lundi 31 janvier 2011

Rions un peu en attendant la retraite

Sur un coup d'inspiration subite qui ressemblait à un fort coup de vent, j'ai décidé vendredi d'occuper mes loisirs à préparer mon dossier de demande de départ à la retraite.

Dans mon cas, c'est une occupation à plein temps, et j'ai donc dû me tenir à l'écart de ce blogue pendant cette période d'intense activité cérébrale. J'en sors dans un état proche de celui que l'on prête à ce pauvre monsieur Chirac.

Autoportrait du blogueur en pleine reconstitution de carrière.
(Photo : AFP/Patrick Kovarik.)

Pour me replonger dans le flux tourmenté de l'information, j'ai prudemment avancé un orteil (le gros) dans la petite flaque commise par le bon monsieur Laurent Joffrin, dans le Libération du jour.

Il s'agit d'un court éditorial, subtilement intitulé Ramsès et Ubu, qui commence par une histoire drôle :

Une blague a longtemps couru au Caire. Depuis Nasser, chaque raïs est remplacé par un raïs plus bête que lui. Et pourquoi Moubarak est-il encore en place ? Parce qu’il n’a trouvé personne de plus bête que lui.

Cette "blague", en réalité, n'est pas du tout cairote...

Monsieur Laurent Joffrin ne fait ici qu'adapter une historiette que l'on se raconte volontiers aux abords de la machine à café dans les locaux même du quotidien qu'il dirige :

"Depuis Serge July, chaque directeur de Libé est remplacé par un directeur plus bête que lui. Et pourquoi Laurent Joffrin est-il encore en place ? Parce qu’il n’a trouvé personne de plus bête que lui."

Notre éditorialiste poursuit en annonçant qu'"apparemment, cette difficulté est aujourd’hui levée"...

Dans le cas de Libé, on y songe.


Avec lui, la blague pourra continuer.

Le papier de monsieur Joffrin, malgré son humour léger, m'ayant flanqué un mal de crâne d'anthologie, je me suis orienté vers le site du Monde, où m'attendait un article très rafraîchissant, signé de l'énigmatique Le Monde.fr avec AFP.

Avec une remarquable économie de moyens, ce rédacteur anonyme, qui est peut-être une rédactrice, a réussi à faire éclore sur mon visage las, raviné par la douleur céphalique, une ombre de sourire.

Je me permets de vous le conseiller, cela doit être tout aussi efficace sur la déprime du lundi.

L'article s'intitule :

Les CRS dénoncent un "déni de dialogue social"

Et il est illustré par une photo présentant "Des CRS, alors qu'ils protégeaient un dépôt pétrolier contre les blocages, à Caen, le 19 octobre".


Les CRS, experts en dialogue social.
Photo : AFP/Kenzo Tribouillard.)

jeudi 27 janvier 2011

... et fiers de l'être

La ville de Tours, en Indre-et-Loire, est bien connue pour ses rillettes, un peu moins grasses que celles du Mans, dans la Sarthe, et ses congrès historiques qui sont incomparables.

Le dernier en date était celui du Front National, où l'on put voir le vieux lion de Saint-Cloud laisser la présidence du parti à sa propre fille, madame Marine Le Pen.

Au lieu de se réjouir de la présence dans leur bonne ville de tant de personnalités, quelques milliers de personnes avaient tenu, le 15 janvier, à marquer leur désaccord avec les idées frontistes. Malgré (ou à cause de) la présence imposante de forces de sécurité, des incidents ont éclaté entre celles-ci et, nous dit-on comme d'habitude, "des militants d'extrême-gauche, qui s'étaient glissés parmi les manifestants, selon une source policière". Vingt-deux personnes ont été interpelées.

Vue d'un accès au centre des congrès de Tours.
(Photo du 14 janvier, par Alain Jocard/AFP.)

Mardi dernier, monsieur Jean Germain, maire de Tours, avait invité "tous les coordinateurs de l'imposant service d'ordre mis en place autour de cette manifestation à hauts risques". Il tenait absolument à "saluer l'efficacité du dispositif de sécurité coordonné par la préfecture et « la collaboration exemplaire » entre les différents services de la police, de la gendarmerie, de la ville et de l'État". On voit que monsieur Germain est un socialiste moderne, tout à fait décomplexé, et qui n'a pas peur des mots dans lesquels on pourrait entendre de douteuses connotations...

Monsieur Joël Fily, préfet d'Indre-et-Loire, a tenu a impressionner les journalistes en précisant que "la préparation de l'événement avait débuté dès le mois de septembre" et que, pendant trois jours, près de 500 figurants avaient participé à ce "déploiement de forces aussi « robuste » que « dissuasif »"qui "n'avait qu'un seul but : protéger les Tourangeaux des casseurs". Il s'est aussi félicité de "l'efficacité du canon à eau" qu'il prétend avoir été "pour la première fois mis en action en France" - affirmation qui semble assez curieuse.

Apparemment ravi de cette fructueuse "collaboration", monsieur Germain "s'est interrogé sur les dispositions à prendre pour l'organisation des manifestations à venir en 2011", mais n'a pas précisé quels mouvements d'extrême droite envisageaient de tenir congrès à Tours dans les mois qui viennent.

Vinci, Centre International de Congrès de Tours.
En choisissant Vinci, on tutoie "l’idée de Génie" !

Les effectifs du "Mouvement dissident pour une Touraine libre et enracinée" sont peut-être, pour l'instant, un peu trop réduits pour tutoyer "l'idée de Génie", mais il ne faut jurer de rien.

Ce groupuscule, qui se réclame d'un étrange syncrétisme fascisant, a tout de même réussi à rassembler 70 participants à sa grande "marche de la fierté tourangelle", dans la soirée du samedi 22 janvier. Au son des tambours et à la lumière des flambeaux, ils ont pu défiler en toute quiétude dans les rues de Tours, derrière banderole et oriflammes, en braillant Les Lansquenets. Avant de se séparer, un fier-à-bras s'est improvisé orateur pour rendre un vibrant hommage à Saint Martin ou Charles Martel - je n'ai pas très bien compris, j'entends assez mal le tourangeau enraciné...

L'implantation locale de ces fiers tourangeaux s'est trouvée confortée, ces derniers temps, par leur vive opposition au projet monumental dit de la "Femme-Loire", et leur active participation dans la polémique qu'il suscite dans la région (voir le dossier de la Nouvelle République).

L'un des appels à pétitionner contre l'implantation de cette sculpture au-dessus du site de Marmoutier s'ouvrait sur cette poétique trouvaille :


Les fiers tourangeaux enracinés ont préféré une autre illustration :


Ce qui prouve que, s'il n'ont pas encore appris à lire, ils maîtrisent déjà très bien le copié-collé à l'aveugle.

mercredi 26 janvier 2011

Primes à la casse

D'après une enquête que je viens d'effectuer auprès d'un échantillon représentatif des enseignants, proviseurs, principaux et adjoints du canton de Trifouillis-en-Normandie, je puis affirmer que la proportion de "désobéisseurs" est beaucoup moins forte parmi les personnels de direction que parmi les personnels des "équipes pédagogiques". On pourra, certes, critiquer ma méthode; mais elle est à peu près aussi scientifiquement fondée que celle du ministère de l'Éducation Nationale qui maintient sa grande évaluation des acquis et/ou des besoins des élèves de CM2 malgré les fuites dûment constatées...

A ces chiffres en béton je pourrais ajouter un certain nombre d'observations personnelles concernant l'extrême "bonne volonté" des chefs d'établissements scolaires et leur remarquable aptitude à mettre en œuvre les instructions officielles. Aucun n'a jamais failli : il suffisait qu'un groupe d'experts dise "Y a qu'à", puis qu'un ministre ou un président affirme "J'veux que" pour qu'ils relayent d'un enthousiaste "Faut qu'on" devant leurs troupes galvanisées.

Ceci est un vrai faucon de chasse.
(Photo Patrick Martin, Tribune de Genève.)

Ce n'est donc pas pour améliorer le fonctionnement caporaliste de la hiérarchie de l'Education Nationale qu'est envisagée la très modique, et plutôt minable, prime d'un maximum de 6000 euros sur trois ans, qui serait prochainement, nous dit-on, attribuée aux chefs d'établissement... Cette indemnité, qui ne représente, à son optimum, même pas l'équivalent d'un treizième mois par an, devrait coûter "11 M d'euros en année pleine, selon le ministère".

Comme il était de passage à la radio, monsieur Luc Chatel en a profité pour faire l'annonce de ce "nouveau dispositif" :

Après un an et demi de discussions, le ministère a proposé aux trois syndicats représentant les chefs d'établissements, qui l'ont accepté, le principe d'un nouveau dispositif de primes comportant, pour la première fois, une part variable, en fonction de résultats.

