mardi 30 septembre 2008

C'est relaxe la justice



En ce temps-là, nous étions jeunes, nous étions beaux (enfin, surtout moi) et nous détestions le sable chaud. Nous parlions couramment le second degré et nous avions pris la sale habitude de dire à toute occasion "J'ai confiance en la justice de mon pays". Et nous faisions suivre cette proposition d'une sorte de ricanement bien niais, ressemblant fort au rire de Stéphane Bern écoutant Didier Porte.

On a le bon vieux temps qu'on peut...

Il va de soi que cette ironie déplacée n'est plus du tout la mienne, tant les décisions de justice récentes ont forcé mon admiration et apaisé toutes mes craintes quant à un traitement inégalitaire des citoyens de notre beau pays.

Sur un bas-relief du portail sud de la cathédrale de Metz,
ce personnage aux yeux bandés, représente la justice.
Les doigts de sa main droite dessinent le nom du Christ.
Photo publiée par Thomas.

Prenons le cas, exemplaire, de Jean Sarkozy, que les journaleux appellent familièrement "le fils cadet" pour faire croire qu'ils connaissent sa famille. Nous avons appris hier soir que le fils cadet avait été relaxé.

Par conséquent, on sait qu'il n'a pas, le 14 octobre 2005, percuté l'arrière de la BMW de M'Hamed Bellouti avec son scooter, place de la Concorde, et qu'il n'a pas pris la fuite en faisant un doigt d'honneur à M'Hamed Bellouti et son passager. On doit aussi admettre que le numéro du scooter relevé par le plaignant était, correspondait bien à celui de Jean Sarkozy par un hasard qu'on ne voit que rarement en plusieurs siècles...

Jean Sarkozy a donc été relaxé des accusations de délit de fuite, défaut de maîtrise de son véhicule, non-respect des distances de sécurité et dégradation légère d'un bien appartenant à autrui.

Alors qu'il réclamait 260 euros, pour prix de son pare-choc abîmé, et 4.000 euros de dommages et intérêts, monsieur Bellouti a été condamné à verser à Jean Sarkozy 2.000 euros pour "procédure abusive".

A ma connaissance, le Parquet n'a pas fait appel de la décision.


Si vous voulez un autre exemple, je vous citerai celui de Rodolphe Juge, dont j'ai parlé il y a quelques mois, ce professeur stagiaire qui, accompagnant ses élèves lors d'une manifestation, avait été accusé d'avoir jeté un caillou sur les forces de police.

Il semble que personne n'ait cru à la version policière des faits, et après un court délibéré, le président du tribunal a prononcé la relaxe.

On remarquera cependant que, en notre beau pays où prévaut la présomption d'innocence, le recteur de l'académie de Créteil a préféré suspendre Rodolphe Juge de ses fonctions (et par conséquent suspendre également le versement de son traitement) et repousser sine die sa titularisation.

Le tribunal n'a pas jugé bon de condamner les plaignants à verser un petit dédommagement à monsieur Juge.

A ma connaissance, le Parquet n'a pas fait appel de cette décision.

Justice selon Paul Biddle

Je sens bien que certains ne sont pas convaicus.

Monsieur Frédéric Lacave, sous-préfet d'Ile-de-France, accusait madame Maria Vuillet de l'avoir traité de "facho" au cours du chahut qui l'avait cueilli un peu à froid, le 22 octobre 2007, à son arrivée à la station Guy Môquet où il devait prononcer une allocution.

L'affaire a été jugée le 4 septembre dernier. Monsieur le sous-préfet Lacave a présenté le témoignage de son chauffeur pour confirmer ses dires. Mais l’avocat de la défense, Maître Thierry Lévy, en produisant une main-courante signée par un officier de police judiciaire présent, a établi que le chauffeur en question n'était pas à côté de monsieur Lacave au moment de l'échange verbal avec madame Vuillet.

Quant au tribunal, que voulez-vous qu'il fît ? Il prononça la relaxe.

Mais monsieur Lacave ne fut pas condamné à dédommager madame Vuillet pour procédure abusive.

Je n'ai pas d'informations sur la suite de la carrière du sous-préfet et sur la manière dont son supérieur hiérarchique entend lui remonter les bretelles (car il me semble qu'il y a là une sorte de tentative de faux témoignage...)

Après tout, le Parquet peut encore peut-être faire appel de la décision...


PS: Les détails des deux dernières affaires sont clairement exposés chez Olivier Bonnet, dans deux billets: billet 1 et billet 2.

La première se trouve partout... mais pour le plaisir, allez en lire les échos sur Le Chasse-clou de D. Hasselmann et sur abcd etc. comme de JR.

lundi 29 septembre 2008

Rumeur d'acharnement

« Qui va parler pour eux ?
Qui se souvient d’eux ?
Qui se souvient de leur visage ?
Moi, je veux me souvenir de leur visage.
Je veux me souvenir d’eux. »


Hamé devant ses juges, 3 juin 2008




Comme tous les vieux papys dont l'audiogramme ressemble au graphique d'un CAC40 en pleine crise financière, je n'écoute qu'assez peu de musique de rap français.

C'est aussi une question d'habitude et de paresse de l'oreille... me dit-on.

Mon peu de goût pour cette musique ne m'empêche pas d'apprécier chez certains groupes qui la pratiquent le peu d'efforts qu'il font pour me plaire... Autrement dit, j'aime beaucoup leur caractère sans concessions et leur merveilleuse absence de putasserie pour prendre leur place dans le chaubise.

Et l'authentique beauté et liberté de leur parole.

Hamé, du groupe La Rumeur

Je trouve très beau et très digne cet article, Insécurité sous la plume d’un barbare, qui a été écrit par Mohamed Bourobka (Hamé, du groupe La Rumeur) et publié en avril 2002, entre les deux tours de l'élection présidentielle et accompagnant la sortie du premier album du groupe, L’ombre sur la mesure.

En voici le début:

Ça y est, les partisans chevronnés du tout sécuritaire sont lâchés. La bride au cou n’est plus et l’air du temps commande aux hommes modernes de prendre le taureau par les couilles. Postés sur leurs pattes arrières, les babines retroussées sur des crocs ruisselant d’écume, les défenseurs de "l’ordre" se disputent à grands coups de mâchoires un mannequin de chiffon affublé d’une casquette Lacoste.

Sociologues et universitaires agrippés aux mamelles du ministère de l’intérieur, juristes ventrus du monde pénal, flics au bord de la crise de nerfs en réclamation de nouveaux droits, conseillers disciplinaires en zone d’éducation prioritaire, experts patentés en violences urbaines, missionnaires parlementaires en barbe blanche, journalistes dociles, reporters et cinéastes de "l’extrême", philosophes amateurs des garden-parties de l’Elysée, idéologues du marché triomphant et autres laquais de la plus-value ; et bien évidemment, la cohorte des responsables politiques candidats au poste de premier illusionniste de France... tous, jour après jour, font tinter en prime-time le même son de cloche braillard :


"Tolérance zéro " !!! "Rétablissement de l’ordre républicain" bafoué "dans ces cités où la police ne va plus".

Ou plus loin:

Les pédagogues du dressage républicain n’auront pas en ce sens la critique fertile. Ils n’esquisseront nulle moue face à la coriace reproduction des inégalités sociales au travers des échelons du système scolaire, ni l’élimination précoce du circuit de l’enseignement de larges franges de jeunes qui ne retiennent de l’école que la violence qui leur a été faite. Les rapports du ministère de l’intérieur ne feront jamais état des centaines de nos frères abattus par les forces de police sans qu’aucun des assassins n’ait été inquiété. Il n’y figurera nulle mention de l’éclatement des noyaux familiaux qu’ont provoqué l’arsenal des lois racistes Pandraud-Pasqua-Debré-Chevènement et l’application à plein rendement de la double peine.

