'École. Alors qu’il manque sérieusement de structures pour accueillir tous ces jeunes, comment peut-on justifier de marginaliser encore plus celles qui existent ?

Éducation en péril

Le Rectorat de Paris conclut que le LAP peut continuer d’exister avec près de 20 % de postes en moins. Mais qu’envisage-t-il pour supprimer près de 100 heures ? Prendre sur les activités des groupes pédagogiques correspondrait à la suppression de deux des trois filières proposées au LAP, prendre sur les heures d’atelier, de projet, de gestion correspondrait à une baisse de plus de 30 % qui rendrait impossible notre fonctionnement spécifique pédagogique et autogestionnaire.

Nous pensons que l'École ne doit pas être méprisée au nom de la rigueur économique.

Nous revendiquons le maintien de la DHG nécessaire aux 25 postes enseignants du Lycée Autogéré de Paris.

Les membres du Lycée Autogéré de Paris, le 9/02/2011

On peut espérer que cette revendication prenne de l'ampleur.

Ce soir doit se tenir au LAP, 393 rue de Vaugirard, dans le XVe, une assemblée générale d'information.

Et l'on annonce que :

Un rassemblement pacifique et déterminé aura lieu devant le rectorat vendredi 11 février 2011 à 17 h. RDV au 94 avenue Gambetta, 20ème arr.

mardi 8 février 2011

Les réservistes de la Mayenne

Ce type de recommandation préfectorale est peut-être affaire de routine. Elle était, pour l'instant, largement méconnue, et on admettra que la découvrir après quatre années de sarkozisme dans les jambes peut vous donner des fourmillements dans les orteils.

(Tous les gardiens de but vous diront que c'est à cela qu'ils sentent qu'ils vont faire un bon "dégagement".)

Voici le texte distribué aux enseignants du collège d'Andouillé (Mayenne), tel qu'il est reproduit par Véronique Soulé, journaliste à Libération, sur son blogue "C'est classe !".

"Monsieur le préfet tient à informer que la période de réserve, pour les élections cantonales (des 20 et 27 mars), débutera le lundi 14 février 2011 et se prolongera jusqu’au dimanche 27 mars inclus. Il est, en conséquence, demandé aux fonctionnaires de l'État (et de l’administration territoriale) d’éviter de participer, durant cette période, aux manifestations publiques susceptibles de présenter un caractère pré-électoral, soit par les discussions qui pourraient s’y engager, soit en raison de la personnalité des organisateurs ou de leurs invités.

Pendant la période électorale, qui s’ouvrira le 7 mars, il leur est également demandé de s’abstenir de prendre part à toute cérémonie publique, et ce, jusqu’au 27 mars inclus."

Les enseignants, qui, on le sait, s'amusent d'un rien, ont d'abord cru à un "canular" et ont fini par s'adresser à leur direction :

"La principale a répondu que cela venait bien d'elle, qu'elle recevait ce papier tous les ans par voie hiérarchique et qu'elle l'avait transmis cette fois-ci parce qu'il concernait également les agents territoriaux. Elle ne voyait d'ailleurs pas ce qui pouvait nous froisser."

Il est vrai qu'on ne voit pas toujours tout...

Et pour que ses troupes voient bien qu'il n'y avait pas à se "froisser", madame la principale a fait afficher l'original, "un mail du chef de la Division des actions partenariales, de l'information et de la communication, de l'Inspection académique" que "l'IA a envoyé à tous les chefs d'établissement du département".

La réserve scolaire d'Andouillé, vue d'avion.
(Photo : site du rectorat de Nantes.)

Cette "période de réserve", dont le préfet de la Mayenne tient à préciser les contours, vient s'ajouter à ce fameux et fumeux "devoir de réserve" auquel les fonctionnaires de l'État seraient soumis sans qu'il figure dans leur statut. On parle toujours assez vaguement de ce devoir qui est également appelé "obligation de réserve", et parfois même, comme pour ajouter un peu de confusion, "droit de réserve" - y compris dans des notes officielles. Ce qui n'empêche pas de l'invoquer de plus en plus souvent à l'appui de tentatives de sanctions disciplinaires.

Afin d'éclairer nos lanternes, on peut trouver des considérations aussi lumineuses que celles qui suivent :

Le principe de neutralité du service public interdit à tout fonctionnaire d'user de sa fonction pour quelque propagande que ce soit : politique , religieuse , syndicale ...