Il semble que la révélation du ministre ait quelque peu pris au dépourvu les représentants syndicaux :

« Cette annonce est une grande surprise car nous n’avons encore rien signé, réagit Florence Delannoy, proviseur du lycée Fénelon à Lille et membre du bureau national de SNPDEN, syndicat majoritaire chez les personnels de direction. Le seul document que nous avons signé est un protocole d’accord qui met en place un cadre légal de discussions sur les rémunérations, les carrières, le recrutement, la formation ou encore les conditions d’exercice. » Pour cette représentante syndicale, le montant des primes « n’a jamais été abordé », et surtout « rien n’a été discuté concernant les objectifs à évaluer et la manière de les mesurer ».

Si cela bredouille un peu du côté des syndicats (SNPDEN-Unsa, Sgen-CFDT et Indépendance et Direction), on y est, au fond, bien d'accord "sur le principe d’une prime de fonction et de résultats". On semble surtout gêné par le "calendrier" de cette annonce, et l'on pose quelques lignes de défense :

Reste enfin un point sur lequel les proviseurs interrogés se retrouvent : le timing de l’annonce jugé très mal venu. « Compte tenu du contexte actuel de réception des dotations, avec 16 000 suppressions de postes, cette annonce tombe très mal », note Patrick Fournier. « Non, notre prime n’est pas liée à des objectifs de suppressions de postes », tient à préciser Pascal Charpentier.

Mais si tout se passe bien, les réunions prochaines dans les lycées et collèges seront probablement illustrées par de savantes et stimulantes broderies sur les propos du ministre :

"C'est ça un système éducatif moderne, c'est un système éducatif qui se fixe des objectifs, et qui cherche à améliorer ses performances."

Forte allégorie d'un système éducatif prémoderne
qui ne se fixait pas d'objectifs
et ne cherchait pas à améliorer ses performances.
(César, compression, date inconnue.)

Avec ce "nouveau dispositif de primes", nos managers de l'éducation vont entrer dans la modernité et se voir honorés d'une "rémunération à la performance", tout comme dans la "vraie vie" des entreprises.

Assez bons élèves à l'origine, ils avaient déjà bien assimilé le langage de ce nouveau monde, qu'ils avaient fini par parler pratiquement sans accent.

On leur souhaite maintenant d'en connaître tous les emmerdements.

Et l'on souhaite bon courage aux (ex)collègues.

mardi 25 janvier 2011

Les grenouilles processionnaires

D'après ses organisateurs, la "marche pour le respect de la Vie" a réuni cette année 40 000 pèlerins qui ont défilé de la place de République à la place de l'Opéra. Il se dit que "cette participation [a été] deux fois plus importante que celle enregistrée en janvier 2010 lors de la sixième marche". Cela ne doit pas nous étonner, car le militant anti-IVG se reproduit très rapidement avec la militante anti-IVG (ou l'inverse) et, forcément, cela donne des familles nombreuses...

Par ailleurs, 24 évêques soutenaient cette charmante initiative "aconfessionnelle" et Benoît XVI avait tenu à "saluer cordialement les participants", tout en leur assurant qu'il demandait à son Seigneur, "en gage de proximité spirituelle", "d'accorder à chacun l'abondance de ses Bénédictions". Il est possible que cela ait encouragé les grenouilles traditionalistes à sortir de leurs bénitiers pour venir baguenauder sur les grands boulevards où devaient pleuvoir les indulgences.

Quelques protestataires, qui s'étaient donné rendez-vous au métro Oberkampf pour faire entendre leurs voix en contre-manifestant, ont bénéficié des bons soins et de toute l'indulgence des forces de l'ordre présentes place de l'Opéra. Les gendarmes mobiles les ont encerclés sur les marches de l'Opéra, puis conduit derrière le Palais-Garnier, les mettant hors de portée des discours édifiants de la grande marche pro-vie.

Ce gendarme se découvrirait-il une vocation de chef de chœur ?

Malgré tout le respect que j'accorde en général aux cloches fêlées, je dois reconnaître que je ne me sens guère de "proximité spirituelle" avec ces processionnaires qui parlent de la Vie avec une majuscule dans la bouche, et sur un ton qui ne convient, et encore, qu'aux oraisons funèbres. Leurs raisons de vouloir imposer au pauvre monde leur conception du salut sont bien connues, et pour ma part, ma religion est faite : l'horizon de nos vies minuscules n'est pas limité par les parois d'un confessionnal.

Faux-culs et vrais curés peuvent péleriner par rues et boulevards en réclamant l'abrogation de la loi Veil, mon soutien ira toujours à celles et ceux qui exigent que les moyens nécessaires à son application soit accordés.

Et qui y réussissent parfois, comme en témoigne ce communiqué du Mouvement Français pour le Planning Familial, daté du 17 janvier :

Réouverture du CIVG de l’Hôpital Tenon (Paris 20ème),
une bonne nouvelle qui doit s’étendre partout en France.

Le Planning Familial se réjouit de la décision de réouverture du CIVG de l’hôpital Tenon, preuve que la mobilisation collective et la pugnacité pour la défense du bien commun et des droits l’emportent face aux mesures strictement budgétaires. Pour autant, la défense de l’accès à l’avortement partout en France dans de bonnes conditions pour toutes les femmes reste d’actualité. En effet pour un centre ouvert, combien ferment ou fermeront encore ? Le Planning Familial reste donc mobilisé pour que cette victoire qui n’est ni plus ni moins qu’un pas vers l’application de la loi, ne se limite pas à la décision de réouverture d’un lieu mais qu’elle soit bien le premier acte de la défense de tous les CIVG en France fermés ou menacés de l’être. C’est pourquoi, il engage avec l’ANCIC et la CADAC une action juridique sous la forme d’un recours gracieux auprès du Premier Ministre. Les associations organisent dans ce cadre une conférence de presse ce lundi 17 janvier à 12 heures dans les locaux du Planning Familial.

lundi 24 janvier 2011

De la démocratie en Tunisie

Il y aura sans doute quelque intérêt à écrire un jour l'histoire de la "réception médiatique" (comme on dit) des événements survenus, et encore à venir, en Tunisie. Mais il est encore trop tôt pour s'intéresser en détails à ceux qui n'ont eu de cesse de réécrire l'histoire, en temps réel et direct live, de la "révolution du jasmin"...

Gardons leurs articles, entretiens, points de vue, tribunes libres, mises au point, excuses et éditoriaux pour en rire plus tard.

Je préfère aujourd'hui relayer en copicollage un texte signé du Mouvement des Chômeurs et Précaires en Lutte de Rennes, que vous pourrez aussi trouver sur le site du CIP-IDF (Coordination des Intermittents et Précaires d'Ile-de-France).

La baguette.

Non à l’appropriation bourgeoise du soulèvement populaire en Tunisie !

Une contribution du Mouvement des chômeurs et précaires en lutte (Mcpl) de Rennes à l’intelligence de la situation en Tunisie.

Soulèvement ou révolution ?

Le consensus qui règne actuellement dans les médias dominants sur la « révolution démocratique tunisienne », la manière dont on est passé en quelques jours des « émeutes » à une « révolution » parce que Ben Ali a quitté le pouvoir et le pays, vise à nous suggérer que l’essentiel est accompli. Le « dictateur » dorénavant en fuite, il s’agit d’engager une « transition démocratique », c’est-à-dire un processus électoral dont il est bien entendu qu’il doit conduire à la victoire d’un parti ou d’une coalition calquée sur le modèle des partis de gouvernement européen. Parler de « révolution » aujourd’hui revient à accepter ce fait, qu’il n’y a plus qu’à préserver, consolider un acquis, maintenir l’ordre face aux opportunes exactions des bandes armées de Ben Ali, ce qui est plus consensuel qu’interdire des manifestations contre le pouvoir intérimaire comme cela a été fait il y a quelques jours par l’armée. On devrait plutôt à nos yeux parler d’un soulèvement qui a obtenu le départ de Ben Ali, soulèvement victorieux qui n’est -pourrait n’être- que la première phase d’un processus révolutionnaire. Evidemment, nos gouvernements, une grande part des sympathisants français à ce soulèvement, comme à n’en pas douter une part non négligeable de la population tunisienne, souhaiteraient que ce premier acte soit aussi le dernier.