Ou encore plus loin:

À l’exacte opposée des manipulations affleure la dure réalité. Et elle a le cuir épais. La réalité est que vivre aujourd’hui dans nos quartiers c’est avoir plus de chance de vivre des situations d’abandon économique, de fragilisation psychologique, de discrimination à l’embauche, de précarité du logement, d’humiliations policières régulières, d’instruction bâclée, d’expérience carcérale, d’absence d’horizon, de repli individualiste cadenassé, de tentation à la débrouille illicite... c’est se rapprocher de la prison ou de la mort un peu plus vite que les autres...


Vous saurez retrouver dans les deux derniers extraits deux passages qui ont amené en juillet 2002 le ministère de l'Intérieur a déposer une plainte pour "diffamation publique envers la police nationale".

En suivant le fil de cette affaire, on peut relever deux ou trois faits:

En 2004, procès au Tribunal de Grande Instance. Verdict, le 17 décembre 2004: Relaxe.

Appel. Procès devant la Cour d'Appel. Verdict, le 11 mai 2006: Relaxe.

Pourvoi en cassation. Le 11 juillet 2007, la cour de cassation annule la décision de relaxe.

En juin 2008, nouveau procès devant la Cour d'Appel. Verdict, le 23 septembre 2008: Relaxe.


On croyait en avoir fini... et Rue89 titrait La Rumeur "gifle le Ministère de l'Intérieur" de Sarkozy (on peut faire plus léger...), tandis que Maître Eolas se contentait de Affaire "La Rumeur", suite (et fin ?) Le chanteur Hamé relaxé.

Non, non, le feuilleton va continuer: le procureur général de la cour d'appel de Versailles a formulé, vendredi, un nouveau pourvoi en cassation... (voir par exemple ici).

Mohamed Bourokba, dit Hamé

J'espère que Mohamed Bourokba n'est pas trop parano, mais à sa place, j'aurais un peu, quand même, sur les bords, la vague impression d'être malgré tout, quelque part, l'objet d'une sorte de manière, en quelque sorte, d'acharnement, voyez-vous ce que je veux dire ?

Comme si quelqu'un m'en voulait...

Mais j'aime pas faire courir des bruits...


PS: Vous pourrez trouver un dossier complet et très intéressant sur les procès de La Rumeur en cliquant à cet endroit. Il s'agit du site de A contresens.

Des récits, des vidéos se trouvent sur le blog des Rageuses, que je ne connaissais pas, et que je vous invite à découvrir: ça le mérite...

Enfin, les polyglottes pourront voir qu'on parle aussi de ce procès dans El Pais et dans l'International Herald Tribune, où j'ai piqué la dernière photo de Mohamed Bourokba.

dimanche 28 septembre 2008

"L'homme a la bite en pointe."



Les psittacidologues, spécialiste des psittacidés, vous diront que la phrase contestable qui sert de titre à ce billet (et dont la présence va, je l'espère, gonfler mes statistiques de quelques égarés gougueulisés) ne saurait être correctement prononcée par "la voix aiguë, nasillarde et comme avinée" d'un perroquet.

A moins que.

A moins que ce perroquet ne se nomme Heidegger et ne soit le personnage chargé par Jean-Marie Blas de Roblès de prononcer l'incipit de son superbe roman "Là où les tigres sont chez eux" (éditions Zulma).

Le lecteur à l'esprit un peu tordu aura reconnu dans la distorsion des mots prononcés par un bec de perroquet, le célèbre vers d'Hölderlin, tant cité par le Heidegger "historique" et tant ressassé depuis: "L'homme habite en poète."

Ce perroquet nourri de graines diverses et de philosophie appartient à Eléazard von Wogau que l'on peut considérer comme le personnage central du roman.

Central mais bien décalé, Eléazard est un Français, correspondant de presse dans le Nordeste brésilien, qui travaille à l'établissement du texte d'une biographie récemment retrouvée du père Athanase Kircher. Eléazard peut être tenu pour un spécialiste de Kircher, ayant jadis commencé, puis jeté aux oubliettes, une thèse sur ce saugrenu révérend père jésuite, curieux personnage de l'âge baroque, qui a prétendu embrasser tous les savoirs de son temps, qui fut astronome, mathématicien, physicien, géologue, archéologue, égyptologue, sinologue, théologien, qui a cru déchiffrer les hiéroglyphes égyptiens et inventer une langue universelle, mais qui n'a laissé qu'un fatras de curiosités accumulées qui finirent par constituer le Musée Kircher dont les collections furent dispersées au milieu du XIXième siècle.

Le musée à l'époque de Kircher

Les différents chapitres de l'hagio-bio-graphie du père Kircher ponctuent le récit des aventures des nombreux personnages du roman qui suivent leur chemin dans un monde qui ressemble assez à celui où nous vivons. Entre ce texte ancien, un peu pesant et presque caricatural, et les histoires d'Eléazard, de sa future ex-épouse, de sa fille..., s'établissent des correspondances et des liens souterrains sur lesquels Jean-Marie Blas de Roblès se garde bien de s'apesantir, mais que le lecteur s'amuse à repérer...

Homme "sciatérique"
(A. Kircher, Mundus subterraneus, t. II, p. 427)


On pourrait (et on aimerait peut-être) croire que les fils de la fiction vont se tisser au final pour produire l'image rêvée de l'unité baroque, mais l'auteur nous a mené en bateau, un bateau qui ressemble à une arche de Noé (si chère à Athanase) qui aurait sombré, porteuse d'une "humanité incapable d'avoir une vision du monde dans lequel elle vit, sinon qu'elle court à sa perte, faute de repères, de point d'appui. Faute de réalité."

Personne ne se marrie et les enfants continueront de mourir dans les favelas.

Il s'agit bien d'un "dénouement" de la fiction, radical et au sens propre.


PS1: Jean-Marie Blas de Roblès a accompagné son livre d'un très précieux Index iconographique où l'on peut trouver des illustrations des ouvrages de Kircher, des précisions sur le Brésil et des renseignements sur les crus dégustés par les personnages... J'y ai puisé les deux images de ce billet (mais je n'ai pas pu repiquer la musique...)

PS2: Là où les tigres sont chez eux a reçu le prix du Roman Fnac 2008. Ce n'est pas une raison pour l'acheter à la fnac. Il y en a pas mal d'exemplaires tout frais à la librairie de l'Atelier, 2bis rue du Jourdain, métro Jourdain.

PS3: JM BdR sera l'invité de Tout arrive sur France-Culture, le 29/09. C'est bientôt... et vers midi, il me semble.

PS4: JM BdR sera aussi l'invité des coups de cœur de la rentrée littéraire d'Atout Livre, vendredi 10 octobre 2008, à 19h30, 203 bis avenue Daumesnil à Paris 12ième.

PS5: Inutile de préciser que j'ai placé ce livre dans la liste des "livres que je relirai sûrement"... (c'est une sorte de liste Goncourt intemporelle bien à moi).

samedi 27 septembre 2008

Des ponts... pas des murs...

La France et l’immigration choisie (3’20) par Stephane Hessel, diplomate, ambassadeur et ancien résistant français. Né allemand, il obtient la nationalité française en 1937. Il participa notamment à la rédaction de la Déclaration universelle des Droits de l’Homme de 1948.



Pendant que vous essayez de vous rassurer sur la crise financière en trouvant à votre banquier un air bien dégagé au dessus des oreilles, alors qu'il n'a qu'un air de banquier très banal, c'est à dire un peu faux cul du côté des rouflaquettes, les politiques d'immigration continuent à banaliser l'expulsion des humains et le saccage de leurs vies.

