jeudi 11 septembre 2008

Cuisine médiévale pour tous



Sur le moyen âge je ne sais pas grand chose, hormis la mise en œuvre de quelques recettes de cuisine tirées du Viandier de Taillevent ou du Mesnagier de Paris, qui utilisent d'agréables épices, comme le galanga, le poivre long ou la graine de paradis. Et vous pouvez me croire, ça n'a rien à voir avec la tambouille de Jacouille la fripouille que l'on vous sert, avec une serpillière autour du cou en exhibant des dents gâtées, dans certains restaurants prétendus "médiévaux"...

Christian Clavier, médiéviste agréé auprès de l'Elysée.

Il y a parmi nous des universitaires qui consacrent beaucoup de leur temps à étudier la société médiévale. Il faut pour cela manipuler une assez large palette de savoirs, plus large en tout cas que celle de monsieur Nicolas Sarkozy dont je suppose la culture sur cette période historique tout droit sortie des récits des divers tournages des Visiteurs narrés par son délicat ami Clavier.

Je pense que les médiévistes doivent rire jaune en l'entendant parler du retour au Moyen Age en Afghanistan, comme n'importe quel plouc venu...

Ou se fâcher quelque peu...

Le billet de Françoise "Une Absurde anomalie", que je vous conseille, débusque sur le site du comité de vigilance face aux usages publics de l'histoire une note de lecture sur le petit livre (84 pages) du médiéviste
Bruce Holsinger, intitulé Neomedievalism, Neoconservatism, and the War on Terror. Ce livre étudie les usages du paradigme médiéval par les néo-conservateurs, autour de George Bush fils...

C'est très appétissant, mais c'est en anglais, et Françoise ne veut pas le traduire... et me conseille d'apprendre l'anglais...

(J'ai passé neuf ans à apprendre l'anglais, Françoise, et je parle moins bien que notre président, qui est une référence!)

J'ai été très affecté par le manque de solidarité bloguistique de Françoise, mais je me suis vite consolé en retrouvant sur le site du CVHU des traces de la polémique qui a suivi la publication du livre de Sylvain Gouguenheim, Aristote au Mont Saint-Michel, Les racines grecques de l’Europe chrétienne (Seuil, 2008).

L'article (dont je vous donne quelques extraits) est intitulé: Choc des civilisations et manipulations historiques. Troubles dans la médiévistique et signé par Blaise Dufal de l'EHESS (Ecole des hautes études en sciences sociales).

Sylvain Gouguenheim est enseignant à l’École Normale Supérieure de Lyon et professeur des universités, habilité à diriger des recherches. Il est notamment connu dans le monde scientifique pour ses travaux sur les mystiques rhénans (La sybille du Rhin. Hildegarde de Bingen, abbesse et prophétesse rhénane, Paris, 1996). Après s’être intéressé aux Fausses terreurs de l’an mil (Paris, 1999), l’auteur s’attaque ici à ce qu’il considère comme un autre mythe de l’histoire médiévale : la transmission d’une partie de la science antique et des savoirs aristotéliciens par les arabes au Moyen Age. Abordant un des sujets les plus travaillés et les plus complexes de l’histoire culturelle et intellectuelle de l’Occident, l’auteur s’éloigne clairement de ses spécialisations académiques pour jeter un pavé dans la marre.

- Les Arabes n’auraient pas pu transmettre la pensée et la culture grecque !

L’auteur cherche à démontrer que la civilisation musulmane n’a connu qu’une « hellénisation superficielle » : « Jamais les Arabes musulmans n’apprirent le grec, même al-Farabi, Avicenne ou ¬Averroès l’ignoraient ». Ainsi la majeure partie de cet héritage antique aurait été préservée par les chrétiens orientaux, les Syriaques, entre le IVe et le VIIe siècles. Du fait d’une incompatibilité linguistique entre l’arabe et le grec, les Arabes n’auraient qu’une part infime dans la transmission de la culture antique vers l’Occident chrétien.

Pour étayer sa thèse et abattre ce qu’il considère comme un lieu commun historiographique, Sylvain Gouguenheim place au centre de son argumentation l’oeuvre de Jacques de Venise, clerc italien ayant vécu à Constantinople, le premier traducteur européen d’Aristote au XIIe siècle. Cette insistance sur le rôle de ce clerc vient de la découverte récente d’un manuscrit de l’abbaye du Mont saint Michel. Ce manuscrit devient alors la preuve suprême que la philosophie aristotélicienne a été transmise directement de la Grèce antique à l’Occident latin.

Ainsi d’une analyse précise d’un point d’érudition, l’auteur élargit la portée de son propos, le plaçant sous l’angle d’une problématique inspirée par le comparatisme entre des civilisations. L’Islam et la Grèce antique seraient des civilisations profondément étrangères l’une à l’autre pour des raisons d’ordre culturelles : les impératifs religieux musulmans auraient empêché la pénétration réelle de la culture antique. Ce processus d’opposition structurant l’histoire aboutirait à des identités fondées sur « l’altérité conflictuelle entre chrétiens et musulmans ».

Ce comparatisme est appuyé sur une argumentation ethno-linguistique qui débouche sur un racisme culturel : « dans une langue sémitique, le sens jaillit de l’intérieur des mots, de leurs assonances et de leurs résonances, alors que dans une langue indo-européenne, il viendra d’abord de l’agencement de la phrase, de sa structure grammaticale. […] Par sa structure, la langue arabe se prête en effet magnifiquement à la poésie […] Les différences entre les deux systèmes linguistiques sont telles qu’elles défient presque toute traduction ». Ainsi les caractéristiques linguistiques de l’arabe rendraient la civilisation musulmane inapte à recevoir la culture antique.