Par delà l’égrenage du chapelet libéral assimilé à la démocratie

Des élections non truquées, une relative liberté d’expression et d’organisation définies dans un cadre constitutionnel, une plus grande transparence des institutions et une plus grande séparation des pouvoirs, constituent selon tous les « observateurs » le programme politique maximum de la « révolution tunisienne ». La question est toujours ouverte de savoir si le parti de Ben Ali, le RCD, va réellement consentir à un processus qui pourrait le contraindre à partager, voire à perdre le pouvoir. Il faudra certainement une présence déterminée et répétée des révoltés de décembre-janvier dans la rue, une intense pression pour résister au prévisible relâchement de l’attention de la « communauté et de l’opinion publique internationales ». Ces dernières sont depuis longtemps habituées à se contenter de simili-progrès et de vagues mesures de « libéralisation » (telles celles qui avaient succédé, un an durant, à la prise de fonction par Ben Ali en 1987, célébrées à l’époque déjà sous le nom de « révolution de jasmin » et qui devaient lui valoir le prix Louise Michel, Démocratie et Droits de l’Homme en 1988). Pour autant, la légitimité réelle qu’ont les révoltés à préserver et à étendre les libertés de parole et d’organisation acquises ces derniers jours - libertés qui pourraient trouver une manière de confirmation dans la tenue d’élections non truquées - ne doit pas masquer quelle est l’opération visée « consciemment » ou non par tous ceux qui ont les moyens de saturer l’espace médiatique. Il s’agit de dicter quelle doit être l’interprétation de ce soulèvement et comment le processus politique qu’il ouvre doit suivre la voie d’un alignement sur le modèle politique libéral occidental- faute de quoi, toutes les scénarios catastrophes seraient alors possibles : chaos, guerre civile, péril islamiste ou nouvel homme à poigne.

Le soi-disant passage du « social » au « politique »

L’évaporation subite de certains des motifs du soulèvement (chômage, mal-logement, vie chère, sentiment d’humiliation des pauvres et déshérités d’être maintenus à l’écart des richesses et du pouvoir d’influer sur leurs conditions d’existence) n’est pas l’effet du hasard. Ces raisons, généralement évoquées à chaque fois que des émeutes se produisent au Maghreb, mais aussi, très récemment en Grèce et il n’y a pas si longtemps en France, sont communes à ceux qui sont censés être voués à une répression sévère : sort bon pour des « émeutiers » - quand ce ne sont pas des « casseurs ». Le passage de l’« émeute » à la « révolution » dans le discours médiatique s’est immédiatement accompagné de l’élimination de ces raisons en jeu dans la plupart des révoltes contemporaines. L’élimination de ces raisons a pour corollaire immédiat la prise en main de la révolte par le capital tunisien (relativement « divisé » entre « critiques » de Ben Ali et « fidèles » cependant pas au point de refuser la recherche d’un compromis), mais aussi français et international, jusqu’ici pour le moins complaisants envers des « excès » d’accaparement des richesses vis-à-vis desquels ils ont désormais des objections de principe. Identifier une telle reprise en main du mouvement par la bourgeoisie ne signifie pas que les révoltés soient déjà vaincus, mais que les capitalistes ont aujourd’hui l’initiative, avec l’espoir de tuer la révolte dans l’œuf, de lui dicter son « nécessaire » devenir capitalo-parlementaire, en rétablissant le pouvoir contesté avec quelques aménagements.

Les affaires reprennent

N’en doutons pas, si l’armée intervient si vite après la chute de Ben Ali (à laquelle elle a fortement contribué en lui retirant son soutien), ce n’est pas seulement pour protéger la population mais aussi pour rétablir au plus vite l’ordre et la stabilité, conditions premières à la reprise des activités économiques. Si l’action de l’armée est, semble-t-il, bien acceptée, voire encouragée par de nombreux tunisiens, c’est aussi qu’existe pour le moment un consensus sur le fait que l’économie, et au fond le capitalisme, doivent reprendre leur cours. Les pillages sélectifs des biens du clan Ben Ali (même s’il n’est pas du tout certain que tous les autres, les « mauvais » pillages, bien allusivement rapportés, puissent être exclusivement imputés à des manœuvres de provocation des fidèles du président) font système avec l’idée que mettre fin au « pillage » de l’économie par Ben Ali suffit largement en termes de réforme économique. Ce à quoi applaudit avec beaucoup d’à propos Mme Parisot, salivant déjà sur les parts du gâteau que son « clan » espère pouvoir récupérer.

C’est pas la rue qui gouverne !

Cette manœuvre d’appropriation bourgeoise du soulèvement populaire semble d’autant plus aisée qu’en l’absence d’organisations populaires fortes, qu’elles soient partisanes, syndicales ou assembléistes, qui posent aujourd’hui la question du pouvoir politique en rapport concret avec l’organisation du travail et l’administration des subsistances, l’alternative au capitalisme - du moins, à nos yeux lointains - se limite aux gestes de confrontation avec la police, d’incendie des symboles du pouvoir et de pillage. On peut néanmoins espérer que les formes organisationnelles nées avec le soulèvement et se structurant aujourd’hui à travers les comités d’autodéfense ne se laissent pas désarmer au point de laisser à nouveau à l’armée et à une police « épurée » le monopole de la violence légitime. Pour autant, et n’en déplaise au lyrisme ambiant, il n’y a pas eu d’insurrection, de prise d’armes en Tunisie, et qu’on le veuille ou non, ces comités sont pour le moment subordonnés à l’armée et pas l’inverse.

A moins de céder aux sirènes ultra-conformistes des médias français, il serait aberrant de croire qu’un gouvernement élu après la reddition de la rue, pourrait faire autre chose que de chercher à développer le capitalisme tunisien selon les diktats des capitalistes, des banquiers et des économistes nationaux et internationaux, c’est-à-dire avec les mêmes incidences pour les conditions de vie des classes populaires. Seul un puissant mouvement « de classe », « anticapitaliste », pourrait ne serait-ce qu’imposer des concessions aux capitalistes, comme c’est le cas en Bolivie ou au Venezuela. Dans la situation actuelle, la stabilisation de la « révolution démocratique » est ce qui exige d’étouffer toute velléité de poser la question du contrôle populaire sur l’économie, de l’intervention populaire sur les prix, les salaires, l’emploi, la gestion des services publics...

Ingérence et prise de parti

Dans le discours soudainement terriblement révolutionnaire des journalistes européens qui se demandent « à quand la contagion dans tous les pays arabes », il ne faudrait pas oublier que c’est exactement à partir du point de vue d’une supposée supériorité de nos régimes politiques européens, qui auraient atteint un niveau de civilisation, de culture et de liberté qu’on pourrait objectivement dire supérieur - qu’on construit des consentements capables de laisser faire les offensives militaires en Irak, en Afghanistan ou ailleurs. Il est curieux que le gouvernement français cherchant à justifier son attitude d’avant la chute de Ben Ali se soit abrité derrière le principe de « non-ingérence », habituellement invoqué par les adversaires des interventions militaires des pays occidentaux visant à installer des gouvernements à leur solde dans les Etats qualifiés de « voyous ». Nous ne pensons pas que la question soit de choisir entre un rôle de censeur des agissements des Etats à l’aune de notre supposé modèle, et celui de défendre en toutes circonstances la non-intervention en invoquant le respect de la souveraineté des Etats. Il ne s’agit pas de choisir entre ingérence et non-ingérence, mais de prendre parti pour les révoltés de Tunisie, contre tous ceux qui chercheront à restreindre leur volonté d’émancipation. Prise de parti qui implique de chercher d’abord en quoi leur révolte résonne avec nos combats, ici et maintenant, contre les gouvernements et capitalistes français et occidentaux.

Dans ces conditions, si l’on ne veut pas faire chorus, comme tout nous y incite, avec les adversaires de la démocratie qu’ils assimilent au capitalisme (qui se détourneront du soulèvement en Tunisie aussi vite qu’ils n’en auront célébré les gestes émeutiers) nous ne pouvons qu’affirmer que la démocratie en Tunisie comme ailleurs réside dans le soulèvement lui-même et son prolongement sous des formes diverses (manifestations, grèves, assemblées, réquisitions, comités de quartier et d’auto-défense, insurrection armée...). La conquête des droits politiques que la situation actuelle permet d’espérer doit être au plus tôt utilisée pour l’auto-organisation populaire, faute de quoi le reflux du mouvement risque de s’accompagner rapidement de limitations draconiennes à l’usage de ces droits.

Le 19 Janvier 2010, Mouvement des Chômeurs et Précaires en Lutte de Rennes.


La casquette.
(Photo Martin Bureau/AFP)

dimanche 23 janvier 2011

Si tu sais que c'est là une main

De la certitude, le dernier ensemble de notes laissé par Ludwig Wittgenstein, s'ouvre sur ces mots :

"Si tu sais que c'est là une main, alors nous t'accordons tout le reste."

