dimanche 28 février 2010

Faut-il brûler JBB ?

Indubitablement, la question mérite d'être posée.

Et je ne doute pas qu'un jour viendra où la république de la pensée me reconnaîtra le mérite de l'avoir abordée sans louvoyer.

Il faut préciser tout de suite, afin de lever toute ambigüité et puisque deux penseurs illustres honorent la même série d'initiales, que je parle ici du plus méconnu des deux: Jean-Baptiste Botul (1).

Oui, faut-il brûler Jean-Baptiste Botul ?

C'est en lisant la pathétique tentative d'intervention de madame Ségolène Royal dans l'affaire "BHL/JBB", publiée par le quotidien Le Monde, que cette question s'est imposée à la sagacité de mon esprit.

BHL donnant à madame Royal un aperçu centimétrique
de La vie sexuelle d'Emmanuel Kant, d'après Jean-Baptiste Botul.

Cette tribune, vigoureusement intitulée BHL, François Mitterrand, la meute et moi, m'a cueilli à froid au retour d'une excursion aveyronnaise exclusivement consacrée aux plaisirs de l'amitié et de la bonne chère. Non loin de Villefranche-de-Rouergue (2), où Jean-Baptiste Botul connut, "flânant sous les arcades et miné par le spleen", son épiphanie du fromage de tête, et probablement conçut cette Ode au fromage de tête dont il abandonna la composition à Capdenac (3) "après quelques strophes bien venues", j'ai assisté, à titre d'observateur indépendant, à un atelier de mise en boîtes et en toupines de divers produits du gavage local tels les foies gras et quartiers confits.

J'avais emporté, dans ma valise à roulettes (4), un exemplaire de La Métaphysique du Mou, de JBB, dont le texte a été établi et annoté par Jacques Gaillard pour les éditions Mille et une nuits (2007), et je pus ainsi me livrer à de profondes méditations sur la pertinence, et la richesse, du concept de mouité introduit par ce grand penseur.

A force de méditer, j'en suis venu à regretter que, par de subtils détours, la révélation du fromage de tête de Villefranche-de-Rouergue ait amené Botul à mettre sa phénoménologie de la mouité à l'épreuve, par tripotage, dans les salons du Chabanais (5), et non dans les cuisines du Rouergue, ou d'une autre région où l'on pratique la suralimentation des anatidés domestiques. Là, il aurait pu travailler sur le paradigme du foie gras cru...

Je suis persuadé que les conséquences en auraient été considérables, voire même renversantes pour certaines conclusions du fragment 18.

BHL au cours d'une conférence,
donnant des précisions centimétriques

sur la vie sexuelle de Jean-Baptiste Botul.

On comprendra aisément que la lecture du plaidoyer pro-BHL de madame Ségolène Royal m'ait été comme une volée de bois vert.

Au point d'avoir l'idée de brûler toutes les œuvres de JBB, cet "auteur sous pseudonyme" qui aurait "prétendument piégé" l'estimé BHL...

Dans cet article, vraisemblablement écrit de sa main, tant le style nunuche en est affirmé (6), madame Royal nous informe qu'en pleine campagne électorale dans sa région poitevine, elle trouve encore le temps de lire les "mille trois cents et quelques pages" de Pièces d'identité (Grasset, 2010) que monsieur Bernard-Henri Lévy a livrées à son éditeur, qui les a fait imprimer.

Et la voilà tout étourdie de cette clinquante érudition !

Et elle s'insurge contre cette "incroyable chasse à l'homme déclenchée contre lui" par une meute de "roquets":

C'est drôle, quand même, tous ces roquets qui lui reprochent une ligne sur le désormais fameux "Botul" et qui, avec ce reproche, tiennent ou croient tenir une bonne raison de "trapper" Spinoza, Althusser, le psychanalyste Jacques Lacan, le charismatique commandant Massoud ou le mystérieux Emmanuel Levinas !

On fera dire à madame Royal que la meilleure manière de ne pas "trapper" Spinoza, Althusser, Lacan ou Levinas est de les lire, au lieu de perdre son temps à lire BHL.

Après avoir béé d'admiration, madame Royal termine en invoquant le témoignage de François Mitterrand soi-même:

Qu'il me soit permis, pour finir, de citer un texte qui n'est ni de Lévy ni de moi, mais d'un illustre socialiste.

Les amateurs de gonflette intellectuelle y retrouveront avec plaisir ce style ampoulé et chafouin dont notre "illustre socialiste" faisait grand usage pour ne rien dire.

Il n'en dit pas plus, en effet, sur le jeune BHL qu'il rencontra "alors qu'il venait d'entrer à Normale supérieure", c'est-à-dire à l'époque où monsieur Bernard-Henri Lévy commençait, avec l'aide de quelques relations utiles, de fabriquer son personnage pour s'établir sur la scène littéraire. En pressentant (prétendument) "en ce jeune homme grave le grand écrivain qu'il sera", François Mitterrand note:

Peut-être me trompé-je, peut-être cédera-t-il aux séductions du siècle au-delà du temps qu'il faut leur accorder. J'en serais triste.

Quelques années plus tard, Pierre Vidal-Naquet, jugeait les "perles" de BHL "dignes d'un médiocre candidat au baccalauréat", autrement dit d'un potache qui veut nous bourrer le mou.

Une lecture salutaire pour tous les mous du bulbe.

Je n'ai évidemment pas brûlé les œuvres de Botul, qui, contrairement à BHL, est un personnage littéraire parfaitement réussi, et qui mérite une longue vie posthume, intelligemment ouvragée par Frédéric Pagès, Jacques Gaillard, Christophe Clerc et Bertrand Rothé, ainsi que l'A2JB2 (Association des Amis de Jean-Baptiste Botul).


Notes:

(1) Certes, la notoriété de JBB-Botul ne fait que croître ces derniers temps grâce aux efforts combinés d'Aude Lancelin et de la société des derniers amis de BHL, mais une simple vérification matinale sur l'indispensable gougueule m'a assuré qu'à la requête "JBB" l'universel moteur de recherche retournait JBB-Article XI en quatrième position, juste après le Journal of Biomedicine and Biotechnology, en oubliant ce pauvre Jean-Baptiste Botul... On ne peut rien contre un Charançon, surtout libéré !

(2) Je ne peux que reprendre l'éclairante note de bas de page de Jacques Gaillard, responsable de l'édition de La Métaphysique du Mou, de Jean-Baptiste Botul, où cet important épisode est relaté: "Villefranche-de-Rouergue, ville franche située dans le Rouergue (Aveyron)."

(3) Jacques Gaillard, et je le regrette fort, ne s'est pas donné la peine de déterminer de quel Capdenac parlait Botul. Il me semble pourtant de première importance de savoir s'il s'agit de Capdenac-Gare, de Capdenac-Port, de Capdenac-Ville ou encore de Capdenac-le-Haut, où quelques irréductibles érudits locaux placent les restes d'Uxellodunum. Les divers Capdenac sont situés dans le département du Lot.

(4) Cet objet, devenu commun, fut largement prophétisé par notre JBB, qui cependant concluait: "La valise à roulettes est une utopie." Fragment numéro 30, et dernier, de la liasse A287 publiée sous le titre La Métaphysique du Mou.

(5) Il n'est sans doute pas inutile de préciser, pour les lecteurs/trices en bas-âge, que le Chabanais était un claque de grand luxe, ouvert en 1878 par madame Kelly, et fermé en 1946 par madame Marthe Richard, qui vécut, en 1913, une liaison romantique avec Jean-Baptiste Botul.

(6) Citons au hasard: "cette réflexion sur le Mal dont ce serait tellement bien que s'inspirent les politiques..." Oh oui alors, ce serait tellement-tellement chouette !

vendredi 19 février 2010

L'esprit de fraternité à Calais

Sur la porte du hangar Cronstadt, qui avait été brisée par les forces de l'ordre lors de leur intervention "tonique" du 7 février, les militants No Border avaient peint l'article 1 de la déclaration universelle des droits de l'homme de 1948:

Tous les êtres humains naissent libres et égaux en dignité et en droits. Ils sont doués de raison et de conscience et doivent agir les uns envers les autres dans un esprit de fraternité.

Pascal Martinache, dans son article pour La Voix du Nord, qui n'a pas relevé la présence de la déclaration universelle des droits de l'homme, n'a vu, pour sa part, qu'une pancarte "lieu privé" et une photocopie de "l'article 432-8 du code pénal stipulant que la loi punit le fait « de s'introduire ou de tenter de s'introduire dans le domicile d'autrui contre le gré de celui-ci »".

Message aux humanistes expulseurs.

Souligner le caractère "privé" de ce lieu, loué pour deux mois par l'association SoS Soutien ô Sans-papiers et mis à la disposition des militants No Border, et en réserver l'accès dans la journée aux membres de l'association, tous les migrants étant membres "officiels" d'office, étaient les moyens trouvés pour tenter de fléchir les autorités opposées à la création d'un tel espace de rencontre, s'affichant non comme "un espace humanitaire, mais [comme] un espace de discussions politiques et de débats, d'échanges culturels et de divertissement".

