lundi 29 juin 2009

De quoi la Voix du Nord est-elle la voix ?

Le camp No Border de Calais a été étouffé avec tant de soin que rien, ou presque rien, n'est paru dans les médias nationaux. Seuls les médias locaux se sont appliqués à en suivre le déroulement.

A leur manière.

C'est ainsi que j'ai dû subir la lecture des nombreux articles fielleux d'un certain Laurent Renault, journaliste à La voix du Nord, quotidien qui, si j'étais nordiste, me ferait rêver d'être aphone.

Mais bien sûr, ma prudence naturelle, et mon respect de la déontologie du blogueur, m'ont conduit à vérifier, compléter et recouper les informations avec les témoignages et les analyses des participants. Il suffisait de consulter les sites d'Indymédia-Lille, et du Jura Libertaire régulièrement mis à jour.

Car, au final, la manière de Laurent Renault m'a semblé assez singulière.

Tête de manifestation clownesque.
Son compte rendu de la manifestation du samedi 27 juin, est ainsi titré: Manifestation des No Borders : quelle clownerie que cette grande parade de Calais !

Il s'ouvre par ce curieux chapeau:

Match nul, tout le monde a gagné ! À l'issue de la manifestation, chacun des deux camps, No Borders et État, a pu faire ses comptes. Un seul incident, pas de blessé, la fête... Un défilé classique qui a réuni un petit millier de personnes à l'appel des syndicats Sud et Solidaires.

Vous pourrez chercher dans la suite un quelconque retour sur ce "seul incident"...

Quant au titre, il semble motivé par ceci:

10 heures. - Une longue file sort du camp No Border installé depuis le début de semaine rue Normandie-Niemen. Depuis plusieurs jours, la provocation entre ces militants d'extrême-gauche et les forces de police ont placé le défilé sous une certaine tension. Le grand jour est arrivé. Synonyme de toutes les peurs. Et ce sont des clowns et des musiciens qui ouvrent le bal masqué. Car dans le cortège, de nombreuses têtes sont cachées. Masque de Zorro pour l'un, foulard et bandana pour l'autre, des capuches aussi sous cet écrasant soleil.

N'attendons surtout pas d'éléments d'information précis dans la suite de cette caricature d'article qui expédie la fin de la manifestation en quelques mots:

(...) quelques messages et autres témoignages, les syndicalistes remontent dans les bus. Les No Borders accompagnés jusqu'au pont Vétillart. Les troupes se dispersent.

Mais puisque le besogneux Laurent Renault a dû apprendre qu'un journaliste avait, avant de lâcher sa prose, à écouter et retranscrire, il consacre un paragraphe entier au sort d'une mamie dans l'embarras:

Otages. - Les personnes présentes à la manifestation ont dû prendre leur mal en patience avant de regagner le centre-ville. « Je suis avec ma petite fille, on n'est pas des terroristes quand même ! » insiste cette Calaisienne garée deux rues derrière. Elle patientera. Comme tout le monde. Pas de différence entre gentils et méchants.

J'imagine que cette géniale opposition gentils/méchants a dû lui plaire, puisqu'il la reprend, d'un manière qui m'échappe un peu, dans sa conclusion:

Victoire. - Dans cette partie, tout le monde a gagné. les syndicalistes ont manifesté les No Borders étaient pacifiques il y avait des méchants parmi les gentils les policiers ont fait en sorte que tout se passe pour le mieux dans chacun de leurs mondes...

Ce camp a décidément quelque peu dérangé le monde du talentueux Laurent Renault...

(On pourra comparer avec ce récit d'un participant dans le Jura Libertaire)

Et le lendemain, les méchants anarchistes plient bagages.

La prose de ce pathétique personnage à la rancoeur si racornie que ça doit quand même le gêner un peu pour sourire, se retrouve le lendemain dans un article-bilan, intitulé: Comme un dimanche normal, sans CRS ni No Borders, où nous pouvons apprendre que "les Calaisiens ont repris leurs habitudes. Comme les migrants. Tous les autres sont repartis."

L'article, qui se hisse à un niveau d'analyse inouï (on notera aussi l'efficace poncif de la compassion), se conclut par:

Pourquoi les Calaisiens ne se sont-ils pas joints à cette manifestation ? Voilà bientôt quinze ans qu'ils vivent au quotidien avec les migrants, dans l'indifférence, dans la compassion, en offrant des dons, du temps. Parfois ça exaspère. des drames remettent les discussions à plat. Le tout dans un contexte économique difficile. Elle est peut-être là leur priorité. De la frontière anglaise à Calais, pour sûr on en reparlera comme on en parle depuis quinze ans. Alors en attendant, les Calaisiens sont allés à la plage oublier un peu tout ça.

Mais il y a des Calaisiens qui pourraient juger que Laurent Renault les calomnie...

Je suis sûr qu'il y en a qui s'emmerdent autant que moi à la plage.


PS: Comme pour certains articles de presse, mon titre est purement bruitiste.

Et rhétorique: on sait bien que la Voix du Nord est la voix de ses maîtres.

On pourra consulter avec profit le numéro 12 de La Brique, ainsi que ces articles mis en ligne.

Par ailleurs, l'excellent Jura Libertaire a reçu ceci:

Mise en demeure

Lille, le 24 juin 2009

Monsieur le Directeur de la Publication,

Nous avons constaté que sont reproduits et diffusés des articles parus dans LA VOIX DU NORD sur le site juralibertaire.over-blog.com que vous éditez notamment à l’adresse suivante : http://juralibertaire.over-blog.com/article-32844337.html

Cependant, à aucun moment vous n’avez sollicité ni obtenu notre accord pour la reprise de ces articles.

Je vous rappelle que ces diffusions non autorisées sont constitutives du délit de contrefaçon, sanctionné par l’article L.335-3 du Code de la propriété intellectuelle.

Dans ces conditions, nous vous mettons en demeure de retirer de ce site l’ensemble des articles de la Voix du Nord dans un délai de quarante-huit (48) heures à compter de la réception de la présente.

À défaut, nous nous réservons la faculté d’engager toute procédure judiciaire, notamment en référé, afin de faire valoir nos droits.

Dans l’attente de vous lire, je vous prie d’agréer, Monsieur le Directeur de la Publication, l’expression de mes sincères salutations.



dimanche 28 juin 2009

Vérité et Justice

Hier, un cortège, parti vers 15 heures du 58 rue des Amandiers (Paris 20ème), a fait calmement le tour du quartier, en passant par la place Auguste Métivier, le boulevard de Ménilmontant, la rue du même nom, la rue des Pyrénées, et la rue Orfila, empruntée jusqu'à son croisement avec la rue de la Bidassoa.

Boulevard de Ménilmontant.

Quelques arrêts ont été ménagés, où était lu le texte suivant, distribué aux passants:

Il y a 2 ans, le dimanche 17 juin 2007 entre 4h et 4h 30 du matin, la police aété appelée pour « tapage nocturne » au 8 rue de la Bidassoa Paris 20ème.


Les 8 policiers qui se sont rendus sur les lieux, ont trouvé dans la rue un jeune homme seul et non armé, tentant de se cacher.

Après l'avoir plaqué au sol face contre terre, l'avoir menotté aux poignets, un bras passé par dessus l'épaule et l'autre replié dans le dos, et lui avoir attaché les chevilles avec une sangle de contention en cuir, les policiers l'ont porté dans le fourgon de police.

C'est là, sur le plancher du fourgon, que tandis qu'un policier pressait sa tête, quatre autres comprimaient son thorax agenouillés respectivement sur son épaule gauche, son dos et ses jambes maintenues repliées en arrière.


Ce jeune homme s'appelait Lamine Dieng.

Un jeune homme qui avait une famille, des amis, des projets, en un mot: une vie. Il avait 25 ans et il est mort dans ces conditions-là, dans ce fourgon de police aux mains de ces 5 policiers.

Cinq professionnels garants de la sécurité publique, initialement appelés pour tapage nocturne.

En 2 jours, la Police des polices (IGS) a conclu que Lamine était « mort naturellement d'un arrêt cardiaque ».


