Ce type de recommandation préfectorale est peut-être affaire de routine. Elle était, pour l'instant, largement méconnue, et on admettra que la découvrir après quatre années de sarkozisme dans les jambes peut vous donner des fourmillements dans les orteils.
(Tous les gardiens de but vous diront que c'est à cela qu'ils sentent qu'ils vont faire un bon "dégagement".)
Voici le texte distribué aux enseignants du collège d'Andouillé (Mayenne), tel qu'il est reproduit par Véronique Soulé, journaliste à Libération, sur son blogue "C'est classe !".
"Monsieur le préfet tient à informer que la période de réserve, pour les élections cantonales (des 20 et 27 mars), débutera le lundi 14 février 2011 et se prolongera jusqu’au dimanche 27 mars inclus. Il est, en conséquence, demandé aux fonctionnaires de l'État (et de l’administration territoriale) d’éviter de participer, durant cette période, aux manifestations publiques susceptibles de présenter un caractère pré-électoral, soit par les discussions qui pourraient s’y engager, soit en raison de la personnalité des organisateurs ou de leurs invités.
Pendant la période électorale, qui s’ouvrira le 7 mars, il leur est également demandé de s’abstenir de prendre part à toute cérémonie publique, et ce, jusqu’au 27 mars inclus."
Les enseignants, qui, on le sait, s'amusent d'un rien, ont d'abord cru à un "canular" et ont fini par s'adresser à leur direction :
"La principale a répondu que cela venait bien d'elle, qu'elle recevait ce papier tous les ans par voie hiérarchique et qu'elle l'avait transmis cette fois-ci parce qu'il concernait également les agents territoriaux. Elle ne voyait d'ailleurs pas ce qui pouvait nous froisser."
Il est vrai qu'on ne voit pas toujours tout...
Et pour que ses troupes voient bien qu'il n'y avait pas à se "froisser", madame la principale a fait afficher l'original, "un mail du chef de la Division des actions partenariales, de l'information et de la communication, de l'Inspection académique" que "l'IA a envoyé à tous les chefs d'établissement du département".
Cette "période de réserve", dont le préfet de la Mayenne tient à préciser les contours, vient s'ajouter à ce fameux et fumeux "devoir de réserve" auquel les fonctionnaires de l'État seraient soumis sans qu'il figure dans leur statut. On parle toujours assez vaguement de ce devoir qui est également appelé "obligation de réserve", et parfois même, comme pour ajouter un peu de confusion, "droit de réserve" - y compris dans des notes officielles. Ce qui n'empêche pas de l'invoquer de plus en plus souvent à l'appui de tentatives de sanctions disciplinaires.
Afin d'éclairer nos lanternes, on peut trouver des considérations aussi lumineuses que celles qui suivent :
Le principe de neutralité du service public interdit à tout fonctionnaire d'user de sa fonction pour quelque propagande que ce soit : politique , religieuse , syndicale ...
Le principe de neutralité du service public interdit au fonctionnaire de faire de sa fonction l'instrument d'une propagande quelconque. La portée de cette obligation est appréciée au cas par cas par l'autorité hiérarchique sous contrôle du juge administratif.
L'obligation de réserve est une construction jurisprudentielle complexe qui varie d'intensité en fonction de critères divers (place du fonctionnaire dans la hiérarchie, circonstances dans lesquelles il s'est exprimé, modalités et formes de cette expression).
On comprend bien que cette "construction jurisprudentielle" vise surtout à inciter le fonctionnaire à se construire une prudence juridique pouvant aller jusqu'à l'autocensure...
La "réserve" instituée durant la période du même nom est dessinée de manière bien plus explicite. Du 14 février au 6 mars, les "fonctionnaires de l'État (et de l’administration territoriale)" devraient "éviter de participer(...) aux manifestations publiques susceptibles de présenter un caractère pré-électoral, soit par les discussions qui pourraient s’y engager, soit en raison de la personnalité des organisateurs ou de leurs invités", et du 7 au 27 mars, ils devraient, en plus, "s’abstenir de prendre part à toute cérémonie publique".
Peut-on être plus clair ?
Beaucoup seront de l'avis de madame la principale, disant qu'il n'y a pas à se "froisser" de cette circulaire qui, habituelle en période électorale, n'introduit rien de vraiment nouveau et, par surcroît, semble rédigée de manière assez peu impérative. Certains ajouteront que, de mémoire de fonctionnaire, personne n'a jamais été inquiété à cause de cette institution d'une "période de réserve".
S'il n'y a aucune raison d'être "froissé" - car ce terme est tout à fait hors de propos -, on peut tout de même trouver des raisons de s'inquiéter du maintien de genre de dispositions.
Un préfet, même s'il est par profession attaché à une certaine routine administrative, n'est pas en général un maniaque de l'acte gratuit dans le délicat domaine de la circulaire... Le ton employé dans celle-ci peut paraître bien aimable et peu contraignant, mais les habitués peuvent y reconnaître ce bel idiome administratif à l'ancienne, empreint d'une élégance surannée, où même derrière un gentil conditionnel il faut entendre un ferme impératif. Dans ce dialecte, "il serait souhaitable que" signifie "il faut que".
Enfin, il ne vous aura pas échappé que, depuis près de quatre ans, nous vivons sous un régime en pleine "transition" - le mot est à la mode - autoritaire, prêt à promulguer, ou réactiver, n'importe quel règlement allant à l'encontre des libertés fondamentales.
Et cela, sans réserve aucune.
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