Il faut dire et répéter que la réouverture du mercredi 17 février, de 10h à 18h, s'est déroulée sans aucun incident, les militants présents au hangar Cronstadt respectant strictement les engagements dont la presse s'était fait l'écho.

Un point de la situation à 13h, par Zetkin, dans IndyMedia-Lille:

Les policiers ont été informés dès l’ouverture de la porte à 10h, de notre intention.

A 13h, mis à part le passage de la voiture d’Arnaud, le RG, et les interventions amusées des CRS de la compagnie 61 qui sont passés et repassés, le calme est plat. Les gens sont partis manger.

Un militant , répondant à mi-journée aux questions d'Haydée Sabéran, pour LibéLille, décrit l'ambiance à l'intérieur:

Il y a du ping-pong, du foot, de la danse, peut-être du cinéma cet après-midi. C'est bon enfant, joyeux, rempli d'échanges. Ce sont surtout des Iraniens et des Kurdes irakiens qui sont là, entre 30 et 50. Les Afghans ne sont pas nombreux, peut-être par peur d'être arrêtés.

Mais en commentaire au billet de Zetkin, au soir du 17 février, on trouve:

La journée a été parfaite au hangar Kronstadt, les migrants ont profité de notre abri de 10h à 18h, ils ont dansé, discuté, écrit, apprécié les séances de cinéma... Tous les migrants sont partis à 18h, ET........ la police est une nouvelle fois intervenue vers 19h. Ils ont commencé par vouloir forcer la porte. Les activistes l’ont ouverte pour leur affirmer qu’il n’y avait plus de migrants. Ils ont continué à s’acharner sur la porte , sont entrés en force et ont emmené au commissariat les 5 activistes présents dans le hangar. Aucun document ne leur a été présenté.

Cet acharnement à vouloir défoncer, avant d'entrer, la porte qu'on leur ouvre est assez curieux de la part des forces de l'ordre...

Il faudrait sans doute leur expliquer le sens tout simple de l'expression "frapper avant d'entrer".

Déjà, le 7 février...

Monsieur Pierre de Bousquet de Florian, préfet du Pas-de-Calais, a estimé que la réouverture du hangar Cronstadt était "une pure provocation".

Cette "pure provocation", Haydée Sabéran, dans un second article pour LibéLille, la décrit:

Quelques heures plus tôt, le lieu était rempli de conversations et de musique : des danses kurdes, un coin cinéma, avec la projection du Ballon rouge d'Albert Lamorisse, et sous une tente de jardin un groupe autour d'un chauffage d'appoint. Il y avait du thé et du café, des militants No Border anglais, français, allemands, et une Finlandaise, et une cinquantaine de migrants, surtout kurdes et iraniens.

On comprend que monsieur le préfet se trouve provoqué: ce genre de réunion doit le mettre mal à l'aise...

Le motif invoqué par le préfet pour cette nouvelle décision de fermeture autoritaire du hangar Cronstadt est, bien sûr, l'arrêté pris tardivement par madame Bouchart, constatant l'"insalubrité" des lieux...

Les rues de Calais sont tellement plus salubres !

Et accueillantes !

Surtout pour les migrants...

(voir en Post Scriptum la lettre ouverte de la Coordination française pour le droit d'asile)

Vers 19h, la police est donc intervenue, et afin de ne pas repartir les mains vides, a embarqué les militants présents dans les lieux, "pour vérification d'identité".

Monsieur le préfet, très en verve ce soir-là, a lâché devant les journalistes:

«Tout s'est bien passé. Ils n'ont pas été tapés.»

Et pourquoi les aurait-on "tapés" ?

Au nom de quelle disposition réglementaire ?

Décidément, monsieur le préfet en dit trop et pas assez, et laisse la place à de fâcheuses interprétations...

Vue des abords du hangar avant l'arrestation des 5 militant(e)s.


PS: Dans mon billet d'hier, j'avais mis un lien vers cette lettre ouverte adressée à monsieur Besson par la Coordination française pour le droit d'asile (CFDA).

Je la relaye aujourd'hui, à l'attention de monsieur Pierre de Bousquet de Florian, pour information.

«Monsieur le ministre,

«La Coordination française pour le droit d'asile (CFDA) tient à vous faire part de sa plus profonde indignation quant aux pratiques des autorités françaises à l'égard des migrants du nord-ouest de la France et de son inquiétude quant aux conséquences de celles-ci sur leur intégrité physique et mentale.

«En septembre 2008, dans son rapport «La loi des ''jungles'' - La situation des exilés sur le littoral de la Manche et de la Mer du Nord -», la CFDA décrivait la situation précaire de ces personnes et faisait dix-neuf recommandations aux autorités françaises. Un an plus tard, vous avez voulu «démanteler» les "jungles" et la situation des migrants présents dans la région va en s’aggravant depuis cette opération, comme le constate lui-même le Haut Commissariat des Nations unies pour les réfugiés, présent sur place pour venir en aide aux réfugiés.

«En effet, depuis de nombreuses semaines, les forces de police se rendent coupables d’atteintes sérieuses et graves à la dignité et à l’intégrité des migrants. Chaque jour, chaque nuit, en agissant sur ordre des autorités administratives françaises, elles empêchent les migrants, dont de nombreux mineurs, de dormir en les délogeant systématiquement des lieux où ils peuvent tenter de le faire, que ce soit des abris de fortune en pleine nature ou des tentes.

«Des témoignages concordants font état de pratiques consistant à déchirer les duvets des migrants, et ce alors même que le froid sévit. Cette pression constante, qui finit par priver ces personnes du besoin essentiel de repos et les expose sans protection à la rigueur du froid, aggrave leur situation déjà extrêmement difficile et n'a plus rien à voir avec une politique digne et respectueuse des êtres humains.

«L’action des associations est par ailleurs entravée. En effet, une partie du matériel de survie distribué aux migrants est régulièrement confisqué ou détruit par la police. Monsieur le ministre, vous connaissez la situation, vous avez validé les instructions données aux forces de police. Vous êtes responsable du drame humain quotidien qui en découle. Nul désormais parmi les autorités administratives ne peut l'ignorer.»

____
La Coordination française pour le droit d’asile rassemble les organisations suivantes : ACAT (Action des chrétiens pour l’abolition de la torture), Act-Up Paris, Amnesty International France, APSR (Association d’accueil aux médecins et personnels de santé réfugiés en France), Association Primo Levi (soins et soutien aux personnes victimes de la torture et de la violence politique), CAAR (Comité d’Aide aux Réfugiés), CAEIR (Comité d’aide exceptionnelle aux intellectuels réfugiés), CASP (Centre d’action sociale protestant), Cimade (Service oecuménique d’entraide), Comede (Comité médical pour les exilés), Dom’Asile, ELENA (Réseau d’avocats pour le droit d’asile), FASTI (Fédération des associations de soutien aux travailleurs immigrés), France Libertés, GAS (Groupe accueil solidarité), GISTI (Groupe d’information et de soutien des immigrés), LDH (Ligue des droits de l’homme), Médecins du Monde, MRAP (Mouvement contre le racisme et pour l’amitié entre les peuples), Secours Catholique (Caritas France), SNPM (Service National de la Pastorale des Migrants). La représentation du Haut Commissariat pour les Réfugiés en France et la Croix Rouge Française sont associées aux travaux de la CFDA.

jeudi 18 février 2010

"Parce que ce sont des êtres humains"

C'est une jeune fille de seize ans qui s'avance droit vers la scène, tendue et concentrée. Un instant elle hésite, pour éviter le cameraman au milieu de son chemin. Arrivée face au public, sans attendre, elle commence:

Mesdames, Messieurs,

Je me dresse aujourd'hui devant vous pour plaider la cause de Mendaye, Aman, Maryam ou Hamed. Ces personnes viennent du Soudan, d'Érythrée, d'Éthiopie, d'Afghanistan, d'Iran, du Pakistan ou d'Irak. Ce sont des femmes enceintes, des chefs de famille, des enfants qui ont quitté leur pays d'origine afin de rejoindre nos civilisations occidentales, porteuses d'espoirs et d'avenir.

Elle s'appelle Enora Naour et elle participe à la "finale nationale" du concours international de plaidoiries pour les droits de l'homme, organisé par le Mémorial de Caen.

C'est toute la grâce et toute la fragilité de ses seize ans qu'elle dresse devant le jury et le public, et c'est aussi toute sa conviction.

Ils possédaient pourtant une maison, une famille, un métier. Ils pouvaient manger à leur faim, et se laver correctement, mais malgré cela, leur vie était en danger. Guerre, régime totalitaire ou intolérance religieuse sont les principales raisons qui ont poussé ces êtres humains à s'enfuir. Pour survivre.

Ils ont traversé l'Europe d'Est en Ouest, lors d'un voyage qui pour beaucoup, aura duré plus de 2 ans. D'autres sont passés par le Sahara, et ont franchi le détroit de Gibraltar. Certains ne sont jamais arrivés.

Leur but ? Rejoindre la France, pays fondateur de la Déclaration Universelle des Droits de l'Homme, avant de passer en Angleterre. Tout espoir leur était permis car, d'après l'article 13 de cette fameuse déclaration, «devant la persécution, toute personne a le droit de chercher asile et de bénéficier de l'asile en d'autres pays.»

