Ce petit livre, Le clavecin de Diderot, de René Crevel est paru en 1932 aux Editions Surréalistes. Il a été réédité en 1966, par Jean-Jacques Pauvert, dans sa collection "Libertés", avec une présentation de Claude Courtot.
Il me semble qu'il n'y a pas eu d'édition plus récente, et j'ai, bien sûr, égaré le petit livre à la couverture de papier kraft de chez Pauvert...
Le Centre de Recherche sur le Surréalisme propose, sur son site Mélusine, une bibliothèque numérique surréaliste où la totalité des œuvres de René Crevel tombées dans le domaine public est accessible au bibliophile négligent.
Pour le plaisir des retrouvailles avec un grand texte, voici un accord tiré de ce clavecin de Diderot :
De l’humanisme
« Homo sum, disait Térence, et nil humani a me alienum puto. »
En récompense de cette déclaration, l’Église a béatifié le faiseur de calembredaines. Il est devenu le saint Térence du calendrier catholique : Homo sum… Je suis un homme et rien de ce qui est humain ne m’est étranger.
Que cette déclaration ait valu renom de pionnier à son auteur, qu’elle en ait fait un évangéliste avant la lettre, voilà qui prouve assez la volonté confusionnelle des Églises et de l’intelligentsia bourgeoise, qui, en fait de psychologie, ne veulent d’autres découvertes que celles des plus communs lieux communs.
Il importe donc de ne pas se laisser encercler dans une lapalissade, rendez-vous de chasse de toutes les mauvaises fois du monde, carrefour équivoque où il n’est pas un maître chanteur qui ne soit venu s’essayer à faire son petit rossignol.
L’humain : pour emporter le morceau, n’importe quel opportuniste, à bout d’arguments, n’a qu’à s’en prévaloir. On connaît l’antienne : Tâchez donc d’être un peu plus humain. Sous les râteliers des MM. Prudhomme, elle vous a un de ces petits airs paternes, elle devient la prière mielleuse dont tous les rentiers espèrent qu’elle empêchera leurs rentes de descendre.
Or, parce que, si tout semble perdu, ces Messieurs feront du bon garçonnisme leur dernière cartouche, voici que, déjà, ils donnent à ce conseil un ton vaudevillesque, celui-là même qui valut à la célèbre phrase : « Mais n’te promène donc pas toute nue » de faire, à la fois le titre et le succès d’une pièce où s’incarnait, on ne peut mieux, l’esprit français, aux beaux jours du théâtre du Palais-Royal, avant la guerre.
L’humain, de son angle culturel, l’humanisme, de son angle christiano-philanthropique, l’humanité(1) synonyme sécularisé de la dernière des trois vertus théologales, la charité (laquelle, d’ailleurs, mériterait bien de passer avant la foi et l’espérance, eu égard au nombre de services qu’elle n’a cessé de rendre au capitalisme catholique, apostolique et romain), voilà tout ce qu’on nous offre, bien que nul n’ignore quels intérêts s’abritent à l’ombre de ces frondaisons-prétextes.
Et déjà, à cause de tous ces mots, qui sont à la fois des programmes électoraux, des étalons de valeurs morales, des monnaies d’échange, il nous faut noter que, dans l’histoire de l’homme, de l’humain, dirons-nous (assez beaux joueurs pour accorder cette ultime concession, la dernière cigarette à ces Messieurs de la démagogie en soutane ou complet-veston parlementaire) l’histoire du langage fait figure non d’un chapitre à d’autres tangent mais d’une glose ramifiée, entremêlée au texte.
(1) Il a fallu la ruse prodigieuse et obstinée des moralistes et politiciens pour que le mot désignant l’ensemble des hommes en vienne à signifier non plus cette universalité concrète et vivante mais une abstraction qualitative dont la tartuferie couvre ses méfaits, et ne cesse d’arguer, pour contrarier, au profit du petit nombre favorisé, le devenir de l’humanité.
PS : Pour une présentation rapide de René Crevel, on peut se reporter en toute confiance à la notice que Barbarin Cassin a rédigée pour l'Encyclopædia Universalis. Elle est reprise sur le blogue "Pablo Neruda".
dimanche 16 janvier 2011
Le clavecin de René Crevel
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