lundi 8 juin 2009

Fonctions des fonctionnaires

N'est-ce pas un signe de grande sagesse que de se résoudre à mourir très ignorant, peut-être un peu idiot ou carrément gâteux ?

Je ne vous le demande pas. J'en suis sûr, et j'ai même pris un peu d'avance dans tous ces domaines.

C'est à la suite d'une information qui est parvenue presque fortuitement dans ma boitolettre que j'ai découvert l'existence, dans les administrations qu'administrent les ministères et où fonctionnent des fonctionnaires en fonction, de personnels qui portent le titre de "fonctionnaires de sécurité de défense".

Si !

Deux ronds de flan eussent été plus photogéniques que moi au moment où j'eus cette révélation.

N'ayant pu trouver une photographie de deux ronds de flan,
j'ai débusqué, après une battue forcenée, cette mémorable partie de tir au flan
sur le site de Plonk&Replonk, une "oasis de niaiserie" revigorante dans ce désert raisonnable.
(Je vous prie de n'y voir aucune allusion poujadiste à la fonction publique.)

Une lettre recommandée, avec accusé de réception, vient d'être adressée par la direction des ressources humaines du CNRS à monsieur Vincent Geisser, le convoquant devant la commission administrative paritaire n°2 compétente à l'égard du corps des chargés de recherche, dont la réunion est prévue le 29 juin.

La lettre, en une prose filandreuse qui ne veut rien oublier, précise ceci:

"Cette instance se prononcera sur votre situation administrative en raison des griefs qui vous sont reprochés, à savoir les propos que vous avez tenus à l'encontre de Monsieur Joseph Illand - Fonctionnaire de sécurité de défense du CNRS -, leur gravité, leur nature, leur publicité, les conséquences dommageables qui en découlent tant pour l'Etablissement que pour le Fonctionnaire de sécurité de défense, et le manquement grave subséquent à l'obligation de réserve auquel vous êtes tenu en tant que fonctionnaire."

Avant de balancer quelques "salutations distinguées", la plume du DRH rappelle à Vincent Geisser qu'il a quelques droits à faire valoir devant cette commission paritaire qui ressemble fort à un conseil de discipline...

Bel effet de transparence sur l'ancien logo du CNRS.

Vincent Geisser est sociologue et politologue. Il est chargé de recherche au CNRS (CR 1) et président du Centre d’information et d’études sur les migrations internationales (CIEMI). Recruté au CNRS en octobre 1999, il a été affecté à l’Institut de recherches et d’études sur le monde arabe et musulman (IREMAM), à Aix-en-Provence. Avant cela, de 1995 à 1999, il était chargé de mission au Ministère des affaires étrangères, chercheur à l’Institut de recherche sur le Maghreb contemporain (IRMC) de Tunis. Il a alors dirigé un programme scientifique euro-maghrébin sur les migrations étudiantes et intellectuelles dans le bassin méditerranéen, qui a donné lieu à une publication en 2000, aux éditions du CNRS.

En 2003, il publie aux éditions La Découverte un livre qui va lui attirer les foudres rhétoriques d'une bonne partie des intellectuels médiatiques de notre pays qui lui reprochèrent sa proximité avec les "extrémistes". Il s'agit de La nouvelle islamophobie, dont le titre démarque La Nouvelle judéophobie de Pierre-André Taguieff, paru l'année précédente aux éditions Mille et une nuits. On peut en lire la quatrième de couverture sur le site de l'éditeur, et une tentative de démolition critique sur le site de l'Observatoire du Communautarisme.

Il est assez instructif de voir sur quels points un ouvrage d'opinion tel que celui-là est attaqué...

Encore disponible.

En ce qui concerne son travail scientifique, Vincent Geisser a sollicité des instances du CNRS une "aide à projet nouveau", en vue de pouvoir poursuivre, avec son équipe, ses recherches sur les migrations intellectuelles entre l’Europe et le Maghreb. Il voulait s'intéresser aux chercheurs maghrébins ou d’origine maghrébine travaillant pour les institutions publiques françaises (université, CNRS et INSERM…) et faire une évaluation scientifique rigoureuse de la contribution des "chercheurs et des universitaires maghrébins" en privilégiant les sciences fondamentales.

L'aide fut accordée par le CNRS, et les études ont commencé en 2004.

Et c'est à cette époque que monsieur Joseph Illand, fonctionnaire de sécurité de défense a commencé à s'intéresser à Vincent Geisser.

L'évolution de leurs relations est relatée par Vincent Geisser lui-même dans une note reproduite par 1000 Babords, et par Catherine Coroller sur son libé-blogue.

Vincent Geisser finit par dire des choses peu amènes à monsieur Joseph Illand, qui alla s'en plaindre...

D'où la convocation.

D'où cette pétition-lettre ouverte à madame Valérie Pécresse.