J'aimerais pouvoir vous dire, Mesdames et Messieurs, que leurs désirs de bonheur et de liberté ont été exaucés. Mais cela serait une utopie, et je ne suis pas venue pour vous mentir.

Enora Naour, le 29 janvier 2010,
au Mémorial de Caen.
(Photo Mémorial de Caen.)

Sa plaidoirie, intitulée Les réfugiés de la Jungle ne sont pas des animaux, a remporté le premier prix de la catégorie "lycéens.

On peut la lire sur le site de DailyNord, où je l'ai découverte, ou sur celui du Mémorial de Caen.

On peut aussi la regarder, et l'écouter, grâce à la vidéo mise en ligne par le Mémorial. (Enora commence à 1 min 40 sec environ du début.)

Au milieu des discours insipides et convenus des réalpoliticiens, il est bon d'entendre cette voix claire, qui ne trébuche pas et qui parle haut, de toute la hauteur de sa jeunesse, exigeante et sans compromis.

(Photo: François Decaens / Le Mémorial de Caen)

En recevant son prix, Enora Naour espérait qu'on n'oublierait pas sa plaidoirie dès le lendemain...

Quelques lecteurs la découvriront ici.

Mais peut-être pas madame Bouchart, maire, monsieur Gavory, sous-préfet, monsieur de Bousquet, préfet, ou monsieur Besson, ministre...



PS:

Enora Naour est élève de 1ère ES au Lycée Victor et Hélène Basch de Rennes. Elle a préparé sa plaidoirie toute seule. D'après l'article de Sébastien Brêteau, dans Ouest-France:

«Il était hors de question que quelqu'un rajoute ou enlève un mot à ma place.» Ses professeurs ont seulement découvert l'aventure dans laquelle s'était lancée Enora, «en lisant Ouest-France quand j'ai remporté la finale régionale».

mercredi 17 février 2010

Visiblement, l'ultra-gauche

La lecture du témoignage d'Hélène, relayé hier, indiquait sans ambiguïté que son arrestation avait eu lieu dans le cadre de cette "enquête préliminaire portant sur une quarantaine de dégradations de distributeurs automatiques de billets (DAB) à Paris" qui avait été confiée à "la section antiterroriste (SAT) de la Brigade criminelle". L'annonce de cette mission en cours d'exécution par nos plus fins limiers avait été faite au début du procès des inculpés de Vincennes, tout en la reliant à l'inquiétante nébuleuse ultra-gauchiste.

On avait appris qu'au petit matin du 15 février plusieurs arrestations et perquisitions avaient eu lieu à Paris, orchestrées la brigade criminelle du 36 quai des Orfèvres.

Hélène a été la première à être libérée de garde à vue, et à sa sortie, elle a trouvé le courage - il faut le dire, parce que ce n'a pas dû être facile - de donner son témoignage...

Dans son billet de ce matin, Marie Barbier ajoute ceci:

Selon Marie-Cécile Pla du RESF, le seul crime d’Hélène est d’avoir la responsabilité du téléphone de veille du réseau, par lequel elle prévient les autres militants en cas de rafles de sans-papiers : « C’est juste une assistante sociale, gentille et non violente, qui n’a jamais fait plus que de crier dans une manif ».

Comme elle nous apprend aussi qu' "Hélène ne pourra pas récupérer son téléphone avant trois semaines", on se dit que, pour saisir un téléphone portable, la police, fût-elle anti-terroriste, pourrait se dispenser de soumettre quelqu'un à une séance de photos aussi humiliante que celle qui est décrite dans le témoignage d'Hélène:

"J’ai des marques reconnaissables sur le corps qu’ils ont prises en photos. Je leur ai expliqué que c’était une maladie génétique. Ils ont fait des commentaires se demandant si ce n’était pas contagieux."

(Cela se passe en France, le 15 février 2010 !)

Cette maladie n'est pas génétique, et pas (trop) contagieuse.

Les sources policières, ou judiciaires, ou proches du dossier, je ne sais, ayant décidé de sourdre au goutte à goutte, on pouvait apprendre, en exclusivité sur France-Info:

Exclusif : gardes à vue pour des dizaines de distributeurs de billets vandalisés.

En lisant au-delà de ce titre, on pouvait se rendre compte qu'aucun distributeur de billet n'avait été placé en garde à vue, mais que:

Cinq personnes sont en garde à vue depuis lundi matin à Paris, suspectées d’avoir vandalisé des dizaines de distributeurs automatiques de billets dans la capitale. Ces actes viseraient à dénoncer l’attitude des banques vis-à-vis des sans-papiers.

L'auteur de cette brève, Franck Cognard, aurait pu préciser que sept ou huit personnes avaient été placées en garde à vue, lundi matin, dans le cadre de cette enquête, et que trois avaient été libérées, apparemment sans charges retenues. Mais il a préféré broder sur les grands thèmes du moment sécuritaire :

Il ne s’agit pas véritablement d’actions concertées, mais d’une sorte de mouvement qui s’étend, via des revendications sur des forums alternatifs ou liés à l’ultra-gauche, selon plusieurs sources.

A la mi-journée le même média annonçait, sous la signature de Mikaël Roparz, que "quatre hommes, soupçonnés d’avoir dégradé des distributeurs automatiques de billets à Paris" allaient "être déférés au parquet".

Mikaël Roparz, doué d'une excellente vue, nous faisait part de cette étonnante observation:

Visiblement, il s’agit de militants de l’ultra-gauche.

Le ci-devant "Comité Invisible" n'y serait donc pour rien.

A moins que.

Vision prémonitoire de l'ultra-gauche, par Kasimir Malevitch.
(Composition suprématiste : carré blanc sur fond blanc ,1918).

Ces informations vont être reprise, avec une rédaction moins hâtive, par l'agence Reuters, citée dans le Monde.fr.

On y retrouve le résumé, déjà entendu sur France Info:

Ces quatre suspects, âgés de 24 à 30 ans, devaient être présentés à un magistrat dans la journée pour être mis en examen. Le parquet requiert leur remise en liberté sous contrôle judiciaire. Une information judiciaire pour "dégradations et destructions volontaires en réunion" sera ouverte.

Mais aussi cet utile élément d'information:

La section antiterroriste du parquet de Paris a d'abord saisi les enquêteurs spécialisés dans les faits terroristes de la brigade criminelle. Les faits ne seront finalement pas qualifiés de cette manière, mais considérés comme des dégradations de droit commun.

Ce qui est rendu visible dans cette déqualification des faits, qui permet de mettre en marche la machine anti-terroriste et d'utiliser les moyens d'investigation qu'elle autorise, et cela pour des "dégradations de droit commun", c'est peut-être que la dérive sécuritaire est menée désormais d'une manière tout à fait décomplexée.

Heureusement, dès demain matin, tous les démocrates convaincus qui tiennent boutique d'éditorialistes reviendront, je n'en doute pas, sur cette affaire de "terrorisation" des terroristes.

Qui n'en étaient pas.



PS1:

Dans la soirée d'hier, au métro Château-Rouge, devait avoir lieu un rassemblement en solidarité avec les personnes arrêtées.

On peut en trouver un compte-rendu alerte, rédigé "par un solidaire", sur le site d'IndyMédia Nantes.


PS2 (Ajout du 18/02) : Communiqué du RESF Paris Nord-Ouest.

Des gardes à vue arbitraires et humiliantes : la liberté de circulation est un droit fondamental !

Hélène, militante du Réseau Education sans Frontières dans le XVIIIe arrondissement de Paris a été interpellée à son domicile le lundi 15 février 2010 à 6 H du matin. Son appartement et sa cave ont été perquisitionnés, son ordinateur inspecté. Elle a ensuite été conduite par 5 policiers de la Brigade criminelle, munis de gilets pare-balles, au 36 quai des orfèvres où elle restée en garde à vue. Le tout a duré plus de 13 heures à l’issue de quoi son téléphone portable ne lui a pas été rendu.

Cette garde à vue a été particulièrement éprouvante pour elle, tant pour les conditions hygiéniques et sanitaires déplorables de ces locaux, qu’en raison de certaines réflexions désobligeantes sur les stigmates qu’elle porte sur son corps en raison d’une maladie génétique.

Les policiers l’ont interrogée sur son parcours depuis l’école élémentaire, son chat qui s’appelle Rosa Parks, son travail, ses opinions politiques, ses fréquentations, ses voyages à l’étranger, ses lectures subversives etc. Toutes ces questions n’avaient rien à voir avec le prétexte officiel de sa garde à vue : les mésaventures arrivées à quelques distributeurs automatiques de billets de banque.

En dehors de quelques questions précises liées à l’«affaire des distributeurs», les policiers l’ont interrogée sur ses opinions politiques et son engagement auprès des sans-papiers. Pourquoi ?

Parce que Hélène a constitué, sur son portable, une liste de plus d'une centaine de numéros de téléphone à prévenir par SMS en cas de rafles, c’est-à-dire «d’arrestations massives opérées par la police dans un quartier» (Petit Robert) visant les sans-papiers, par le biais de contrôles d’identité systématiquement opérés en raison du faciès non «gaulois» des individus qui circulent dans les rues de Paris.