Aussi savantes que la première édition du texte, les deux traductions dont je dispose(1) renvoient, par une note insérée au milieu de la phrase, à G.E. Moore,"Proof of an External World" in Proceedings of the British Academy, vol. XXV, 1939, et "Defence of Common Sense", in Contemporary British Phiolosophy, 2nd Series, Ed. J.H. Muirhead, 1925.

A chaque relecture, bien loin de me lancer sur les sentiers escarpés de la réflexion logico-philosophique, cet incipit me tient longtemps comme suspendu au bord de cet ineffable dont on ne peut parler et qu'il faudrait taire.

Mais y faire seulement allusion, c'est déjà troubler le silence, et il faudrait être poète pour tenter de poser quelques mots au bord de ce chemin-là... (2)



Inutile donc de chercher à dire pourquoi cette phrase m'a accompagné lorsque j'ai pu voir, au mois de mai dernier, les banderoles de Carole Achache exposées dans le hall d'entrée de la Maison des Sciences de l'Homme, boulevard Raspail.

Pour moi, cela s'imposait.

Comme s'est imposé pour Carole Achache, de vouloir témoigner des énormes difficultés que rencontrent les personnes sans papiers qu'elle aidait dans leurs démarches à la permanence R.E.S.F. du onzième arrondissement de Paris.

"Au fur et à mesure des semaines, j'arrivais avec mon appareil photo, et je leur demandais de les photographier et de photographier leurs mains".

Elle ajoute :

"Les mains parlent, les mains ont quelque chose à dire".

Chaque photographie exposée est accompagnée d'une courte légende, quelques notes rapides et fragmentaires pour marquer le passage de quelques vies, parmi des milliers, dans l'espace de notre égoïsme quotidien.

Il est en France depuis 1989. Il travaille et paie ses impôts. Il n'a jamais pu être régularisé. Il vient pour son fils qui va bientôt avoir 18 ans.

Là-bas, elle travaillait depuis ses 10 ans. Elle y a perdu deux doigts. Ici, elle continue d'être exploitée alors qu'elle est toujours mineure.

Deux enfants. Elle en attend un troisième. Il y a dix mois, elle a déposé un recours contre un arrêté de reconduite à la frontière. Toujours pas de réponse. Elle voudrait savoir si c'est grave.

Sa maman et son papa ont reçu un arrêté de reconduite à la frontière. Elle traduit dans un français impeccable tout ce que j'explique à son père. Dès que c'est terminé, elle éclate de rire.

Les images se devaient d'être respectueuses et pudiques, et elles le sont. Chacune, insérée dans une série, y garde sa présence, superbement soulignée par le choix du cadrage et la qualité de la lumière. Et ensemble, elles nous interrogent sur ce peu qui leur est accordé.

Tu sais que ce sont là nos mains...


(1) Assavoir, la traduction qu'en a faite Jacques Fauve, pour les éditions Gallimard (Les Essais, 1965), reprise dans la collection de poche Idées/Gallimard en 1976, et la traduction plus récente de Danièle Moyal-Sharrock, toujours pour Gallimard, mais dans la collection Bibliothèque de philosophie, en 2006.

(2) Je n'oublie pas que ce fragment de Wittgenstein est l'un des motifs utilisés par Jacques Roubaud dans la composition de Quelque chose noir, qui marquait son retour à la parole poétique après la mort d'Alix-Cléo Roubaud (éditions Gallimard, 1986, repris en collection Poésie en 2001). Le Journal (1979-1983) d'Alix-Cléo Roubaud a fait l'objet, en 2009, d'une nouvelle édition augmentée au éditions du Seuil, dans la collection Fiction & Cie.


Complément:

La première exposition des photographies de Carole Achache, Au fil des semaines auprès des sans-papiers, a été inaugurée fin mars 2009 à la mairie du XIe arrondissement de Paris, et avait été signalée sur le site du RESF et sur le blogue Hexagone. Un diaporama avait alors été mis en ligne sur le site de Mediapart, il est toujours en place...

Les banderoles sont actuellement visibles, et jusqu'au 28 janvier, dans le hall d'entrée de la mairie du XXe arrondissement parisien. Leur présence est associée au parrainage républicain qui doit avoir lieu le 26.

vendredi 21 janvier 2011

Un héros seul maître à bord

Alors qu'il reste peut-être ici ou là quelques traces d'informations sur la surcharge pondérale de monsieur Xavier Bertrand, les médias du jour n'ont pas souhaité s'alourdir de précisions concernant un "incident", somme toute fort banal, survenu hier sur un vol Air-France à destination de Bamako.

Indymedia-Paris, plate-forme qui ne s'intéresse pas uniquement au faciès des policiers en exercice, a relayé de maigres indications sur ce qui est survenu à l'aéroport de Roissy-Charles-de-Gaulle.

On peut apprendre que vingt passagers, dont trois enfants, ont été débarqués d'un vol Air-France en partance pour Bamako, et emmenés par la police. Parmi eux se trouvaient des militant(e)s allemand(e)s dont l'intention était de rejoindre la caravane pour Dakar.

Ils ont été arrêtés pour avoir nettement protesté contre l'expulsion, sur le même vol, d'une personne entravée, escortée par des policiers auxquels elle tentait de résister.

Le message indique que ces passagers indisciplinés se sont levés de leurs sièges pour protester alors que l'avion avait déjà démarré. Le commandant de bord a pris la décision de revenir au point de départ et de se délester de ces passagers trop turbulents à ses yeux (*).

(Emmenés au poste, ils auraient été tous libérés vers minuit...)

Leur a-t-on reproché une "entrave à la circulation d'un aéronef" ?

J'espère que la compagnie qui les emploie a prévu, pour ces courageux commandants de bord, un système de primes afin de récompenser leur engagement dans cette lutte pour la liberté de circulation des personnes.

Le héros qui a dû faire face, avec l'aide de quelques policiers néanmoins, à une vingtaines de pacifistes mécontents, dont trois enfants, mériterait bien, je trouve, d'arrondir ses fins de mois d'esclave à casquette.



(*) Sans illusion, le message précise :

"Obviousely the air france captain decided to better kick out the people who intervened than to stop the deportation."


Complément:

Après avoir posté ce billet, j'ai reçu ce communiqué de presse du réseau Afrique-Europe-Interact, daté de ce vendredi 21 janvier 2011, à 12h44.

Action de protestation dans les airs : un avion doit faire demi-tour à cause d’une expulsion

Air France fait arrêter des passagers français et allemands après une action contre une expulsion

Paris, le 20 janvier 2011- Des participants d’une caravane qui devait se rendre du Mali au Forum social de Dakar ainsi que d’autres passagers ont protesté jeudi après-midi à bord d’un appareil d’Air-France contre une expulsion brutale. En raison de cet acte de protestation, le vol AF 3096 de Paris à Bamako a été interrompu et obligé de retourner à l’aéroport de Charles de Gaulle. Sur le tarmac, la police a arrêté 17 passagers dont 8 allemands pour les placer en garde-à-vue. Le passager Michael Hackert relate les événements à bord de l’avion de la manière suivante : « Alors qu’un homme ligoté et accompagné de plusieurs policiers s’opposait à son expulsion forcée, des passagers se sont solidarisés avec lui en se levant de leurs sièges. » Bien que cet acte de protestation se soit déroulé pacifiquement, Air France a laissé la police emmener 17 passagers, dont 3 enfants.

Une deuxième tentative d’expulsion de la personne en question a été entreprise, mais sans succès, selon les dires des activistes maliens de Bamako.

« Air France se fait encore une fois la complice de la machine à expulser européenne » commente Marion Bayer du réseau Afrique-Europe-Interact qui réunit des activistes maliens et européens. Parmi les personnes interpellées neuf font partie de ce réseau. Elles avaient l’intention de porter leur lutte pour la liberté de circulation et les mêmes droits pour tous au Mali et au Sénégal, au moyen d’une caravane.

C’est déjà la troisième fois, en l’espace d’une semaine, que des vols à partir de Paris sont retardés : vendredi passé, lors du vol AF946 à destination de Douala (Cameroun), des passagers se sont levés pour protester contre une expulsion. Quatre d’entre eux avaient été sortis de l’avion et ont du subir un contrôle d’identité. Mercredi matin, plusieurs passagers ont refusé de prendre place dans l’avion de la Royal Air Maroc pour s’opposer à une expulsion. L’appareil est parti avec une heure et demie de retard, sans les deux prisonniers. Certains employés d’Air France se sont déjà prononcés en 2007 pour que cessent les vols d’expulsion de leur compagnie, jusqu’à présent sans succès.

La réaction courageuse de ces passagers aura probablement des suites juridiques en France. Au Mali par contre, il leur sera certainement réservé un accueil chaleureux. Un des principaux groupes qui a participé à organiser cette caravane se trouve être justement constitué de personnes ayant une expérience personnelle de la brutalité pratiquée dans les avions.