La famille a déposé plainte avec constitution de partie civile le 22 juin 2007.

Un comité de soutien s'est formé pour exiger que toute la lumière soit faite sur le décès de Lamine, que justice soit rendue, et raconter l'histoire de Lamine au monde pour l'inscrire dans la mémoire collective.


La mort de Lamine ne doit pas être oubliée, nous ne laisserons personne l'oublier.

A ce jour, nous attendons les conclusions de l'enquête de la justice.

Les fonctionnaires de police impliqués sont quant à eux toujours en service.


Bas de la rue de Ménilmontant.


Le tract est signé du comité de soutien « Vérité et Justice pour Lamine Dieng »

Aujourd'hui deux roses rouges, accrochées à une grille, marquent le lieu où Lamine est mort.


Aujourd'hui, je les ai trouvées un peu étiolées.


L'une doit s'appeler Vérité, et l'autre Justice.

samedi 27 juin 2009

Dans la famille Mitterrand, le neveu

Depuis mardi soir, date à laquelle la nouvelle prématurément divulguée fut confirmée, une grave question m'embarrasse: monsieur Frédéric Mitterrand, nouveau ministre de la Culture et de la Communication, saura-t-il bafouiller avec autant de talent que madame Christine Albanel devant les élu(e)s de l'Assemblée Nationale ou du Sénat ?

On peut craindre que cette interrogation n'ait été absente des préoccupations de notre président lors de sa nomination.

Certes, cette opération ramasse-miettes de l'Histoire a dû être sérieusement pensée, et elle a été rondement menée, par l'escadron sarkozien des chasseurs de têtes ministérielles. Mais pouvaient-ils vraiment rater, dans les différents couloirs où il traîne depuis toujours, l'hydrocéphale hollywoodien à l'illustre patronyme ? Bien que retiré, loin des micros où il avait accoutumé d'étaler sa culture, l'ex grand jeune homme godiche des Lettres d'amour en Somalie avait laissé derrière lui le ton de sa voix célébrant interminablement tout le clinquant glamoureux conventionnel des rêves de stars. Ils ne pouvaient franchement pas l'oublier, tant cette scie est entêtante comme une mélodie de Michael Jackson*, et le nom de Frédéric Mitterrand devait être en réserve depuis longtemps sur leurs tablettes, comme titulaire remplaçant.

Ont-ils cherché à imaginer cet amateur éclairé de l'éloquence accumulative tentant de déployer ses lassantes périodes à rallonge devant un hémicycle goguenard, frondeur, chahuteur ou, c'est plus rare, indigné ?

Nous nous réjouissons de ce que cela pourra donner...

En attendant, mon neveu joue les portiers d'hôtel stylés.

Alors qu'un grand vent d'espoir souffle sur le monde de la culture, au point que j'ai renoncé à sélectionner quelques liens, je ne peux que vous recommander d'aller faire un petit tour sur la chronique de l'excellent Pierre Marcelle Culture sans vergogne, ruine de l’âme.

Oui, je sais, Pierre Marcelle est un chroniqueur agaçant...

Mais quelqu'un qui agace (entre autres) Laurent Joffrin, n'est pas nécessairement mauvais.


* De son côté, FM ne pouvait rater ça:

Sur l'antenne de Europe 1 vendredi matin, le nouveau ministre de la Culture Frédéric Mitterrand a rendu hommage à Michael Jackson. "On a tous un peu de Michael Jackson en nous, c'est quelque chose de fascinant", a affirmé le nouveau ministre. "Si j'avais pu rencontrer Michael Jackson et lui dire que ce que je peux représenter de la culture française lui rend hommage, je l'aurais fait tout de suite", a-t-il dit. "C'était un musicien génial, qui a réussi à se mettre au carrefour de toute sorte de courants musicaux", a salué Frédéric Mitterrand.

"Fascinant", "génial", la Villa Médicis ne l'a pas changé, notre Frédéric...

jeudi 25 juin 2009

La CGT lutte dans le seul intérêt des sans-papiers

Hier, j'ai acheté par mégarde Siné Hebdo...

Par chance, j'y ai trouvé un petit article, intitulé Tu seras un métèque, mon fils, signé de Miguel Benasayag*.

On peut y lire cette confidence:

Quand je suis arrivé en France, pour obtenir mes équivalences, j'ai travaillé un an dans la salle d'accouchement d'une maternité. Je peux vous assurer que je n'ai jamais vu un enfant sortir du ventre de sa mère avec des papiers à la main.

Depuis hier, on peut ajouter "ni avec une carte de la CGT".

C'est la seule tentative humoristique dont je me sens capable devant l'évacuation (on va dire comme ça) de la Bourse du Travail, occupée depuis plus d'un an par des travailleurs sans-papiers et leurs familles.

Depuis hier, les infos tombent, embrouillées au début, puis mises en ordre, mais est-ce le bon ? Qu'importe puisqu'on y repère une étroite collaboration, dans l'action, de vigiles de la CGT qui donnent le premier assaut, de policiers en civil qui sont présents habituellement et de CRS qui sont appelés en renfort, le tout avec son lot de gaz lacrymogènes, de coups et de blessures.

Ajoutons la présence indécente de vidéastes (Libé, venu en voisin) et de photographes qui découvrent soudain des "sujets" qu'ils ont quasiment ignorés pendant plus d'un an. (Lire, par exemple, le reportage de Claire Diao sur Afrik.com)

Et cela donne un beau cadrage symétrique,
pour une image oppressante.
(Miguel Medina, AFP)

Pour essayer d'y voir plus clair, on suit la piste cégétiste.

On tombe d'abord sur le quatre pages Un an d'occupation de la Bourse du Travail! Et après ? diffusé le 26 mai 2009 par l'UD CGT 75, qui se termine par ces mots:

Regardons ce qui se passe sur les autres questions de la situation sociale aujourd'hui en France. Partout dans le pays se déroulent des luttes sur tous les fronts. Partout des débats parfois rudes se mènent sur les stratégies à adopter, mais il n'y a qu'une seule organisation en France qui a osé s'en prendre, de cette façon à une structure de la Cgt totalement impliquée dans le mouvement social :

C'est la CSP 75, espérant sans doute que sa grossière provocation lancée dès le début de l'occupation: " Vous n'avez plus qu'à appeler la police ! " finira par marcher !

On commence à sentir comme une odeur...

Qui se précise quand on découvre le tract du 19 juin que l'on peut lire, accompagné de la réaction d'un militant, sur le blogue Où va la CGT ? (Cette réaction, écrite avant l'évacuation, console un peu...)

Pour finir, on lit le dernier communiqué de la CGT, Occupation de la Bourse du Travail: la voie était sans issue, disponible sur le site de Bellaciao.

On sort de là dans un triste état, ou un état triste, c'est selon.

Cela faisait longtemps que je n'avais pas lu trois textes cégétistes à la suite, écrits tous les trois en langue de bois (pourri, le bois), avec ces relents de maigre dialectique qui semble venir tout droit de vieux volumes défraîchis des éditions de Moscou de mes jeunes années...

Pourtant elle s'est relouquée, la CGT...
(J'ai volé cette photo sur le blogue de Marianne68,
et je l'ai passée en noir et blanc.
J'espère qu'elle ne m'en voudra pas.)


Autant terminer la lecture de l'article de Benasayag:

Mais pour finir, soyons sérieux. Car il y a des situations où être sans-papiers définit, véritablement, la dignité d'un homme. Des moments au cours desquels un homme sans papiers est, véritablement, moins digne qu'un homme avec papiers. Je fais référence à ce moment fatidique où, dans le bonheur d'avoir fini de chier, on tourne la tête à droite, à gauche, tel un oiseau affolé, et où l'on constate qu'on est "sans papiers". Mon Dieu, si Sarkozy le savait...

Du coup, je reporte un œil sur le bellâtre dodu qui joue "Super Héros en grève".

La CGT peut bien baisser son froc dans les négociations et montrer son cul dans les manifestations, on sait maintenant qu'elle n'a pas les fesses bien propres.