Le but de ce «téléphone rafles» est d’alerter le maximum de personnes possible sur ces opérations discriminatoires, afin de se déplacer sur le lieu des interventions, de demander aux policiers la commission rogatoire qui fixe des limites précises à leur intervention, de prévenir les personnes sans-papiers qu’un contrôle d’identité est en cours et qu’elles risquent d’être contrôlées, d’observer le déroulement de ces «opérations», d’en témoigner et d’organiser rapidement la solidarité en cas d’arrestations.

Ces actions policières, menées de façon de plus en plus discrète à Paris (policiers en civil, camionnettes blanches banalisées, etc.), doivent en effet être rendues visibles pour ce qu’elles ont d'inacceptable: priver de liberté des hommes et des femmes parce qu’ils n’arrivent pas à obtenir les papiers que l’Etat leur impose d’avoir. La possibilité de libre circulation des individus reste à nos yeux un droit fondamental. Sur cette liste ont donc été enregistrés tous ceux qui le souhaitaient, parce qu’adhérant à ce principe de liberté de circulation des individus, qu'ils aient ou non le «droit» de séjourner en France.

Nous affirmons notre solidarité avec Hélène et avec toutes celles et ceux interpellés pour leur engagement dans la lutte contre la chasse aux personnes dites sans-papiers. Nous dénonçons les conditions d’arrestation et de garde à vue humiliantes et dégradantes auxquelles les personnes arrêtées sont ou ont été soumises. Et malgré les intimidations, nous poursuivrons notre engagement solidaire aux côtés des personnes dites sans-papiers.

RESF Paris-Nord-Ouest

Rien à ajouter: tout est dit. Et bien.

mardi 16 février 2010

Témoignage d'Hélène

Date : 15 février 2010 23:38
Objet : Hélène; garde à vue

À 6h10, quatre hommes et une femme ont frappé à ma porte, ont dit que c’était la police. J’ai ouvert. Ils portaient des gilets pare-balles. Je ne me souviens plus si ils m’ont montré un papier dès leur arrivée. Je sais que j’en ai signé un après mais ne me rappelle plus quoi. Ils m’ont parlé des «mes engagements politiques de gauche». Tout ce moment reste très flou, j’étais surprise et je me demandais ce qu’il se passait.

Au bout d’un moment ils m’ont dit chercher des bombes de peinture et m’ont parlé de destruction de DAB (distributeurs automatiques de billets). Ils ont cherché de la littérature subversive. Ils ont pris en photos des livres (le dernier de RESF, De la désobéissance civile…). Ils ont fouillé partout. Ils ont voulu voir les photos de mon appareil photos, m’ont demandé si j’avais des photos de manif. Ils ont photographié des notes sur l’occupation des grévistes. Ils ont emmené deux ou trois papiers qu’ils m’ont rendus. Ils ont embarqué mon CV. Ils ont voulu prendre mon ordi mais je leur ai expliqué que je n’avais plus internet depuis deux ans. Ils l’ont fouillé quand même sans l’emporter. Ils m’ont demandé mon portable et mon chargeur, qu’ils ont emporté. Je ne les ai pas récupéré. Ils m’ont dit que je pourrais le récupérer demain. Dans l’appartement ils m’ont parlé du centre de rétention de Vincennes. Ensuite nous sommes descendus dans ma cave. Ils y ont jeté un rapide coup d’œil.

J’ai été emmenée ensuite au 36 quai des Orfèvres. J’y suis arrivée vers 8 heures. Là j’ai eu le droit aux photos anthropométriques, prise d’empreintes et m’ont fait me déshabiller, m’accroupir et tousser. J’ai des marques reconnaissables sur le corps qu’ils ont prises en photos. Je leur ai expliqué que c’était une maladie génétique. Ils ont fait des commentaires se demandant si ce n’était pas contagieux…

Ensuite, vers 11 heures, j’ai été interrogée pour ce qu’ils appellent l’interrogatoire d’identité (je suis plus trop sûre du terme) par un commandant de police. Ils sont remontés de ma scolarité primaire à mon diplôme professionnel, m’ont interrogée sur mes voyages et ensuite sur mes opinions politiques. Ils m’ont questionné sur mes activités militantes.

Je suis remontée en cellule. J’ai été ensuite changée de cellule car j’étouffais dans celle où j’étais (en gros quatre mètres carrés, pas d’aération pas d’ouverture). J’ai demandé à voir un médecin que j’ai vu une heure après environ.

Il m’a été demandé de faire un test ADN. Avant j’avais dit que j’avais le droit de refuser. Il m’a été répondu que je pouvais être jugée pour ça et que de le faire était le meilleur moyen de prouver mon innocence. Je l’ai donc fait.

Vers 16h30 j’ai été vue à nouveau «pour les besoins de l’enquête». Mon téléphone portable a été évoqué à nouveau. Il m’a été dit qu’effectivement c’était pour cela que j’étais là. On m’a demandé si j’avais participé à des actes de violences (destruction de DAB, investir la préfecture ou la CAF), m’ont interrogé sur mes connexions internet, les sites que je visite, mes moyens d’informations et si je connaissais des gens qui avaient commis des actes de violence (ai répondu pas à ma connaissance) ou entendu parler d’actes de violence. Ils ont beaucoup insisté pour savoir ce que savais des banques qui dénoncent les sans-papiers, ce que j’en pensais et ce que je pensais des actes violents.

La fin de ma garde à vue a été prononcée à 19h35. Je suis sortie après 13 heures 20 de garde à vue.

Hélène

Source: Liste de diffusion du RESF Paris.

Relayé par le Jura Libertaire, Bellaciao et le blog de Velveth sur Mediapart.


PS du 17/02:
Le blogue Laissez-Passer de Marie Barbier relaye lui aussi le courriel d'Hélène, tout en replaçant son arrestation dans le cadre de l'opération de police du 15 février et en faisant le point sur le peu que l'on sait sur cette opération. Lecture indispensable.

lundi 15 février 2010

Chaud-froid de poulet pour tout le monde

Stéphane Joahny et Marie-Christine Tabet, du Journal du Dimanche, qui ne sont pas des "localiers" du Courrier Picard, peuvent se permettre de poser des questions directes à un ministre sans se faire rabrouer comme des malpropres.

En tant que père de famille avez-vous été choqué par la garde à vue d’une collégienne de 14 ans ?

Demandent-ils à monsieur Brice Hortefeux, ministre de l'Intérieur, de l'Outre-mer et des Collectivités territoriales.

Monsieur Hortefeux n'a pas jugé que cette allusion à sa vie privée et familiale était "totalement déplacée et scandaleuse". Il a accepté de répondre avec la bonhommie qui le caractérise:

Tout de même, 14 ans… Les policiers n’ont rien fait d’illégal. Le code de procédure pénale permet de placer en garde à vue tout individu suspecté d’avoir commis un délit, dès lors qu’il est âgé d’au moins 13 ans. Cette jeune fille est quand même soupçonnée d’avoir participé à un tabassage avec deux autres filles et un garçon!

"Tout de même, 14 ans…" C'est qu'on est un(e) grand(e) à 14 ans ! Tous les pères de famille, sans parler des mères de famille, vous le diront, et tou(te)s les enseignant(e)s de collège et de lycée vous le confirmeront...

Bertrand Delanoë et Michèle Alliot-Marie
lors de l'inauguration du nouveau commissariat de police du XXè,
qui est si beau qu'on dirait un collège.

A treize-quatorze ans, il faut admettre que l'on peut avaler de tout. Alors pourquoi pas la bonne vieille recette des interrogatoires de garde à vue ?

Rien de plus revigorant que de se retrouver coincé(e) entre un policier qui joue (ou pas) les grosses brutes rugueuses et menaçantes, et un brave flic compatissant prêt à enregistrer vos aveux.

Pour grandir, c'est bien meilleur que la soupe.

Suggestion de présentation du chaud-froid de poulet,
débusquée sur le forum de SuperToinette.

On saura gré à monsieur Hortefeux, qui sait feindre parfois une charmante ingénuité, de déclarer, au cours de cet entretien:

N’oublions pas, encore une fois, qu’un gardé à vue a des droits.

Et de rappeler ces fameux "droits":

Il peut prévenir un proche dans les trois premières heures, demander à être examiné par un médecin dans les vingt-quatre heures, s’entretenir avec un avocat dans la première heure…

Toutes choses insuffisantes selon bon nombre d'observateurs du fonctionnement de cette institution.

(Ses interlocuteurs, prudents et avisés, n'insistent pas sur les conditions dégradantes de certaines gardes à vues pourtant bien réglementaires...)

Malgré ce rappel des "droits" du "gardé à vue", on sent chez lui une grande réticence à envisager le sujet d'une réforme de la garde à vue, cette cuisine policière si efficace, et il exprime cette réticence avec beaucoup de retenue. Il n'est pas "hostile par principe à une réforme" et n'est "pas opposé à ce que le nombre de gardes à vue diminue", certes, mais on dirait qu'il se tortille sur son fauteuil ministériel comme si quelque chose le turlupinait.

