jeudi 30 septembre 2010

La tête haute d'un républicain

"La France sort la tête haute dans l'échange qu'elle avait avec la Commission. C'est une bonne nouvelle pour tout le monde, et notamment pour les républicains",

a déclaré, sans rire probablement, monsieur Eric Besson en commentant la décision de la Commission Européenne de lancer, à l'encontre de la France, une procédure d'infraction pour non-respect des règles européennes dans sa politique d'expulsion des Roms, tout en s'abstenant d'engager une procédure pour discrimination.

Je ne dois pas être républicain. Et parfois je me demande si je suis un "bon français"... Mais voilà, je ne vois aucune raison de relever la tête, et je trouve toujours autant de raisons de raser les murs, même si, après "l'échange", dominé par les aboiements, avec la très prudente "Commission", ladite a préféré lâchement désavouer madame Reding.

Je ne suis pas un "bon européen" non plus.

La différence entre un ministre des expulsions et une petite fille de sept mois, outre qu'elle n'a jamais trahi qui que ce soit, est qu'en regardant le monde de ses grands yeux, parfois étonnés, parfois rieurs, elle l'embellit...

Alors, réjouissons-nous de lire ceci:

METZ — Le placement d'un bébé de 7 mois en centre de rétention administrative a été déclaré mercredi illégal par un juge des libertés et de la détention (JLD) de Metz qui a estimé qu'il constituait "un traitement inhumain et dégradant", a-t-on appris de source judiciaire.

La petite fille est née en France en février dernier, de parents Albanais sans-papiers installés à Cornimont, dans les Vosges, depuis 2009. La famille a été arrêtée lundi dernier et placée au centre de rétention administrative de Metz-Queuleu. Le juge des libertés et de la détention a estimé que les conditions de vie dans le CRA étaient, pour le bébé, contraires à l'article 3 de la Convention européenne des droits de l'Homme et constituaient donc un "traitement inhumain et dégradant".

La dépêche de l'AFP donne également deux informations qui montrent à quel point les auxiliaires chargés du sale boulot croient que tout leur est permis.

D'abord, cette déclaration de Me Brigitte Jeannot, l'avocate de la famille:

"Lundi dernier les parents ont été placés en garde à vue et séparés de leur bébé, sans qu'ils sachent où il était: ce bébé était retenu dans un lieu inconnu, pris en charge par des 'services sociaux', sans l'accord de mes clients."

Et cette précision de "procédure":

Le juge des libertés et de la détention a constaté que les observations écrites formulées par l'avocate lors de la garde à vue n'avaient pas été versées au dossier.

La famille a été libérée mercredi après-midi. A la préfecture des Vosges, on a décidé de "prendre acte" de la décision du JLD et de ne pas faire appel de sa décision. Il est vrai que, dans le même temps, l'obligation de quitter le territoire français (OQTF), a été confirmée par le tribunal administratif de Strasbourg.

Si j'avais quelques sentiments républicains, je me féliciterais de cette preuve d'indépendance du pouvoir judiciaire...

Etes-vous plus républicain que lui ?
(Photo AFP/Boris Horvat.)

Il faut cependant souligner que le pouvoir des juges de la liberté et de la détention est très limité. Et monsieur Besson, en rédigeant "sa" loi, qui est en cours de discussion, n'a pas oublié de limiter davantage encore le rôle de ces empêcheurs d'enfermer en carré et d'expulser en rond.

La stratégie de la future loi est bien analysée dans le document, maintes fois signalé ici, qui propose une analyse juridique de la loi "Besson", menée par des associations de défense des sans-papiers. Il est consultable en ligne sur le site du RESF.

Reportez-vous aux sections intitulées A-1 L’évitement du juge judiciaire (page 14 et suivantes) et A-2 La neutralisation du pouvoir de contrôle du juge judiciaire (page 16 et suivantes).

Et vous verrez comment monsieur Besson entend mettre en place, non pas une "fabrique" de "bons français" usinés à sa façon - ça, c'était pour la façade "républicaine" -, mais surtout une parfaite machine administrative à expulser, placée aussi loin que possible des contrôles judiciaires.


PS1: Les associations ayant appelé à la journée d’action du 4 septembre appellent à une journée d’action contre le projet de loi Besson le samedi 16 octobre.

PS2: Un courriel de la Cimade.

La discussion sur le projet de loi sur l'immigration a débuté mardi à l'Assemblée nationale. Les débats sont plus que houleux, les propos souvent décomplexés et ouvertement xénophobes...Pour suivre le vote des amendements, connaître les arguments brandis par Eric Besson pour justifier son projet de loi et les contre-arguments que nous proposons, ou découvrir quelques perles recueillies ici et là pendant la séance, rendez vous dans la rubrique échos de l'Assemblée du site de la campagne pourquellenepassepas.org.

Vous pouvez aussi retrouver sur le site une sélection d'articles de presse concernant le projet de loi sans oublier les documents d'analyse et d'information élaborés par La Cimade.

Et si vous pensez avoir tout compris sur ce qui se trame, tentez le quizz "Soyez incollables sur la loi Besson", et faites le circuler autour de vous!

Avant de vous déconnecter, n'oubliez pas d'aller faire un tour dans la rubrique Initiatives pour connaître les dates des mobilisations près de chez vous ou en annoncer de nouvelles.

mardi 28 septembre 2010

Les bonnes idées de monsieur Mariani

Cet été, un très fécond parlementaire du nouveau "collectif de la droite populaire", monsieur Thierry Mariani, a fait une grande découverte:

Les dépenses de l’AME ont augmenté quatre fois plus vite que les dépenses du régime général ou de la CMU, ce n’est pas normal.

Il faut entendre par là que la norme exige, pour monsieur Mariani, que tous les chiffres se suivent et se ressemblent...

Il doit aimer l'harmonie gréco-parlementaire.

L'Aide Médicale d'État (AME) est un dispositif destiné à prendre en charge les dépenses de santé des plus défavorisés. Sa création n'est pas récente, et ce n'était pas, à l'origine, comme on peut le lire ici ou là, une aide réservée aux "étrangers en situation irrégulière et sans ressources résidant en France". Depuis la mise en place, en 2000, de la Couverture Maladie Universelle (CMU), elle est devenue, avec quelques aménagements pour la restreindre autant que possible, la seule aide possible pour les sans-papiers et sans-ressources.

En faisant sa découverte, notre actif député a dû se frotter les mains: il y avait de l'immigration irrégulière là-dessous... Et sans attendre, il s'est lancé dans la bataille. Son indignation l'a empêché de préciser depuis quand les "dépenses de l'AME" augmentaient de manière aussi scandaleuse à ses yeux, et à quel montant, probablement astronomique, elles s'élevaient. Mais il n'a pas négligé d'enfoncer ce clou, un rien populiste: "Ils ont droit à tout, et en plus, ils fraudent".

Les Français ou les étrangers en situation régulière se voient appliquer un forfait hospitalier, pas les clandestins! Les fraudes à l’AME sont nombreuses car il n’y a pas de contrôles. Comme il n’y a pas de fichier centralisé, un étranger peut déposer simultanément quatre demandes. Je pense qu’il faut que le Parlement se saisisse de cette question rapidement.

On pouvait compter sur lui. On trouve, sur le site où le député du Vaucluse laisse trace de ses actes et propos, une "proposition de loi visant à réformer l’aide médicale de l’État", déposée, conjointement avec monsieur Claude Goasguen, le 7 décembre 2007. Il aurait suffi d'un petit effort de toilettage pour la recycler dans l'hémicycle.

On l'y voyait déjà...

Point n'en sera besoin pour l'instant. Madame Roselyne Bachelot, ministre de la Santé et des Sports, avait déjà, en juillet, envisagé de faire un sort à l'AME, en prévoyant d'instaurer une contribution forfaitaire de 15 euros par adulte bénéficiaire. Cette proposition, selon elle, pourrait être insérée ou annexée au projet de loi de finances, et discutée à ce moment-là.