* Comme la chance est avec moi, qui suis partageux, elle est aussi avec vous, puisque cela me permet de vous conseiller de lire, sur Article XI, très beau site gratuit et sans publicité, la transcription de conversations pyrotechniques entre Miguel Benasayag et Margot K. Un bonheur n'arrivant jamais seul, Margot K. annonce une seconde partie...

mercredi 24 juin 2009

Les débordements de l'information à Calais

Il suffit de visiter quelques maisons de retraite encore accessibles aux vieux prolétaires pour constater de visu la justesse de cet ancien dicton: "Le travail, c'est la santé!"

Monsieur Hortefeux, bien fatigué après son passage au ministère de l'Identité Nationale, a été mis au Travail lors du pénultième remaniement, et, en se gardant bien d'y faire des étincelles nous revient en pleine santé et très grande forme pour s'occuper de l'Intérieur. Le passage de bâton entre lui et madame Alliot-Marie devrait se faire sans accrochage: la pile des dossiers en cours est bien tenue à jour.

Parmi eux, celui du camp No Border qui se tient à Calais depuis hier, et qui est annoncé comme devant être un grand chantier sécuritaire à haut risque, suite aux efforts plus ou moins conjugués de monsieur Pierre de Bousquet, préfet du Pas-de-Calais, de madame Natacha Bouchart, maire de Calais, de la presse locale et de bons citoyens calaisiens. Cela ne veut pas dire que l'un, l'une et les autres parlent d'une même voix, mais on assiste à une curieuse et très efficace convergence dans la pétition de principe, le jugement par anticipation ou la propagation de rumeurs de sale gueule.

Graffiti de 2007.

On prête à monsieur le préfet cette déclaration:

« Nous savons que se dissimulent, à chaque camp "No Border", de façon plus ou moins évidente et concertée avec les organisateurs, des personnes qui sont ultraviolentes. Nous ne les laisserons pas faire. »

Fort de ce savoir, monsieur le préfet a déployé un dispositif qui a grandement impressionné Vincent Depecker, journaliste à Nord Littoral, qui estime, dans son article du 18 juin, à 1500 le nombre de policiers qui seront présents.

On peut glaner, un peu en vrac, dans son papier:

« On ne peut rien dire, confirme un gendarme. Tout ce que je peux vous dire c'est qu'en 30 ans de carrière, je n'ai jamais vu ça. »

Au tribunal de Boulogne-sur-Mer, un parquetier prendra une permanence uniquement pour répondre - si besoin - aux casseurs.


Une vingtaine de chevaux sont également arrivés sur le Calaisis. Ces brigades montées sont spécialisées dans les interventions en pleines émeutes.

Toutes les brigades de gendarmerie sont mobilisées avec des renforts de réservistes au cas où.

Au centre hospitalier de Calais, on se tient prêt. « Il y a un niveau de vigilance de façon à anticiper un éventuel afflux de patients »


Chez les sapeurs-pompiers, les gardes de la semaine prochaine ont été renforcées. À Marck et Calais, les pompiers d'ordinaire à quinze passeront à dix-neuf.

Par ailleurs, et en outre, monsieur le préfet a pris des mesures drastiques, pas de vente d'alcool au détail, ni d'essence, ni de gaz, et a joué les humoristes en interdisant tout port d'engin pyrotechnique.

Notre témoin de Nord Littoral, Vincent Depecker, s'inquiète à juste titre pour le commerce calaisien...

Madame Natacha Bouchart, maire de la ville, et, à ce titre, fort soucieuse du bien-être de ses concitoyens et électeurs, s'en inquiète également.

Dans l'affaire, elle a bien pris soin de rester à l'écart des prises de décision, en refusant de rencontrer les organisateurs du camp. On peut lire dans Nord Eclair (article du 18 juin):

La mairie UMP de Calais, d'entrée de jeu, a refusé tout contact avec les No Border. "Il est hors de question que je les rencontre", a affirmé Natacha Bouchart, le maire, "et puis à qui on parle? Qui est qui? On ne sait pas les identifier".

Il est vrai que si l'on s'adresse à madame Bouchart, on sait assez rapidement à qui on parle... (Sur ce point, je ne peux que vous conseiller de lire le billet qu'Olivier Bonnet lui a dédié .)

Elle se trouve ainsi tout à fait libre de faire de la surenchère tout en critiquant le choix fait par le préfet du terrain réquisitionné pour y autoriser le camp.

"Comment peut-on croire qu'on va contrôler la situation alors que c'est au Beau-Marais, sur un terrain mitoyen au foyer Tom Souville où je rappelle résident des personnes handicapées. Et puis, c'est à proximité immédiate des habitations. Le choix de ce terrain a donc été réalisé d'une façon qui m'interpelle."

Les propos de cette dame interpellée sont rapportés dans un article de l'indispensable Nord Littoral, daté du 20 juin et signé T.S-M. Le lendemain le/la même T.S-M. nous offre un article décrivant l'installation du camp, où l'on peut trouver:

Jean-Luc Colin, directeur du foyer Tom Souville qui accueille une cinquantaine de personnes handicapées, s'est également rendu sur place pour prendre la température. Il a ainsi appris que les abords du foyer allaient être réservés au camping, afin d'y faire le moins de bruit possible et donc de ne pas déranger les résidents avec l'animation qui régnera tout au long de la journée dans les autres parties du camp.

Par le ton général, cet article tranche singulièrement avec celui que Laurent Renault, dans la Voix du Nord du 19 juin, a intitulé Le camp "No Border", une zone de non-droit.

Rien que cela.

Notre vocaliste nordiste, qui doit être très fier de sa carte de presse, n'arrive manifestement pas à avaler la volonté des organisateurs du camp de canaliser quelque peu la curiosité médiatique. Passons sur son chapeau, et citons son premier paragraphe:

Le camp No Border, fait de militants d'extrême-gauche et d'anarchistes, se fixera le 23 juin au Beau-Marais, dans le bois situé le long de l'avenue Normandie-Niemen. Et ces militants qui dénoncent les frontières, sont pour la libre circulation dans tous les pays... s'enferment, se replient, s'isolent et déterminent une zone de non-droit. "La police ? Non, elle ne sera pas la bienvenue dans le camp", assure le chargé de presse des No Border qui affirme que tout sera mis en œuvre pour éviter les affrontements. "Pour participer aux ateliers proposés durant cette semaine, il faudra se présenter à l'accueil. Les journalistes ? Non, ils ne se promèneront pas seuls dans le camp, pas de photos non plus sauf si autorisation spéciale..." Il faudra s'en tenir aux communiqués. Soit.

C'est rageant, non ?
Photo AFP.


Vexé comme un pou qui vient, d'un saut, de rater sa pucelle, ce pauvre râleur de Laurent Renault a pu se rendre hier au camp. C'était portes ouvertes. Il en a profité pour retranscrire les propos d'un certain Michel:

Michel s'est rendu hier après-midi dans le camp No border. "Je suis juste un Calaisien venu m'informer. J'ai lu la presse comme tout le monde, j'ai entendu les prises de position... Je viens à la source." Il écoute et suit les journalistes qui, hier à 14 h 30, ont eu droit à une visite guidée. Et de s'adresser à la chargée de communication : "Vous avez de grandes idées, vous parlez des politiques, des migrants... Et les Calaisiens dans tout ça ? Vous n'en parlez pas ! Vous ne leur avez pas demandé leur avis, ce qu'ils pensaient de tout ça ! Rien. Que les gens se soient battus ou non entre temps, que les forces de police se soient déplacées pour rien... Lundi, vous repartirez chez vous et rien n'aura changé. Les Calaisiens doivent encore subir." Les réponses apportées ne lui font ni chaud ni froid.

On sent très bien que la contemplation des grandes idées, ça n'a jamais donné le vertige à Michel.

Et puis, le Calaisien a depuis longtemps la hantise d'être pris en otage.