C'est pourquoi je copicolle ici cet appel déjà signé, au 26 septembre, par 272 organisations.

Accéder au site internet en cliquant sur l'image

Appel à la mobilisation

La France a fait du thème des migrations l’une des priorités de la présidence française de l’Union européenne du second semestre 2008.

Les 13 et 14 octobre, le conseil des ministres de l’Union européenne se réunit à Paris pour adopter un « pacte européen sur l’immigration et l’asile ». Par ailleurs, après une première réunion à Rabat en 2006, la deuxième conférence interministérielle euro-africaine en matière de migration et développement se déroulera à Paris les 20 et 21 octobre 2008.

La France entend proposer à ses homologues européens l’adoption d’accords de « gestion concertée des flux migratoires et de co-développement » comme modèle de négociation par lesquels d’une part, elle fait la promotion d’une immigration choisie, d’autre part, elle demande aux pays du Sud de réadmettre leurs ressortissants et ceux des pays tiers ayant transité sur leur territoire.

Préoccupés par le caractère essentiellement sécuritaire du traitement des flux migratoires, entraînant des milliers de morts, et par les choix économiques mis en oeuvre qui maintiennent le continent africain en marge du développement, les organisations signataires font appel à la mobilisation pour faire entendre la voix des sociétés civiles européennes et africaines.

Il est grand temps que la question des migrations et du développement soit réellement pensée sous l’angle des intérêts mutuels : ceux des pays d’origine, des pays de transit, des pays d’accueil et surtout, ceux des migrants eux-mêmes.

Nous voulons une autre Europe que celle qui se transforme en forteresse et met en oeuvre des moyens démesurés pour empêcher l’accès à son territoire et expulser les sans-papiers. Nous refusons la systématisation des centres de détention et de l’éloignement forcé.

Dans la continuité de la première conférence non gouvernementale euro-africaine « migration, liberté de circulation et droits fondamentaux »,

Les 17 et 18 octobre nous appelons à une mobilisation de grande ampleur à Paris, pour une autre conception de l’immigration et un autre rapport entre l’Union européenne, l’Afrique et le reste du monde. Nous tiendrons la deuxième conférence non gouvernementale euro-africaine, une grande manifestation pour une autre politique européenne et un concert géant.

Cliquez sur l'image pour accéder au programme du 17 octobre

Pour vous inscrire à la journée du vendredi 17, vous pouvez utiliser ce lien .

Vous n'avez pas besoin de mes conseils pour obtenir votre journée auprès de votre patron...

Quant au samedi 18, il n'est pas nécessaire de s'inscrire, mais il est indispensable d'y être.

Samedi 18 octobre à Paris :

Marche festive autour du slogan « Des ponts, pas des murs » : départ Place de la Bastille à 13h30

et grand concert gratuit en présence de nombreux artistes : Place de la République, de 16h à 22h

La programmation du concert sera dévoilée fin septembre.


D'autres informations (à lire, à écouter* ou à télécharger), sur lesquels je reviendrai sûrement, sont sur le site de la conférence (lequel site est cours d'évolution, alors soyez patient(e)s et futé(e)s...)

* comme l'intervention de S. Hessel, placée en exergue de ce billet.

vendredi 26 septembre 2008

Oui ou non au référendum



C'était une grande femme un peu osseuse, au visage peu souriant taillé au burin, avec une énorme sacoche de cuir épais qui semblait peser des tonnes. Sur sa mobylette elle parcourait les petites routes de ce plateau d'une platitude de plat pays où je suis né, pour y distribuer le courrier. On l'appelait la "factrice" et je ne lui ai jamais connu d'autre nom, ni de prénom.

Par elle me parvenaient les magazines auxquels j'étais abonné, les albums où je pouvais ranger les images du chocolat Suchard ou les timbres du chocolat Cémoi... Et pendant un été (entre la sixième et la cinquième), elle me transmit fidèlement les missives de ma correspondante anglaise, Pamela, championne de natation dont la précocité, quasiment palpable sur le portrait en buste qu'elle m'envoya, accompagna fantasmatiquement les préludes de mon adolescence.

On comprendra, à cette évocation, mon attachement très sentimental au service public de la Poste.

Autre évocation sentimentale.

D'autres raisons, moins sérieuses, m'amènent à penser, comme beaucoup de mes concitoyens, que "l'ouverture du capital" de la poste ressemble fort à un coup fourré menant à une privatisation.

Je ne suis pas encore guéri, malgré les récents brillants développements dans le domaine de la finance, de cette incoercible méfiance que je ressens devant tout ce qui ressemble, de près ou de loin, à une adaptation aux règles économiques de l'idéologie libérale... Et je crois qu'il me faudrait encore une cinquantaine d'année de pédagogie sarkoziste pour m'en sortir.



Bernard Thibault manifeste le 23 septembre dernier
contre l'ouverture du capital de la Poste.
(AFP PHOTO JACQUES DEMARTHON)


Bernard Thibault, lui non plus, n'est pas tout à fait guéri. Il vient de faire "sa rentrée" au Zénith (très occupé ces jours-ci), et on peut en lire un petit compte-rendu dans LeFigaro.fr, sous ce titre décoiffant: Thibault fustige la politique de Sarkozy.

"Devant 4 000 de ses «camarades» surexcités" (dixit Marc Landré, signataire de l'articulet), il serait allé "jusqu'à transformer le célèbre «travailler plus pour gagner plus» du candidat Sarkozy en «pour gagner plus, il faut lutter plus»".

Sur la fin, nous pouvons lire:

Au plan national, il entend également «livrer bataille» sur plusieurs fronts. Celui du pouvoir d'achat en proposant «de porter immédiatement le smic à 1 600 euros par mois», sans préciser en net ou en brut, et en réclamant une nouvelle fois «une augmentation des salaires». Celui contre l'ouverture de capital de La Poste, sujet sur lequel il réclame «un vaste débat public qui pourrait se conclure par un référendum».

Chouette! Un référendum!

Cette idée de référendum sur l'avenir de la Poste semble titiller beaucoup de monde... J'ai même entendu Ségolène Royal en parler ce matin avec Nicolas Demorand...

Il est vrai qu'au vu du sondage CSA* publié par l'Humanité mardi dernier, cela semble dans la poche.

Oui, mais...

J'ai l'impression qu'autour de cette idée, on discute tellement que bientôt il va falloir pétitionner pour organiser un référendum dont la question sera "Faut-il envisager de faire une pétition pour demander un référendum sur l'avenir de la Poste ?"

On a été tous bien élevés, comme en mon village relié au monde par une inamovible factrice, où les vieux se penchaient, sourcil froncé, sur les mouflets contestataires pour leur dire: "c'est pas beau de dire non..."

Art postal par C. Gasarian


* Les résultats sont ainsi résumés par l'AFP:

Six Français sur dix disent ne pas être favorables à un changement de statut de La Poste, selon un sondage CSA publié par l'Humanité mardi, jour d'une grève des postiers à l'appel de cinq syndicats contre la transformation de l'entreprise publique en société anonyme dès 2010.

Selon cette enquête, 61% des personnes interrogées se déclarent "pas favorable" au changement de statut (21% plutôt pas et 40% pas du tout). A l'inverse, 29% y sont "favorables" (21% plutôt et 8% tout à fait). 10% ne se prononcent pas.

(...)

Enfin, si un référendum était organisé sur le statut de la Poste, 61% des personnes qui se prononceraient, voteraient "non" contre 39% qui voteraient "oui". Mais 53% des personnes interrogées s'abstiendraient ou voteraient blanc ou nul.