Le 29 juillet, le CISS (Collectif interassociatif sur la santé), la FNARS (Fédération nationale des associations d’accueil et de réinsertion sociale), l'ODSE (Observatoire du droit à la santé des étrangers) et l'UNIOPSS (Union nationale interfédérale des œuvres et organismes privés sanitaires et sociaux), ont adressé à madame Bachelot une lettre ouverte, restée sans réponse. Ces associations ont publié, début septembre, un communiqué dénonçant ces projets.

Les déclarations de la ministre de la Santé sont encore très floues sur ce sujet. Il semble tout de même qu'elle soit assez sensible à une considération qui échappe totalement à ceux qui préfèrent raisonner, en matière de santé publique, comme résonne un coup de pied au cul d'un ancien séminariste. On sait, en effet, que ce n'est pas en multipliant les obstacles et les chicanes, qui retardent la véritable prise en charge médicale, surtout pour des populations qui sont déjà mal accueillies et réduites à vivre dans la clandestinité, que l'on fait des économies sur les dépenses de santé ou que l'on lutte contre la réinstallation de maladies disparues de nos contrées...

(Mais j'imagine bien certains tordus s'enflammer contre ces "illégaux" qui nous ramènent la tuberculose...)

Retour d'une certaine idée de la France.

L'Assemblée Nationale commence aujourd'hui l'examen du projet de loi "Besson", qui, dans un avenir que j'espère proche, sera la loi du quinquennat sarkozien qui nous flanquera le plus la honte.

Mais comme la honte n'atteint pas le cœur des populistes, messieurs Goasguen et Mariani ont trouvé bonne l'occasion de glisser deux amendements allant beaucoup plus loin dans l'ignominie que leur petite proposition de 2007.

L'amendement 346, présenté par monsieur Goasguen, propose de limiter l'aide médicale d'Etat aux seuls "soins urgents". Son exposé sommaire mérite un détour:

(...) aujourd’hui un titulaire de l’AME se trouve paradoxalement avec plus de droits qu’un titulaire de la CMU/CMU-C et à fortiori qu’un national ou un étranger en situation régulière qui travaillent et cotisent : tous les actes de médecine de ville et hospitaliers sont en effet pris en charge pour le titulaire de l’AME qui n’a aucune avance de frais à réaliser.

Au point que certains, en situation régulière ou français, auraient intérêt à frauder et à se déclarer aux services compétents comme étrangers en situation irrégulière pour bénéficier de l’AME et avoir accès à des soins gratuits, voire à des opérations de confort comme la chirurgie esthétique, ou à des soins non vitaux comme les fécondations in vitro…

Il convient donc de mettre un terme à ces abus et de faire un sorte qu’un étranger en situation irrégulière - ce qui est un délit - ne soit pas placé dans une situation plus favorable que les nationaux ou les étrangers en situation régulière.

De manière plus subtile, l'amendement CL381, qu'il faut débusquer dans une longue liste, vise tout simplement à supprimer le droit au séjour des étrangers gravement malades et vivant en France. Cela se présente astucieusement comme une légère modification.

La rédaction originale prévoyait qu'un étranger puisse se voir délivrer une carte de séjour temporaire lorsque son "état de santé nécessite une prise en charge médicale dont le défaut pourrait entraîner pour lui des conséquences d’une exceptionnelle gravité, sous réserve qu’il ne puisse effectivement bénéficier d’un traitement approprié dans le pays dont il est originaire".

Monsieur Mariani propose de remplacer les mots "qu’il ne puisse effectivement bénéficier" par les mots "de l’inexistence".

Olivier Bernard, président de Médecins du monde, explique parfaitement les conséquences de ces amendements dans un entretien avec Jonathan Parienté, paru dans le journal Le Monde.

Les quatre groupement associatifs déjà cités ont fait parvenir aux députés un document de deux pages, intitulé Peut-on accepter de renvoyer des malades mourir dans leur pays d’origine ?

Certains députés ont dû penser que oui.

lundi 27 septembre 2010

Toujours exemplaire justice

Requérant trois mois ferme avec mandat de dépôt contre trois prévenus, un digne procureur aurait laissé entendre que "ça servira d'exemple aux gens qui liront les journaux".

Certes, la justice ne doute jamais de la haute valeur de sa propre exemplarité - pourtant largement discutable et discutée...

Mézencore faudrait-il que les journaux en parlent.

Or, tout occupés à broder sur le grand thème du décompte des manifestants du 23 septembre, beaucoup ont omis de nous informer qu'un certain nombre des majestueux rassemblements unitaires avaient été suivis d'actions où les forces de police avaient dû intervenir pour maintenir les conditions idylliques d'un vrai dialogue social.

Ici, par exemple, à Saint-Nazaire.

A Saint-Nazaire, d'après Ouest-France, repris par maville-point-com:

Au moment de la dispersion, devant les grilles de la sous-préfecture, les projectiles n'ont pas tardé à voler : pierres, canettes ou fusées éclairantes. Des poubelles ont été incendiées. En quelques minutes, le paysage a changé. Les policiers en veille à l'intérieur du bâtiment ont jeté les premières bombes lacrymogènes tandis que d'autres prenaient rapidement position dans les rues adjacentes. Une demi-heure plus tard, le groupe de fauteurs de trouble était repoussé et maintenu à l'écart de la sous-préfecture. Pendant les deux heures qui ont suivi, le face-à-face s'est poursuivi dans les rues du centre-ville et aux abords du centre commercial Ruban bleu, au milieu des consommateurs qui poursuivaient leur shopping et des lycéens qui sortaient de cours. Le centre-ville a retrouvé son calme vers 18 h 30. Un policier a été légèrement blessé et sept manifestants interpellés.

Face à ce compte-rendu journalistique omniscient, il est équitable de citer celui des manifestants, plus laconique:

Quelques heurts avec les forces de l'ordre, qui ont cette fois encore abondamment gazé la fin de manifestation, ont donné lieu à plusieurs arrestations ce jeudi 23 septembre à Saint-Nazaire.

Six personnes, dont 1 mineur, sont ce soir en garde-à-vue, et risque une comparution immédiate vendredi 24 septembre parce que poursuivies pour pour "jets de projectile, ivresse, cassage d'une vitrine, outrages à agents..." selon les cas...

Au soir du vendredi, et, semble-t-il, sans avoir jamais noté la présence d'un mineur parmi les personnes placées en garde à vue, Ouest-France publiera, pour solde de tout compte, un entrefilet annonçant de la "prison ferme pour trois manifestants", et comportant quelques approximations erronées et erreurs approximatives.

Les esprits curieux et exigeants pourront toujours aller consulter le compte-rendu de cette audience sur le site du CODELIB (Comité de défense des libertés fondamentales contre les dérives sécuritaires) de Saint-Nazaire. Ce compte-rendu est repris par l'indispensable Jura Libertaire.

On peut y apprendre que le lycéen de 16 ans, arrêté comme un grand (il aurait eu besoin d'être amené à l'hôpital), est accusé "de jets de projectiles et de bris de vitrines", qu'il a avoué durant sa garde à vue et sera convoqué le 30 novembre devant le tribunal pour enfants.

On peut surtout y trouver quelques notes prises par un témoin durant la comparution immédiate des trois adultes inculpés pour "jets de projectiles et attroupement illicite avec possession d'armes (à savoir des bouteilles)". Elles sont instructives et auraient pu fort intéresser "les gens qui lisent les journaux" s'ils avaient pu les y trouver.

La conclusion:

Le délibéré dure environ 5 minutes et la sentence tombe : 2 mois fermes avec mandat de dépôt pour MM. B. et Z., un mois ferme sans mandat de dépôt pour M. D. qui est convoqué chez le juge d'application des peines.

J'espère que monsieur le procureur me saura gré d'avoir, sur ce blogue modestement confidentiel, réuni quelques éléments et indiqué quelques liens permettant au lecteur de se faire une juste idée de ce bel exemple de justice expéditive et mal ficelée.

dimanche 26 septembre 2010

La liberté d'Alain

Cette photo, au lieu de la rater un peu, ou beaucoup, ou complètement, comme cela m'arrive souvent, j'ai préféré ne pas la faire du tout.