On y arrive:

[Cette réforme] ne doit pas avoir pour effet de donner plus de droits aux délinquants qu’aux victimes.

Il est probable que monsieur Hortefeux ait, comme beaucoup d'entre nous, du mal à penser la complexité du monde, et qu'il préfère se référer, en première approximation, à un système assez réducteur d'oppositions*, mais il a aussi une fâcheuse tendance à n'en pas décoller, ou à y retomber.

D'après ce que je comprends du droit français, qui ne doit pas différer notablement du droit auvergnat, une personne placée en garde à vue est soupçonnée d'avoir commis un délit ou un crime, mais reste "présumée innocente", et n'est pas a priori un "délinquant"...

(Ou alors, ça a changé récemment quand j'avais le dos tourné.)

Utiliser à l'encontre d'un présumé innocent une mesure privative de liberté comme la garde à vue devrait poser un certain nombre de problèmes de respect des droits qui ne peuvent qu'être éludés dans ce schéma simpliste "délinquant"/"victime", par ailleurs assez discutable.

Interrogé à nouveau sur ce sujet, mais cette fois sur Europe 1, monsieur Hortefeux aurait, selon le résumé du Monde, renvoyé "le débat à l'autorité judiciaire", expliquant "que la garde à vue était effectuée sous le contrôle des magistrats".

Cependant, désireux d'éviter que "les policiers et les gendarmes [ne] deviennent des boucs émissaires", il entend mettre en place "une concertation et un dialogue":

Concernant les modalités et le périmètre de cette réforme, je dois naturellement en discuter avec mes interlocuteurs, les organisations syndicales.

Naturellement...

Pour ceux qui fronceraient les sourcils devant ce naturel qui revient au pas de charge, voici un extrait du communiqué du SNOP (Syndicat national des officiers de police), daté du 10 février:

Le SNOP constate et déplore que, tant la classe politique dans son ensemble que les lobbies pour la plupart instrumentés par des avocats, s'acharnent aujourd'hui sur les premiers défenseurs des droits de l'homme et des libertés individuelles que sont ces policiers et gendarmes habités, tout autant voire plus que leurs détracteurs, par un profond respect des valeurs républicaines.

(...)

Déterminé à mobiliser par tous moyens les vrais défenseurs des droits de l'homme, et en priorité ceux de l'homme «honnête», le SNOP ne se contentera pas de déclarations indignées pour en faire la démonstration. Ainsi envisage-t-il dans un premier temps, si nécessaire, d'appeler l'ensemble des Officiers de Police Judiciaire à réclamer le retrait de leur habilitation.


De quoi vous rassurer, honnêtes gens.



*(Un bel exemple nous en a été donné lorsque, sur le plateau de Capital sur M6, en réponse à Guy Lagache qui lui demandait s'il y aurait "toujours des sans-papiers sur le territoire français", il répondit : "Si vous rêvez d'une société idéale dans laquelle il n'y aurait que des citoyens honnêtes, propres et s'agissant des immigrés, que ce soit uniquement des immigrés dévoués, avec des papiers, la vérité c'est que c'est un combat permanent." C'était le 25 novembre 2007, et il était alors ministre des Expulsions.)

dimanche 14 février 2010

Brigitte à la radio

Quand elle revient, c'est comme une vieille copine, d'un temps largement révolu, dont on était vaguement amoureux, et depuis longtemps perdue de vue.

On se réjouit de la retrouver de temps à autre, toujours aussi gamine insupportable, et même parfois assez poseuse...

Mais, puisqu'on finalement bien peu d'estime pour ceux ou celles qu'elle agace le plus, on est prêt à tout lui pardonner.

Et puis se glisse derrière l'oreille cette manière inoubliable de poser la voix sur les mots...

Et cela vous renvoie à ce temps où, déjà, "il y avait des millions de gens qui préparaient un suicide raté", et vous plonge dans cette intarissable nostalgie:





Ce sera tout à fait
Comme à la radio

Ce ne sera rien
Rien que de la musique

Ce ne sera rien
Rien que des mots
Des mots des mots

Comme à la radio
Ça ne dérangera pas
Ça n'empêchera pas de jouer aux cartes
Ça n'empêchera pas de dormir sur l'autoroute
Ça n'empêchera pas de parler d'argent

N'ayez pas peur
Ce sera tout à fait
Comme à la radio

Ce ne sera rien
Juste pour faire du bruit

Le silence est atroce
Quelque chose est atroce aussi

Entre les deux c'est la radio
Tout juste un peu de bruit
Pour combler le silence
Tout juste un peu de bruit

N'ayez pas peur
Ce sera tout à fait
Comme a là radio

A cette minute, des milliers de chats se feront écraser sur les routes
A cette minute, un médecin alcoolique jurera au dessus du corps d'une jeune fille et il dira "elle ne va pas me claquer entre les doigts la garce"
A cette minute, cinq vieilles dans un jardin public entameront la question de savoir s'il est moins vingt ou moins cinq
A cette minute des milliers et des milliers de gens penseront que la vie est horrible et ils pleureront
A cette minute, deux policiers entreront dans une ambulance et ils jetteront dans la rivière un jeune homme blessé à la tête
A cette minute un espagnol sera bien content d'avoir trouvé du travail

Il fait froid dans le monde
Ça commence à se savoir

Et il y a des incendies qui s'allument dans certains endroits parce qu'il fait trop froid

Traducteurs, traduisez

Mais n'ayez pas peur
On sait ce que c'est que la radio

Il ne peut rien s'y passer
Rien ne peut avoir d'importance
Ce n'est rien
Ce n'était rien

Juste pour faire du bruit
Juste de la musique
Juste des mots des mots

Des mots des mots

Tout juste un peu de bruit
Tout juste un peu de bruit
Comme à la radio






Précisions:

Brigitte Fontaine, "chanteuse culte" comme dit son éditeur, vient de publier Le bon peuple du sang chez Flammarion.

"Il y avait des millions de gens qui préparaient un suicide raté" est un constat d'époque que l'on peut lire dans le texte écrit par Brigitte Fontaine pour la pochette du 45 tours de Lettre à Monsieur le Chef de Gare de la Tour de Carol. On retrouve ce texte, en cherchant un peu, sur le site des disques Saravah.

Sur J'ai 26 ans, la voix de Brigitte Fontaine est accompagnée par la contrebasse de Malachi Favors (pas encore) Maghostu.

C'est le même Malachi Favors (plus tard) Maghostu qui lance et soutient la pulsation dans Comme à la radio, et, le moment venu, la traduction est assurée par une improvisation collective des musiciens de l'Art Ensemble of Chicago.

La photo qui marque ce moment a été prélevée chez Saravah; elle a peut-être été prise par D. R. (?) au théâtre du Vieux-Colombier, lors des spectacles donnés avec les musiciens de l'Art Ensemble en 1969.

Quant au tapis sonore sur lequel se pose la voix dans la Lettre à Monsieur le Chef de Gare de la Tour de Carol, je n'ai jamais cherché à savoir de quoi il était tissé, et par qui.

Faut-il toujours tout décortiquer ?

samedi 13 février 2010

Un ministre d'exception

Ce projet de loi créé pour les étrangers un régime d'exception en matière de droits.

Stéphane Maugendre,
président du Groupe d'information de soutien aux immigrés (Gisti).



En débauchant avec dextérité le sinistre monsieur Besson, monsieur Nicolas Sarkozy a décidément débusqué une personnalité re-mar-qua-ble et une tête politique d'exception.

Qui vient d'ailleurs de passer un début de semaine exceptionnel.

Après avoir évité à la France l'installation d'un nouveau Sangatte au cœur de la ville de Calais, et vilipendé ces "militants violents d'extrême-gauche" que sont les No Border, après avoir assisté à l'enterrement sous une commission de son Grand Débat et dû y maintenir fière figure, après avoir démenti la rumeur de sa conversion à l'Islam et envisagé son énième dépôt de plainte pour atteinte à sa vie privée, après avoir confondu en off dans les studios de RMC, "kärcher" et "kalachnikov" et prétendu être dans une "séquence délire et provocation", on peut espérer que monsieur Besson a pu venir tranquillement mettre les pieds sous la table du conseil des ministres du mercredi matin.

Je n'émettrai aucune hypothèse sur ses occupations privées durant la journée de jeudi.

Mais, comme tout le monde, j'ai assisté, dans la journée d'hier, au rebond de notre ministre, avec le lancement médiatique de sa mouture du projet de loi sur les expulsions.

Le Monde, à qui l'avant-projet a dû être aimablement communiqué en avant-première, feint se l'être "procuré" et en rend compte fidèlement dans un article signé de Laetitia Van Eeckhout.

De son côté, Le Figaro publie un court entretien avec monsieur Besson...

Les sous-titres de l'article du Monde donnent la table des matières de la loi envisagée, qui sera présentée en mars en conseil des ministres:

Création de zones d'attente ad hoc.
Accélération du processus d'éloignement.
Création d'une interdiction de retour sur le territoire français.
Affaiblissement du rôle du juge des libertés et de la détention.
Amélioration des droits des travailleurs sans-papiers.
Lutte contre le travail illégal.
Création d'une "carte bleue européenne"("carte de séjour temporaire").