Ce sondage a été réalisé par téléphone les 17 et 18 septembre auprès d'un échantillon représentatif de 853 personnes âgées de 18 ans et plus constitué d'après la méthode des quotas.

jeudi 25 septembre 2008

Billet inactuel



A vivre dans un pays où un honorable éditeur croit faire événement en annonçant un livre de dialogues entre un pitre et un histrion, on aurait tendance à oublier qu'assez loin de ces claouneries mercantiles existent d'authentiques philosophes qui travaillent, écrivent, parlent, enseignent et dialoguent.

L'italien Giorgio Agamben fait partie de ces gens-là.

Son œuvre est d'une exigence philosophique qui me dépasse de beaucoup (que voulez-vous, j'entends très mal l'heideggerien qu'Agamben parle en virtuose...), mais je me soigne en la lisant (et surtout en la relisant).

Parmi les raisons qui expliquent mes efforts désespérés, je citerai la certitude qu'a quelque intérêt la pensée d'un homme qui, en renonçant à ses cours aux Etats-Unis, a écrit:

Les journaux ne laissent aucun doute: qui voudra désormais se rendre aux Etats-Unis avec un visa sera fiché et devra laisser ses empreintes digitales en entrant dans le pays. Personnellement, je n’ai aucune intention de me soumettre à de telles procédures, et c’est pourquoi j’ai annulé sans attendre le cours que je devais faire en mars à l’université de New-York.

(...)

Le tatouage biopolitique que nous imposent maintenant les Etats-Unis pour pénétrer sur leur territoire pourrait bien être le signe avant-coureur de ce que l’on nous demanderait plus tard d’accepter comme l’inscription normale de l’identité du bon citoyen dans les mécanismes et les engrenages de l’Etat.

C’est pourquoi il faut s’y opposer.


(On peut trouver le texte complet en ligne à cette adresse.)

Paradigme de tatouage biopolitique.

Vient de paraître un tout petit livre de Giorgio Agamben, intitulé Qu'est-ce que le contemporain ? (traduit par Maxime Rovere, Rivages poche)

Cette trentaine de pages reprend l'ouverture d'un séminaire tenu en 2005-2006 à l'université IUAV de Venise, où il enseigne.

Si monsieur Payot-Rivages-Poche m'en veut d'en citer des passages, il n'a qu'à publier du Bernard-Henri Lévy croisé avec Michel Houellebecq, il sera tranquille...

Incipit:

La question que je voudrais inscrire au seuil de ce séminaire est la suivante: « De qui et de quoi sommes-nous les contemporains? Et avant tout, qu'est-ce cela signifie, être contemporains? »

Première indication, faisant allusions aux Considérations inactuelles de Nietzsche:

Nietzsche situe par là sa prétention à l' « actualité », sa « contemporanéité » vis-à-vis du présent, dans une certaine disconvenance, un certain déphasage. Celui qui appartient véritablement à son époque, le vrai contemporain, est celui qui ne coïncide pas parfaitement avec lui ni n'adhère à ses prétentions, et se définit, en ce sens, comme inactuel; mais précisément par cet écart et cet anachronisme, il est plus apte que les autres à percevoir et à saisir son temps.

(...)


La contemporanéité est donc une singulière relation avec son propre temps, auquel on adhère tout en prenant ses distances; elle est très précisément la relation au temps qui adhère à lui par le déphasage et l'anachronisme.


Après avoir cité et commenté Le siècle, poème d'Ossip Mandelstam (également cher à Alain Badiou):

Le poète – le contemporain – doit fixer le regard sur son temps. Mais que voit-il, celui qui voit son temps, le sourire fou de son siècle? Je voudrais maintenant proposer une seconde définition de la contemporanéité: le contemporain est celui qui fixe le regard sur son temps pour en percevoir non les lumières, mais l'obscurité. Tous les temps sont obscurs pour ceux qui en éprouvent la contemporanéité. Le contemporain est donc celui qui sait voir cette obscurité, qui est en mesure d'écrire en trempant la plume dans les ténèbres du présent.

Selon les neuro-physiologistes, la perception de l'obscurité est le résultat de l'activité de cellules particulières de la rétine, les off-cells:

(...) Cela signifie, pour rejoindre maintenant notre thèse sur l'obscurité de la contemporanéité, que percevoir cette obscurité n'est pas une forme d'inertie ou de passivité: cela suppose une activité et une capacité particulières, (...)

(...)

(...) Avec ceci, nous n'avons pas encore tout à fait répondu à notre question. Pourquoi le fait de réussir à percevoir les ténèbres qui émanent de l'époque devrait-il nous intéresser? L'obscurité serait-elle autre chose qu'une expérience anonyme et par définition impénétrable, quelque chose qui n'est pas dirigé vers nous et qui, par là même, ne nous regarde pas? Au contraire, le contemporain est celui qui perçoit l'obscurité de son temps comme une affaire qui le regarde (...). Contemporain est celui qui reçoit en plein visage le faisceau de ténèbres qui provient de son temps.

Giorgio Agamben

C'est cette dernière phrase, vers laquelle conduisent les citations que j'ai choisies, que vous trouverez en quatrième de couverture de ce petit livre.

Vous pouvez l'avaler en entier debout dans une librairie de grande distribution.

Ce serait pourtant dommage de ne pas le déguster.

PS: De Giorgio Agamben, les éditions du Seuil viennent de faire paraître Le règne et la Gloire, Homo Sacer, II, 2, sous-titré Pour une généalogie théologique de l'économie et du gouvernement.

mercredi 24 septembre 2008

Romances contemporaines

Jean est un jeune homme de 22 ans. Il vient d'épouser Jessica.

«C'était très touchant», raconte une amie de Jessica, qui la connaît «depuis l'âge de 8 ans». Et de poursuivre: «Jessica a versé une petite larme, Jean était lui aussi très ému».

Le père de Jean a adressé au couple un message «très émouvant», selon une camarade de classe de Jessica. «Il a dit qu'il était très content que Jessica fasse partie de la famille. Il a également expliqué que c'était une femme très courageuse. Et que ce n'était pas parce qu'elle ne parlait pas beaucoup qu'elle n'en faisait pas moins.»

A la question de savoir où va se dérouler la suite des festivités, plusieurs invités indiquent que la soirée aura lieu dans les Yvelines. Mais globalement, ils se montrent très discrets, comme s'ils avaient reçu des consignes.

(d'après un compte -rendu de Valérie Zoydo pour 20minutes.fr)


Karim est un jeune homme de 22 ans. Il devait épouser Hélène le 20 septembre.

Son histoire n'a pas touché grand monde chez les pipoles. On l'a sorti du centre de rétention administrative du Mesnil Amelot, au matin du 21, pour le placer dans un avion partant pour Tunis. Je suppose que Karim a été « ému »...

Quant aux larmes d'Hélène, seuls ses amis proches peuvent en parler.

J'imagine qu'Hélène est une jeune femme courageuse et que, si elle ne parle pas beaucoup, c'est qu'elle est au bord de quelque chose de noir.

Mais je souhaite qu'un jour, pas trop lointain, Hélène et Karim seront à nouveau ensemble et pourront décider de leur vie.

Pour leurs amis*, ce jour-là sera le jour d'une fête secrète.


* Ils ne manquent pas d'amis... et vous pouvez les rejoindre en signant la pétition.

mardi 23 septembre 2008

Silence



Le Charançon libéré, qui n'a pas ses antennes dans sa poche, nous apprenait hier que la Fondation Elie Wiesel allait attribuer à monsieur Nicolas Sarkozy "The Humanitarian Award" qui récompense "des êtres exceptionnels qui ont consacré leur vie à combattre l’indifférence, l’intolérance et l’injustice".

Soit.

Rigolons pas!
Quoique...