Devant moi, qui descendais la rue Lézurier de Martel, Alain Rault passait sur le trottoir de la rampe Cauchoise. Il longeait la rambarde, sa vieille couverture sur le dos, et marchait à petits pas en direction de la gare. C'était un matin de début de printemps, frisquet et bruineux comme ils peuvent l'être à Rouen. Sur la photographie, la silhouette d'Alain aurait pu se détacher en profil sur le fond brouillasseux des immeubles situés en contrebas sur l'autre rive du boulevard.

Ce qui m'a retenu porte peut-être le nom de "respect", avec une part de sentiment d'indignité. Qui étais-je, et qui suis-je encore, pour voler à un homme un moment de sa vie et en faire à ma façon l'image d'une solitude, en noir et blanc et avec une faible profondeur de champ ?

Cela fait une vingtaine d'années, peut-être plus, qu'Alain Rault vit dans la liberté des rues rouennaises. Il marque la ville, ici ou là, de mots gravés, sur le bois, la pierre ou sur le métal. Ces mots s'entrelacent et se chevauchent, et finissent par produire, dans leur ensemble, un dessin d'une étrange beauté. Si, dans ces entrelacs, on peut déceler ce désir, fréquent chez les artistes dits "bruts", de remplir à tout prix l'espace vide, il se dégage des gravures les plus surchargées d'Alain, qui sont peut-être à ses yeux les plus achevées, un équilibre incontestable.

Avec le temps, demeurent ces traces qui font rêver...

Trace d'une gravure ancienne,
sur une poutre déjà ancienne,
rue de la Vicomté.

Marginal radical, d'une inquiétante étrangeté, Alain Rault est devenu une "figure" de la ville de Rouen, que les touristes se mettront bientôt à mitrailler depuis leur ridicule petit train...

Je doute qu'aucun des portraits ainsi volés n'ait l'intensité de ceux qu'ont réalisés Williams et Dominique Cordier, et que l'on trouve dans le Cordier Rouen édité par Le Perroquet Bleu (on peut feuilleter virtuellement ce beau livre sur le site du volatile, les portraits d'Alain sont aux pages 167 et 169).

Un autre portrait d'Alain, cinématographique, a été réalisé par David Thouroude et Pascal Héranval. Il s'agit d'un documentaire de 45 min au curieux le titre de Playboy Communiste. Précisons pour les parisiens que ce titre ne qualifie en rien la personnalité d'Alain, mais qu'il s'agit de deux mots qu'il a associés dans l'une de ses gravures. Ce film, qui n'a pu être tourné sans l'accord et la complicité d'Alain Rault, nous le présente au quotidien, sans complaisance ni voyeurisme. C'est un travail au ton juste, amical et respectueux, dont les extraits mis en ligne témoignent.









Sauf erreur de ma part, ce film, qui vient d'être édité en DVD*, a été présenté en avant-première au cours du festival Art et Déchirure 2008.

Déchirure...

Dans le cas d'Alain Rault, cela me suffit pour voir les mots qu'il grave depuis si longtemps, avec tant d'application, sur les supports les plus divers, comme les points de suture dont il cherche à recoudre cette déchirure qui fut, et est toujours, la sienne.

D'autres mots que les siens, ceux des spécialistes, sont là pour étiqueter son mal-être... On peut les oublier, tant qu'ils ne menacent pas la liberté qui est la sienne.

Un jour peut-être, au train fou où vont les choses, on décidera que l'évident désordre mental d'Alain est un danger pour l'ordre public...

Parce qu'il crie dans la rue...

Parce qu'il invective les passants...

Parce qu'il dégrade les monuments historiques...

Sa liberté alors disparaîtra au fond de cette nuit sécuritaire dont quelques uns rêvent.

Et, avec sa liberté, une grande partie de la nôtre.


Une image de la fin du film Playboy Communiste,
qui sert de bandeau au site.



* Vous pourrez trouver la liste des points de vente, ou l'adresse de vente par correspondance, sur cette page du blogue Playboy Communiste.

vendredi 24 septembre 2010

Silence, cri des consciences

A moins que, sur les lieux, ils-elles n'aient été d'une discrétion qu'on ne leur connait que rarement, ces messieudames de la presse ne se sont pas bousculé(e)s, vendredi dernier, pour "couvrir" la fin du jeûne de dix jours que neuf personnes avaient entamé non loin des ors du Palais-Bourbon. Ils tenaient ainsi à marquer leur opposition au projet de loi "Besson", et à en appeler à la conscience de chacun, parlementaires compris, face à cette nouvelle mouture de loi relative "à l’immigration, à l’intégration et à la nationalité".

Comme il était prévu que prises de paroles et partage de la soupe soient précédés de la tenue d'un "cercle de silence", on comprend que les médias ne soient pas déplacés. Quel sujet radio-télé voulez-vous faire avec des gens qui se taisent pendant si longtemps ?

Bien sûr, quelques articles et reportages avaient rendu compte de l'installation des jeûneurs sur la place Edouard Herriot, ce delta où, venant du boulevard Saint-Germain, s'élargit la rue de l'Université avant de longer l'Assemblée Nationale. Mais les envoyés spéciaux et autre grands reporters ont dû se fatiguer très vite de ces peu spectaculaires "neuf apôtres de la non-violence", pour reprendre l'expression du quotidien Libération-Touche-pas-à-ma-nation. Seule la chaîne parlementaire LCP s'était déplacée pour la rencontre/conférence de presse du 14 septembre, lors de laquelle les jeûneurs ont pu s'exprimer face à cinq députés des différents partis politiques. Le reportage a été diffusé au cours du journal du mardi 14 septembre. On peut le regarder en suivant le lien - il commence à 9 min 30.



Arrivant de la place des Invalides où j'avais quitté le réseau métropolitain, je rejoignis la placette Edouard Herriot en longeant la place du Palais-Bourbon, et je pus ainsi saluer le dos de la statue qui la domine. Son auteur, Jean-Jacques Feuchère, l'avait sculptée pour figurer La Constitution, mais, installée en 1855, l'œuvre fut rebaptisée La Loi - le pouvoir en place était alors, cela arrive, en délicatesse avec la notion même de constitution.

Je me réjouissais de voir se déployer cette malicieuse allégorie: La Loi entourée d'un cercle de silence.

Il est possible qu'un délicat fonctionnaire de la Préfecture de Police ait été sensible à l'ironie de ce symbole. Lorsqu'à l'heure prévue, le groupe des personnes rassemblées se dirigea vers la place du Palais-Bourbon, les CRS en faction au coin de la rue installèrent des barrières pour en empêcher l'accès, et des renforts, venus à grands pas de la rue Aristide Briand, firent héroïquement un mur de leurs corps. Leur équipement était légèrement minimal, mais quelques-uns portaient prudemment de quoi se protéger les tibias.

Confinés aux abords du triangle Edouard Herriot, les participants durent se répartir sur une courbe fermée, tout à fait convexe et probablement - je n'ai pas cherché - circulaire pour une métrique inusuelle du plan.

Mise en place du "cercle".

Rapidement le silence s'établit, et sembla même s'imposer, par delà les barrières, aux CRS en faction, immobiles eux aussi. Mais bientôt, on put entendre leurs récepteurs grésiller, et résonner les voix déformées et nasillardes des chefs ou des collègues, transmettant les précieuses instructions ou les informations indispensables... Ces interventions avaient sans doute pour but de leur permettre de "tenir", face aux pernicieux non-violents. Car, si un CRS est assez entraîné pour résister à une très longue oisiveté en marge d'une manifestation mouvante et sonore, on peut le craindre beaucoup plus démuni lorsqu'il est exposé sans protection à un ferme et immobile silence.

Il faut rappeler que s'exposer à une telle qualité de silence peut être dangereux. Vous voilà soudain plus attentif et plus sensible au flux de conscience qui vous traverse, et si vous n'y prenez garde, ce courant pourrait vous entraîner aux rivages d'une véritable prise de conscience de ce que vous êtes, de ce que vous faites ou de ce que l'on vous fait faire...

Et tout ça...

Et tout ça...

La lampe, au centre virtuel du "cercle".
(Photo empruntée à Jean-Claude Saget.)

Aux abords du "cercle" qui circonscrit largement le triangle de la place Edouard Herriot, on dirait que les bruits de la ville viennent s'amortir. Le silence s'amplifie et prend l'intensité d'une présence.