Le principe de neutralité du service public interdit au fonctionnaire de faire de sa fonction l'instrument d'une propagande quelconque. La portée de cette obligation est appréciée au cas par cas par l'autorité hiérarchique sous contrôle du juge administratif.


L'obligation de réserve est une construction jurisprudentielle complexe qui varie d'intensité en fonction de critères divers (place du fonctionnaire dans la hiérarchie, circonstances dans lesquelles il s'est exprimé, modalités et formes de cette expression).

On comprend bien que cette "construction jurisprudentielle" vise surtout à inciter le fonctionnaire à se construire une prudence juridique pouvant aller jusqu'à l'autocensure...


Lanterne sourde,
modèle agréé dans la fonction publique.

La "réserve" instituée durant la période du même nom est dessinée de manière bien plus explicite. Du 14 février au 6 mars, les "fonctionnaires de l'État (et de l’administration territoriale)" devraient "éviter de participer(...) aux manifestations publiques susceptibles de présenter un caractère pré-électoral, soit par les discussions qui pourraient s’y engager, soit en raison de la personnalité des organisateurs ou de leurs invités", et du 7 au 27 mars, ils devraient, en plus, "s’abstenir de prendre part à toute cérémonie publique".

Peut-on être plus clair ?

Beaucoup seront de l'avis de madame la principale, disant qu'il n'y a pas à se "froisser" de cette circulaire qui, habituelle en période électorale, n'introduit rien de vraiment nouveau et, par surcroît, semble rédigée de manière assez peu impérative. Certains ajouteront que, de mémoire de fonctionnaire, personne n'a jamais été inquiété à cause de cette institution d'une "période de réserve".

S'il n'y a aucune raison d'être "froissé" - car ce terme est tout à fait hors de propos -, on peut tout de même trouver des raisons de s'inquiéter du maintien de genre de dispositions.

Un préfet, même s'il est par profession attaché à une certaine routine administrative, n'est pas en général un maniaque de l'acte gratuit dans le délicat domaine de la circulaire... Le ton employé dans celle-ci peut paraître bien aimable et peu contraignant, mais les habitués peuvent y reconnaître ce bel idiome administratif à l'ancienne, empreint d'une élégance surannée, où même derrière un gentil conditionnel il faut entendre un ferme impératif. Dans ce dialecte, "il serait souhaitable que" signifie "il faut que".

Enfin, il ne vous aura pas échappé que, depuis près de quatre ans, nous vivons sous un régime en pleine "transition" - le mot est à la mode - autoritaire, prêt à promulguer, ou réactiver, n'importe quel règlement allant à l'encontre des libertés fondamentales.

Et cela, sans réserve aucune.

lundi 7 février 2011

Les vacances en Dordogne

Il est assez probable que, par excès de confiance en soi ou pour gagner un peu de temps sur son trajet, madame Alliot-Marie se passe des services d'un expert en communication. Elle trouverait pourtant son intérêt à prendre conseil en ce domaine délicat, tant ses propos passent de plus en plus mal la rampe médiatique.

A n'en pas douter, ses dernières déclarations vont (encore) lui attirer quelques réflexions désagréables...

"Maintenant je vais être très attentive, je ne sais pas où j'irai passer mes vacances, je pense que je ne quitterai pas la Dordogne si ça continue comme ça."

A-t-elle proclamé.

Il y a bien là de quoi lancer une nouvelle "polémique totalement artificielle".

Du côté des offices d'initiative et syndicats du tourisme de la belle région périgourdine, on se déclare très affecté, et mortifié, de cette attaque surprenante de la part de madame Michèle Alliot-Marie. On y apprécie peu, en effet, le discrédit ainsi porté sur le fait de passer ses vacances en Dordogne, département qui a su développer toutes les infrastructures nécessaires à un accueil touristique de qualité. Les plus radicaux des acteurs locaux envisagent même, vers l'heure de l'apéro, d'adresser au Quai d'Orsay une lettre ouverte qui, s'inspirant d'un bout de soliloque de Jean-Paul Belmondo dans A bout de souffle, s'ouvrirait ainsi :

"Si vous n'aimez pas la Dordogne... si vous n'aimez pas la mer… si vous n'aimez pas la montagne… si vous n'aimez pas la ville… n'en dégoûtez pas les autres !"