J'espère bien que La Voix du Nord reviendra demain sur l'opération menée ce matin au centre de rétention administrative de Lesquin, ainsi annoncée*:

Depuis ce matin à 5h15, une trentaine de personnes bloquent le camp pour étranger-e-s de Lesquin. La grille d'accès du camp est bloquée à l'aide de lock-ons, c'est-à-dire des tubes en métal dans lesquels ces personnes ont introduit leurs bras.

Dans le cadre du camp noborder de cette semaine qui réclame la liberté de circulation pour tout-e-s, des individu-e-s ont voulu passer à une action de désobéissance en empêchant l’expulsion des migrant-e-s prévues cette journée du 24 juin.

Nous voulons montrer notre détermination contre les politiques française et européenne de déportation des sans-papiers. Par là nous démontrons que quelque soit la répression étatique et le nombre de forces de l’ordre mobilisées, il est possible de s'opposer effectivement aux politiques répressives en matière d'immigration, il est possible de mettre des grains de sable dans la machine à expulser.

Pour compléter l'information:

Une trentaine de militants altermondialistes français, belges, allemands, italiens et espagnols ont été interpellés et placés en garde à vue mercredi à Lille après s'être enchaînés aux grilles d'un centre de rétention administrative, a indiqué la préfecture du Nord.



*Ce communiqué peut se retrouver en intégralité sur la page de Lutte en Nord. On y trouve aussi Nomade, journal quotidien et éphémère du camp No Border de Calais.

mardi 23 juin 2009

Un visage sur le problème

- Ayé!

Comme s'écrie et écrit ma jeune bécacousine, celle qui m'a averti de la chose en m'expédiant un courriel d'alerte, recommandé, avec accusé de réception.

Philippe Val est à France Inter et ça s'arrose.

Le premier à trinquer sera donc Frédéric Pommier, le tenancier, depuis la rentrée de septembre, de la revue de presse de 8h 30.

Philippe Val est maintenant le patron.

Contrairement aux apparences, il ne manque pas d'air.

Mon compatriote Frédéric Pommier (selon Ouest-France, où l'on s'y connaît, il serait d'origine normande) n'a peut-être pas révolutionné l'art difficile de la revue de presse radiodiffusée, mais, mine de rien, il a su donner à l'exercice une délicate touche personnelle, qui est devenue très vite familière à ceux qui supportent stoïquement les braillements du meneur de jeu Nicolas Demorand. On dit même que sa présence a fait progresser l'audience de cette tranche de près de 400 000 auditeurs.

A ma connaissance, on n'a jamais dit que les auditeurs accouraient pour écouter les calamiteuses chroniques de Philippe Val, à l'époque encore proche où, s'accrochant vaillamment au papier qu'il avait besogneusement préparé, il relisait son texte avec un débit un poil trop rapide, en trébuchant sur les passages à la ligne, ou sur une liaison qui soudain l'étonne.

Frédéric Pommier, lui, entre dans sa revue de presse en flâneur dérouté et déroutant. Il s'arrête à détailler un titre et un article, avec une certaine nonchalance méditative. Il reprend quelques mots, les répète, non pour nous les ficher dans l'entendement, mais pour nous faire ressentir un certain étonnement. Il laisse volontiers traîner sa voix sur des finales interrogatives. Il se tourne vers l'invité pour lui adresser une vraie question, mais juste un peu décalée, ce qui le déconcerte. Puis il reprend sa route d'un air rêveur dans les quotidiens de notre quotidien. S'il était en terrasse avec ses journaux, à la fin, il relèverait probablement le nez pour suivre un nuage au loin.

La revue de presse de Frédéric Pommier n'a qu'un seul défaut à mes oreilles: elle est trop intelligemment subtile, et par conséquent incompatible avec la conduite d'une quatrelle lancé à tombeau ouvert sur l'autoroute A13...

Ce n'est pas pour cette raison que Philippe Val, dès sa prise de fonctions à la tête de la chaîne, l'a prévenu qu'il ne présenterait plus la revue de presse.

Deux versions circulent dans les gazettes, celle des mauvaises langues et celle de Philippe Val.

La première est rapportée avec beaucoup de détails par les Inrocks.com, qui nous raconte une invraisemblable histoire de ressentiment:

L’histoire remonte visiblement au mois de mars dernier, explique un journaliste de la rédaction qui a souhaité conserver l’anonymat. "A cette époque, Pommier voit débarquer au huitième étage de la rédaction Philippe Val, accompagné de Nicolas Demorand, qui fait les présentations. Val dit alors en s’adressant à Pommier : 'Ah ben d’accord j’ai mis un visage sur le problème'. Pommier demande quel est le problème, et Val lui répond : 'Le problème c’est que j’entends beaucoup trop Siné Hebdo dans ta revue de presse'. Pommier répond qu’il a cité ce matin Siné Hebdo, parce qu’ils ont fait un truc avec Bakchich.info. Là, Val enchaîne 'Bakchich, cette bande de connards'. Pommier continue alors à se justifier, expliquant qu’il ne pense pas privilégier Siné Hebdo. Alors que Demorand a quitté le studio, Val continue la discussion avec Pommier, et termine en lui disant : 'Ne t’inquiètes* pas, j’ai identifié le problème' ".

Franchement, vous lui trouvez une tête de problème à Frédéric Pommier ?


La version donnée par Philippe Val s'accompagne d'une sauce un peu mielleuse:

Dans une déclaration adressée lundi à l'AFP, Philippe Val tente de désamorcer la polémique. "Evidemment, Frédéric Pommier reste avec nous, il n'est ni licencié ni remercié. C'est un garçon qui a du talent (...)", a-t-il dit, assurant même être en train de travailler sur des propositions "pour qu'il soit plus visible à l'antenne".

Le problème serait que Frédéric Pommier, le "garçon qui a du talent", a un problème de "hiérarchisation de l'information".

Cela ne pouvait pas attendre, il fallait régler cela de toute urgence.

Daniel Schneidermann, qui n'a pas un très bon esprit, s'est attaché à examiner ce point dans la revue de Frédéric Pommier de ce matin. Voici ses observations:

Et, sans vouloir jouer au rapporteur, il faut bien, dans cette douloureuse affaire, donner raison à la grande clairvoyance du directeur-actionnaire Val : ce Pommier n'a aucun sens de la "hiérarchie de l'information". Au lendemain de l'historique discours sarkozyen de Versailles, alors que Mougeotte, dans Le Figaro, parmi bien d'autres éditorialistes extasiés, salue "un souffle d'une indéniable hauteur de vues", commencer une revue de presse par d'interminables citations d'écrivains iraniens en exil, témoigne d'une absence totale de sens politique. N'en venir à l'événement de Versailles qu'à 8 heures 35, après ces cinq minutes de lèse-majesté, est impardonnable. Et ne mentionner le "grantemprunt" qu'à 8 heures 37, après avoir osé évoquer les somnolences de la Première Belle-mère pendant le discours du Premier Gendre, frise la provocation.

Il note aussi que "Pommier a soigneusement évité le sujet Pommier, qui emplit les colonnes médias des quotidiens".

Si je me souviens bien, la note finale de la revue de presse était une petite histoire de crocodile...

Il y a des gens qui ont une certaine légèreté, inconnue des Rastignac contemporains.


* J'ai laissé la graphie des Inrocks.com, car il ne m'étonnerait pas que Philippe Val fasse des fautes d'orthographe à l'oral.

lundi 22 juin 2009

Contrôle net et sans bavure

Le 9 juin 2009, le dernier court voyage qu'aura effectué de son vivant monsieur Ali Ziri aura été un voyage vers l'hôpital. C'est assez banal.

Ce qui l'est moins, c'est de le faire dans une voiture de police, menotté et évanoui, à la suite d'un contrôle, par la police, d'un véhicule conduit par monsieur Arezki K., dont monsieur Ali Ziri était passager.