Peut-être même atteint-il, au centre marqué d'une lampe allumée, la pureté d'un cri.

Un fois la lampe éteinte, viendront des interventions des jeûneurs et de représentants d'associations qui préciseront, pour les mal-entendants, le sens de cette action symbolique.

(On entendra Jean-Paul Nuñez et Alain Richard, pour les jeûneurs, ainsi que Claude Baty, président de la Fédération Protestante de France, Patrick Peugeot, président de la Cimade, Guy Aurenche président du Comité Catholique contre la Faim et pour le Développement-Terre Solidaire, Laurent Schlumberger, président de L'Eglise Réformée de France, un membre de l'association Coexister et un représentant de Droit Devant!)

Autre symbole, qui est peut-être aussi tout un programme:
La Loi, substituée à La Constitution.

Un peu plus tard dans la soirée, attablé à une terrasse proche de la station de métro Assemblée Nationale, j'ai pu observer quelques groupes de CRS, encore en carapace et encore en attente. L'un d'entre eux faisait peine à voir, appuyé sur son bouclier, insensible aux plaisanteries des deux "civils" qui, désœuvrés, étaient venus bavarder au coin de la rue de Lille.

Tranquillement, les participants du "cercle" reprenaient le métro après avoir partagé la soupe avec les jeûneurs.

Soudain, un "ho ! ho ! ho !" lancé des environs de l'entrée du pont de la Concorde, une cavalcade de godillots résonnant sur le trottoir, et les factionnaires avaient disparu.

J'ai supposé que, pour eux aussi, c'était l'heure de la soupe.

jeudi 23 septembre 2010

La grève générale n'aura pas lieu

Ça serait disproportionné, pas vrai ?


mercredi 22 septembre 2010

Histoire à dormir debout

L’histoire du monde
est à dormir debout.

Et pourtant elle est vraie.


Alexandre Romanès

L'histoire de la vie d'Alexandre Romanès n'est pas un conte de fées à dormir debout. Erratique, tumultueuse, elle est riche de rencontres, de poésie, d'amitié et d'amour. Et l'on dirait qu'une bonne partie, ces dernières années, a été rêvée les yeux ouverts.

En 1994, Alexandre, né Bouglione (c'est là son "nom de jeune fille", dit-il), a fondé avec sa femme Délia, chanteuse rencontrée dans le camp tsigane de Nanterre, le cirque Romanès:

J'ai acheté un morceau de toile, un vieux camion, quelques caravanes, Délia m'a suivi, nous avons fait quelques enfants et nous avons pris la route, quelques gitans dans une piste, Délia au chant entourée d'un violon, une contrebasse, un accordéon.

Alexandre s'étonne du succès rencontré "avec un spectacle aussi simple, aussi dépouillé", mais c'est ainsi, et le public attend les retours de Romanès-Cirque Tzigane, notamment vers la Porte Champerret, à Paris, pour l'applaudir à nouveau.

Toute la troupe a été invitée par le Pavillon France à l'exposition universelle de Shanghai et le cirque s'est produit dans le cadre de la Semaine Française du 14 au 21 juin.

Alain Delon était le parrain du Pavillon,
et Léon le chaton, la mascotte.
(NB: Ceci est la photo de Léon, et non celle d'Alain Delon.)


Si, à l'exposition universelle de Shanghai, Délia et Alexandre Romanès étaient suffisamment français pour ne pas déshonorer le Pavillon Français, ils se sont retrouvés, de retour à Paris, un peu trop tsiganes...

Louis Morice, dans un article de NouvelObs-point-com, donne un bon résumé des tracasseries qui leur ont été réservées, la principale étant l'annulation des autorisations de travail des musiciens roumains de la troupe:

La direction du cirque avait déposé dans les règles les demandes de permis de travail pour ses musiciens roumains. Comme c'est le cas pour chaque spectacle depuis des années, elles ont tout d'abord été acceptées, "en bonne et due forme", tient à préciser Alexandre Romanes. C'est en rentrant de Chine que la troupe a appris que ces autorisations de travail avaient finalement été annulées.

Personne ne peut imaginer le cirque Romanès privé de ses musiciens... Son existence se trouve donc gravement menacée.

La fin de l'article fait bien comprendre qu'il n'y a pas grand chose à attendre de la part des institutionnels de la culture:

Alexandre Romanes a rencontré lundi soir, Christophe Girard, l'adjoint au Maire de Paris chargé de la Culture, qui a déclaré "s'intéresser au plus près" de la situation du cirque.

Interrogé par Nouvelobs.com, Christophe Girard a annoncé qu'il allait envoyer une lettre au directeur général du travail, Jean-Denis Combrexelle, pour lui demander "son aide, son humanité, son indulgence". Christophe Girard souligne "le contexte particulier" de ces suspensions d'autorisations de travail. "L'ordre est partout, il ne peut pas y avoir de différence", remarque-t-il. "J'ai présenté certains membres du cirque à Frédéric Mitterrand. Il est sensible à leur cas, mais doit obéissance au gouvernement". Au ministère de la Culture, on se contente d'indiquer que les cas des artistes roumains relèvent du ministère du Travail.

On sera au moins heureux d'apprendre qu'un ministre ne fait pas partie d'un gouvernement mais lui "doit obéissance"...

Reste aux amis du cirque Romanès la possibilité de participer à la soirée de soutien qui est prévue le 4 octobre, à 19h 30.

(Le chapiteau est installé au niveau des numéros 42-44 du boulevard de Reims, à l'angle de la rue de Courcelles, métro Porte de Champerret.)

Et de signer la pétition de soutien qui a été mise en ligne.

On clique, on signe.


Ma fille Rose,
en regardant par-dessus mon épaule:
Regarde papa, le ciel est partout!

Alexandre Romanès

mardi 21 septembre 2010

Les salutations fonctionnelles de René Heitz

Je ne connais pas le bilan rhumatologique de René Heitz, mais il est clair que ce vieux monsieur n'a pas une échine profilée pour faire des courbettes.

Mais dans son cas, on peut se demander s'il a jamais eu les articulations assez souples pour se soumettre.

Ancien soldat de la 2e DB, il n'a pas oublié pour quelles raisons il s'est engagé en janvier 1944. Rencontrant, dans un fil de commentaires, cette fière et bravache déclaration de monsieur Nicolas Sarkozy: «Je suis le chef de l'État français et je ne peux pas laisser insulter mon pays», il commence ainsi sa réponse:

Tout est dit avec ce "Je suis le chef de l'État Français" !!!

A mes vieilles oreilles de 85 ans cela sonne comme une déclaration de guerre à notre démocratie restaurée en 1945, à la libération, alors que le peuple français venait d'être débarrassé d'un autre "chef de l'État" de sinistre mémoire.


Il a la mémoire sensible, René Heitz.

"État Français", bien connu des philatélistes.
(La totale, avec Travail, Famille et Patrie.)

Il a reçu tout récemment, de la mairie de Saint-Ismier (Isère), une invitation à venir recevoir, en plus ou moins grande pompe, le "Diplôme d'Honneur aux Combattants de la Deuxième Guerre Mondiale". Et a "tout d'abord cru à un canular"...

Malgré les méritoires efforts de communication de monsieur Hubert Falco, Secrétaire d’État à la Défense et aux Anciens combattants, et de monsieur Jacques Pélissard, Président de l’Association des Maires de France, qui avaient invité la presse, le 30 mars dernier, pour lui présenter ce diplôme, l'information n'a pas fait la une des médias. Pourtant une petite plaquette, aussi facile à copicoller qu'une dépêche d'agence de presse, était mise à disposition des professionnels.

On pouvait y lire:

Dans le cadre du 70e anniversaire de la seconde guerre mondiale, Hubert Falco souhaite rendre hommage aux quelques 250 000 anciens combattants de la seconde guerre mondiale encore en vie par la remise d’un diplôme d’honneur.

Cette initiative du secrétaire d’État à la Défense et aux Anciens combattants concerne toutes les familles et toutes les communes.


La remise de diplôme correspond à la volonté du Président de la République de faire de ce 70e anniversaire une mobilisation nationale.


Le diplôme sera remis par les maires qui le décideront, et dans le cas des ressortissants vivant à l’étranger, par les consuls de France.