Si le choix de la date de cette opération de pré-communication semble avoir été guidé par les impératifs électoralistes, ce que recouvre ce projet n'est pas à prendre à la rigolade.

Car, même avec un nœud de cravate à la six-quatre-deux,
monsieur Besson ne rigole que par exception...


Devant la tombe où le Grand Débat remuera encore quelque temps, les banalités de base de monsieur Verhofstadt sont peut-être suffisantes, mais assurément pas devant les premiers vagissements d'une loi qui instituera, de manière effective, un "régime d'exception" dans le traitement des étrangers.

Le vague concept de "société ouverte", si cher à l'ancien premier ministre belge, qui se dit inspiré par Amartya Sen et Karl Popper, a bien des avantages euphoniques en rhétorique, mais est d'une regrettable inconsistance en philosophie.

Pour mener une réflexion sérieuse sur le sujet, il faudra sans doute aller chercher une pensée plus solide.

Je pense à celle de notre contemporain capital, et radical, Giorgio Agamben dont il temps de lire, ou de relire, Etat d'exception, premier volume de la deuxième partie d'Homo Sacer.

Ce livre est paru en juin 2003, dans une traduction de Joël Gayraud, aux éditions du Seuil, dans la collection L'Ordre philosophique.

Je copicolle la quatrième de couverture:

L'état d'exception, que nous avons coutume d'envisager comme une mesure toute provisoire et extraordinaire, est en train de devenir sous nos yeux un paradigme normal de gouvernement, qui détermine toujours davantage la politique des états modernes. Cet essai se propose de reconstruire l'histoire du paradigme, et d'analyser le sens et les raisons de son évolution actuelle - de Hitler à Guantanamo. Il faut bien voir en effet que, torque l'état d'exception devient la règle, les équilibres fragiles qui définissent les constitutions démocratiques ne peuvent plus fonctionner, la différence même entre démocratie et absolutisme tend à s'estomper.

Démontant une par une les théorisations juridiques de l'état d'exception, Giorgio Agamben défriche le terrain vague entre politique et droit, et jette une nouvelle lumière sur la relation occulte qui lie la violence au droit.

Pour ceux/celles que 150 pages de la belle et substantielle prose* d'Agamben pourraient effrayer (j'en connais...), ils/elles peuvent retrouver ici le point de vue que le journal Le Monde avait publié en décembre 2002, qui introduit aux développements du livre.

Giorgio Agamben, conférence à la European Graduate School en 2009.
(Copyright: Hendrik Speck.)



vendredi 12 février 2010

Neutralité des Beaux-Arts

Le slogan de campagne électorale est un matériau artistique en général assez pauvre. La métrique y est la plupart du temps rudimentaire, et le langage s'y cuit et recuit jusqu'à épuisement de tout son sens.

Pour sa participation à l'exposition Week-end de sept jours, l'artiste chinoise Ko Siu Lan s'était proposé de travailler sur le slogan sarkoziste "Travailler plus pour gagner plus", en jouant sur l'opposition primaire du "plus" et du "moins". Elle envisageait d'installer verticalement de grandes banderoles, portant les mots "travailler", "gagner", "plus" et "moins", en façade de l'École nationale supérieure des Beaux-Arts de Paris. Suivant la position du spectateur, devaient apparaître des permutations diverses des quatre vocables.

Deux vues possibles.
(Photo Télérama)

A en juger par les travaux de Ko Siu Lan que l'on peut découvrir sur son site, ce projet n'est pas l'un des plus percutants qu'elle ait imaginés, puis réalisés...

L'installation n'a duré que quelques heures.

Mise en place mercredi matin, elle a été retirée d’autorité pendant la journée, et ceci, bien que la commissaire de l’exposition, Clare Carolin, du Royal College of Art de Londres, se soit opposée à son enlèvement.

La décision a été prise par le directeur des Beaux-Arts, monsieur Henry-Claude Cousseau, qui n'a pas jugé bon d'en avertir l'artiste.

C'est Clare Carolin qui l'a informée par un courriel, ensuite communiqué à l'AFP:

Le directeur Henry-Claude Cousseau "m'a dit que ton travail était trop explosif pour rester in situ et que certains membres de l'école et des personnes du ministère de l'Education s'en offusquaient déjà", écrit Clare Carolin à l'artiste. La direction "m'a dit aussi que le moment était délicat car l'école est en train de renouveler sa convention de financement avec le ministère", a-t-elle ajouté.

"J'ai répondu (...) qu'enlever ou changer de place cette œuvre constituerait un acte de censure et que je n'étais pas prête à accepter que mon exposition soit censurée", poursuit Clare Carolin.

Des extraits du communiqué de la direction des Beaux-Arts sont amplement cités dans la même dépêche de l'AFP.

Méditons sur ce passage:

La direction de l'école a considéré que "cette présentation non concertée de l'œuvre, sans explicitation à l'attention du public, pouvait constituer une atteinte à la neutralité du service public et instrumentaliser l'établissement", selon le communiqué.

Un conseil aux artistes.
(Plaque créée par Ko Siu Lan, 2008)


On attend encore la réaction de monsieur le ministre de la Culture et de la Communication à cet acte de censure explicite, mais je doute qu'il réagisse: à Rue89 qui s'impatientait, il a fait répondre par son cabinet, «c'est un problème entre l'artiste et l'école, le ministre laisse l'école gérer.»

Monsieur Henry-Claude Cousseau fera donc de son mieux pour "gérer" ad majorem Sarkozi gloriam.

Peut-on espérer que le directeur de l’École nationale supérieure des Beaux-arts de Paris (Conservateur général du Patrimoine, ancien Chef de l’Inspection générale des Musées de France, ancien Directeur des Musées de la Ville de Nantes, ancien Directeur des Musées de la Ville de Bordeaux et historien de l’art renommé, paraît-il), se souvienne du soutien des artistes qui ont su sortir de leur "neutralité" pour pétitionner contre sa mise en examen pour avoir accueilli en 2000, à Bordeaux, l’exposition Présumés innocents : l’art contemporain et l’enfance ?

(Dans cette affaire, qui suit son cours, il est poursuivi pour "diffusion de message violent, pornographique ou contraire à la dignité, accessible à un mineur: diffusion de l'image d'un mineur présentant un caractère pornographique".)

Mais il est après tout possible que monsieur Cousseau ait l'ambition de devenir président de la commission de censure rénovée qui devrait, au train où vont les choses, bientôt voir le jour.

Alors, par précaution, adressons-lui l'extrait de la Lettre au Président* que Brigitte Fontaine, artiste depuis plus de quarante ans, et directrice de rien du tout, a lu sur Ouï FM, le 28 janvier.

(A la suite de cette émission, elle a précisé: «Brigitte Fontaine fait savoir, populo chéri, que la page de son livre (…) lue à l'antenne s'adresse à n'importe quel président de n'importe quoi.»)

Monsieur le Président,

je vous gratte le cul très fort avec une fourchette, je vous crache dans les yeux, je mords jusqu'au sang vos mollets de coq, je vous râpe le nez jusqu'à ce que vous ayez l'air d'un lépreux.


(…)

Je vous pends par les couilles, je dévore votre foie, je vous gerbe à la gueule et je signe Riri la Crème, bien connue des services de police !

Finalement, on pourrait mettre aussi

Monsieur le Directeur, virgule....


* Merci à Lucide, qui m'a fait découvrir cette lettre.

jeudi 11 février 2010

Il fait toujours aussi froid dehors

En hiver, on dit souvent : "Fermez la porte, il fait froid dehors !"
Mais quand la porte est fermée, il fait toujours aussi froid dehors.

Pierre Dac, L'os à moelle, (rééd. Omnibus, 2007)


C'est parce qu'il faisait froid dehors que la préfecture du Pas-de-Calais a déclenché lundi le niveau 2 du plan grand froid, et que la mairie de Calais a décidé, pour abriter les migrants, de réouvrir un gymnase qu'elle avait fermé le samedi précédent.

Sursaut humanitaire ?

Meunon !

"C'est toujours lié au plan grand froid. A Calais, on arrive au niveau 2, donc, on rouvre", a indiqué à l'AFP Philippe Blet, premier adjoint de la mairie de Calais.

Point barre. Comme ils disent.

Dimanche, le fond de l'air était plutôt doux.

Entre temps, les autorités avaient fait évacuer avec fracas le hangar de la rue Cronstadt, loué par l'association SoS Soutien ô Sans-papiers et mis à disposition des militants No Border, où une centaine de migrants avaient pu passer la nuit de samedi à dimanche.

Hier après-midi, les locataires du hangar Kronstadt, après avoir démonté les vis et boulons verrouillant l'entrée, ont repris possession des lieux, y constatant, au passage, pas mal de dégâts provoqués, selon toute vraisemblance, par l'irruption policière, ainsi que la disparition d'"une partie des affaires présentes avant leur arrivée". Ils y ont tenu une conférence de presse, où étaient "présents des militants de SOS soutien ô sans papiers, de No Border, des Calaisiens et des journalistes".