Ali Ziri est né en 1940 à Ouled Rached, un village dans la wilaya de Bouira, en Algérie (Kabylie). Il est arrivé en France à l'âge de 19 ans, s'est installé à Argenteuil où vit une assez importante communauté kabyle, et il a travaillé près de 40 ans dans une même société du 17ème arrondissement de Paris. En retraite, il passait une partie de son temps à faire des allers-retours entre la France et l'Algérie où résidait sa famille composée de deux filles et deux garçons. Il s'apprêtait à retourner dans son pays le lundi 15 juin pour assister au mariage de son fils aîné.

Il n'était pas connu, comme on dit, des services de police; mais, dans son quartier, à Argenteuil, il était bien connu pour sa gentillesse, sa disponibilité et sa générosité. Les gens du foyer et les jeunes le surnommaient affectueusement "Ammi Ali", c'est-à-dire "Oncle ou Tonton Ali".

Apparemment, ce n'est pas ainsi que les policiers qui l'ont fait monter dans leur véhicule, en compagnie de monsieur Arezki K., l'ont surnommé.

C'était peut-être un véhicule de ce genre,
mais il y a d'autres modèles.


On retrouve une certaine banalité en constatant que les faits se racontent de deux manières assez différentes...

Commençons par la version officiellement donnée par le procureur adjoint au parquet de Cergy-Pontoise, monsieur Bernard Farret, dont les déclarations sont reproduites dans l'article d'Elsa Vigoureux, dans la NouvelObs.com.

"Les deux hommes étaient en état d’ébriété au moment de leur interpellation. Ils ont été embarqués au commissariat parce qu’ils se rebellaient et outrageaient les policiers. Ali Ziri, transporté à l’hôpital, est décédé après être tombé dans le coma". (...) "l’autopsie de monsieur Ali Ziri exclut que la cause du décès puisse résulter d’un traumatisme, et conclut qu’elle est due au mauvais état de son cœur"

Monsieur Bernard Farret s'exprimait surtout pour faire savoir à la presse, et donc au public, que le parquet n’a pas souhaité donner suite à cette affaire, puisqu’il n’y a "pas de suspicion de bavure".

D'un mot, il écarte toute crédibilité au témoignage d'Arezki K. :

"La réalité n’a rien à voir avec ce que raconte ce monsieur Arezki K."

C'est net et sans bavure.

Bavure de lego police, par ludoboss.

"Ce que raconte ce monsieur Arezki K.", autrement dit son témoignage, on peut le lire dans un article de la Dépêche de Kabylie, et on le retrouve dans le communiqué du collectif "Vérité et justice pour M. Ali Ziri" qui s'est formé à Argenteuil (le lien qu'on m'a indiqué ne fonctionne pas).

Pour motif de contrôle d’identité, les trois policiers ont d’abord demandé au conducteur ses papiers. Mais celui-ci “a eu le tort de ne pas les sortir 'assez vite' comme il lui a été demandé par conséquent, il s’en est suivi des menaces afin de l’emmener au poste, puis des insultes...” et enfin, “des menottes et des coups, une fois que le conducteur a été arraché de force de son siège!” Tandis que son ami, Ali Ziri, était jusqu’à cet instant assis gentiment sur le siège avant du véhicule, et voyant son ami, Arezki, “se faire traîner par terre et se faire insulter de tous les noms”, il descend du véhicule pour calmer les policiers. “Laissez-le tranquille, vous n’avez pas le droit de le frapper et de le traîner par terre. Je connais la loi”, dira Ali aux policiers. Pis encore, les policiers se saisirent de lui et le menottèrent à son tour ! Les deux individus sont alors “traînés et poussés avec violence” à l’intérieur du fourgon policier.

Les coups, et les insultes, auraient, selon le témoin, continué à l'intérieur du fourgon, jusqu'à l'évanouissement d'Ali Ziri.

A l'arrivée à l'hôpital d'Argenteuil, il était mort.

Selon le communiqué:

Mis en garde-à-vue, pendant 24 heures, Arezki K., n'apprendra le décès de son ami que le jeudi 11 juin par des policiers du commissariat d'Argenteuil. Le conducteur affirme avoir fait l'objet d'un tabassage continu, au même titre que son ami Ali Ziri, alors qu'ils étaient tous les deux menottés. Le médecin traitant d'Arezki K. ainsi que celui de l'hôpital lui ont d'ailleurs prescrit un arrêt de travail de huit jours. Les proches et les amis du défunt, qui se sont rendus à l'hôpital d'Argenteuil, ont tous constaté que plusieurs coups étaient visibles sur le corps de la victime.

Incidemment le NouvelObs nous indique que "Arezki K souhaite déposer plainte, mais la gendarmerie puis le commissariat de Bezons lui auraient refusé ce droit." et nous apprend que "L’ATMF entend se constituer partie civile dans cette affaire." (L'ATMF est l'Association des Travailleurs Magrébins de France, le NouvelObs.com confond "Maghrébins" et "Marocains"...)

Des proches du défunt, des associations, des partis politiques et des citoyens d'Argenteuil, se sont regroupés pour former un collectif demandant que tout soit fait pour élucider les circonstances exactes qui ont conduit à la mort de monsieur Ali Ziri.

Ils appellent à une marche pacifique, pour réclamer la vérité et la justice, le mercredi 24 juin, à 18 heures:

Le cortège partira du foyer Sonacotra Les Remparts, 4, rue Karl Marx, près de la gare du centre d'Argenteuil, pour se rendre sur le lieu de la mort de M. Ziri, au croisement des rues Jeanne d'Arc et du boulevard Léon-Feix et se terminer au commissariat d'Argenteuil...

dimanche 21 juin 2009

On n'arrête pas le carnaval

Le "décret n° 2009-724 du 19 juin 2009 relatif à l’incrimination de dissimulation illicite du visage à l’occasion de manifestations sur la voie publique" est paru hier matin.

« Art. R. 645-14. − Est puni de l’amende prévue pour les contraventions de la cinquième classe le fait pour une personne, au sein ou aux abords immédiats d’une manifestation sur la voie publique, de dissimuler volontairement son visage afin de ne pas être identifiée dans des circonstances faisant craindre des atteintes à l’ordre public.

« La récidive de la contravention prévue au présent article est réprimée conformément aux articles 132-11 et 132-15.


« Les dispositions du présent article ne sont pas applicables aux manifestations conformes aux usages locaux ou lorsque la dissimulation du visage est justifiée par un motif légitime. »


Le Journal du Dimanche, que j'ai consulté car nous sommes dimanche, traduit ce dernier alinéa dans un article titré La cagoule en manif, c'est fini, d'un peu identifiable V. V. (avec Reuters):

En gros, les participants aux carnavals du Nord seront libres de se masquer le temps des festivités. Et ceux qui se masquent le visage pour se protéger du mauvais temps ne seront pas poursuivis.

On pourrait signaler à V. V. et à son complice Reuters, qu'il peut aussi y avoir des carnavals dans le sud, et partout ailleurs, mais nous sommes rassurés: on n'arrêtera pas monsieur Carnaval et sa suite.





Le même article, très pédagogique, nous explique, dans son chapeau, l'origine du décret:

Ce décret avait été souhaité par Nicolas Sarkozy à la suite des violences opérées par des militants d'extrême-gauche en marge du sommet de l'Otan à Strasbourg le 4 avril dernier.

C'est une judicieuse introduction.

Judicieuse également me semble la lecture du rapport que la Legal Team du contre sommet de Strasbourg, soutenue par une partie des organisations, met à notre disposition.

115 pages, dont une quarantaine de témoignages
qu'il ne faut pas s'attendre à trouver dans la presse.
(C'est trop tard, coco.)


La norme "sommet de l'OTAN" est en train d'entrer dans les mœurs sécuritaires. Voici le premier témoignage que j'ai trouvé sur la manifestation d'aujourd'hui en soutien aux inculpés de l'antiterrorisme et aux victimes de la violence d'état. C'est le témoignage de Jules, publié par Bellaciao:

Ce rassemblement était pacifique et autorisé par la préfecture et pourtant il vient d’être durement réprimé par les forces de police qui ont usé de lance grenades et arrêté un nombre encore indéterminé de manifestants.

Certains manifestants qui ont pu s’échapper témoignent de la violence policière comparable à celle de Strasbourg lors du contre sommet.