Les participants de la caravane veulent poursuivre leur voyage le plus vite possible vers Bamako pour arriver à temps, le 25 janvier, pour le départ de cette tournée. Le terminus de la caravane est à Dakar, où se déroulera du 6 au 11 février le prochain Forum social mondial.

Le réseau Afrique-Europe-Interact lance un appel aux dons pour de nouveaux billets d’avion et d’éventuels frais juridiques.

jeudi 20 janvier 2011

Une belle manœuvre

L'annonce de l'annulation, par la direction de l'École normale supérieure de la rue d'Ulm, d'une conférence-débat "sur la répression de la campagne de boycott des produits israéliens" (dixit Le Monde) a suscité suffisamment de réactions diverses, et de démentis, qu'on en oublierait presque de (re)lire l'éditorial que monsieur Richard Prasquier, président du Conseil Représentatif des Institutions juives de France (CRIF) a consacré à cette grande victoire.

Il s'agissait pour lui, selon toute apparence, d'annoncer la réussite de l'action engagée, d'en rappeler les motivations, et d'exprimer sa gratitude à tous ceux qui "ont réagi comme il le fallait, en se mobilisant immédiatement".

On passera charitablement sous silence quelques digressions quand sous sa plume surgissent des noms honnis, tel celui de "l’inévitable Michel Warchawski" (sic - à orthographier certains noms sont difficiles). Le style de notre éditorialiste se relâche alors sensiblement, à tel point qu'on lui conseillerait volontiers, s'il était de nos amis, d'aller se faire relire par une plume professionnelle. Il se targue assez d'en connaître, et des meilleures.


L'inévitable monsieur Richard Prasquier.

En ouverture de son morceau de prose, monsieur Prasquier se répand en copieux éloges qu'il déverse à flots aux pieds de madame Monique Canto-Sperber pour avoir pris la courageuse décision d'interdire ce "scandaleux colloque-débat" qui devait avoir lieu au soir du 18 janvier dans les locaux de l'ENS.

"Il y a des dans ce pays des hommes et des femmes intellectuellement courageux. Mme Monique Canto Sperber, directrice de l’Ecole Normale Supérieure en est un exemple."

(Et resic - je m'en voudrais de corriger.)

On notera que monsieur Prasquier se garde bien de dire qu'il a sollicité directement la décision d'interdiction auprès de la directrice, même si, plus loin, il fait suivre son hommage à ceux qui "ont réagi sans ambiguïté" d'une "pensée particulière à Mme Canto Sperber qui mène un combat incessant contre des dérives inquiétantes".

C'est pourquoi il est possible que le communiqué de la direction de l'école ne soit que partiellement mensonger lorsqu'il affirme :

L'annulation de la réservation de la salle Jules Ferry de l'Ecole normale supérieure pour le mardi 18 janvier a été décidée indépendamment des démarches entreprises par le Président du CRIF auprès de plusieurs personnalités.

Les pressions ont pu venir d'ailleurs...

L'inévitable madame Canto-Sperber.

Le texte de monsieur Prasquier laisse entendre que les démarches entreprises "en urgence" ont visé un peu plus haut que la très influente, mais très évitable, directrice de l'ENS :

Valérie Pécresse, Ministre des Universités, ainsi que le rectorat de l’Université de Paris que nous avons contactés en urgence ont réagi sans ambiguïté : je leur rends hommage, (...).

Madame Valérie Pécresse, ministre de l'Enseignement supérieur et de la Recherche, et monsieur Patrick Gérard, Recteur de l’académie et Chancelier des universités de Paris, n'ont pas jugé bon, à ma connaissance, de commenter cette affirmation du président du CRIF.

Pourtant un petit signe d'assentiment de leur part serait le bienvenu chez monsieur Prasquier, car certains de ses autres soutiens directs revendiqués lui font maintenant défaut, semble-t-il.

Il avait mis en avant, pour leur rendre un "hommage" appuyé, les noms de "Claude Cohen Tanoudij (et re-re-sic), Prix Nobel de Physique, Bernard Henri Lévy et Alain Finkielkraut, tous anciens élèves de l’Ecole Normale Supérieure".

On pouvait lire, mardi dernier, dans le NouvelObs-point-com, cette déclaration de monsieur Alain Finkielkraut, ancien normalien de Saint-Cloud, et non de la rue d'Ulm :

Je ne suis en aucune façon intervenu auprès de Mme Canto-Sperber, même s’il est vrai que j’étais catastrophé par l’annonce de ce débat parce qu’il risquait de créer un précédent dans les autres universités.

Certes, notre philosophe bavard s'étend beaucoup sur ce qui le catastrophe, mais son démenti a le mérite d'être assez clair.

Et monsieur Bernard-Henri Lévy, de retour des États-Unis, envoyait le soir du même jour un message au NouvelObs :

Contrairement à ce que laisse entendre votre site, je ne suis intervenu ni auprès de Madame Canto-Sperber ni auprès de quiconque pour recommander l'annulation de ce débat. Je suis, par principe, même et surtout quand le désaccord est profond, partisan de la confrontation des points de vue - pas de leur «annulation».

Quant à monsieur Claude Cohen-Tannoudji, il n'a peut-être tout simplement pas reconnu son nom...

A moins qu'il ne médite sur le principe de Pascal
sur la transmission de la pression dans un fluide.

Il est assez clair, à la lecture de la pénible prose de monsieur Prasquier, que ce qui a provoqué sa "colère" n'est pas tant la présence de Stéphane Hessel dans les locaux de l'ENS, mais bien le fait que l'on puisse y parler librement de la campagne BDS (Boycott-Désinvestissement-Sanctions) qui se veut être une "réponse citoyenne et non violente à l'impunité d'Israël". On sait que, pour le CRIF et son président, les militants de cette campagne "prônent un comportement discriminatoire à l’égard d’un pays et (...) tombent ainsi sous le coup de la loi", et que, de cela, il ne saurait être question de débattre...

Après un rapide hommage à maître Pascal Markowicz "qui défend nos positions avec brio et ténacité", monsieur Richard Prasquier revendique l'action du CRIF dans ce domaine de la criminilisation de l'expression citoyenne en des termes éloquents :

C’est d’ailleurs l’occasion de rappeler, notamment à ceux qui ont tendance à le passer sous silence, que c’est bien le CRIF qui est à la manœuvre derrière toutes les procédures contre le boycott, même si par tradition il s’abstient de porter plainte lui-même.

Nul besoin d'être issu de Normale Sup, Ulm ou Saint-Cloud, pour s'en être aperçu. Mais on se gardera bien de profiter de cette ferme revendication pour présenter le président du CRIF comme un habile manœuvrier.

Car s'il a réussi à faire interdire la tenue d'une conférence-débat dans une salle, il a finalement obtenu que se tienne un rassemblement, beaucoup plus impressionnant qu'une simple réunion, sur la place du Panthéon où Stéphane Hessel, coiffé d'un bonnet phrygien, a reçu une ovation.

Mais je ne pense pas qu'on ira jusqu'à rendre hommage à monsieur Richard Prasquier pour avoir "réagi sans ambiguïté".

L'info qui vous la coupe

Ne sont pas restés sur leur faim, les membres de l'Association des journalistes parlementaires qui recevaient hier monsieur Xavier Bertrand, ministre de la santé et de diverses autres choses... On peut même dire qu'il leur a lancé un bon biscuit à grignoter.

Le ministre leur a en effet confié qu'il avait "eu recours pendant des années à différents coupe-faim dont certains ont été interdits ou retirés du marché", et il a même ajouté qu'il n'avait jamais pris de Mediator.

On imagine la qualité du silence qui a dû suivre une telle révélation.

Car enfin, c'est énorme, un scoupe de ce calibre !

Les "rondeurs" de monsieur Bertrand,
vues par Lionel Bonaventure de l'AFP-point-com.

Certains ont cependant été un peu déçus de ne pas entendre monsieur Xavier Bertrand s'étendre davantage sur les exploits vélocipédiques de sa grand-mère.

mardi 18 janvier 2011

Progrès du ridicule

Rien de tel pour vous donner envie d'entonner la célèbre chansonnette franchouillarde où se trouve célébré le cocuage du chef de gare, que de prendre connaissance des initiatives désespérées et parfaitement ridicules prises par monsieur Pierre Lang, député-maire de Freyming-Merlebach (Moselle), à la suite de ses déboires conjugaux.