Il y avait même une illustration:

Et c'est en couleur...

S'étant aperçu que c'était pire qu'un canular, puisque c'était une vraie invitation à recevoir un vrai diplôme, René Heitz a écrit à monsieur Sarkozy cette lettre, qui a été reprise par Mediapart.

Monsieur le Président,

Je reçois, aujourd'hui, une lettre de Madame le Maire de Saint-Ismier, m'informant que le Président de la République a sollicité tous les Maires afin qu'ils remettent le «Diplôme d'Honneur aux Combattants de la Deuxième Guerre Mondiale».

Cette lettre se poursuit par une invitation à une réunion au cours de laquelle me sera remis officiellement mon diplôme.

Cela m'a paru si grotesque que j'ai tout d'abord cru à un canular mais, à l'examen, il s'agissait bien de ce que je lisais. Alors je me suis demandé à quoi peut bien servir un tel document :

- A attester que j'ai réellement combattu pour mon pays ? J'ai dans mon bureau mon Livret Militaire.

Il y est inscrit que je me suis présenté le 6 janvier 1944 en vue de contracter un engagement pour la durée de la guerre au sein de la 2ème D.B. connue sous le nom de Division Leclerc en formation à l'époque au Maroc.

Il y est aussi précisé que j'ai effectivement et activement participé à toutes les campagnes de cette unité jusqu'à la fin des combats en Europe et même au delà. En effet, je me suis porté volontaire pour continuer la lutte en Extrême Orient, le Japon étant encore en guerre à ce moment là.

Après la défaite nippone j'ai été intégré malgré moi dans le corps expéditionnaire pour l'Indochine. Au bout du compte je me suis retrouvé pendant presque quatre ans sous les drapeaux.

- Alors quoi ? Une récompense ? Elle ne saurait être comparée aux distinctions qui m'ont été décernées, je veux parler de la croix de guerre et de la Presidential Unit Citation. De toute façon je ne cherche nullement à en tirer gloire, je n'ai jamais porté ces décorations et peu de gens savent qu'elles m'ont été décernées.

A la réflexion, j'ai compris l'utilité de ces hochets distribués en votre nom. Vous espérez qu'ils vous rapporteront quelques milliers de voix supplémentaires aux prochaines élections ! Faut-il que vous vous sentiez en mauvaise posture pour ratisser aussi large ? Ce que vous ignorez, c'est que pour les quelques vieux combattants de cette époque encore en vie, tout ce qui compte c'est d'être en paix avec leur conscience. Sachez, monsieur le Président, que vos fausses distinctions leurs sont indifférentes.

Alors, monsieur le Président, le bout de papier que vous allez faire distribuer, n'a pour moi aucune valeur et je n'en veux pas.

Je n'en veux pas parce qu'il est distribué dans l'espoir de consolider une politique que je trouve néfaste. Et elle est néfaste parce que c'est une politique de division, de rejet et d'asservissement. C'est la politique du fort contre le faible, des financiers contre les citoyens. C'est la politique de la suspicion permanente. Elle commence à trop ressembler, cette politique, à celle que je partais combattre le 6 janvier 1944, à 18 ans en revêtant l'uniforme de la 2ème D.B.

Pour toutes ces raisons, je ne me rendrai pas à l'invitation qui m'est faite par le maire de Saint-Ismier et je continuerai mon combat contre les forces et les hommes qui menacent notre laïcité et notre démocratie, jour après jour.

Je vous adresse, monsieur le Président, les salutations que m'impose votre fonction.

Ex-soldat de 1ère classe René Heitz

Monsieur Nicolas Sarkozy ne lira probablement jamais ce courrier.

Tant pis pour lui...

Il y a toujours à apprendre en écoutant les aînés, même dans l'art de la formule de courtoisie.

vendredi 17 septembre 2010

Touche pas ci, touche pas ça

Si le concept d'idiot utile retrouve une certaine vogue après un assez long oubli, il est d'autres notions qui persistent longtemps après avoir donné toute la mesure de leur "utilité" historique et déployé toute la gamme de leurs nuisances potentielles.

Aussi, en trouvant dans ma boîtamél un courriel m'invitant à m'intéresser à un appel intitulé

Touche pas à ma nation

fus-je un peu interloqué.

Je dus me rendre à l'évidence, le Bloc Identitaire n'avait pas spammé ma boîte, et cet appel émanait de SOS Racisme et La Règle du Jeu, avec le soutien logistique et spectaculaire du quotidien Libération, qui allait en faire sa "Une".


Il faut vous dire que je suis né avec un gros handicap: il m'est quasiment impossible de métaboliser le moindre sentiment national. Et si je suis bien enraciné dans cette terre normande où je suis revenu vivre, je l'envisage cum grano salis, ayant toujours estimé que les racines, les raves ou les tubercules avaient besoin d'assaisonnement pour relever leur fadeur.

J'aurais pu, l'âge aidant, compenser ce déficit par une adhésion raisonnée à l'idée de nation. Mes bons maîtres n'ont fait l'économie d'aucun effort pour me montrer le rôle majeur de cette idée dans l'histoire des deux derniers siècles. Ils furent sans doute bien maladroits puisque j'ai surtout retenu de leurs sévères leçons l'image de deux siècles ravagés par les efforts des groupes nationaux pour devenir états et par ceux des états pour devenir nations.

Le slogan "Touche pas à ma nation" ne saurait donc me toucher: il me choque.

Et la lecture de l'appel n'est pas de nature à modérer ma réaction.

On peut y lire ceci, où le mot "nation" se majuscule en fanfare:

Pour nous, la Nation, ce n’est pas la recherche frénétique de la mise au ban de citoyens. C’est tout au contraire l’affirmation de la légitimité de tous à participer en pleine égalité aux choix publics.

Pour nous, la Nation, ce n’est pas l’utilisation des étrangers comme boucs émissaires afin de masquer le marasme économique et social de notre pays.

C’est tout au contraire l’attachement à un traitement digne et égal de tous.

On reconnaitra dans cette bouillie conceptuelle un des procédés de détournement paradoxal du sens des mots, couramment utilisé dans les officines où se fabrique la novlangue et les coups de pub.



PS: Cet appel, que vous pouvez signer si cela vous chante, entend s'opposer au projet de loi "relatif à l’immigration, à l’intégration et à la nationalité" déposé par monsieur Besson le 30 mars 2010.

Un très grand nombre d'associations et d'organisations n'ont pas attendu le sursaut national de SOS Racisme, La Règle du Jeu et Libération pour prendre position contre ce projet de loi, et lancer une pétition (que vous pouvez signer ici).

Sans se payer de grands mots, quelques unes d'entre elles (ADDE, Acat France, Anafé, CFDA, Cimade, Fasti, Gisti, InfoMIE, Migreurop, MOM, Association Primo Levi, SAF, Syndicat de la magistrature) ont rédigé une analyse de ce projet que vous pouvez télécharger ou consulter en ligne.

Cela ne me surprendrait pas qu'on en reparle...

mercredi 15 septembre 2010

Et rip, et rap, tout le monde dérape

Réagissant aux propos très directs de madame Viviane Reding, commissaire européenne en charge de la justice et des droits fondamentaux, monsieur Pierre Lellouche, notre secrétaire d'Etat chargé des Affaires européennes, a cru avoir un mot très fort en déclarant que "ce genre de dérapage" n'était pas "convenable"...

Car

«Ce n'est pas comme cela que l'on s'adresse à un grand État.»

A-t-il dit.

Madame Reding doit donc s'attendre à une leçon de diplomatie européenne élémentaire de la part de notre sous-ministre qui avait pourtant tonitrué, lundi dernier:

« On n’est pas à l’école. Nous appliquons notre loi. Je n’ai pas l’intention d’être traité, au nom de la France, comme un petit garçon »

Il est vrai que madame Reding, c'est rien qu'une fille...

Même pas française.

Qui doit conduire comme une bonne femme...

Le chef de cet état en mal de grandeur n'a, on le sait bien, à recevoir de leçons de personne. Il n'est d'ailleurs pas certain qu'il puisse en retenir quoi que ce soit.