Des hélicos survolaient le quartier et une police armée jusqu’aux dents bouclait tous les accès.

Une fois de plus, tout était mis en œuvre afin de provoquer et faire dégénérer la manifestation.

Un appel à témoins est lancé (vidéo, photos, témoignages) à publier sur Bellaciao et sur parolesdu19mars.over-blog.com (collectif de soutien des 49 inculpés de la Nation).

Deux témoignages figurent en commentaires.

Celui d'Antifa, qui était dans la manif:

Effectivement ça a été très chaud, dès que le cortège a dépassé Beaubourg.. visiblement ils ne voulaient pas nous laisser passer pour aller vers l’hotel de ville..grenadages, charges des BAC, quadrillage impressionant du quartier et l’helicoptère qui n’arrêtait pas de nous survoler..ambiance !!

Après une charge de gendarmes mobiles je me suis sauvé par une petite rue (devant le bar/boite gay trosième lieu..) et lje n’ai pas vu d’arrestation, là ou j’étais, les manifestants avaient pu passer avant le bouclage.

Rien a la radio, ni à la Tv, ni nul part alors qu’on était un bon millier. Manif tranquille, musicale (les tambours de tarnac), avec bcp de masques divers, mais ça n’a pas du exister, vu que personne n’en parle !

Et celui de Marie, qui n'était pas dans la manif, mais était dans le quartier:

Maintenant que j’ai lu votre message, je comprends pourquoi ce soir, aux alentours de l’Hôtel de Ville jusque devant et derrière le centre Pompidou, il y avait tant de CRS, de Gardes Mobiles, en groupes et casqués aux coins de presque toutes les rues, comme il y avait d’innombrables cars stationnés un peu partout dans ce quartier, et le pire c’était dans une des rues (connais pas le nom) qui donne dans la rue du Renard, à l’angle duquel se trouve l’Administration pénitentiaire, là, carrément, se trouvaient des véhicules de guerre de l’armée avec des grilles installés devant et derrière chacun des vingt ou trente véhicules qui bloquaient toute cette rue ...

(...)



Ces témoignages peuvent être complétés, si l'on y tient vraiment, par la dépêche de l'AFP que tous les médias, s'ils ont une petite place, vont reprendre allègrement.

On y verra que le photographe de service a bien pris soin de ne portraiturer que des manifestants masqués, et aucun membre des forces de l'ordre. Voilà un vrai professionnel qui respecte le droit à l'image des gens...

On notera dans le texte lui-même le point vue de la préfecture:

Des affrontements avec les forces de sécurité ont eu lieu en fin de manifestation et six personnes ont été interpellées, selon la préfecture de police: quatre pour des dégradations, deux pour des jets de projectile.

Des vitres du centre Georges Pompidou ont été touchées. Selon un communiqué de la préfecture de polices, "lors de la dispersion, des cagoules et des boules de pétanque ont été récupérées".


Un activiste démasqué.

Je présume que monsieur Sarkozy, dans son discours devant le Congrès, lors du carnaval versaillais de demain, souhaitera que l'on réfléchisse à un décret interdisant de jouer à la pétanque durant les manifestations. Sauf, bien sûr, si cela est "conforme aux usages locaux".


PS du 22 juin:

Puisque ce communiqué-là sera peu repris - il n' a pas été rédigé à la préfecture -, voici:

Ce jour, au lendemain de la publication officielle du décret anti-cagoule, plusieurs centaines d’invisibles se sont rassemblés à la fontaine des Innocents, à Paris. Un cortège riche des masques les plus variés, marchant au rythme tenu de percussions artisanales s’est ébranlé en direction de la Bastille. Il a rencontré sur son chemin le siège de l’Administration Pénitentiaire.

Répondant à la provocation que constituent l’immense banderole "Tour de France cycliste de la Pénitentiaire" et l’existence même de ce bâtiment, bloqués par les CRS à ce stade précoce de leur parcours, surveillé par un hélicoptère, les manifestants ont trouvé bon de marquer la façade de
quelques signes explicites de leur passage : vitrines brisées, tirs de mortier, fumigènes, etc.

Conformément à la stratégie manifeste de la police, ils ont été chargés, gazés, refoulés. Quelques contre-charges plus tard, le quartier étant quadrillé, les manifestants se dispersent dans la foule. Au moins six personnes ont été interpelées, les unes de façon politiquement ciblées, les
autres de façon opportune. Ramassant des fumigènes, un gradé a été entendu fragnolant(*) au téléphone : "C’est bon. On a de quoi faire un truc pas mal. On a des fumigènes, un outrage, des débris. C’est vraiment pas mal."

Nous restons curieux des suites policiaro-judiciaires qui seront données aux faits de ce jour. Nous sommes plus déterminés que jamais. Le bal continue. Les masques vaincront.

Des comités de soutien aux inculpés de l’antiterrorisme, et d’ailleurs.


(*) Sur ce verbe, voir Deux ou trois choses que j'avais à vous dire, par Yildune Lévy.

samedi 20 juin 2009

Lumières voltairiennes sur Vincent Geisser

L'époque ne pouvant donner que ce qu'elle a, nous avons les Voltaire que nous pouvons.

Puisque monsieur Philippe Val a accepté désormais des fonctions plus conformes à son miraculeux destin, il nous reste madame Caroline Fourest.

Mais, c'est comme tout, on ne naît pas Voltaire, on le devient; et madame Caroline Fourest s'applique.

Puisqu'elle est titulaire d'un DESS de communication politique, obtenu à la Sorbonne, il n'a pas dû lui échapper que les procédés voltairiens sont un gouleyant assemblage de raccourcis, allusions, amalgames, insinuations, symétries, approximations, parallèles, comparaisons, qui mettent toute la puissance de la mauvaise foi au service de la (parfois) bonne cause (mais pas toujours).

Quelques croquis de Dominique Vivant Denon.

Dans le Monde daté de ce jour, la chronique "Sans détour" de Caroline Fourest s'intitule L'"islam light" selon Vincent Geisser, et nous donne le point de vue éclairé d'une fervente représentante de l'esprit des Lumières sur le conflit qui oppose, au CNRS, le sociologue-politologue Vincent Geisser à Joseph Illand, fonctionnaire de sécurité de défense.

(Sur ce sujet, il est possible de consulter la page du réseau scientifique TERRA, qui tient à jour les informations et donne un grand nombre de liens.)

Dès l'introduction, Vincent Geisser est défini, de manière elliptique mais assez carrée, comme un chercheur "connu pour ses prises de position polémiques en faveur de l'islam radical", dont le "contentieux" avec un ingénieur général, Joseph Illand, met en émoi le monde de la recherche.

C'est l'occasion de rappeler que l'une des contributions les plus remarquées de madame Caroline Fourest, en compagnie de onze autres intellectuels contemporains, est l'introduction dans l'horizon de la pensée hypermoderne d'un nouveau point de Godwin, passé inaperçu jusque là: l'Islamisme radical. Voir à ce sujet le Manifeste des douze.

Les précisions apportées sur le rôle du fonctionnaire de sécurité de défense du CNRS sont un petit montage de copicollages divers, et sont annoncées par un charmant "Son périmètre est flou". (Il s'agit du périmètre de la fonction de Joseph Illand.)

A la fin de cette section, le périmètre est toujours aussi flou, mais on s'en moque, n'est-ce pas ? La présence d'un tel fonctionnaire protecteur dans un institut de recherche fait consensus démocratique, non ?

L'origine du conflit est résumée:

Joseph Illand est entré en conflit avec Vincent Geisser au sujet d'une enquête fondée sur un questionnaire ethnique, que le chercheur menait au mépris de la Commission nationale de l'informatique et des libertés (CNIL).

On admire la précision des détails... La rédactrice de la chronique ne pouvait pas s'étendre davantage, probablement, sur une recherche qui a reçu l'accord de la direction du CNRS; elle préfère introduire le mot-clé "questionnaire ethnique" et ce symbole des libertés démocratiques qu'est la CNIL...