Au prétexte que sa future ex-épouse - les travaux juridiques sont en cours - aurait été "séduite" par un stomatologue dans l'exercice de ses fonctions, monsieur Pierre Lang a cru judicieux d'invoquer une infraction au serment d'Hippocrate. Il a donc déposé un recours devant le Conseil de l'Ordre des médecins de Lorraine afin que monsieur Bernard Daclin, le présumé parjure, soit sanctionné sévèrement.

Monsieur Lang, parlementaire et législateur moderne, s'imagine sans doute qu'il existe une juridiction pour chaque avanie dont on se sent victime...

Monsieur Pierre Lang, débouté.

Le serment d'Hippocrate, tel qu'il est actuellement rédigé, comporte cet engagement :

Reçu(e) à l'intérieur des maisons, je respecterai les secrets des foyers et ma conduite ne servira pas à corrompre les mœurs.

J'ignore si le très sérieux Conseil de l'Ordre des médecins de Lorraine a longuement et savamment débattu de cette notion assez datée de "corruption des mœurs", mais il a annoncé sa décision dans la matinée d'hier, et il a rejeté la plainte du député-maire.

Le Républicain Lorrain, où l'affaire a été suivie avec un soin tout particulier, commence son compte-rendu par cette réaction assez vive de monsieur Lang :

Au téléphone, Pierre Lang est furibard : « Je n’ai rien à vous dire, c’est une affaire privée ; ça ne vous regarde pas ! » Le député-maire de Freyming-Merlebach l’a appris hier matin, vers 9 h : le conseil de l’ordre des médecins de Lorraine a rejeté la plainte que l’élu avait défendue à l’audience du 10 décembre dernier.

"Une affaire privée" ! On entend bien par là que monsieur le député-maire commence à retrouver son sens de l'humour.

Qu'il a probablement aussi développé que le sens du ridicule.


PS : Quant au sens hippocratique de monsieur Pierre Lang, on peut en douter. Il n'est certes pas médecin - il est biologiste -, mais il est Président de l'Association des Œuvres en Faveur des Personnes Agées ou Handicapées du secteur de Freyming-Merlebach (A.O.F.P.A.H.), qui regroupe plusieurs structures, dont l'IEM "Les Jonquilles" , qui accueillait Ardi Vrenezi, expulsé le 3 mai 2010.

Le serment d'Hippocrate commence ainsi :

Mon premier souci sera de rétablir, de préserver ou de promouvoir la santé dans tous ses éléments, physiques et mentaux, individuels et sociaux.

Je respecterai toutes les personnes, leur autonomie et leur volonté, sans aucune discrimination selon leur état ou leurs convictions.

J'interviendrai pour les protéger si elles sont affaiblies, vulnérables ou menacées dans leur intégrité ou leur dignité.


Après l'expulsion d'Ardi, monsieur Lang bafouillait des banalités convenues sur l'impossibilité d'accueillir toute la misère du monde... Et je ne crois pas qu'il se soit beaucoup activé, depuis, sur ce "dossier".

dimanche 16 janvier 2011

Le clavecin de René Crevel

Ce petit livre, Le clavecin de Diderot, de René Crevel est paru en 1932 aux Editions Surréalistes. Il a été réédité en 1966, par Jean-Jacques Pauvert, dans sa collection "Libertés", avec une présentation de Claude Courtot.

Il me semble qu'il n'y a pas eu d'édition plus récente, et j'ai, bien sûr, égaré le petit livre à la couverture de papier kraft de chez Pauvert...


Le Centre de Recherche sur le Surréalisme propose, sur son site Mélusine, une bibliothèque numérique surréaliste où la totalité des œuvres de René Crevel tombées dans le domaine public est accessible au bibliophile négligent.

Pour le plaisir des retrouvailles avec un grand texte, voici un accord tiré de ce clavecin de Diderot :

De l’humanisme

« Homo sum, disait Térence, et nil humani a me alienum puto. »

En récompense de cette déclaration, l’Église a béatifié le faiseur de calembredaines. Il est devenu le saint Térence du calendrier catholique : Homo sum… Je suis un homme et rien de ce qui est humain ne m’est étranger.

Que cette déclaration ait valu renom de pionnier à son auteur, qu’elle en ait fait un évangéliste avant la lettre, voilà qui prouve assez la volonté confusionnelle des Églises et de l’intelligentsia bourgeoise, qui, en fait de psychologie, ne veulent d’autres découvertes que celles des plus communs lieux communs.

Il importe donc de ne pas se laisser encercler dans une lapalissade, rendez-vous de chasse de toutes les mauvaises fois du monde, carrefour équivoque où il n’est pas un maître chanteur qui ne soit venu s’essayer à faire son petit rossignol.

L’humain : pour emporter le morceau, n’importe quel opportuniste, à bout d’arguments, n’a qu’à s’en prévaloir. On connaît l’antienne : Tâchez donc d’être un peu plus humain. Sous les râteliers des MM. Prudhomme, elle vous a un de ces petits airs paternes, elle devient la prière mielleuse dont tous les rentiers espèrent qu’elle empêchera leurs rentes de descendre.

Or, parce que, si tout semble perdu, ces Messieurs feront du bon garçonnisme leur dernière cartouche, voici que, déjà, ils donnent à ce conseil un ton vaudevillesque, celui-là même qui valut à la célèbre phrase : « Mais n’te promène donc pas toute nue » de faire, à la fois le titre et le succès d’une pièce où s’incarnait, on ne peut mieux, l’esprit français, aux beaux jours du théâtre du Palais-Royal, avant la guerre.

L’humain, de son angle culturel, l’humanisme, de son angle christiano-philanthropique, l’humanité(1) synonyme sécularisé de la dernière des trois vertus théologales, la charité (laquelle, d’ailleurs, mériterait bien de passer avant la foi et l’espérance, eu égard au nombre de services qu’elle n’a cessé de rendre au capitalisme catholique, apostolique et romain), voilà tout ce qu’on nous offre, bien que nul n’ignore quels intérêts s’abritent à l’ombre de ces frondaisons-prétextes.

Et déjà, à cause de tous ces mots, qui sont à la fois des programmes électoraux, des étalons de valeurs morales, des monnaies d’échange, il nous faut noter que, dans l’histoire de l’homme, de l’humain, dirons-nous (assez beaux joueurs pour accorder cette ultime concession, la dernière cigarette à ces Messieurs de la démagogie en soutane ou complet-veston parlementaire) l’histoire du langage fait figure non d’un chapitre à d’autres tangent mais d’une glose ramifiée, entremêlée au texte.

(1) Il a fallu la ruse prodigieuse et obstinée des moralistes et politiciens pour que le mot désignant l’ensemble des hommes en vienne à signifier non plus cette universalité concrète et vivante mais une abstraction qualitative dont la tartuferie couvre ses méfaits, et ne cesse d’arguer, pour contrarier, au profit du petit nombre favorisé, le devenir de l’humanité.



PS : Pour une présentation rapide de René Crevel, on peut se reporter en toute confiance à la notice que Barbarin Cassin a rédigée pour l'Encyclopædia Universalis. Elle est reprise sur le blogue "Pablo Neruda".

vendredi 14 janvier 2011

Le courrier des lecteurs d'Article 11

Il me semble, mais je n'en suis pas certain, que j'ai eu l'occasion, il y a quelque temps déjà, de vous parler de la sortie en kiosque d'Article 11, ce quotidien très intermittent qui paraît tous les deux mois. J'ai vaguement le souvenir de vous avoir recommandé de vous y abonner...

Si vous ne l'avez pas fait, il vous est encore possible de réparer cette erreur avant qu'elle ne devienne impardonnable.

Évidemment, votre abonnement ne pourra commencer qu'au deuxième numéro qui vient tout juste de sortir. Le premier, que les bibliophiles s'arrachent déjà, est totalement épuisé et restera manquant dans votre collection, que vous ne pourrez léguer qu'incomplète à vos héritiers.

Qui vous en voudrons éternellement.
Lorsque je fus approché par les chasseurs de têtes à plumes d'Article 11, pour une longue négociation qui devait aboutir à une courte chronique dans le numéro 2 de la publication, je demandai à voir le dossier, sensible entre tous, des courriers de lecteurs. Ce qu'on m'accorda, de mauvaise grâce, si mes souvenirs sont bons.

C'était un dossier considérable, que je pris en grande considération...

J'écartai dès l'abord une certain nombre de courriers d'une agressivité extrême de lecteurs qui estimaient avoir été trompés sur la marchandise à cause des couleurs affichées par ce premier numéro : bleu et rouge sur fond blanc, car il avait été imprimé sur du vrai papier, mais - faute de finances - avec des restes d'éosine et de bleu de méthylène récupérés ici ou là. Ces lecteurs, qui s'attendaient à une prose gaillardement nationaliste, répandaient leur vindicte sur plusieurs pages de grand style.

