vendredi 5 juin 2009

Les archives de l'infamie

"Ce n'est point un livre d'histoire. Le choix qu'on y trouvera n'a pas eu de règle plus importante que mon goût, mon plaisir, une émotion, le rire, la surprise, un certain effroi ou quelque autre sentiment, dont j'aurais du mal peut-être à justifier l'intensité maintenant qu'est passé le premier moment de la découverte."

Ces lignes ouvrent la préface que Michel Foucault écrivit pour un livre à venir, qui ne vint jamais.

Ce texte fut publié dans les Cahiers du Chemin en 1977, sous le titre La vie des hommes infâmes.

(Pour Foucault, "l’homme infâme", c’est d’abord l’homme sans réputation, placé sans éclat parmi "ces milliards d'existences qui sont destinées à passer sans trace".)

Illustration copiée sur Michel Foucault Archives.

Le livre imaginé par Foucault devait se présenter comme une "anthologie d'existences", un "herbier" de vies "rencontrées au hasard des livres et des documents", "racontées en quelques pages ou mieux quelques phrases, aussi brèves que possible" et telles que "du choc de ces mots et de ces vies naisse pour nous un certain effet mêlé de beauté et d'effroi".

Foucault nous dit avoir glané ses "nouvelles" parmi "les archives de l'enfermement, de la police, des placets du roi et des lettres de cachet", dans la période 1660-1790, et n'exclut pas que des volumes ultérieurs pourraient "s'étendre à d'autres temps et à d'autres lieux".

Vient de paraître aux éditions Les Prairies Ordinaires.

Ce texte vient d'être réédité par le collectif Maurice Florence, aux éditions Les Prairies Ordinaires.

Ce collectif regroupe, "quelque part entre histoire, philosophie et sociologie", Philippe Artières, Jean-François Bert, Pascal Michon, Matthieu Potte-Bonneville et Judith Revel, qui ont en commun d'avoir, dans leur travaux, rencontré les défrichages effectués par Michel Foucault et ont su voir qu'il avait aussi laissé des outils à disposition sur le chantier.

Leur livre donne donc une lecture de ce très beau texte de Foucault, et un ensemble de documents, qui sont autant d'exemples de ces histoires minuscules qui nous sont parvenues par les traces de leur rencontre avec la machinerie du pouvoir.

Car c'est évidemment cet aspect des choses que souligne Foucault dans sa préface:

Pour que quelque chose d'elles parvienne jusqu'à nous, il a fallu pourtant qu'un faisceau de lumière, un instant au moins, vienne les éclairer. Lumière qui vient d'ailleurs. Ce qui les arrache à la nuit où elles auraient pu, et peut-être toujours dû, rester, c'est la rencontre avec le pouvoir: sans ce heurt, aucun mot sans doute ne serait plus là pour rappeler leur fugitif trajet. Le pouvoir qui a guetté ces vies, qui les a poursuivies, qui a porté, ne serait-ce qu'un instant, attention à leurs plaintes et à leur petit vacarme et qui les a marquées d'un coup de griffe, c'est lui qui a suscité les quelques mots qui nous en restent; soit qu'on ait voulu s'adresser à lui pour dénoncer, se plaindre, solliciter, supplier, soit qu'il ait voulu intervenir et qu'il ait en quelques mots jugé et décidé.

Exposition à la BM de Lyon,
jusqu'au 28 août, entrée gratuite.


Une partie de ces documents, qui forment cette dernière partie du livre, est présentée à l'exposition installée à la bibliothèque de la Part-Dieu à Lyon (3ième arrondissement).

En parallèle, la sculptrice Cécile de La Monneraye expose une série intitulée La marche des enfants, et le photographe Mathieu Pernot a réuni trois de ses œuvres: Le Dortoir, Les Hurleurs et Photomatons.


Mathieu Pernot, Les hurleurs .
Enriqueta, Barcelone, 2003.


Les archives de l'infamie se constituent tous les jours, devant nous si nous sommes attentifs. Sinon, dans notre dos.

Les traces qu'on en retrouvera seront certes de moins grand style qu'à l'âge classique.

Ces archives auront le style maussade et terne de monsieur Besson.

Ce n'est qu'un exemple.

4 commentaires:

peterpane a dit…

On dirait presque le début des Essais de Montaigne. Mais sûrement est-ce fait exprès ? Je ne connais pas assez la bibliographie de M. Foucault.
Bises.

Guy M. a dit…

Je n'y avais pas pensé, mais c'est bien la même revendication du choix personnel.

Ceci dit, c'est un des rares textes où Foucault parle de ses émotions. Et il le fait d'une superbe manière.

JBB a dit…

Les archives de l'infâme ? Au vu de l'inflation de cas pouvant en relever ces dernières années, c'est quinze fois la superficie de la bibliothèque d'Alexandrie qu'il va falloir y consacrer. Minimum.

Guy M. a dit…

Il faudrait peut-être maintenant parler des disques durs de l'infamie...

Leur durée de vie pose encore problème.