On sait que le motif de la plainte de Joseph Illand réside dans la vivacité de la réaction de Vincent Geisser, exprimée dans un courriel privé, face aux difficultés rencontrées par une doctorante portant le voile.

Madame Caroline Fourest nous le rappelle, avec modération, et ajoute:

Interpellée par de nombreux chercheurs, Valérie Pécresse s'est engagée à suivre ce litige en "veillant à la liberté d'expression des chercheurs". C'est heureux. Un membre du CNRS n'a pas à rendre des comptes sur un mode disciplinaire pour un courriel ni même pour ses prises de position, si polémiques soient-elles. (...)

C'est là une admirable position voltairienne, non ?

Comme tous les candidats du bac l'ont appris encore cette année: "Je ne suis pas d'accord avec ce que vous dites, mais je me battrai jusqu'au bout pour que vous puissiez le dire." (Citation tellement ressassée que je me demande si elle est authentique.)

Cause toujours...

Comme il lui reste une demi-colonne, Caroline Fourest va rebondir sur ce "si polémiques soient-elles", qu'elle a complété d'un "Et elles le sont", pour nous entretenir des prises de positions de Vincent Geisser, qu'elle prend bien soin de confondre avec ses travaux scientifiques (c'est plus commode):

En fait de "contribution scientifique", l'essentiel des travaux de Vincent Geisser consiste à stigmatiser toute personne critique envers l'intégrisme musulman comme étant "islamophobe" (SOS-Racisme, des journalistes, et même le recteur de la Mosquée de Paris), tout en répandant des clichés sur les musulmans laïques sur les sites islamistes. Le vrai musulman serait celui qui ne renonce pas à porter le voile ou à faire le ramadan comme l'exige la République laïque "assimilationniste". Geisser parle même de "national-laïcisme" à propos de la loi sur les signes religieux à l'école publique... A l'inverse, le moindre musulman éclairé est raillé comme faisant partie de l'"Islam light", un "produit qui se vend bien". Ayaan Hirsi Ali ou Irshad Manji, menacées de mort par les islamistes, sont décrites comme des "poupées Barbie de l'Islam light", que l'on favorise par "érotisme victimaire".

Je m'étonne que le procédé qui consiste à lancer une rafale d'affirmations péremptoires, accompagnées de parcelles de citations, hors contexte de référence, soit encore employé dans la presse. Cela me semble un peu grossier, et finalement assez peu "déontologique", comme on dit maintenant. Mais c'est avec de tels procédés que notre auteure en arrive à la conclusion que les idées de Vincent Geisser "peuvent difficilement revendiquer leur 'scientificité' sans être questionnées."

L'estocade finale introduit une allusion à "l'affaire Redeker" et enchaîne, en toute légèreté:

Rappelons que ce dernier risquait la mort et a dû quitter son poste. Vincent Geisser, lui, risque au mieux une remontrance. Que ses collègues inquiets se rassurent. L'Etat continuera de le rémunérer pour fournir des articles à des sites où l'on incite à la haine contre les esprits critiques.

J'aime beaucoup, je dois dire, cette imperceptible œillade adressée aux joyeux contribuables français qui payent pour l'entretien de ces chercheurs nuisibles et haineux, ou, au mieux, comme on sait, feignants et inutiles.


PS:

Pour ceux qui, malgré cet article si lumineux, désireraient d'autres lumières que celles-là, je signale l'article du blog des livres de la revue La Recherche.

Et je reproduis ces notes d'Olivier Roy, directeur de recherche au CNRS.

Quelques raisons pour défendre Vincent Geisser et raison garder

1) On peut être pour ou contre le droit de porter le voile sur son lieu de travail, mais cela ne doit pas être décidé par un officier de sécurité au nom des impératifs de la défense nationale. Cela relève de la loi et du droit du travail.

2) Les sciences sociales ne doivent pas être considérées comme un domaine sensible sur le plan de la défense nationale : c’est une vision soviétique du savoir.

3) Le devoir de réserve ne s’applique pas par définition aux universitaires, car c’est une limite à la liberté universitaire. De toute façon, il ne doit concerner que les fonctionnaires d’autorité, comme l’ingénieur général Illand, Haut fonctionnaire de Défense (HFD).

4) Au CNRS comme à l’université (et oserait-on dire en France), la liberté intellectuelle est la règle. Toute utilisation de procédures détournées pour la limiter est une menace pour la démocratie.

5) Il y a d’excellentes raisons pour être en désaccord avec V. Geisser : il suffit de le dire et d’écrire, pas de le faire taire ; V. Geisser n’a aucune autorité sur qui ce soit et ses propos n’engagent que lui. Par contre, le HFD prétend incarner l’Etat.

En un mot ce genre de procès et de sanction n’existe que dans des pays de tradition autoritaire (Russie, Turquie, Egypte, Algérie, Tunisie) et n’a pas sa place en France.

Si le HFD comme personne porte plainte, c’est son affaire : le CNRS n’a pas à prendre fait et cause pour lui contre un chercheur et surtout n’a pas à anticiper le jugement d’un tribunal pour sanctionner le chercheur.

15 juin 2009 - 20h32

vendredi 19 juin 2009

Une histoire exemplaire

Sa voix est "chargée de mémoire, chargée d'expériences", car il n'est pas de ceux qui ont fait le tri sélectif de leurs souvenirs et il n'est pas de ceux que les épreuves ont usés et désabusés.

Son nom est Georges Gumpel.

Georges Gumpel est un retraité septuagénaire. Il habite à Lyon. Français juif, fils de déporté mort pour la France, il a été caché pendant la Seconde Guerre mondiale par des familles de résistants. Il fut partie civile au procès de Klaus Barbie (jugé à Lyon en 1987). Il est délégué de l'Union Juive Française pour la Paix (UJFP) pour la région Rhône-Alpes, et sympathisant actif du Réseau Education sans frontières (RESF).

En août 2008, il a accepté d'héberger pour quelque jours un jeune marocain, majeur sans-papiers, Alae Eddine El Jaadi. Cela a duré plus longtemps que prévu.

"J'avais dit que j'étais disponible en cas de besoin mais je n'avais pas prévu d'héberger quelqu'un dans la durée. Finalement, cela se passe bien: c'est un peu comme si c'était mon petit-fils, nous avons une relation de confiance, nous partageons les repas quand il est là", raconte le bouillonnant retraité, ancien fleuriste de luxe.

Comme l'indique l'épithète "bouillonnant", j'ai extrait ceci d'un article rédigé par un(e) pro de la rédaction journalistique.

De fait, la cohabitation de Georges et d'Alae Eddine a été le sujet d'un reportage de l'AFP, publié dans l'Express, et notre "bouillonnant retraité" a réussi à y placer son point de vue, nourri de sa mémoire et de son expérience.

"Le drame c'est de se retrouver à devoir faire ça aujourd'hui à nouveau: protéger des enfants, des familles, des jeunes pourchassés par le gouvernement", déplore M. Gumpel.

"Le fichage des étrangers, les quotas d'arrestations, les prisons pour étrangers: les méthodes utilisée aujourd'hui contre les sans-papiers sont les mêmes que le gouvernement de Vichy utilisait contre les Juifs", s'emporte-t-il.

"Il n'y a pas de comparaison possible entre le nazisme et la politique de l'immigration française. Le sort des sans-papier après l'expulsion, ce n'est pas les camps de concentration ou d'extermination. Mais la démarche est un peu la même: évacuer des hommes, des femmes et des enfants considérés comme 'en surnombre dans l'économie française', dans une totale indifférence quant à leur sort une fois la frontière passée", estime M. Gumpel.

Selon le/la journaliste, Georges Gumpel "déplore", "estime" et, au passage, "s'emporte". C'est son opinion. Mais les mots prononcés ne le sont pas dans l'emportement d'une indignation légitime, ils sont l'écho d'une conviction profonde. On les retrouve dans un article que monsieur Gumpel avait écrit il y a plus d'un an, et qui a été mis en ligne le 30 avril 2008 sur le site A Contresens, sous le titre 1940-2008 : la France et ses lois racistes. Un rapprochement nécessaire : du Fichier des Juifs au Fichier ELOI.