Alors que la presse nationale avait "fidèlement" (mais fidèle à qui ?) rendu compte des événements du dernier ouiquende, on ne trouve que peu de traces, dans nos journaux de ce matin, de cette intervention.

Un très court article dans LibéLille la résume de manière répétitive mais expéditive, tandis que A. F., dans la voix du Nord, fait encore plus court et annonce les intentions des collectifs:

Ils doivent également porter plainte contre le ministre de l'Immigration, Éric Besson, mais aussi contre la maire de Calais, Natacha Bouchart, pour diffamation. Suite aux événements du week-end, elle les avait qualifiés «d'éléments extérieurs qui marchent sur le ventre et les pieds des Calaisiens». Ils déposeront également trois recours en justice, dont un au pénal. (...)

Dans un autre article de la Voix du Nord, Amandine Faraud donne davantage la parole aux autorités locales, en la personne du sous-préfet Gavory qui assène:

«L'arrêté municipal court toujours, nous interviendrons s'il le faut. Ils doivent respecter les règles ; pour accueillir du public, un local doit être aux normes. La commission de sécurité est passée, le local demande des travaux considérables.»

Ou encore:

«Derrière ça, il y a un problème de responsabilité. Imaginez qu'il se passe quelque chose, c'est le maire qui est responsable personnellement.»

Si cela est vrai, je suppose qu'il y aurait bien un moyen légal de dégager la responsabilité de madame le maire de Calais. Il me semble que passer la nuit à la rue, par des températures proches de zéro, n'est pas le plus sûr moyen de protéger sa vie, moins sûr sans doute que de passer la nuit dans un hangar jugé non conforme par une commission de sécurité. Et pourtant, la justice ne fait grief de ce fait à qui que soit...

Les vitres de la porte d'entrée du hangar, qui était ouverte,
ont probablement été brisées pour des raisons de sécurité.
(Photo Zetkin.)

Après tout, la commission de sécurité avait dû trouver aux normes le centre de rétention de Vincennes, et pourtant il a brûlé, et aucun membre de l'administration n'a été cité à comparaître au procès des présumés coupables.

Et pourtant le réquisitoire du procureur se termine par des remarques bien étonnantes, ici résumée:

Des victimes par fumées toxiques, mais pourquoi sont-elles toxiques ? Les prévenus doivent être condamnés pour le geste qui a entraîné l’incendie, mais pourquoi les draps et les matelas n’étaient-ils pas ignifugés ? Pourquoi, le lendemain du 21 où il y avait eu des heurts et des violences, les extincteurs n’étaient-ils pas en état de marche ? Si le tribunal doit se prononcer sur les dommages intérêts, il devra ordonner une expertise* pour évaluer la façon dont le feu s’est propagé.

On se demande bien de quoi on peut bien avoir peur, à Calais, en évoquant cette histoire de responsabilités.

Ces gens qui, dimanche soir, ont finalement mis à la rue, parmi d'autres, Jabad, cet "Afghan de 13 ans arrivé en France il y a deux mois", cité dans une des dépêches de l'AFP, sont d'une frilosité maladive: ils sont atteints du syndrome phobique de la porte ouverte, qui crée des "appels d'air".

Pour eux, il faut fermer toutes les portes...

Pierre Dac leur avait répondu, jadis:

Mais quand la porte est fermée, il fait toujours aussi froid dehors !

Et contre ce froid, ce froid qui envahit le monde, leurs portes ne pourront rien.




* Il faut préciser que l'expertise technique, demandée par la défense a été refusée par la présidente à l'ouverture du procès.

mercredi 10 février 2010

Qu'il est beau mon comico !

Les heureux habitants du XXème arrondissement de Paris, qui regroupe les anciens villages de Belleville, Ménimontant, Charonne et leurs confins, ne sont pas peu fiers d'avoir, depuis le mois de mars 2009, un nouveau commissariat central, rue des Gâtines, non loin de la place Gambetta.

Après des travaux qui m'ont paru interminables, le nouvel immeuble a été inauguré par madame Michelle Alliot-Marie soi-même.

Tous les touristes font maintenant le détour, en sortant du Père-Lachaise, pour admirer la fière façade en vitrages blindés, mais de différents coloris, très jeunes, très frais, très-très chouettes !

J'ai un jour profité d'une demande de renseignements que je voulais obtenir pour entrer dans ces locaux prestigieux. Je peux donc vous dire que l'intérieur est beaucoup moins coloré que la façade et que, somme toute, ça ressemblait à un commissariat, en plus propre.

Quant à mon renseignement, puisque vous tenez à savoir le fin mot, je ne l'ai pas obtenu: un jeune policier, préposé à l'accueil, m'a dit que je devais téléphoner, de chez moi, aux experts du troisième étage. Et ceux-ci m'ont répondu que je devais aller voir à la mairie...

Commissariat central du XXème arrondissement par temps clair.
(Photo prélevée sur le site de la préfecture de police.)


C'est peut-être dans ce superbe bâtiment qu'Anne, une gamine de 14 ans, a été conduite pour y subir ces huit heures de garde à vue qui, comme on dit dans le journal, font "polémique".

Car les faits scandaleux ne font plus scandale, ils font "polémique" ou, dans certains cas, ils font simplement "débat".

Selon le très impartial article du Figaro.fr, le récit d'Anne "a des accents de sincérité".

Et son récit, le voici:

«À 10 h 30, je dormais encore et j'entends tambouriner à la porte. Donc, je me lève. J'étais en pyjama. J'ouvre la porte. Et donc, il y a une policière qui entre et qui me dit "voilà, c'est la police, il est 10 h 35 et, à partir de maintenant, vous êtes en garde à vue". Je lui demande si je peux m'habiller. Elle me dit non. Je mets mes chaussures. On y va. Ils m'emmènent au commissariat. Ils m'emmènent dans un bureau juste pour me demander mon nom, etc. Ils me mettent dans une cellule. Quand on me sort de la cellule, y a un policier qui me demande : "Pourquoi t'es là ?" Et il me dit : "Tu vas arrêter de te foutre de ma gueule, sinon je te prolonge de 24 heures.

Pour ceux qui s'intéressent aux récits de gardés à vue (qui constituent désormais un imposant corpus), cela a même des accents d'authenticité.

Anne affirme avoir été menottée lors d'un transfert chez un médecin.

C'est mardi, sur France-Info, que sa mère a dévoilé l'aventure d'Anne.

Elle a bénéficié d'un contexte médiatique favorable, et elle a bien eu raison d'en profiter.

Avec une rapidité de réaction tout à fait inhabituelle, monsieur Michel Gaudin, préfet de police de Paris, a réclamé une enquête à l'Inspection générale des services (IGS), tandis que monsieur Alain Gardère, "patron des quelque 40 000 agents de la police d'agglomération parisienne", convoquait dans la journée une conférence de presse, "en urgence".

Il était en effet urgent de réaffirmer l'absolue régularité de la procédure appliquée à la jeune présumée suspecte.

Pour cela, la préfecture chipote, et précise d'importants détails:

La police se rend donc chez elle et l'emmène effectivement dans la tenue de jogging qui lui sert de pyjama. Non sans l'avoir laissée prendre un pull et des chaussures. Elle est emmenée dans une voiture de police banalisée, pour des raisons de discrétion.

Un pull ! des chaussures ! une voiture banalisée !

Et elle ne dirait pas merci ?

Mais l'argument le plus décoiffant est celui-ci:

La préfecture fait remarquer, pour sa part, que l'avocat commis d'office n'a fait état d'aucune observation sur les conditions de la garde à vue d'Anne. «Lorsque la mère est venue chercher sa fille au commissariat de police, elle n'a fait également état d'aucune observation», poursuit-elle.

Là-dessus, il reçoit l'appui de monsieur Mohamed Douhane, du syndicat d'officiers de police Synergie, qui "assure que les droits de la jeune fille «ont été strictement respectés. Elle a bénéficié d'un avocat et d'une visite médicale»".

Et celui de la policière, ayant grade de brigadier de police, "qui a pris la responsabilité du placement en garde à vue" qui affirme que «la mineure ne s'est plainte à aucun moment».

Finalement, tous ces intervenants montrent que l'intolérable infligé à une gamine qui aurait participé à une bagarre de collège est devenu une "procédure régulière" qui ne choque plus personne dans les rangs de la police.

Sur la page du LeMonde.fr, on peut lire le compte-rendu du "chat" auquel a accepté de participé Jean-Pierre Dubois, professeur de droit public à l'université Paris XI et président de la Ligue des droits de l'homme (LDH).

Sur cette affaire, il fait ce constat:

Ce genre de situations, qui malheureusement se multiplient, suffit à faire prendre conscience de la perte de repères qui résulte de huit ans de politique ultra-sécuritaire.

En conclusion, à la question "Pensez-vous qu'il y a réellement un recul des libertés en France ?", il répond:

A l'évidence oui. C'est la raison de notre campagne. Et il est assez facile de démontrer que depuis 2002, une très large partie du programme électoral du candidat Le Pen a été recyclée par les lois Sarkozy, si bien que nous sommes en train de changer de société sans que les citoyens aient été mis en mesure de le décider démocratiquement.