Je ne doute pas que si l'on demandait à cet éminent spécialiste, désormais reconnu, son avis sur les activités de la Cimade, sa réponse soulignerait le côté "remarquable" de cette action...

Mais, ajouterait sans doute ce grand humaniste, il faut reconnaitre que la Cimade ne peut être partout et tout faire, car la mise en place de notre politique de gestion humanitaire des flux migratoires entraine une grandiose extension des besoins dans les centres de rétention administrative. Il motiverait ainsi la nécessité d'ouvrir l'offre à d'autres associations ou d'autres "personnes morales" ( comme par exemple des cabinets d’avocats) pour remplir cette "mission d'information, en vue de l'exercice de leurs droits, des étrangers maintenus dans les centres de rétention administrative".

Mission que, jusque là, la Cimade assurait de manière "remarquable".

Conclurait-il.

Mais surtout n'attendez pas qu'il dise qu'on peut trouver en haut lieu la Cimade un peu trop "bavarde" et écoutée, et qu'on profitera de cet appel d'offre pour exiger des associations et des "personnes morales" admises dans les CRA plus de neutralité et de confidentialité...

Beaucoup plus.

Au point qu'il ne restera plus qu'à se taire.

Invité par Nicolas Demorand dans son émission du 8 septembre 2008, le cauchemardesque Brice Hortefeux, qui s'occupe bien sûr de ce dossier, s'est vu demander: "les associations n’auront plus le droit de faire des rapports du type de celui de la Cimade ?" Il a répondu: "ça, on le verra dans l’attribution."

Pour l'instant, cette réduction au silence d'associations dont le témoignage est précieux n'a pas fait grand bruit dans les médias...



Note:

Vous pouvez consulter un article de Rue89, par Caroline Fleuriot, étudiante en journalisme, paru le 21/09/2008.

Et vous reporter aux communiqués de la Cimade, du GISTI et de RESF.

lundi 22 septembre 2008

Pour Hélène et Abdelkarim

Au nord, les nuages sont si hauts que le ciel est d'un gris presque bleu.

On se réveille ni plus ni moins guilleret que d'habitude.

On lit ceci:

La mobilisation n’aura malheureusement pas suffit cette fois-ci : Abdelkarim a été tiré de son lit très, très tôt ce matin (5h30), et est parti par le vol AF1984 ( !!) de 8h40 pour Tunis.
Je laisse Olivier vous relater la suite…

Deux choses sont sûres. La première, c’est que l’ignominie s’est encore élevée d’un cran ces derniers temps (le cas d’Abdelkarim n’est malheureusement pas unique, vous devez bien vous en douter). La deuxième : ON CONTINUE ! (*)

Alors on pense à ces deux gamins qui se réinventaient dans la nuit les "galaxies de l'amour instantané"...

Et l'on se sent soudain "comme un cheval fourbu".

Il y a ces mots, auxquels on se raccroche, à contre sens parfois, ces mots du vieux Ferré, qui savait si bien les balancer. Comme des pavés.

Mais on est vide. On se sent vieux et lourd...

On voudrait trouver des mots comme il les trouvait, le vieux Léo, non pas des mots qui geignent et qui pleurnichent, mais des mots qui serrent les poings, des mots qui hurlent la rage, des mots qui gueulent à la gueule des chiens.

A la gueule des chiens.

Car aujourd'hui, c'est sûr, on vit dans un monde de chiens.


**********************

Note:

(*) Commentaire de Dorémi (que je salue), à la suite du billet d'Olivier Bonnet sur l'expulsion imminente d'Abdelkarim.

Abdelkarim a été expulsé le 21 septembre au matin, alors qu'il aurait dû se marier avec Hélène le 20 septembre.

Voici un résumé de sa situation:

Abdelkarim est entré régulièrement en France le 11/08/2001 à l’âge de 15 ans pour rejoindre son père, et poursuivre sa scolarité, muni d’un visa.

Son père Saïd Ben Yahia BEL HADJ, né le 3/11/1951, est entré en France en février 1973 (il y a 35 ans !), Carte de Résident n° 750019405, valable jusqu'en 2016.
Il a à Paris de nombreux oncles et cousins avec carte de séjour ou français, qui ont parfois fait toute leur vie en France.
Son père avait formulé une demande de regroupement familial sur place en 2002 pour Abdelkarim mais cette demande a été refusée le 8/09/2003.
En 2004, dès sa majorité, Abdelkarim a fait une demande de titre étudiant auprès de la PP mais n’a pas eu de réponse.
Récemment, il s’est présenté à la PP (Cité) pour une nouvelle demande au titre de la vie privée et familiale, on lui a dit de prendre un RV au CRE de Truffaut où sa demande n’a pas été enregistrée car il lui manquait le refus de la demande de regroupement familial sur place et des actes de naissances récents . Il attendait d’avoir reçu les actes de naissance pour y retourner : il les a maintenant, mais quelques jours après, il était interpellé.

Comme en attestent toutes ces démarches, il a toujours eu pour volonté de régulariser sa situation.

Il y a 18 mois, il a rencontré une jeune femme française, Hélène, infirmière.
Depuis qu’elle a eu une mutation à l’hôpital de Monfort l’Amaury, en gériâtrie, ils vivent ensemble dans son logement de fonction.
Ils ont le projet de se marier, Abdelkarim en a fait la demande le 8 août 2008 au service de l’état civil de l’Hôtel de Ville de Montfort l’Amaury (qui en a gardé trace). On leur a remis le guide pratique du mariage et ils attendaient des extraits de naissance de Tunisie (arrivés depuis) pour constituer le dossier du mariage (annoncé à leurs amis le 20 septembre).

Son parcours scolaire est exemplaire, comme en témoignent plusieurs enseignants et personnels vie scolaire qui avaient gardé le contact avec lui, et qui le soutiennent activement.
Depuis son arrivée en France, il a été scolarisé :

- en 3è au collège César Franck (2°)

- 2 ans en BEP "comptabilité"au lycée professionnel Théophile Gautier (12°) – obtention du BEP

- en 1è et terminale pro en comptabilité au lycée François Truffaut, il a obtenu un certificat d’études secondaires pour pouvoir s’inscrire en BTS "DPECF" (comptabilité).

- 2006-2007 1è année de BTS en alternance effectué dans une agence immobilière qui est prête à l’employer en CDI une fois ses études terminées. Il a une promesse d’embauche de cette agence.

- 2007-2008 n’a pas pu finir la 2è année en raison de sa situation administrative (impossibilité de faire le stage demandé sans permis de séjour – il peut poursuivre son BTS s’il est régularisé.)

(Extrait de la pétition de RESF datée du 30/08/08)

On peut toujours signer la pétition en ligne: allez voir à cette adresse.

dimanche 21 septembre 2008

Des vies à l'ombre des murs



Nous savons bien que c'est à l'ombre des murs des prisons que s'épanouissent, dans notre société, les figures les plus nettement dessinées de l'intolérable, mais nous oublions trop souvent que l'ombre s'étend de chaque côté de ces murs et vient recouvrir aussi les proches des personnes détenues.

Je crois bien que la majorité des braves gens qui ont attrapé dès le berceau la bonne conscience s'accommode fort bien de voir "ces gens-là" raser les murs de la prison pour rejoindre le parloir... Mais je ne partage que rarement l'opinion des braves gens, et je me réjouis d'apprendre la naissance d'une association, l'ARPPI, dont voici le premier communiqué (trouvé sur l'En-dehors):

Association pour le respect des proches de personnes incarcérées

Notre association est née à l'initiative de quelques proches de personnes détenues.