L'histoire a un curieux sens de la symétrie.

Ce n'est sûrement pas pour nous proposer un joli motif de storytelling que Georges Gumpel a accueilli chez lui Alae Eddine, mais ce qu'il a fait est d'une puissance symbolique qui devrait au moins en déranger quelques uns:

"Son histoire, c'est la mienne qui se répète"

L'administration préfectorale n'a que faire des hommes, de leurs vies, de leurs histoires, de leurs mémoires, de leurs expériences, elle administre, point-barre; alors vous imaginez bien que rien de tout cela n'a pesé lorsqu'Alae Eddine a été à sa portée.

Car, malgré ses efforts, soutenus par le RESF, Alae Eddine est toujours sans papiers.

L'article qui relate son expulsion est placé en tête sur le site du RESF. Il commence abruptement par les faits:

Mardi 16 juin 2009, vers 21 h : arrestation lors d’un contrôle sans raison apparente de deux jeunes ayant l’air maghrébin. Alae Eddine El Jaadi est "en situation administrative irrégulière". Garde à vue de 24 h.

Mercredi 17 juin vers 21 h : transfert au CRA de Lyon Saint Exupéry. La routine.

Jeudi 18 juin avant l’aube : transfert en voiture en direction d’un aéroport parisien et à 8 h 30 embarquement sur un avion de la Royal Air Maroc en direction de Casablanca.

Et se termine par:

Alae Eddine est parti avec 80 € que nous lui avons fait passer, avec les vêtements de son arrestation, il n’a pu saluer ni sa famille, sa tante qui s’est déplacée à la PAF, ni son parrain, ni ses amis.


Son parrain, c'est Georges Gumpel.
(Sa marraine est Christiane Demontès, sénatrice du Rhône.)


En précipitant les opérations, les services de la préfecture du Rhône ont réussi à éviter le passage d'Alae Eddine devant le juge des libertés et de la détention. Ils donnent ainsi à tous les tièdes mal organisés qui tardent à expulser un exemple qui peut se traduire par ce conseil: ne passez pas par la justice, surtout!

La feuille de chou n°1801 de Schlomo, "presse quotidienne radicale au capital illimité d'indignation", reproduit ce courriel:

Voila,

A.E. m’a appelé, au pied de la passerelle de l’avion via le Maroc .


Il a été transféré à Paris cette nuit ou ce matin, largement tabassé, le médecin de l’aéroport l’a soigné en refusant de faire un certificat médical !


Nous venons de prévenir RESF/Maroc pour que quelqu’un soit là pour l’aider à son arrivée.

Nous réfléchissons à la forme de riposte à mettre en place face à cette ignominie


Georges G.


(Pour vous joindre au mouvement, consulter le site du RESF.)

Pour continuer dans l'exemplaire, les autorités pourraient poursuivre Georges Gumpel au nom de la fameuse loi anti-passeurs, chère à monsieur Besson...

Il pourrait plaider coupable: comme passeur de mémoire et d'expérience, et comme passeur de solidarité.

jeudi 18 juin 2009

La BnF honore Philippe Sollers

Un histrion saint-sulpicien bien connu du grand public, monsieur Philippe Sollers, vient d'encaisser les 10 000 euros du premier prix de la BnF (Bibliothèque nationale de France) qui lui a été attribué pour l'ensemble de son œuvre. Le montant du chèque n'est pas très élevé, mais on sait que le maître a des goûts relativement simples, puisque ce sont les goûts du jour: seul son aveuglement caractériel a pu lui faire croire, à l'époque où il se croyait d'avant-garde, qu'il les précédait ou les infléchissait.

Ce nouveau prix littéraire, créé à l’initiative de Jean-Claude Meyer, président du Cercle de la BnF, pour récompenser un auteur vivant de langue française ayant publié dans les trois années précédentes, s'accompagne d'une bourse de recherche de 5 000 euros, non encore attribuée, qui devrait soutenir le travail "de haut niveau" d'un larbin universitaire sur l'œuvre du lauréat.

Je ne sais si monsieur Philippe Sollers participera au choix de ce lauréat satellite. Mais cela me semble raisonnable: qui mieux que lui pourrait juger de la qualité de la flagornerie ?

Le jury, présidé par Bruno Racine, président de la BnF et écrivain, était composé de neuf membres: Jean-Claude Meyer, vice-président de la BnF, Laure Adler, Jean-Claude Casanova, Antoine Compagnon, Marc Fumaroli, Edouard Glissant, Colette Kerber, Julia Kristeva et Alberto Manguel.

On voit que la littérature vivante était représentée avec un discernement homéopathique.

Heureusement, la présence dans le jury de madame Julia Kristeva, épouse Sollers, était une garantie d'impartialité maximale.

Monsieur et madame en plein délire maoïste, 1974.

Ce prix fut remis à notre grand écrivain à l'occasion du deuxième dîner des mécènes, organisé par la BnF. Ce petit en-cas à 500 euros réunissait, dans le cadre prestigieux du hall des Globes, environ deux cents personnes.

Vous pourrez découvrir quelques noms dans l'article du Monde.

Vous apprendrez aussi que l'arrière pensée des organisateurs de ce banquet était de réunir des fonds afin d'acquérir les archives de Guy Debord qu'Alice Becker-Ho, veuve Debord et exécutrice testamentaire du de cujus, n'a pas l'intention de donner à l'Etat ou à une fondation quelconque. Selon Alain Beuve-Méry, ces archives sont difficiles à estimer, mais dépassent plusieurs centaines de milliers d'euros, et la BnF ne les possède pas dans ses tiroirs. Madame Albanel non plus, d'où cette opération gastronomique de mendicité de luxe afin de trouver de l'argent.

Pour allécher les convives, trois cahiers à spirale, deux à petits carreaux, un à grands carreaux, avec le trait rose qui sépare la marge, étaient exposés durant le dîner. Classés "Trésor national", ils forment le manuscrit de La Société du Spectacle, de Guy Debord. Le texte est surchargé d'annotations à l'encre bleue ou noire et se lit en suivant des paragraphes soigneusement numérotés, qui indiquent les pages du livre à venir.

Peu importe que ce brave Alain Beuve-Méry s'emmêle un peu les crayons, bleus ou noir, dans les numéros de sections et les numéros de pages...

Il n'a peut-être pas connu Debord vivant...

C'est assez cosmique, surtout si on imagine Sollers en train de baratiner ses voisines de table.

Peu importe que le montant nécessaire à l'acquisition du fonds Debord soit réuni ou non - après tout les universitaires étasuniens peuvent tirer autant de profit de ces archives que les universitaires français -, le spectacle de la veule prostitution que nous offrent madame Albanel et monsieur Racine, avec l'appui photogénique de monsieur Sollers, peut suffire à notre bonheur.

Les mots immortels que l'honoré écrivain s'est cru obligé de prononcer n'ont malheureusement pas été retranscrits par Alain Beuve-Méry. Il nous indique seulement que ce fut "l'occasion pour Sollers de rendre hommage au 'lecteur exceptionnel' que fut Guy Debord", ce qui est peu, mais tout de même amusant, si l'on se remémore la trace laissée chez Debord (dans "Cette mauvaise réputation...", 1993) par une lecture assez vite expédiée de notre baudruche littéraire:

Dans L'Humanité du 5 novembre 1992, (...), il y a même quelques éloges à mon propos. Mais ce n'est qu'insignifiant, puisque signé Philippe Sollers.

C'est finalement assez bien vu.


PS: Signalons, aux admirateurs inconditionnels de monsieur Philippe Sollers, que sa divine présence est prophétisée pour le soir du 1er juillet, au Collège des Bernardins, 20 rue de Poissy, dans le cinquième arrondissement de la capitale, pour une conférence sur Le catholicisme de Dante.

Le lieu est d'une grande beauté, je vous conseille plutôt d'y entrer, mine de rien, pour vous promener, quand monsieur Sollers n'y sera plus.