Quelques juristes avisés leur ont conseillé de n'en rien faire, appuyés par de prudents attentistes qui pensent que madame Alliot-Marie va prochainement revenir sur ses fâcheux propos pour les contredire.

Personne ne s'étonnera, en effet, de l'entendre bientôt affirmer que le Périgord vert, noir et surtout bleu-blanc-rouge, est comme son terroir d'adoption, qu'elle y est fort attachée depuis toujours, et qu'elle est "scandalisée par le fait que certains ont voulu déformer [s]es propos pour leur faire dire le contraire de ce qu'[elle] voulait dire". Il faut s'attendre à ce qu'elle avoue, à l'instar du président Sarkozy, une véritable passion pour cette belle région où le "brave Néandertalien", pourrait-elle reprendre, "avait parfaitement compris qu'ici c'était plus tempéré qu'ailleurs, qu'il devait y avoir du gibier, qu'il faisait beau et qu'il y faisait bon vivre" et qu'on pouvait aussi y trouver du thé à la menthe. Comme là-bas, dis...

Malgré cette prévisible mise au point, les présidents des offices d'initiative et autres syndicats du tourisme de Dordogne, qui se sont réunis en cellule de crise ce ouiquende, ne se sont pas mis d'accord pour proposer à madame Alliot-Marie un séjour de rêve dans cette région qu'elle aime tant.

S'ils ont bien trouvé une demeure de charme qui conviendrait, ils hésitent un peu pour le jet privé qui pourtant s'impose : les petites routes sont sinueuses en Périgord.


Petit salon dans une demeure de charme périgourdine.
(Photo : Sisse Brimberg/National Geographic.)

Certains de nos compatriotes et néanmoins contemporains s'obstinent à demander la démission de madame Michèle Alliot-Marie. Ce n'est guère aimable de leur part, et totalement irréaliste. Il semble que ces malotrus n'ont pas encore compris que ce qui fait un(e) bon(ne) ministre sous la présidence de monsieur Sarkozy est une forte résistance à la démission. Une règle s'est imposée dans les divers gouvernements Fillon : on-ne-dé-mis-sion-ne-pas !

On remarquera que les démissionnaires sont extrêmement peu nombreux/ses. Laissons de côté le cas atypique de monsieur Bernard Kouchner, qui a peut-être oublié d'envoyer sa lettre de démission. Celui de madame Jeannette Bougrab, plus récent, est aussi plus exemplaire :

La secrétaire d’Etat à la Jeunesse a été surprise de se voir tancer pour ses propos appelant au départ Hosni Moubarak. Cela lui a valu d’être convoquée à Matignon. Avec en prime un sermon de la part de François Fillon en présence de son ministre de tutelle Luc Chatel. Blessée, l’ancienne présidente de la Halde a adressé dès dimanche dernier une lettre de démission à François Fillon.

(...)


Selon nos informations, elle s’est plainte auprès de l’Elysée, en rappelant que sa "lettre de démission" était toujours sur le bureau du Premier ministre. "On" lui a assuré qu’il n’était pas question de l’accepter.

Madame Jeannette Bougrab apprendra bientôt que la seule erreur à ne pas faire, pour un(e) ministre de François Fillon et/ou de Nicolas Sarkozy, est de poser sa démission...

Pour le reste, en matière de boulettes, c'est à qui poussera la plus grosse le plus loin possible.

Deux ministres UMP se disputant une grosse boulette.
(On aura reconnu Scarabaeus laticollis dans ses œuvres.
Il est possible qu'on en trouve en Périgord.)

dimanche 6 février 2011

Dans les rues du Caire

L'heure n'est sans doute pas très favorable pour flâner, la tête en l'air, la bouche en cœur et les yeux grands ouverts, dans les rues de la capitale égyptienne. Les touristes de passage devront attendre un peu avant de renouer avec ce plaisir nonchalant.

Au début des années 80, j'ai eu la chance de faire plusieurs escales au Caire, et d'y avoir suffisamment de temps à perdre - comme on dit si stupidement - pour m'égarer au hasard des rues.

C'est là une approche bien superficielle, et pourtant... Devant cette image gougueulmapée de la foule façon fourmilière occupant la place Tahrir, image qui est devenue comme le logo médiatique de la révolte du peuple égyptien, je retrouve des silhouettes, des présences, des existences, des visages.