Au cours d'un déjeuner où étaient conviés des sénateurs de l'UMP, monsieur Sarkozy aurait tenu a montrer très clairement à quelle hauteur il entendait se situer face à madame Viviane Reding. Et les journalistes présents à la sortie du repas ont pu recueillir quelques indiscrétions auprès d'au moins deux participants qui, probablement sans y entendre malice, ont rapporté un propos de table du président:

«Il a dit qu'il ne faisait qu'appliquer les règlements européens, les lois françaises et qu'il n'y avait absolument rien à reprocher à la France en la matière mais que si les Luxembourgeois voulaient les prendre il n'y avait aucun problème», a rapporté le sénateur de Haute-Marne, Bruno Sido.

(...)

Son collègue de Seine-et-Marne Michel Houel a confirmé que le chef de l'État avait indiqué, en substance, que «le commissaire européen habite le Luxembourg, qui est très proche de la France, nous serions très heureux si le Luxembourg pouvait aussi accueillir quelques Roms».

Michel Houel a ajouté devant la presse que Nicolas Sarkozy ne s'était «pas tout à fait» exprimé comme lui mais que c'était «ce que ça voulait dire».

Malgré une certaine incertitude sur les termes exacts, nous voilà toute de même édifiés sur le "ce que ça voulait dire":

Un "grand État" ne va tout de même pas se faire emmerder par une ressortissante d'un minuscule Grand-Duché !


PS: Monsieur Jean Asselborn, ministre luxembourgeois des Affaires étrangères, n'a pas tardé à réagir, en termes diplomatiques et mesurés. On attend un semblant de démenti de l'Élysée, ou de son voisinage...

mardi 14 septembre 2010

Le brave Néandertalien entre dans l'histoire

Au sortir de la grotte de Lascaux, monsieur Nicolas Sarkozy aurait eu cette phrase :

"Entre l'universel et le terroir, il y a Lascaux."

Tout esprit scientifique un peu sensé, à examiner cette proposition en toute objectivité, est amené à se demander si les champignons qui envahissent les parois de la grotte n'auraient pas quelques propriétés psychotropes méconnues. Dans son état normal, notre pragmatique président n'est pas coutumier du style oraculaire.

N.S. travesti en champignon par The Economist.

C'est une curieuse tradition que de célébrer la date anniversaire de la découverte d'un site préhistorique, mais il semble qu'elle soit bien ancrée du côté de Montignac (Dordogne). Pour les grandes occasions, qui correspondent, on s'en doute, aux chiffres bien ronds, le chef de l'État s'invite ou est invité. On dit que François Mitterrand s'y est rendu en 1990, et qu'en 2000, Jacques Chirac s'est fait représenter par son épouse...

Cette année, pour le septantième anniversaire, c'était donc au tour de monsieur Nicolas Sarkozy d'avoir le "privilège extrême de rentrer dans la grotte de Lascaux", pour reprendre sa juste expression.

L'envoyé spécial du Figaro à Montignac nous apprend qu'il était loin d'être seul:

Une heure durant, Nicolas Sarkozy s'est immergé dans la grotte de Lascaux. Même Carla Bruni s'est, elle aussi, invitée - avec son fils Aurélien et un ami à elle - dans cette chapelle Sixtine de la préhistoire, découverte il y a soixante-dix ans.

(Le fiston avait sans doute un exposé à faire pour l'école...)

Ce petit groupe était accompagné de monsieur Yves Coppens, président du conseil scientifique chargé de la conservation de la grotte, de madame Muriel Mauriac-Le-Heron, conservatrice du site, et de monsieur Frédéric Mitterrand, ministre de la Culture.

Ajoutons-y un photographe et un caméraman, et le compte sera bon...

Ne vous étonnez pas de lire ici ou là les réactions indignées de jaloux et aigris qui auraient bien voulu, eux aussi, "rentrer" dans la grotte. Certains en voudraient presque à monsieur Yves Coppens de s'être prêté au jeu de cette visite réservée à quelques heureux du monde. Ce qui serait d'une grande ingratitude envers un homme qui jadis nous a tellement amusés avec son histoire de petite Lucy se dressant sur ses petites pattes arrière, afin de pouvoir regarder à son aise au-dessus des grandes herbes de la savane qui avaient dû pousser durant la nuit, suite à un changement climatique brutal...

On dirait une cathédrale, hein, Carla...

Toujours bien informé, lefigaro.fr nous apprend que le président aurait "mis de côté le discours prévu et improvisé un propos dans l'amphithéâtre du tout nouveau «pôle international de la préhistoire»".

Monsieur Henri Guaino a dû être mortifié d'apprendre que son probablement très beau texte était ainsi passé à la trappe. On peut imaginer qu'il avait encore une fois déployé toute son éloquence pour célébrer l'histoire de "la France de Lascaux et du Sacre de Reims", et toute cette sorte de choses bien ronflantes.

Car, après tout, l'idée de Lascaux coincé entre l'éternel et le terroir n'est peut-être pas due à l'inhalation de spores de champignons hallucinogènes par le président. Il peut s'agir d'une réminiscence des délires du plumitif conseiller.

En revanche, je pense que monsieur Guaino n'est pour rien dans la bourde présidentielle:

"On comprend pourquoi depuis l'origine des gens ont voulu vivre ici. Le brave Néandertalien avait parfaitement compris qu'ici c'était plus tempéré qu'ailleurs, qu'il devait y avoir du gibier, qu'il faisait beau et qu'il y faisait bon vivre."

Lorsque monsieur Guaino écrit des inepties, elles sont d'un tout autre calibre, elles visent tout de suite l'universel.


PS: Pour permettre à monsieur Sarkozy de faire la différence entre Néandertal et Cro-Magnon, offrons-lui une bien aimable chanson, interprétée par Jacques Tritsch (1913-1991), basse, Marcel Quinton (1916-1984), baryton, Pierre Jamet (1910-2000), ténor et Georges Thibaut (1911-1998), contreténor, qui ont formé jusqu'en 1969 le groupe des Quatre Barbus.




Après ça, impossible d'oublier que la peinture à Lascaux, c'est l'homme de Cro, l'homme de Ma, l'homme de Gnon, l'homme de Cro-Magnon !

lundi 13 septembre 2010

La circulaire qui...

Ils n'avaient pas fait du mauvais travail, les rédacteurs du vilain petit canard nantais qui a pour titre Le Canard Social". Ayant eu accès à trois circulaires concernant la "lutte contre les campements illicites", ils les ont mises en ligne, à la date du 9 septembre, accompagnées d'un article, signé de David Prochasson, proposant une analyse éclairante de ces trois documents. Cette juste mise en perspective était intitulée "Expulsions de Roms, un «mode d’emploi» explicite".

En reprenant cette information, probablement via une dépêche AFP, leurs confrères de la presse nationale ont fait leur travail habituel, vite fait et mal ficelé. Des trois circulaires mises en avant par le "mode d'emploi", ils n'en ont retenu qu'une, celle du 5 août, et elle est devenue "la circulaire qui fait mentir Besson"(1).

Comme si ces naïves oies blanches ignoraient que le jour où monsieur Besson dira la vérité, et seulement la vérité, tous les bipèdes de la basse-cour, anatidés et gallinacés confondus, auront des dents.

En cliquant sur l'image, ces messieudames journalistes
peuvent accéder à l'article du Canard Social,
et en prendre de la graine.

La première circulaire, adressée à "Monsieur le Préfet de Police, Mesdames et Messieurs les Préfets", est signée conjointement par messieurs Hortefeux et Besson. Elle date du 24 juin 2010, et constitue un parfait manuel de "lutte contre les campements illicites", donnant tous les détails nécessaires pour mener à bien cette noble tâche. Elle est rédigée avec une évidente volonté d'exhaustivité, hérissée de rappels de numéros d'articles de loi et agrémentée d'encadrés pour ceux qui auraient de la buée sur leurs lunettes préfectorales.

Si elle ne vise, semble-t-il, aucune catégorie de la population, elle entend mettre en place un dispositif bien huilé, et efficace.