Nous en avons assez des humiliations quotidiennes de l'Administration pénitentiaire lors des parloirs, lors des prises de rendez-vous, des attentes interminables au téléphone qu'elle nous impose, des menaces, des parloirs insalubres, des insultes, des brimades en tout genre, mais aussi du système judiciaire qui n'est qu'une machine à broyer.

Nous en avons aussi assez d'un système qui nous isole les uns des autres, nous cloisonne, nous dissocie et surtout nous désolidarise.

Nous avons décidé de faire respecter nos droits, notre dignité en nous soutenant moralement et juridiquement, mais aussi en luttant tous ensemble contre l'offensive sécuritaire : transferts abusifs, omerta carcérale, condamnation de familles entières, rétention de sûreté, allongement des peines, difficultés d'obtenir des permissions de sorties ou des libérations conditionnelles, etc.

Nous appelons à cette assemblée générale afin de se rencontrer, de discuter et de s'organiser.

Les regroupements, les associations, la camaraderie, sur les terres de la solidarité pourraient voir fleurir des révoltes devant toutes les prisons de France et les libertés germer, pousser sur le terreau de la fraternité. Pour cela, refusons la fatalité carcérale !

Cette assemblée générale aura lieu le jeudi 16 octobre à 19 heures, au CICP, 21ter rue Voltaire, dans le onzième arrondissement de Paris, au métro Rue des Boulets.

L'ARPPI possède un site internet, où vous pourrez trouver des compléments et des témoignages.

Porte de prison, selon Lego (boite 7744)

Des témoignages, Gwénola Ricordeau (dont j'ai déjà parlé ici) a dû en recueillir et transcrire et analyser une centaine pour son travail de thésarde en sociologie. Ce travail s'est achevé avec succès par la soutenance de sa thèse de doctorat, intitulée "Les relations familiales à l'épreuve de l'incarcération. Solidarités et sentiments à l'ombre des murs", en 2005, à l'Université de le Sorbonne Paris IV.

De cette thèse, elle a tiré un livre, intitulé "Les détenus et leurs proches. Solidarités et sentiments à l'ombre des murs", qui est paru en avril aux éditions Autrement. Je ne sais pas trop ce qu'elle a élagué dans l'appareil un peu lourdingue d'un travail universitaire, mais elle propose là un livre très accessible à monsieur et madame Toutunchacun.

Et dont la lecture pourra leur faire beaucoup de bien.


On examine d'abord par quels moyens peuvent être maintenus les contacts entre les détenus et leurs proches: visites (un chapitre est consacré au parloir), courrier, téléphones, colis... Les contraintes qui pèsent sur ces médias ne sont pas éludés. On apprend, par exemple que les visiteurs passent en général moins de temps avec le détenu qu'en contrôles et fouilles exigés par l'administration pénitentiaire... Les chapitres suivants étudient comment se distendent les liens, s'érodent les sentiments, comment se créent d'autre liens, apparaissent d'autres solidarités. Un chapitre est consacré à poser clairement le problème de la sexualité en prison. Enfin vient la question de "l'après".

Parloir à la maison d’arrêt de Metz de femmes en 1990
1990 © Jane Evelyn Atwood

La force du livre de Gwénola Ricordeau réside peut-être dans ce que l'on pourrait le plus critiquer: l'implication personnelle de l'auteure, à la fois chercheuse en sociologie et militante proche d'amis détenus.

La sociologue dresse un constat, distancié, étayé de nombreuses citations d'entretiens et de renvois à d'autres études, mais elle ne joue pas le jeu (ou la comédie) illusoire de l'objectivité "scientifique". Comme on disait dans ma jeunesse: elle dit d'où elle parle.

Et ce n'est pas moi qui vais lui reprocher.


PS: J'ai lu ce livre vers la fin juin, mais en ai relu des passages un mois plus tard, en ayant en tête cette question: Face à l'épreuve de la prison qui entame leur vie, comment font certains pour rester fidèles à eux-mêmes ?

Je me demande si, au fond, ce n'est pas cette fidélité à soi, assumée, qui me touche le plus dans l'entreprise de Gwénola Ricordeau.

samedi 20 septembre 2008

CQFD: Ce qu'il faut défendre




Le 17 juillet, je vous disais que les ami(e)s de CQFD m'avaient expédié une lettre me menaçant de m'envoyer un authentique pavé de Mai 68, made in China, dans la gueule (je cite), si je ne me réabonnais pas.

Or j'ai totalement oublié de leur faire parvenir mon chèque d'abonnement et de soutien. D'habitude, je paye le montant de deux abonnements et ils en servent un à mon adresse et l'autre, ils le mangent, le boivent ou l'envoient à qui ils veulent, je leur fais confiance...

Malgré leurs menaces, je n'ai pas reçu de pavé dans la tronche ce matin, mais le numéro 59 de septembre 2008, avec un rappel du genre: sûrement un simple oubli.

Sont sympas, à CQFD. Et pas violents, voyez.

Et en plus d'être sympas, ils ont le talent et la gniaque. Tout ce qu'il faut pour faire un vrai journal de critique sociale réellement indépendant.

C'est pour cela qu'il faut les défendre.

Et cela devient urgent, voici ce qu'on trouve en dernière page, et sur leur site:

L’ABONNEMENT OU L’ABANDON

Après cinq ans de critique sociale acharnée, les joyeux galériens de CQFD ont atteint les limites de l’abnégation. Maintenant, faut du pognon ! Sans banque ni pub, une seule solution : 2 000 abonnés supplémentaires.

FLÛTE, Y A PLUS DE BIÈRE… Fin août, nous débarquons dans les locaux du journal la tête pleine du souvenir du sable qui nous chatouille encore les arpions, nous ouvrons le frigo et… y a plus de bière. À peine un fragment de fromage fossilisé datant, à vue de nez, du bouclage de juillet. C’est la rentrée, il faut aller fissa au ravitaillement et p’têt’ bien racheter un frigo propre. Nous jetons un oeil sur le courrier accumulé : quelques réabonnements, des factures, un relevé de compte… Nous ouvrons la missive de La Poste d’un air faussement détaché pour découvrir, horreur, que le chiffre en bas à droite est presque aussi sec que nos gosiers !

C’est la mousse qui fait déborder le vase. Dans ce foutu canard, nous n’avons pas un seul vrai salarié, la cheville ouvrière empoche à peine quelques cacahuètes occasionnelles, nous nous usons sur des écrans aussi efficaces qu’une séance d’UV pour te griller les mirettes, nous peignons des cages d’escalier pour épargner nos finances, les dessinateurs gribouillent pour la gloire, les rédacteurs collectionnent les queues de cerise, et y a pas un kopeck pour acheter un pack !

CQFD, nous le tenons à bout de bras – et de foie – depuis plus de cinq ans. Onze mois par an à faire vivre ce journal avec les moyens du bord, soit un peu de votre oseille et beaucoup de notre huile de coude. Comme dit le Méhu à chaque fois qu’il se radine pour siroter un canon en nous regardant trimer : « J’ai jamais vu des chômeurs bosser autant ! » Seulement voilà… Depuis quelques mois, quand l’un d’entre nous évoque un éventuel sabordage, plus personne ne répond: « Arrête tes conneries ! Passe-moi plutôt l’clacos pour finir mon godet… »

Pourtant, les raisons qui nous ont poussés à créer CQFD sont toujours d’actualité. En 2003, les bandits au pouvoir n’étaient pas vraiment complexés et leurs opposants les plus en vue aussi exaltants que des endives pataugeant dans la béchamel. Cinq ans plus tard, il est vital de continuer à se serrer les coudes. Notre chien rouge désire rester une erreur dans leur système comptable, à ronger le trognon de la droite bling-bling comme de la gauche en toc, gronder au mollet des fanatiques du boulot et des hallucinés de la négociation bidon, sans oublier de courser la bave aux lèvres les faux impertinents et les rebelles de plateaux télé… Mais plus dans les mêmes conditions.