On ne fait souvent que les croiser. Parfois, on échange, en plusieurs langues, des salutations qui mènent à des ébauches de conversations en sabirs babéliens. Il m'est arrivé de recevoir, à titre d'ambassadeur provisoirement disponible, de beaux hommages à la France. Ils m'étaient adressés avec grand sérieux ou secrète ironie - allez savoir ! -, mais toujours en rameutant du plus loin quelques brides de ma langue maternelle. Y étaient évoquées toutes les gloires connues de ma chère patrie, de Charles de Gaulle à Michel Platini. Une fois, on me cita, avec fierté, quelques vers de Charles Baudelaire. C'était, il est vrai, d'une table du café Riche, où les intellectuels avaient leurs habitudes - entre autres, et non des moindres, Naguib Mahfouz, que je n'avais pas encore lu.



Je n'avais pas encore lu non plus, et pour cause, Poils de cairote que Paul Fournel devait publier aux éditions du Seuil en 2004. Il y a rassemblé les courriels qu'il a envoyés à ses amis pendant les années (de 2000 à 2003) qu'il a passées au Caire comme directeur du Centre culturel français. Ce livre a été repris, en 2007, dans la collection Points, toujours au Seuil.

Dans les croquis de Paul Fournel, je peux retrouver une grande partie de mes impressions de promeneur...

La gentillesse coutumière :

3 mai 2001

(...)


L'autre matin que j'étais, une fois de plus, égaré, j'avise deux gaillards sur le trottoir et leur demande mon chemin. Spontanément, ils m'indiquent deux directions diamétralement opposées. Je rigole et leur demande, gentiment, de bien vouloir se mettre d'accord.

Chacun, pour ne pas fâcher son voisin, change radicalement d'avis et me montre le chemin de l'autre. Je ris à nouveau et ils rient avec moi.


Un troisième vient les départager. Il choisit formellement un des deux chemins et m'explique que l'autre est très bien aussi, mais qu'il ne va pas au même endroit.


Dans deux mille ans, quand il y aura des panneaux indicateurs dans les rues de la ville, ils auront deux flèches.


Les situations insolites :

28 mai 2003

La rue Kasr el-Ayni est une artère de dégagement en pleine ville. Les voitures y foncent sur cinq files serrées et jamais ne s'arrêtent. Aucun feu ne les rythme, aucun passage pour piétons ne les arrête, aucune priorité.


Le vieil homme se tient au bord du trottoir et agite sa canne en direction des voitures pour leur indiquer qu'il veut passer. Chacun le voit faire ses moulinets et se dit que le suivant s'arrêtera. Et personne ne s'arrête.


Le vieux est de plus en plus furieux et tente de taper directement sur les carrosseries avec sa canne.

Un gendarme vient vers lui et, sans rien dire, le prend dans ses bras et s'élance en sifflant de tous ses poumons dans la circulation. Il le traverse, le pose sur le trottoir d'en face et passe son chemin.

Reprenant le livre en diagonale, je me suis arrêté sur un message qui m'a donné une forte impression de vu-jédà - qui est une manière de symétrique du déjà-vu :

28 mars 2003

On commence à comprendre mieux ce qui s'est passé. il y a eu vingt mille manifestants la semaine dernière sur la place Tahrir : dix fois plus que le total des manifestants de ces dix dernières années.


Un moment la police a été débordée et n'a plus pu assurer son travail habituel d'encerclement. Rien d'étonnant, dès lors, à ce qu'elle se soit sentie obligée de cogner fort. On a compté de nombreux blessés. Des blessés sur place et des blessés plus tard, dans le secret des postes de police. Des coups de triques, des tortures, de la gégène, le tout consigné par les victimes et les observateurs.


(...)


Il n'empêche, les manifestants étaient eux-mêmes surpris de leur nouvelle force et cette place immense du centre-ville était devenue le jardin d'expérience de leur désir de démocratie - la vraie, celle que l'on va chercher devant les bâtons, pas la "fast-démocratie" que des bien-pensants prétendent parachuter du dehors.


C'était en 2003, la manifestation était dirigée contre l'invasion de l'Irak.

Et c'était, bien sûr, le même peuple.

vendredi 4 février 2011

Logique de la déchéance

J'aime assez, je l'avoue, imaginer les trépignements sur talonnettes de notre bon président à l'annonce de certains désagréments. Cela ne me prend pas beaucoup de temps, une demi-minute tout au plus, mais cela me permet de commencer la journée dans un état de suave béatitude.