Note:

Je crois que les heureux habitants du XXème arrondissement de Paris auraient préféré, à tout prendre, que l'on maintienne le centre d'IVG (Interruption volontaire de grossesse) de l'hôpital Tenon, qui a été fermé au mois de juillet 2009.

Pour demander sa réouverture, le collectif unitaire du XXème a mis en ligne une pétition, et appelle à un rassemblement, le samedi 13 février à 11h, sur la place Gambetta.

Ce n'est pas loin de notre beau comico nouveau, vous pourrez aller jeter un coup d'œil.

mardi 9 février 2010

Un cas de bouffissure à mémoire de forme

"Comment peut-il se faire que, sans exercer le moindre contrôle, un éditeur, des journaux, des chaînes de télévision lancent un pareil produit, comme on lance une savonnette, sans prendre les garanties de qualité que l'on exige précisément d'une savonnette ?"

Pierre Vidal-Naquet,
à propos du Testament de Dieu de Bernard-Henri Lévy.
Lettre adressée au Nouvel Observateur
et partiellement publiée le 18 juin 1979.


Dès demain, en tête de gondole.

Aude Lancelin, journaliste au Nouvel Observateur, où elle anime les pages culturelles, est assurément une vraie peste.

C'est du moins l'avis de ses détracteurs, dont elle possède déjà un intéressant assortiment dans les rangs de la néo-connerie décomplexée.

Elle salue à sa façon, qui est bien vacharde et délectable, le grand retour éditorial de monsieur Bernard-Henri Lévy qui devrait connaître son apothéose demain en envahissant les tables des libraires avec deux ouvrages (chez Grasset): Pièces d'identité, qui recueille une foultitude de textes et d'entretiens déjà parus ici ou là, et De la guerre en philosophie, qui est la version remaniée d'une conférence prononcée en 2009 à l'École Normale Supérieure de la rue d'Ulm.

Selon Aude Lancelin, ce dernier essai, assez court (130-150 pages ?), constitue un "plaidoyer pro domo en faveur d'une œuvre injustement décriée", et "se présente comme le «livre-programme» de la pensée béhachélienne." Et de citer avec quelque gourmandise la quatrième de couverture:

Manuel pour âges obscurs, où l'auteur "abat son jeu" et dispose, chemin faisant, les pierres d'angle d'une métaphysique à venir.

Notre lectrice avisée nous présente, entre autres salutaires entreprises de cette œuvre, l'attaque critique que conduit par notre valeureux BHL contre la pensée du "vieux puceau de Königsberg", Emmanuel Kant, "ce fou furieux de la pensée, cet enragé du concept", "le philosophe sans corps et sans vie par excellence", en brandissant son "arme fatale":

Les recherches sur Kant d'un certain Jean-Baptiste Botul, qui aurait définitivement démontré "au lendemain de la seconde guerre mondiale, dans sa série de conférences aux néokantiens du Paraguay, que leur héros était un faux abstrait, un pur esprit de pure apparence".

On imagine avec quel plaisir Aude Lancelin peut alors révéler à ceux qui l'ignoraient que le fameux Jean-Baptiste Botul est bien, lui, un "pur esprit de pure apparence", et un faux très concret, fabriqué par Frédéric Pagès, rédacteur au Canard Enchaîné...

Un lecteur anonyme, mais fanatique, de JBB.

Une rapide visite au site de l'Association des Amis de Jean-Baptiste Botul (A2JB2) nous apprend:

A propos de Jean-Baptiste...
...nous ne savons presque rien de certain, sinon qu'il est né le 15 août 1896 à Lairière (Aude) et qu'il est mort dans ce même village des Hautes-Corbières le 15 août 1947. "Les Amis de JBB" se proposent de retrouver ses traces, et en particulier ses écrits, entassés dans "l'armoire de Lairière". Mais leur authentification est difficile dans la mesure où Botul se définissait comme un philosophe "de tradition orale". La tache des "Amis de Jean-Baptiste Botul" est d'autant plus ardue que le botulisme désigne aussi une grave maladie. Pour la santé de la population, il n'est évidemment question ici que de diffuser le botulisme au sens philosophique.

Il suffit de citer la liste des œuvres "retrouvées" ou "exhumées" pour se faire une idée de cette pensée méconnue de beaucoup d'entre nous (mais pas de BHL):

Landru, Précurseur du Féminisme : la correspondance inédite, 1919-1922 (Christophe Clerc et Bertrand Rothé)

La Vie sexuelle d'Emmanuel Kant (Frédéric Pagès).

Nietzsche ou le démon de midi (Frédéric Pagès).

Métaphysique du mou (Jacques Gaillard).

(Tous ces livres sont publiés par les éditions Mille et une nuits...)

Un autre lecteur de Botul.

Il ne faut surtout pas croire que la révélation d'une telle bévue puisse dégonfler quelque peu le personnage...

Monsieur Bernard-Henri Lévy souffre depuis trop longtemps de cette bouffissure intellectuelle récidivante qui se reconstitue immédiatement par un curieux effet de mémoire de forme.

A la fin de son article, Aude Lancelin nous remet en mémoire la lettre que Pierre Vidal-Naquet avait adressée à la rédaction du Nouvel Observateur qui, selon lui, avait poussé un peu loin l'éloge de la dernière savonnette de BHL. Et, grâces lui soient rendues, elle en fournit une copie.

On peut relever, parmi les bourdes de candidat hâtivement préparé au baccalauréat égrenées par Vidal-Naquet, celle-ci:

- Prenant le Pirée pour un homme, il fait (p.79) d'Halicarnasse un auteur grec.

(Au lieu de répéter "Denys d'Halicarnasse", BHL avait cru pouvoir reprendre "Halicarnasse", et non simplement "Denys", comme c'est l'usage. Bourde mineure, mais facile à corriger à la relecture.)

La réponse de BHL, piqué, mais ne comprenant manifestement pas la nature du reproche, mérite d'être citée:

Mais je m'étonne, par contre, qu'il faille rappeler à un helléniste que Denys d'Halicarnasse est bel et bien un écrivain grec, originaire de Carie, fixé à Rome en 30 avant Jésus-Christ, et auteur de fameuses "Antiquités romaines".

(Au lieu de vérifier sa page 79, le collégien mouché a sorti son dictionnaire des noms propres et le recopie avec soin pour nous donner la leçon...)

Marqué par le destin...

Dans le cas présent, monsieur Bernard-Henri Lévy ne peut que jouer le beau joueur...

Hier, le site du journal Libération a publié, assez rapidement, la réponse de son "actionnaire et membre [de son] Conseil de surveillance" dans un court article signé d'Eric Aeschimann et Robert Maggiori (on n'est jamais trop nombreux pour traiter de telles questions).

Sollicité par Libération, Bernard-Henri Lévy nous a transmis un texte où il choisit de prendre l’affaire en beau joueur: «Salut l’artiste. Chapeau pour ce Kant inventé mais plus vrai que nature et dont le portrait, qu’il soit donc signé Botul, Pagès ou Tartempion, me semble toujours aussi raccord avec mon idée d’un Kant (ou, en la circonstance, d’un Althusser) tourmenté par des démons moins conceptuels qu’il y paraît.»

(Ce texte va être partout repris, je suppose, et un fin commentateur trouvera sans doute ce que vient faire Althusser en cette galère...)

Il est assez pitoyable de voir Eric Aeschimann et Robert Maggiori se donner la main pour minimiser le vol plané du petit maître boursoufflé qui est aussi leur "actionnaire":

Cela arrive assez souvent, même chez des universitaires rigoureux, d’être piégé par un titre emprunté sans vérification à une bibliographie.

On pourrait les mettre au défi de trouver une thèse ou un mémoire de Master citant la "série de conférences aux néokantiens du Paraguay" de Jean-Baptiste Botul dans sa bibliographie.

Mais sans doute ont-ils, comme BHL, depuis longtemps "déserté ce mouroir de toute pensée qu'est devenue l'Université".



PS1: Grégoire Leménager, dans le NouvelObs.com, enfonce le clou en se posant la question: BHL a-t-il vraiment lu Botul ? On devine la réponse, mais son billet mérite le détour.

PS2: Autre lecture fort recommandable, y compris pour monsieur Bernard-Henri Lévy qui pourrait y trouver à renouveler son inspiration, le texte de Jacques Roubaud, Botulisme et Oulipisme, paru dans le numéro 183 de la Bibliothèque Oulipienne, où il est

fait état d’une visite que Botul (je rétablis désormais son vrai nom) et FLL ont fait en 1943, aux Pays-bas (par quels moyens ont-ils pu traverser la Belgique occupée ?) pour rencontrer Brouwer, le fondateur de l’Intuitionnisme. Il semble qu’ils aient été chargés, peut-être par l’intermédiaire de Noël Arnaud (futur 2ème Président de l’Oulipo) qui appartient alors à l’IS, d’une mission de la plus haute importance: Turing demandait l’aide du grand topologue et logicien, pour le déchiffrement du code des sous-marins d’Hitler, Enigma.

On y parle aussi de beaucoup d'autres choses savamment délirantes.