Vous êtes cinq mille à acheter CQFD, dont deux mille abonnés. Nous savons pertinemment que vous ne rechignez pas à gonfler vos chèques de quelques euros de soutien. Nous savons aussi qu’autocollants et affiches ornent les murs de vos contrées. Nous vous remercions chaleureusement de votre complicité, sans laquelle nous n’aurions pu tenir.

Mais si vous souhaitez que l’aventure mensuelle se poursuive, il est impératif que vous soyez deux fois plus nombreux à acheter ce canard. Nous devons engranger de toute urgence deux mille abonnés supplémentaires. Attention, il ne s’agit pas de convertir les ventes en kiosque en abonnement, mais bien de dégoter deux mille nouveaux lecteurs d’ici novembre. Alors débrouillez-vous, cessez de faire circuler votre CQFD, usez de persuasion, de vos charmes, de menaces,mais obligez vos mémés, voisines, amis et ennemis à glisser une piécette dans la gamelle du clebs rouge.

Il a soif.

L’équipe de CQFD

Article publié dans CQFD n°59, septembre 2008.


PS: Ne croyez pas que je radote, je sais bien que j'ai déjà mis un mot là-dessus mercredi dernier. Aujourd'hui, c'est la deuxième couche.

Vous pouvez aussi visiter Sébastien Fontenelle, Olivier Bonnet, Porteporte , Lucide et JR... qui relaient l'appel de CQFD.


vendredi 19 septembre 2008

Vilains canards à la Tour d'Argent




Nous voilà rassurés, les vilains canards non numérotés, car sans papiers, qui se prélassaient avec leurs soutiens cégétistes dans les salons de la Tour d'Argent, ont été évacués hier matin.

Le point de départ de cette affaire est ainsi résumé dans LeMonde.fr:

Cinq mois après le lancement de leur mouvement, les travailleurs sans papiers continuent de se faire entendre. Mercredi 17 septembre, à 10 heures, une trentaine d'entre eux ont investi le prestigieux restaurant parisien de La Tour d'argent pour soutenir la demande de régularisation de leurs cinq camarades qui y sont salariés. (...) Avec cette nouvelle opération touchant un lieu de prestige, la CGT veut lancer un avertissement contre les "tergiversations du gouvernement et du patronat". "Le gouvernement refuse toujours d'établir des critères clairs. D'une préfecture à une autre, on continue d'avoir un traitement différent des dossiers de salariés d'une même entreprise", constate Raymond Chauveau, secrétaire général de l'Union locale CGT de Massy, à l'origine du mouvement. Se pose ainsi la question des intérimaires. "Nombreux sont ceux qui, sous ce statut, travaillent de façon quasi permanente pour la même entreprise, et ce parfois depuis plusieurs années", insiste le syndicaliste. (signé Laetitia Van Eeckhout)

De cette occupation, LeMonde a tiré un portfolio dont je tire cette image de Bertrand Guay (AFP):


D'après FranceSoir.fr:

André, le fils du regretté Claude Terrail, « le seigneur de la tour », nous a précisé que cette occupation s’est déroulée sans dégradation, dans le calme. Le sitting qui se poursuivait dans l’après-midi est resté limité au hall d’entrée du restaurant, les clients pouvant rejoindre la salle à manger située au dernier étage de la tour avec sa vue imprenable sur celles de Notre-Dame. Comme d’habitude, le service s’est parfaitement déroulé. Surpris et amusés de nombreux touristes ont pensé qu’il s’agissait d’une mise en scène cinématographique et après leur avoir fourni des explications, ils ont trouvés cette situation typiquement française. En fin de journée le service du dîner semblait devoir se dérouler normalement. Les responsables de la CGT n’ont cependant pas précisé combien bien de temps ils allaient occuper ce temple prestigieux de la gastronomie française mondialement reconnu et apprécié.

Les touristes ont bien fait d'en profiter au soir du 17, car au matin du 18 on apprenait que la direction avait fait expulser les occupants. Selon 20minutes.fr (avec agence):

«Les sept salariés grévistes ont été expulsés manu militari par la direction entre 08h et 09h du local qu'ils occupaient à l'intérieur du restaurant», a déclaré à l'AFP Francine Blanche, secrétaire confédérale de la CGT, qui coordonne un mouvement de grève de salariés sans papiers en Ile-de-France. «Des coups ont été portés à certains salariés», a-t-elle ajouté. Selon une source proche du dossier, un employé du restaurant ayant participé à l'évacuation a déposé une plainte pour violence volontaire contre un sans-papiers, qui a lui-même déposé une main courante pour avoir été molesté. La direction a confirmé l'évacuation des lieux, mais démenti les accusations de violence. «Cela s'est passé très calmement. On est allé voir les grévistes, en présence d'un commissaire de police, et au bout de longues palabres, on a décidé qu'il était temps de libérer les lieux. Les grévistes ont compris notre démarche, il était important que l'accueil de la clientèle soit préservé», a indiqué le propriétaire de l'établissement André Terrail.

Le même André Terrail se voit attribuer, sur Europe1.fr, cette précision:

"Sur la sortie, il y a eu une bousculade entre un employé et un gréviste, qui a entraîné une morsure assez forte d'un des employés, qui a porté plainte (…) Mais il n'y a absolument pas eu de main levée, ni de coups portés. On a des vidéos", a indiqué de son côté le propriétaire de l'établissement André Terrail.

On le comprend, monsieur André Terrail, fils de Claude, lui-même fils d'André qui avait acheté l'établissement en 1911, ce n'est pas possible de laisser profaner le temple de la gastronomie française. Etre propriétaire d'un établissement comme la Tour d'Argent, c'est un peu être le grand larbin en chef, le grand ordonnateur de la servilité devant les friqués qui viennent s'offrir le folklore du célébrissime "canard Tour d'Argent", mis en scène par Frédéric Delair en 1890.

Frédéric Delair préparant son canard.

Je ne suis pas spécialement nationaliste normand, ni particulièrement fier de ma normanditude, mais ce fameux canard, savez-vous, que l'on peut appeler "canard au sang", "canard pressé" ou même "canard à la rouennaise", je me demande s'il ne serait pas né beaucoup plus en aval sur les bords de la Seine.

Une de mes tantes, celle qui en avait (de la moustache, je précise), préparait un canard, qu'elle avait au préalable étouffé sous son pied, d'une manière assez proche, mais sans tous les chichis prétendument rituels de la Tour d'Argent. Elle faisait aussi une sauce utilisant le sang de la bête, le foie écrasé et une giclée de gnôle, le tout additionné des sueurs de la carcasse grossièrement pressée après découpage. Or ma pauvre tante n'avait pour livre de cuisine que sa mémoire... et n'avait mis les pieds à la Tour d'Argent.

Elle utilisait un canard de Rouen, mais on admettait que le meilleur canard pour cette recette était celui de Duclair, dont la race est née des croisements de canes domestiques avec des canards de passage...

Une presse à carcasse de canard,
comme à la Tour d'Argent.


Comme on dit par chez moi, l'expulseur peut toujours se rengorger, les "canards Tour d'Argent", moi, je les ai connus vivants.

jeudi 18 septembre 2008

Trois gardes à vue et deux communiqués

Se déclarer antifasciste, en 2008 (vous vous rendez compte!), ça semble terriblement dépassé, menfin quouâ ! Essayez d'en parler autour de vous. On vous citera volontiers, avec un amical clin d'œil culturel, "le ventre encore fécond d'où est sortie la bête immonde", en l'attribuant à André Malraux ou Romain Rolland, et l'on vous signalera, avec superbe, que l'histoire ne revient pas en arrière et que, depuis la chute du Mur, la démocratie a triomphé. Partout.