Les motifs de déconvenues ne manquent pas actuellement pour le chef de l'État, comme si tout le monde se liguait pour lui faire de la peine.

Même les sénateurs, jadis si respectueux, ne veulent plus voter, ne serait-ce qu'à reculons, les mesures proposées :

Le Sénat a infligé jeudi un revers au gouvernement en refusant l'extension de déchéance de nationalité à certains meurtriers de représentants de l'autorité de l'État, une mesure phare du projet sur l'immigration, préconisée par Nicolas Sarkozy.

Par 182 voix contre 156, les sénateurs ont repoussé cette disposition annoncée, à grand renfort de roulement de mécaniques, par monsieur Nicolas Sarkozy dans un discours à grand spectacle sécuritaire prononcé, l'été dernier, à Grenoble.

Il était prévu d'étendre la déchéance de nationalité aux personnes ayant acquis la nationalité française depuis moins de 10 ans et qui ont été reconnues coupables d'un crime à l'encontre de personnes dépositaires de l'autorité de l'État. A l'automne, monsieur Éric Besson avait fait au mieux pour introduire cette mesure dans le projet de loi "relatif à l’immigration, à l’intégration et à la nationalité". En première lecture, les dévoués députés avaient voté pour, sans trop d'états d'âmes. Et la commission des Lois du Sénat en avait, la semaine dernière, accepté le principe, mais en avait limité la portée, la liste des "dépositaires de l'autorité publique" se réduisant aux magistrats et aux forces de l'ordre.

Les sénateurs ont refusé d'instaurer "l'idée qu'il y a deux catégories de Français" et de rompre "avec tous les critères d'égalité de la République", sans hésiter à évoquer de manière explicites les références qui s'imposent :

Nathalie Goulet a pris la parole de façon plutôt solennelle pour les sénateurs centristes: "c'est le régime de Vichy qui a inventé la dénaturalisation !", a-t-elle déclaré en racontant comment sa famille, à qui le régime de Pétain a retiré la nationalité française en 1941, avait été parmi les premières à être déportée vers Auschwitz.


On sait pourtant que c'était une mauvaise question.

En l'absence de monsieur Brice Hortefeux, c'est le ministre en charge des collectivités territoriales, monsieur Philippe Richert, qui représentait le gouvernement.

Manifestement peu en forme, il a mollement indiqué :

"On n'est pas en train d'inventer la déchéance de nationalité, elle existe déjà !"

Et, implicitement, il a reconnu l'inutilité de la mesure, avant d'asséner son ultime argument :

Soulignant que sur les 90.000 personnes qui acquièrent chaque année la nationalité par naturalisation, bien peu seraient concernées par la mesure, M. Richert a fait valoir qu'il n'était pas "illogique que quand une de ces personnes se retourne, par meurtre, contre le symbole de cette autorité de l'Etat, on puisse lui retirer sa nationalité".

Cet appel à la logique est assez intéressant.

D'autant plus qu'on le retrouve dans la réaction du ministre de l'Intérieur et des Expulsions vers l'Extérieur :

Dans un communiqué publié à l'issue du vote, Brice Hortefeux a aussi estimé qu'il n'y avait "rien de scandaleux ni de choquant à ce que le gouvernement, sur avis conforme du Conseil d'Etat" propose cette mesure. "Il ne s'agit de rien d'autre que de tirer les conséquences logiques d'un acte qui, par sa nature même, met son auteur en dehors de la communauté nationale", a-t-il ajouté.

Il faut admettre qu'a dû se développer, dans l'entourage intellectuellement si fertile du président de la République, une conception non-standard de la logique, qui nous échappe encore partiellement. Car en suivant le fil des propositions "logiques" ou non-"illogiques" de nos deux ministres, on arriverait, en bonne logique classique, à établir, en corollaire, qu'un de-souche né de-souche de chez de-souche ad infinitum, tel que je le suis, serait plus autorisé, en droit, à assassiner, si le besoin s'en faisait sentir, un juge ou un policier, que son voisin naturalisé depuis moins de dix ans...

Or cela m'étonnerait fort que monsieur Hortefeux ne trouve "rien de scandaleux ni de choquant" dans cette proposition...