Et cela, avec une certaine insistance:

La lutte contre les campements illicites constitue une priorité sur laquelle nous vous demandons de vous impliquer personnellement. La situation de chacun des campements illicites, en vue de son évacuation, doit faire l'objet, sans délai, d'un examen systématique. La mise en œuvre des présentes directives doit être mise à l'ordre du jour de la réunion de la l'état-major départemental de sécurité, ce qui ne vous interdit pas, naturellement, de procéder dès à présent à des opérations d'évacuation. (2)

Cette circulaire précède d'un bon mois le fameux "discours de Grenoble", mais suit d'une dizaine de jours l'annonce médiatique d'une "mobilisation contre la délinquance rom"...

Cette "mobilisation" nous avait été révélée par un article de monsieur Christophe Cornevin, dans le Figaro du 11 juin 2010. Hélas, il n'est plus accessible gratuitement sur le site du quotidien (3). Mais vous pourrez en retrouver quelques extraits au détour de l'Escalier.

Dont celui-ci:

Enfin, une circulaire sera adressée dans les prochains jours par le ministre de l'Intérieur aux préfets afin de leur expliquer la possibilité qu'ils auront, dès l'automne prochain, d'évacuer les occupations illicites de terrains, qu'ils soient publics ou privés. Ces mesures inédites pourront être prises par une simple décision administrative, sans passer par l'actuelle phase judiciaire, plus longue et fastidieuse.

La circulaire du 24 juin permettait aux préfets de commencer à travailler sans attendre l'automne.

...où ils/elles pourront aller aux champignons...

La seconde circulaire, datée du 5 août, et signée de monsieur Michel Bart, émane du ministère de l'Intérieur et est adressée à "Monsieur le Préfet de police, Monsieur le Directeur général de la police nationale, Monsieur le Directeur général de la gendarmerie nationale, Mesdames et Messieurs les Préfets" (pour action) et à "Monsieur le Secrétaire général" (pour information). Elle fait référence à la circulaire du 24 juin, et à un télégramme du 30 juillet, date du "discours de Grenoble", et porte en objet: "Évacuation des campements illicites".

Une lecture attentive des trois pages du texte principal montre bien qu'il s'agit que les actions demandées sont parfaitement ciblées, et que les "camps illicites" sont "en priorité ceux des Roms", pour reprendre l'expression utilisée. Et on voit qu'on recommande aux exécutants de cette politique de tenir les comptes à jour, avec un louable esprit de synthèse:

Extrait de la page 3 de la circulaire du 5 août.

La troisième circulaire, adressée par le Ministère de l'Intérieur à "Monsieur le Préfet de Police, Mesdames et Messieurs les Préfets", et signée de monsieur Christophe Bay, est beaucoup plus courte, et complète bien l'ensemble, en y ajoutant comme un parfum indéfinissable...

Il n'y a pas de petits profits...

Sur le fond, qui est ici largement atteint, on se moque bien de savoir si monsieur Besson avait été mis au courant ou pas...

Mais on peut se demander si l'on peut laisser encore longtemps son groupe d'amis se moquer des principes fondamentaux de "notre" Déclaration des Droits de l'homme...



(1) Exemple relevé hier soir sur liberation.fr, qui omet de citer Le Canard Social, et qui a déjà mis à jour son article initial, en le complétant des ânonneries matinales de monsieur Besson. On ne trouve guère mieux sur les autres sites...

(2) Ce clin d'œil, sans doute destiné aux plus zélés des fonctionnaires, est le dernier encadré de cette circulaire.

(3) Et je ne vais tout de même pas m'abonner pour le relire. Je préfèrerais encore m'abonner à Article XI, tiens !

dimanche 12 septembre 2010

La haute cuisine de l'écriture

Lorsque vous commencez un livre écrit par quelqu'un qui affirme que "l'écriture est, avec le sexe (et sans doute la cuisine), une des façons les plus excitantes de dire/faire plusieurs choses à la fois"(1), il faut, bien entendu, vous préparer à le déguster avec une certaine gourmandise.

En flânant, fin août, dans quelques librairies, j'avais pu constater, malgré une annonce en bonne place sur le placard publicitaire de l'éditeur, l'absence de ce livre sur les tables où se dessinait déjà, sans surprise, la carte (ou le territoire) des prix littéraires à venir. Après avoir cru qu'il ne sortirait qu'en septembre, j'ai fini par le dénicher dans un de ces astucieux rayonnages aménagés sous les tables présentoirs, où son format imposant l'avait peut-être relégué.

14,5x24 cm,
et la pagination s'arrête à 484.

Je ne voudrais pas trop délayer la métaphore, ou le paradigme, érotico-culinaire évoqués plus haut, mais je crois que l'on peut dire que l'on sort de cette lecture, non pas repu, mais comblé, et prêt à recommencer. Avec en tête, ou au bord des lèvres, la question un peu naïve du ravi qui crèche en chacun: "Mais comment tu fais ça ?"

Mon exemplaire de CosmoZ (2) est tout hérissé de signets - j'y ai épuisé ma riche collection - qui marquent mes chocs esthétiques, transports, extases et ravissements, et de bouts de papier plus ou moins adhésifs où j'ai noté ce qu'il me semblait retrouver du "comment". Mais je suis bien incapable de les utiliser pour vous concocter une fiche critique présentable.

Je préfère vous conseiller d'aller lire les premières pages de CosmoZ que l'éditeur, Actes Sud, a eu la bonne idée de mettre en ligne.

Et que cette entrée en matière vous ait mis en appétit ou pas, je vous conseillerai également de vous procurer le dernier numéro du Matricule des Anges, l'excellent "mensuel de la littérature contemporaine", qui consacre un copieux dossier à notre auteur et à son dernier bouquin. Vous y trouverez un portrait, plutôt biographique, mais pas que, de Claro et un bel entretien, bien riche et bien dense, avec lui, accompagnés d'un article de Thierry Guichard, dont voici le titre, le chapeau et l'incipit:

En chair et en Oz

Inversant le processus féérique du Magicien d'Oz qui envoie une gamine du Kansas dans le fabuleux pays des Munchkin, Claro téléporte les personnages du conte de Frank Baum vers le monde réel. Une manière ébouriffante d'envisager la première moitié du XXe siècle.

Au visage du premier enfileur de perles qui persistera à dire que la littérature française (malgré Senges, Audeguy, Rolin, Deville et tant d'autres) est anémiée autour du nombril de ses auteurs, vous pourrez lancer les cinq cents pages de CosmoZ. Si ça ne l'assomme pas, ça fera de lui un mai. Car, au risque de paraître péremptoire, disons-le tout de go: CosmoZ est une œuvre magistrale dont on souhaite que chacun la rencontre. (...)

La suite se trouve page 21.

Enfin, une dernière façon d'approcher Claro, avant de le lire, évidemment, est d'aller se promener sur son blogue, Le Clavier Cannibale, "clavier bi-moteur" qui fonctionne à plein régime ces temps-ci. On y verra que notre écrivain est aussi un grand lecteur.

Qui n'aime guère la daube.


(1) Claro, dans un entretien avec Th. Guichard, paru dans le numéro 116 (septembre 2010) du Matricule des Anges.

(2) CosmoZ, roman de Claro, éditions Actes Sud, 2010. (Ça y est, c'est dit.)


PS:Quelques rencontres...

Claro sera le mercredi 15 septembre, de 13h à 14h30, à l'auditorium du Petit Palais, où la Maison des écrivains et de la littérature organise ses "mercredis littéraires". On pourra assister/participer à une rencontre entre Claro et Alain Nicolas, critique littéraire à L’Humanité.

Le vendredi 17 septembre, avec le musicien Olivier Mellano, il donnera un concert-lecture au festival "Poésie dans les chais", à Jurançon, dans les Pyrénées-Atlantiques.

Et le 20 septembre, à 18h 30, la librairie Kléber (1, rue des Francs Bourgeois, à Strasbourg), organisera une rencontre croisée entre Claro et Mathias Enard.

samedi 11 septembre 2010

Musique, et papiers pour tout le monde

Serge Gainsbourg aimait dire que la chanson était “un art mineur destiné aux mineures”.