Je classai dans la même pile les lettres polies mais fermes de ceux qui, croyant que le journal était, comme on dit, en 3D, avaient acheté des lunettes spéciales et en demandait le remboursement.

Il me fallut ensuite consacrer plus de temps à une épaisse enveloppe de papier kraft qui contenait bon nombre de certificats médicaux signés d'ophtalmologistes, et quelques photocopies d'articles de revues médicales spécialisées dans le daltonisme. Une note de synthèse, rédigée par l'expéditeur, indiquait pourquoi Article 11 ne pouvait, en l'état, être lu sans engendrer une extrême fatigue visuelle par les personnes souffrant de dyschromatopsie. J'ai à mon tour rédigé une note synthétisant la note susdite, et j'ai pu constater que mon avis a été pris en compte puisque le numéro 2 est imprimé en bleu et en vert.

Juste pour l'anecdote, figurait dans le même envoi un rapport rédigé par un dermatologue à propos d'un de ses patients allergique au bleu de méthylène et abonné à Article 11. Ce document était accompagné de photographies très explicites dont j'ai déconseillé la publication.

Le numéro 2.

Me restait sous le coude une liasse assez épaisse pour que je puisse la considérer comme un échantillon représentatif de cette population, peu étudiée par les sociologues, constituée des gens qui écrivent aux journaux.

Je fis un constat accablant, ou du moins qui m'accabla : plus de la moitié des auteurs de ces courriers commençaient par une remarque sur le peu de lisibilité du journal. J'étais tout près du scoupe, voire du buzze : irai-je pouvoir affirmer, comme l'aurait fait n'importe quel écrivain-journaliste de renom, que plus de 50% des gens qui écrivent aux journaux n'arrivent pas à les lire, et feraient mieux d'écouter la radio ? Un examen plus approfondi de ces correspondances me montra que la plupart de ces râleurs avaient pourtant lu, et attentivement, ce premier numéro d'Article 11. Ces lettres contenaient nombre de remarques, parfois assassines, souvent élogieuses, sur le contenu même de ce que, prétendument, ils n'avaient pas réussi à déchiffrer.

Tant de mauvaise foi était par trop déconcertante. Au cours d'un déjeuner de travail, pris, vers 16h, dans l'un des kebabs les plus classieux de la capitale, nous décidâmes de ne pas faire de place, sur le papier, à ce finalement dithyrambique courrier des lecteurs : on peut produire la plus belle des publications indépendante de la presse mondiale, et demeurer d'une exemplaire modestie.

jeudi 13 janvier 2011

Un correspondant au pied du mur

Il est un peu tard pour espérer, en partant maintenant de mon ermitage normand, arriver à temps à la librairie de l'Atelier (2 bis, rue du Jourdain, à Paris 20e) pour assister à la rencontre/débat avec Michel Warschawski qui doit s'y tenir à 20 h.

Il y parlera, entre autres choses, de son dernier livre, Au pied du mur, de notre correspondant à Jérusalem, récemment paru aux Éditions Syllepse qui le présentent ainsi :

Pendant deux ans, Michel Warschawski, journaliste et militant pacifiste israélien, a livré à l’hebdomadaire Siné Hebdo une chronique des événements courants du conflit israélo-palestinien et de la colonisation des territoires palestiniens voulue par l’État d’Israël.

Ces billets d’actualité décrivent par le menu les réalités, politiques, sociales et culturelles de cette région du globe.

Opposant farouche à la politique coloniale de son pays, l’auteur ne parle pas du «  processus de paix  », qu’il craint n’être que virtuel. Il évoque au contraire d’autres processus qui compromettent une «  paix juste et durable  », à savoir la colonisation, le Mur de la honte, l’apartheid, la fuite en avant et la fascisation de l’État d’Israël.

Comme l’écrivent dans leur avant-propos André Rosevègue et Michèle Sibony, de l’Union juive française pour la paix, Michel Warschawski «  nous fait entrer dans les arcanes d’un État qui appartient à son armée plutôt que l’inverse  ».


Pour me consoler, je peux regarder le portrait que Stras TV a fait de Michel Warschawski.

Sur sa Feuille de Chou, l'ami Schlomoh l'introduit ainsi :

L’Union juive française pour la paix et l’Association des travailleurs maghrébins de France remercient Stras TV pour ce reportage que les autres télévisions n’ont pas réalisé.

mercredi 12 janvier 2011

Droit d'ingérence sécuritaire

Pour ceux qui n'auraient pas trop suivi le feuilleton du remaniement ministériel, il faut peut-être rappeler que madame Michèle Alliot-Marie est actuellement ministre des Affaires étrangères et européennes, en remplacement de monsieur Bernard Kouchner, vrai faux démissionnaire et humaniste de première classe. C'est à ce titre qu'elle répondait hier, au Palais-Bourbon, à quelques questions sur le très long et très impressionnant silence des autorités françaises sur les événements de Tunisie.

Il n'est pas certain que, malgré ses multiples talents, madame Alliot-Marie soit une spécialiste du langage purement diplomatique, car ses réponses, énoncées dans la langue de bois très mou du verbiage parlementaire, laissent entrevoir quelque rémanence de ses anciennes attributions.

Je ne veux pas parler de ceci :

"Plutôt que de lancer des anathèmes, je crois que notre devoir est de faire une analyse sereine et objective de la situation." / "On ne peut que déplorer qu'il puisse y avoir des violences qui concernent ces peuples amis" / Notre premier message doit être celui de l'amitié" / "On ne doit pas s'ériger en donneurs de leçons."

Mais plutôt de cela :



envoyé par SuperBeurkMan. -

"Nous proposons que le savoir-faire, qui est reconnu dans le monde entier, de nos forces de sécurité permette de régler des situations sécuritaires de ce type. C'est la raison pour laquelle nous proposons effectivement aux deux pays de permettre, dans le cadre de nos coopérations, d'agir en ce sens, pour que le droit de manifester puisse se faire en même temps que l'assurance de la sécurité."

(On aura compris que, dans ses propos, madame Alliot-Marie amalgame Algérie et Tunisie - "ces peuples amis", "aux deux pays" -, moyen comme un autre de ne pas trop s'appesantir sur le régime de notre ami monsieur Ben Ali...)

Cette déclaration est suffisamment charabiesque, surtout en sa seconde phrase*, pour être entendue diversement.

On pourra s'étonner que madame Alliot-Marie, qui ne se veut surtout pas "donneuse de leçons", propose les services de nos "forces de sécurité" pour "régler des situations sécuritaires de ce type"... Allons-nous, concrètement, envoyer sur le terrain des spécialistes de notre "savoir-faire" pour donner des leçons de répression et de maintien de l'ordre ? Il est probable que, dans le cadre de nos accords de coopération (les fameuses "coopérations" du charabia cité), ces échanges de savoir-faire se pratiquent déjà depuis bien longtemps, d'une manière ou d'une autre...

Un parlementaire sérieux posera sans doute, s'il y pense, la question à notre ministre.

Peut-être madame Alliot-Marie y répondra-t-elle, sans bafouiller cette fois, en développant une intéressante doctrine du droit/devoir d'ingérence sécuritaire, qui viendra harmonieusement compléter la théorie du droit/devoir d'ingérence humanitaire jadis illustrée par son prédécesseur, le docteur Kouchner.



* Mais qu'est-ce que ça veut dire : "pour que le droit de manifester puisse se faire en même temps que l'assurance de la sécurité" ?

mardi 11 janvier 2011

La manière la plus optimale possible

Quelques mots extraits d'un récit écrit en urgence, que vous pourrez retrouver au complet sur le site du RESF :

Après une garde à vue de David et de sa compagne Vanine, les gendarmes ont accompagné David Asryan à l'école à 15h30 pour y chercher Vazgen.

Je suis arrivée alors que tous les deux étaient dans la voiture de gendarmerie. Il m'a été interdit de faire une bise à David et Vazgen !


Vazgen sans siège rehausseur et je crois sans ceinture, assis entre son père et un gendarme, ne semblait pas du tout effrayé et m'a fait un beau sourire.


Ce "beau sourire" était celui d'un enfant de 6 ans qui ignorait encore qu'on allait le conduire, non à la maison, mais au centre de rétention administrative de Nîmes où il allait être enfermé avec son père David et sa compagne Vanine. (*)

Les habitants de Langeac (Haute-Loire) n'ont montré aucune gratitude aux donneurs d'ordre qui ont su ourdir cette arrestation en y mettant les formes : avec l'accord de la direction, trois gendarmes, en tenue civile, ont opéré dans les couloirs de l'école, hors de la vue des autres enfants, et une heure avant la sortie des classes.