Loin de moi l'idée de vous donner mon opinion, mais on dirait bien que les échanges ont été assez peu fructueux entre le chercheur et le fonctionnaire de sécurité de défense, et même que l'un des deux ait un peu cherché qu'on l'envoyât paître dans les verts champs de moutarde de l'Afghanistan.

Cela n'a aucun rapport, mais ça me fait plaisir.
Traduit par Georges Perec avec le concours de l'auteur.

Catherine Coroller rapporte ces propos d'une collègue de Vincent Geisser, à propos de ce fameux fonctionnaire de sécurité de défense, et son rôle:

«On a essayé de se renseigner, (...) il semble qu’il ait le grade de général, mais on ne sait pas quelles sont ses prérogatives, ni ce qu’il fait au CNRS, ni en quoi il est qualifié pour valider nos travaux».

(...)

«Quand on part en mission à l’étranger dans des pays sensibles, on est obligés de lui communiquer nos plans de mission: qui on va rencontrer, où on va loger, (...). Et on doit avoir son autorisation pour partir».

Ils sont désarmants, les chercheurs !

Quand on ne sait pas, il faut chercher, sinon on meurt ignorants, idiots, voire gâteux !

Allez donc voir sur le site du CNRS, vous y trouverez presque tout sur les missions du fonctionnaire de sécurité de défense:

Le fonctionnaire de sécurité de défense (FSD) du CNRS appartient à la direction générale de l'établissement. Il est, au sein du CNRS, le relais fonctionnel du Haut Fonctionnaire de Défense et de Sécurité du ministère de l'Éducation Nationale de l'Enseignement Supérieur et de la Recherche et a en charge la mise en œuvre des orientations et dispositions relevant de la responsabilité du Haut Fonctionnaire de Défense et de Sécurité.

(Sur le Haut Fonctionnaire de Défense et de Sécurité, vous pouvez trouver un bout d'information sur Ouiquipédia...)

Les missions du Fonctionnaire de Sécurité de Défense du CNRS concernent principalement :

* La sécurité des échanges internationaux
* La sécurité des systèmes d'information
* La mise en œuvre de dispositions de défense (habilitations aux informations classifiées, plans d'intervention, etc…)

Sur le premier point, on vous rappelle:

Ces échanges peuvent toutefois être détournés à des fins malveillantes susceptibles de porter atteinte au patrimoine scientifique et technique national voire aux intérêts de la défense nationale.
Une bonne politique de sécurité doit favoriser les échanges et non les brider, sachant que la capacité d'un organisme à protéger son patrimoine renforce sa crédibilité et facilite la confiance de ses partenaires.

Dans ce contexte, le Fonctionnaire de Sécurité de Défense du CNRS est amené à intervenir et formuler son avis sur un certain nombre de procédures d'échanges qui concernent en particulier:

* les accords de coopération scientifique et technique avec des organismes étrangers ne relevant pas de l'Union européenne ;
* les visites et séjours des ressortissants étrangers (ne relevant pas de l'Union européenne) dans les laboratoires de recherche du CNRS (qu'ils soient unités propres de recherche ou unités mixtes) ;
* le recrutement de ressortissants étrangers dans les laboratoires ;
* les missions de chercheurs du CNRS à l'étranger, lorsque ces missions présentent des risques spécifiques pour les personnels concernés.

Etc. etc.

Beaucoup de membres du CNRS ont, paraît-il, appris l'existence du fonctionnaire de sécurité de défense à l'occasion des difficultés faites à Vincent Geisser.

Vont-ils en profiter pour exiger, au delà de la revendication de la liberté de recherche, une remise à plat de son rôle ?

Ce serait une bonne idée...

Les autres administrations pourraient en profiter pour se poser la question de la fonction de ces taupes sécuritaires...

Ainsi, dans l'éducation nationale, combien d'enseignants ont pris connaissance de cette page du site de leur ministère, ou de cette autre (qui est plus drôle) sur "l'esprit de défense et de sécurité" ?

4 commentaires:

Marianne a dit…

Les rapports sont intéressants aussi.Ouf , je vais pouvoir dormir sur mes deux oreilles , tout est sécurisé !

Guy M. a dit…

Enfin, presque tout. Je me méfie toujours de mes oreillers.

olive a dit…

Brrrr... Ça ne me console pas d'avoir dû quitter tout ça sous des pressions aux visées identiques, déguisées autrement.

J'ai découvert les zoulies images de Plonk & Replonk à l'Atelier n° 1 de la rue du Jourdain (la "petite" sœur d'en face n'existait pas encore, il me semble).

Elles sont du meilleur goût. Il fallait donc bien qu'elles apparaissent ici un jour ou l'autre.

À part ça, le niveau de l'horreur monte, monte comme une huile gluante.

Guy M. a dit…

La librairie l'Atelier a beaucoup fait pour faire connaitre Plonk & Replonk. C'est là que j'ai découvert la sellerie Rémoulade, et l'Essayeur d'obus. Je replonge assez régulièrement dans cette addiction.

C'est moins dangereux que de plonger dans l'huile gluante.