Blaise Dufal revient sur les premiers compte-rendus: Roger-Pol Droit, dans Le Monde, qui conclut que
"la culture européenne, dans son histoire et son développement, ne devrait pas grand-chose à l’islam" et salue un livre "fort courageux"; Stéphane Boiron dans Le Figaro, favorable, qui place le livre dans lignée des positions du pape Benoit XVI...

Et décrit aussi les réactions des universitaires:

Face à cet accueil favorable de la part des chroniqueurs de grands quotidiens nationaux, les réactions des intellectuels sont immédiates, ce qui est assez rare pour être souligné, tant la communauté universitaire est peu encline à étaler ses dissensions publiquement et ce particulièrement chez des médiévistes qui se tiennent trop souvent en retrait par rapport aux questions d’actualité. Une pétition des élèves et des enseignants de l’École Normale Supérieure est publiée dans Télérama. Les historiens Gabriel Martinez-Gros et Julien Loiseau écrivent une tribune dans Le Monde intitulée « La vraie terreur de l’historien » et une quarantaine d’historien(-ne)s et philosophes des sciences, emmené(e)s par Hélène Bellosta (CNRS), ont publié un texte : « Prendre de vieilles lunes pour des étoiles nouvelles, ou comment refaire aujourd’hui l’histoire des savoirs ». Un collectif international de 56 chercheurs en histoire et philosophie du Moyen Age a publié dans Libération du 30 avril 2008 un article « Oui l’Occident chrétien est redevable au monde islamique ».

L’historien de la philosophie, Alain de Libéra, éminemment respectable et respecté, spécialiste mondialement reconnu de ces problématiques, est même sorti de sa réserve habituelle pour écrire une lettre mordante publiée par Telérama : « Landernau terre d’Islam ». Pour lui, « L’hypothèse du Mont-saint-Michel, chaînon manquant dans l’histoire du passage de la philosophie aristotélicienne du monde grec au monde latin hâtivement célébrée par l’islamophobie ordinaire, a autant d’importance que la réévaluation du rôle de l’authentique Mère Poulard dans l’histoire de l’omelette ». Il conclut alors : « Cette Europe-là n’est pas la mienne. Je la laisse au ministère de l’Immigration et de l’Identité nationale et aux caves du Vatican. »

J'avoue que la réaction d'Alain de Libéra, grand intellectuel très discret, me remplit d'aise...


Le malaise réapparait en arrivant à ce passage:

-Des fréquentations politiques de certains historiens français

Le livre de Sylvain Gouguenheim est fortement marqué intellectuellement et idéologiquement du côté d’une pensée catholique « néo-conservatrice ». Ce positionnement se manifeste notamment par la forte influence que semble avoir exercé le journaliste René Marchand, auteur de La France en danger d’Islam, entre jihâd et reconquista, édité à l’Âge d’Homme (2002) et de Mahomet. Contre-enquête : un despote contemporain, une biographie officielle truquée, quatorze siècles de désinformation aux éditions de l’Échiquier (2006). Relecteur attentif, remercié par l’auteur, René Marchand est un des auteurs de référence de l’extrême droite française dans son combat anti-Islam qui intervient sans cesse dans le champs historique notamment en collaborant à la Nouvelle Revue d’Histoire.

Cette revue, qui rejette une vision « partiale » de l’histoire, accueille d’éminents historiens académiques tels que Karl Ferdinand Werner, Jean Pierre Poussou, Jean Tulard, Jean Favier, Michel Zink et beaucoup d’autres. Rémi Brague y collabore aussi, lui qui est cité par l’auteur à des endroits stratégiques de sa démonstration. Cet historien est l’auteur d’un livre Europe, la voie romaine, édité chez Criterion (Paris, 1992) où il insiste sur l’héritage romain dans l’identité européenne. Il a par ailleurs soutenu Louis Chagnon accusé de racisme anti-musulman par le MRAP et la Ligue des droits de l’homme.

Cette revue a été fondée par Dominique Venner, ancien de l’O.A.S., fondateur avec Alain de Benoist du GRECE (Groupe de recherche et d’études pour la civilisation européenne), laboratoire de la pensée de La Nouvelle Droite. Ce journaliste, spécialiste des armes à feu, a rédigé plusieurs ouvrages à caractère historique comme Histoire et tradition des Européens : 30 000 ans d’identité (Paris, 2002) où il tente de définir la tradition culturelle européenne. On retrouve ici l’enjeu central du livre de Gouguenheim, la construction d’un bloc occidental, justifié historiquement et culturellement, cohérent et structuré par le christianisme. Cette revue apparaît désormais non seulement comme une simple lubie de vieux professeurs d’université mais comme un véritable lieu de construction d’une contre-histoire de l’Occident.

On ne peut que souscrire à la conclusion:

Les multiples réactions face à ce livre montrent bien que le but de cet ouvrage n’est pas d’emporter la conviction mais de susciter la réaction, de faire naître un débat là où il n’y a pourtant aucune nécessité intellectuelle. Il s’agit de créer des camps, des fractures, de forcer à de nouvelles oppositions sur des questions culturelles et intellectuelles. Des livres comme celui-ci laissent traîner des idées, créent de vaines polémiques pour faire exister des discours dans l’espace public où même invalidés ils gardent une efficience.


2 commentaires:

Anonyme a dit…

www.20minutes.fr/ du 11 septembre.
Désolée pour le lien hypertexte sur mon blog, je ne comprends pas ce qu'il se passe (pas d'erreur pourtant de ma part).
En faisant la recherche sur leur site, vous retrouverez facilement l'article.

Guy M. a dit…

Merci, j'ai trouvé (ils ont eu la bonne idée de regrouper les articles sur Edvige et toussa toussa).

Bonne journée.