Même si l'on s'arrange pour qu'il y parte en gardant le sourire, la place d'un enfant de six ans n'est pas dans un centre de rétention.

L'indignation a largement dépassé les limites de la petite ville, et l'information, reprise par l'AFP, se trouve maintenant dans les quotidiens nationaux.

La nouvelle est accompagnée, bien sûr, de la version de la préfecture de Haute-Loire :

"La situation de M. Asryan est incontestable", a expliqué de son côté la préfecture de la Haute-Loire. M. Asryan "a été arrêté pour un délit et les gendarmes ont découvert à cette occasion qu'il avait une obligation de quitter le territoire. Il a exprimé le souhait d'avoir son enfant, tout s'est passé de la manière la plus optimale possible pour une situation inhabituelle", a-t-on ajouté.

Remarquons d'abord que l'allusion à l'interpellation initiale de David Asryan "pour un délit" - il s'agirait d'un vol de carburant -, si elle peut flatter une certaine sensibilité nationale que nos maîtres actuels ont su développer, ne permet aucunement de justifier l'arrestation d'un enfant dans une école et son placement en centre de rétention...

Mais après avoir fait vibrer en sourdine cette corde sur l'accord convenu sans-papiers = délinquants, le (ou la) porte-parole de la préfecture assène "son" argument :

"Il a exprimé le souhait d'avoir son enfant."

Nous dira-t-on ce qu'il aurait dû faire ?

Apparemment, ce n'est pas le problème de la préfecture, qui s'auto-félicite en redondant du superlatif :

"Tout s'est passé de la manière la plus optimale possible pour une situation inhabituelle."

Un barbarisme n'est jamais de trop pour justifier un acte de froide barbarie administrative.

Lundi matin à Langeac.


Il y avait donc, lundi matin, dans la classe que fréquentait Vazgen, une chaise vide.

Un jour prochain, peut-être, afin que "tout se passe de la manière la plus optimale possible" dans ce type de situation, une circulaire de l'Education Nationale pourrait suggérer aux professeur(e)s des écoles de profiter de cette opportunité pour développer une leçon d'instruction civique sur le thème "la Loi, c'est la Loi". Je propose que cette même circulaire déconseille formellement aux enseignants d'associer ces circonstances propices à la pédagogie vivante à un cours d'histoire.

C'est une idée contre-productive, à repousser résolument.

Comme disait ma grand-mère, les gamins de maintenant, ils sont éveillés...

Et ils ont mauvais esprit.



(*) Bien qu'il ne soit pas essentiel, voici le contexte de cette arrestation abjecte d'un enfant de six ans dans son école, d'après les informations données par le RESF.

David Asryan a passé la plus grande partie de sa vie en Russie, où ses parents, indésirables en Arménie, s'étaient exilés. venus s'installer. Lié à un parti d'opposition, David a eu à subir des persécutions et a dû fuir la Russie pour tenter de s'installer en France. Sa demande auprès de l'office français de protection des réfugiés et apatrides (OFPRA) a été rejetée, ainsi qu'un premier recours auprès de la cour nationale du droit d'asile (CNDA). Il avait réouvert un dossier auprès de la CNDA et était en attente de la réponse. Vanine, sa compagne, en France depuis 6 mois, n’avait pas encore présenté de demande à l’OFPRA.

Les démarches entreprises par David Asryan ne le mettaient pas à l'abri de l'obligation de quitter le territoire français qu'il avait reçue à l'automne.

lundi 10 janvier 2011

L'amour, toujours l'amour

Après le couac retentissant émis, peut-être intentionnellement, par leur fondateur et président, les Laboratoires Servier parlent désormais avec la voix plus séduisante de madame Lucy Vincent. On a ainsi pu l'entendre ce matin sur RTL, où elle reprenait ses propos publiés hier par le JDD.

Depuis plusieurs années, on a entendu cette même voix développer les conséquences de ce que madame Vincent tenait pour une grande découverte, puisqu'elle en était l'auteure, à savoir la mise en évidence du rôle de l'ocytocine, l'hormone du coup de foudre.

Notre pétulante biologiste s'est suffisamment étendue là-dessus, dans ses livres de vulgarisation, pour que l'on ne revienne pas sur cette astucieuse cuisine à base d'ocytocine, à laquelle vous ajouterez un bouquet de phéromones et un zeste de dopamine. En général, le public ébahi ne retient de tout cela qu'une assez vague théorie de la précarité amoureuse cadencée par diverses productions hormonales qui finissent pas se tarir au bout de trois ans.

Ces heureuses dispositions endocriniennes ont sans doute permis à notre espèce de se perpétuer et de se propager. On sait que ces choses-là ne se font pas par l'opération du Saint-Esprit - il paraît qu'il y eu un cas, mais scientifiquement douteux, l'expérience étant difficilement reproductible.

Madame Lucy Vincent ne se prive pas de ces considérations, assez douteuses elles aussi, sur les finalités évolutives de la biologie et/ou de la psychologie humaine, et nous fait remonter les âges pour nous raconter les premiers romans d'amour des hominidés. Dans cette spécialité narrative, elle se situe entre le professeur Yves Coppens et les tenants de la "psychologie évolutionniste".

Quant au résultat, voici ce que cela donne, sous la plume de Nolwenn Le Blevennec, pour Le Journal du Dimanche de la Saint Valentin 2010 :

Lucy Vincent soutient la thèse que l’homme et la femme, portés par la nécessité de se reproduire, se choisissent grâce aux odeurs et phéromones qu’ils dégagent (urine, transpiration). L’objectif : détecter un patrimoine génétique assez proche du sien, mais assez différent pour optimiser le génome de ses enfants. L’homme choisira une partenaire féconde (bouche pulpeuse, peau saine). La femme cherchera un conjoint qui a du pouvoir pour assurer la survie de son foyer. "Nous avons hérité des comportements de nos ancêtres préhistoriques" sourit Lucy Vincent. Si les phéromones accrochent et que la forme physique et intellectuelle nous convient, c’est le coup de foudre.

L’être humain est alors "programmé" pour aimer son partenaire trois ans, temps nécessaire pour qu’un enfant tienne debout. Pendant cette période, le cerveau est saturé d’ocytocine. Sa sécrétion s’accompagne de doses de dopamine (motivation) et de bouffées d’endorphine (plaisir).

Je suppose que l'article a été minutieusement relu et approuvé par madame Lucy Vincent...


Avec quelques statuettes d'art dit premier,
"Lucy Vincent explique que l'être humain
est programmé pour aimer son partenaire trois ans."
(Photo: Jérôme Mars pour le JDD)

Madame Lucy Vincent n'a pas ménagé sa peine pour populariser sa "chimie de l'amour". Dans l'article-Saint-Valentin du JDD, elle donne de sa personne et laisse Nolwenn Le Blevennec nous révéler les grandes étapes de sa vie sentimentale, entièrement dominée par le "coup de foudre".

Car :

"Je marche aux coups de foudre. J’adore ça."

Dit-elle.

Nous apprenons ainsi que madame Lucy Vincent et monsieur Jean-Didier Vincent se sont séparés, après dix-sept ans de vie commune, "soit quatorze ans 'sobres' (sans endorphines)", et que :

Lucy Vincent a quitté le CNRS "par amour". Elle travaille désormais dans un labo pharmaceutique et espère sa prochaine passion comme on attend le bus.

Notre chercheuse est-elle tombée amoureuse des Laboratoires Servier où elle occupe, depuis 2009, le poste de directrice générale des relations extérieures ?

C'est à ce titre que nous la voyons apparaître en première ligne médiatique dans cet entretien accordé au Journal du dimanche, à propos de l'affaire du Médiator.

Il vous suffira de le lire avec attention pour vous apercevoir que notre divorcée du CNRS a parfaitement épousé les thèses de son employeur actuel. Elle met décidément beaucoup d'énergie et de talent à défendre les positions du laboratoire, en contestant toutes les études qui lui sont opposées et en usant de son prestige scientifique personnel pour remettre en cause leur scientificité. Pour enrober le tout, elle place deux concessions, dont l'une sera utilisée dans le titre :

"Si le Mediator a provoqué la mort de trois personnes, c’est déjà trop."

La seconde, davantage reprise, n'engage pas à grand chose car c'est le cas de toute médication :

"Je veux être très claire : nous ne nions pas que le Mediator ait pu présenter un vrai risque pour certains patients."

Cela suffira pour que, dans Libération, Grégoire Biseau puisse titrer son article : Servier sort de la stratégie du déni, et le commencer ainsi :

Rien de tel qu’une spécialiste mondiale de l’amour pour tenter de faire prendre au laboratoire Servier un virage à 180 degrés en matière de communication.

L'amour rend un peu aveugle...