En 1965, Régina Zilberberg Choukroun, plus connue sous le nom de Régine, n'était plus tellement mineure. Il lui offrit pourtant une gentille rengaine, intitulée Les p'tits papiers. Il n'avait aucune raison de se douter que cette chansonnette serait, bien longtemps après, interprétée par Régine, Jane Birkin, Clarika, Agnès Jaoui, Jeanne Cherhal, et bien d'autres, à l'intention de monsieur Eric Besson, sous les fenêtres du ministère dont il est si fier.

Après cette impertinente sérénade, une délégation a été reçue au ministère, pour participer à "une discussion de sourds", ainsi que l'a précisé Richard Moyon (du RESF) à la sortie.


A côté d'un inconnu déguisé en crustacé ridicule,
on reconnait Régine, Jane Birkin, Dan Franck et Stéphane Hessel.

On ne peut oublier que ce petit refrain a été écrit et composé par un certain Lucien Ginsburg, "né sous une bonne étoile... jaune", dont la famille a été dénaturalisée par le régime de Vichy.

Cela ne me déplairait pas que cette œuvrette mineure devienne la ritournelle de notre insolence irrécupérable face à ces gens très sérieux, sans doute majeurs dès leur naissance.

Dans une semaine, Jane Birkin viendra chanter Les p'tits papiers à Paris-Bercy lors du concert Rock Sans Papiers.

Cliquez sur l'affichette pour voir la liste des artistes prévus sur scène.



Nous, auprès des artistes, musiciens, comédiens, réalisateurs, écrivains, plasticiens, professionnels de la musique, du spectacle, du cinéma, de l’information, de la culture, des scientifiques et universitaires, des personnalités associatives, syndicales et politiques, avec la majorité des citoyens français, nous déclarons solidaires des milliers de sans-papiers qui grandissent, étudient, et vivent à nos côtés dans notre pays.

Nous refusons que des enfants, souvent nés et scolarisés en France, soient expulsés avec leurs parents vers des pays qu'ils ne connaissent pas ou plus et dont certains ne parlent même pas la langue.

Nous refusons que des parents soient arrêtés, menottés, rudoyés, humiliés et enfermés dans des Centres de Rétention Administrative sous les yeux de leurs enfants.


Nous refusons que des familles parce qu'elles n'ont pas de papiers soient séparées, le père brutalement expulsé à des milliers de kilomètres tandis que la mère et les enfants restent ici, souvent dans la misère et traumatisés à vie.

Nous refusons que des travailleurs, qui bien souvent exercent leur métier dans des conditions pénibles, car sans droit, dont la plupart cotisent (retraites, maladie, chômage...) et paient des impôts en France vivent en permanence dans la peur et la clandestinité.

Nous refusons les lois Besson sur l'immigration qui bafouent le droit d'asile français et font honte au pays des Droits de l'Homme.

Comme certains l’ont fait en d’autres périodes de l’histoire, en accord avec les principes du droit international qui protègent les migrants, en accord avec les droits de l'homme et de l'enfant, comme avec les valeurs universelles de fraternité, d’égalité, de liberté et d’accueil de notre République,
nous appelons à résister à ces pratiques indignes et inhumaines.

Pour signer cet appel, cliquez sur le logo:

vendredi 10 septembre 2010

Escalade en rase campagne

Hier soir, la Réblouguique des Ploucs de Trifouillis-en-Normandie m'a fait l'honneur d'organiser une réunion exceptionnelle, dans l'arrière-salle de chez Pierrot, afin de fêter dignement mon retour régulier sur la toile.

Dans l'avant-salle, nous avons pu croiser le localier du canton, que tout le monde appelle Édoui, rapport à son dévouement à la cause du journalisme d'investigation. Mais il n'a pu être admis à notre petite sauterie puisque, par décision unanime, notre groupe est interdit aux titulaires d'une carte de presse, et autres chasseurs de scoupes.

Certes, la chasse au scoupe n'est pas une activité déshonorante, et elle est même tout à fait exaltante. Souvenez-vous:

Ils le chassèrentxxavec des dés à coudre
ils le chassèrentxxavec passion
Ils le poursuivirentxxavec des fourchettesxxet de l'espoir
Ils menacèrentxxsa vie
avec une actionxxde chemin de fer
Ils le charmèrentxxavec des souriresxxet du savon. (1)

Mais à Trifouillis, nous ne mélangeons pas les serviettes des vrais amateurs avec les torchons des professionnels.

Tout en terminant son dé à coudre de Sauvignon, Édoui eut tout de même le temps de m'assurer que le bruit selon lequel monsieur Éric W. serait intervenu pour faire attribuer la médaille d'honneur du Travail-Bien-Torché à messieurs Bernard T. et François C. était tout à fait fantaisiste, et que, malgré tous ses efforts, il n'avait pu en avoir confirmation.

Car ce scoupexxétait un faiquexxvoyez-vous. (2)

Nos deux sympathiques récipiendaires
surpris dans la salle d'attente des luttes sociales.
(Photo de Jean-Baptiste Quentin / MAXPPP.)

Pourtant nos deux dirigeants syndicaux mériteraient bien qu'on les décore un jour pour leur très grande sagesse dans le dosage de la revendication. Sans parler de l'humour à froid qu'ils savent manier avec tant d'élégance, sans jamais, non vraiment, tomber dans le ridicule.

Prenons monsieur Bernard Thibault, de la CGT. Il vient de décider, avec une partie de ses collègues des directions syndicales, d'appeler à une nouvelle grrrrrandissime journée d'action le 23 septembre, soit une semaine après la date prévue pour le vote de cette "réforme des retraites". En veillant bien à ne jamais prononcer le mot (obscène) de "retrait", ni bien sûr l'expression (trop datée) de "grève générale", il lance un avertissement:

"On peut aller vers un blocage, vers une crise sociale d'ampleur. C'est possible."

On se doute bien que, tant à l'Élysée qu'à Matignon, cette menace d'escalade revendicative en terrain plat est prise avec le plus grand sérieux: on est littéralement mort de trouille.

Bourvil et Louis de Funès,
dans Le Corniaud, film de Gérard Oury, 1965.
(Toutes ressemblances et allusions pourraient bien être volontaires.)

Nos attentistes syndiqués espèrent peut-être pouvoir peser sur le vote de cette loi lors de son examen au Sénat...

Ils sont décidément bien mignons.

Et peut-être également peu attentifs.

Peut-on leur conseiller de regarder d'un peu plus près ce qui se passe, actuellement, dans la discussion de Loppsi II, où les sénateurs, après un mouvement d'humeur, se sont ré-alignés en bon ordre sur les positions du gouvernement.

Cette loi, dont le nom complet, Loi d'orientation et de programmation pour la performance de la sécurité intérieure, est déjà tout un programme, marque un pas essentiel dans la véritable escalade entreprise par le pouvoir sarkoziste vers les sommets sécuritaires.

Le cas de l'amendement 404, déposé au tout début du mois, "avec 25 autres dans la foulée des annonces sécuritaires émises par Nicolas Sarkozy à Grenoble", est un bon exemple des méthodes utilisées pour assurer cette progression. Le DAL a découvert l'existence de ce "404", qui, complétant l'article 32ter A, mettrait dans les mains des préfets une véritable machine à expulser de manière expéditive, sans souci des procédures déjà prévues par la législation, et éventuellement contre la volonté du propriétaire, toute occupation illicite "présentant de graves risques pour la salubrité, la sécurité ou la tranquillité publique".

Hier soir, un rassemblement de protestation s'est tenu devant le Sénat. On pourra en trouver un compte-rendu dans un article des Inrocks. Les résultats de cette démarche sont incertains, mais on peut vérifier, en allant chercher, sur le site du Sénat, l'aperçu de l'amendement, que

Cet amendement a été retiré avant séance.

Reste à savoir ce que devient l'article 32ter A...



(1) Ce qui veut dire:

They sought with thimbles, they sought it with care;
They pursued it with forks and hope;

They threatened its life with a railway-share;

They charmed it with smiles and soap.


The hunting of the Snark, An Agony in eight fits
, de Lewis Carroll, cité dans la traduction de Jacques Roubaud (rééditée en folio-Gallimard, 2010).

(2) Soit encore:

For the Scoop was a Fake, you see.

Ce qui n'est qu'une immonde contre-façon à ma façon de l'œuvre déjà citée et de sa traduction...