C'est un peu comme se déclarer féministe… C'est peut-être piquant, mais d'un désuet! (Là-dessus, allez lire Mademoiselle en ce billet, c'est parfait.)

Pour citer un communiqué récent, sur lequel je reviendrai, disons que "l’antifascisme est une lutte qui se mène sur deux fronts: contre les mouvements d’extrême droite et néofascistes, mais aussi contre l’Etat qui, même s’il n’est pas fasciste, ne s’est jamais privé d’instrumentaliser le fascisme ou d’emprunter ses techniques pour assurer la stabilité de l’ordre social."

Ces mouvements d'extrême droite, dont vous pourrez renifler les suaves fragrances ici ou ou encore (ces trois exemples devraient suffire…), aiment à commémorer, le 9 mai , la mort de Sébastien Deyzieu, un jeune militant proche de l’ancien Groupe union défense (GUD), qui, poursuivi par la police, avait accidentellement glissé d’un toit, lors d’une manifestation interdite «contre l’impérialisme américain» en 1994. Ce traditionnel défilé-parade, avec cagoules, manches de pioche, drapeaux noirs ornés de croix celtiques, chant des lansquenets, etc. a été interdit cette année par la préfecture de Paris. (Bertrand Delanoë, maire, avait adressé au préfet une lettre demandant l'interdiction de ce rassemblement.)

Une contre manifestation est organisée, à la même date, par les groupes antifascistes. Cette année, elle se proposait d'attirer l'attention sur les antifascistes russes (il y en a, vous pourrez trouver des renseignements sur leurs aventures ici)

Voici quelques images de cette réunion (attention, la musique est du punk russe, c'est comme la vodka, ça décape!)



Il va sans dire que celui (ou celle) qui voudrait distinguer ma silhouette floutée dans cette petite foule, ne la trouvera pas: je ne fréquente plus ces sympathiques réunions depuis que j'ai perdu, au cours du siècle dernier, la légendaire pointe de vitesse qui me permettait de compenser la ténuité des os de ma boite crânienne sous la matraque ou le manche de pioche... Mais je crois me souvenir qu'au temps jadis, il y a des lustres, on pouvait, exceptionnellement, trouver une certaine analogie entre les pratiques des représentants de l'ordre républicain et celles des partisans de l'ordre prétendu nouveau.

Photo de mai 68, trouvée sur ResistanceS.be


Or donc vouala, il se trouve que j'ai eu connaissance de ceci:

Le mardi 2 septembre à 6h20, quatre policiers entrent au domicile d'un étudiant de 19 ans, l'arrêtent devant sa famille, après avoir fouillé sa chambre, et le maintiennent 36 heures en garde à vue.

Le mercredi 3 septembre, une jeune étudiante est convoquée, interrogée,
puis convoquée à nouveau le lendemain.

Le même jour, à 19h00, huit policiers pénètrent chez un enseignant, l'arrêtent devant sa compagne et ses deux enfants, réalisent une perquisition du domicile, et l'embarquent pour une garde à vue de 24 heures qui lui fait rater la rentrée des classes.

Leur crime ? Etre soupçonnés d'avoir participé à des actions antifascistes (diffusion de tracts, graffitis…), en mai dernier, visant à l'annulation d'un meeting des Identitaires, groupe néo-fasciste connu pour sa violence et né sur les cendres d'Unité radicale, organisation interdite en 2002.

Ces arrestations ne sont que les dernières en date d'une trop longue série
: depuis quelques années, chaque mouvement social fait l'objet d'une répression féroce et toute tentative de désobéissance civile finit devant les tribunaux. Plus généralement, le traitement pénal, policier et carcéral des tensions sociales devient peu à peu la norme.

Il est temps que nous reconnaissions collectivement qu'il s'agit là d'une
dangereuse dérive, attentatoire aux libertés publiques et à l'Etat de droit, et que nous réagissions. La criminalisation de la contestation politique est inacceptable et incompatible avec le bon exercice de la démocratie.

Nous demandons donc l'arrêt immédiat des tentatives policières
d'intimidation des militants antifascistes, et la reconnaissance pleine et entière du droit à la résistance, à la contestation et à la revendication.

Les premiers signataires sont: SCALP-REFLEX, SRA (Solidarité Résistance Antifasciste), CNT (Confédération Nationale du Travail), CNT 87, OLP (Observatoire des Libertés Publiques), AL (Alternative Libertaire), Fédération Anarchiste, SCALP 87, Sud Education.

Vous pourrez trouver un autre communiqué, moins informatif et d'un ton plus politique, d'où j'ai extrait ma première citation sur l'antifascisme, sur le site du réseau No Pasaran.

J'en copicolle ce morceau:

(...)

Les faits incriminés ne peuvent en rien expliquer ce déploiement de force policier.

Ils sont mineurs (diffusion de tracts, graffitis...), sans commune mesure avec la mise en l’œuvre de lourds moyens policiers (mobilisation de nombreux fonctionnaires, ainsi que de technologies de repérage des téléphones portables et d’Internet).

L’essentiel est ailleurs, comme dans la répression qui s’est abattue sur certains individus mobilisés aux côtés des sans-papiers : recueillir de l’information sur les milieux politisés, donc dangereux du point de vue policier, et intimider les individus engagés pour un changement social radical.

Cette vague de répression s’inscrit dans une politique globale, à l’œuvre dans tous les pays de l’Union européenne, aux Etats-Unis ou en Russie. Une politique de longue haleine à laquelle la droite comme la gauche françaises ont contribué ; une politique sécuritaire, où la moindre différence, sexuelle, culturelle, sociale ou politique, peut devenir a priori suspecte. Les lois sécuritaires qui donnent toujours plus de pouvoir aux forces de répression, l’assimilation absurde de toute lutte sociale à un terrorisme fantasmé qui sert de prétexte au renforcement d’un véritable terrorisme d’Etat, mais aussi les différentes mesures qui accroissent le pouvoir du patronat au détriment de travailleurs précarisés, toutes ces mesures ont le même but : insécuriser la population pour mieux sécuriser l’ordre social capitaliste et étatique. Cet événement nous rappelle que l’antifascisme est une lutte qui se mène sur deux fronts : contre les mouvements d’extrême droite et néofascistes,mais aussi contre l’Etat qui, même s’il n’est pas fasciste, ne s’est jamais privé d’instrumentaliser le fascisme ou d’emprunter ses techniques pour assurer la stabilité de l’ordre social.

Il nous rappelle que l’Etat de droit est, aujourd’hui comme toujours,subordonné à la raison d’Etat, que les promesses du libéralisme valent moins que les intérêts du capitalisme ou la stabilité de l’ordre social et étatique, que la police l’emporte encore et toujours sur la justice.

(...)

Ces communiqués ne seront guère répercutés, j'en ai peur, par des organisations médiatiquement plus visibles... Aux dires de certains, tant qu'il ne s'agit que de gardes à vue, n'est-ce pas, c'est pas grave.

Or concrètement, la garde à vue, est une machine juridique un peu compliquée qui peut, avec un minimum de talent être rendue intimidante, inquiétante, déstabilisante, humiliante, angoissante...

Beaucoup de "gardés à vue" vous le dirons...

Là-dessus, vous pourrez consulter le récit de R.G. Ma Gardavu, sur le blog de Mademoiselle (c'est son jour!), ou encore le petit livre de Christophe Mercier, écrivain, essayiste, et critique littéraire, pas vraiment-vraiment gauchiste ( il est l'exécuteur littéraire de Jacques Laurent), intitulé sobrement Garde à Vue (Phébus, 2007).