De ce que l'on enseigne aux élèves des écoles de police, je n'ai qu'une assez vague idée. Mais je suppose que, par mesure de prudence, il doit y être interdit de repasser certains contenus des cours pendant les heures de récréation. Je pense à certains "gestes techniques professionnels en intervention", comme la "clé d’étranglement" et la "compression thoracique", qui commencent à être bien connus du public à cause des bien nommées "asphyxies posturales" qu'ils peuvent entrainer.
Les curieux pourront consulter les fiches annexées à l'Instruction relative à l'éloignement par voie aérienne des étrangers en situation irrégulière, concoctée par la Direction Générale de la Police Nationale. Ce document, plus généralement nommé "Manuel de l'escorteur", se trouve, en des versions plus ou moins lisibles, sur la vaste toile du monde virtuel.
On y trouve, à partir de la page 32, présenté un "moyen de contrainte et de régulation phonique" qui fait l'objet de la fiche pédagogique numéro 01. Il faut bien dire que cela ressemble fort à un moyen très commode pour étrangler bien gentiment un de ses semblables, surtout s'il est déjà menotté.
Les deux protagonistes du roman photo sont respectivement nommés "le reconduit" et "l'escorteur" dans les légendes explicatives.
Voici celle que l'on peut lire à la page 4 de cette fiche :
L'escorteur exerce une traction sur le vêtement en lui imprimant un mouvement de rotation autour du cou. Il maintient cette pression entre trois et cinq secondes pour assurer la contrainte de régulation phonique et la relâche tout en gardant les points de contrôle.
Le contrôle et le dialogue avec le reconduit sont maintenus en permanence.
Cette note plaisante sur ce prétendu "dialogue" sous "régulation phonique" est suivie d'un avertissement sur un mode plus sérieux :
Important : Les temps de pression et de relâchement ne doivent pas dépasser trois à cinq secondes. La répétition de ces opérations de régulation phonique ne peut être réalisée plus de cinq minutes.
La page 5 de cette fiche sur une technique d'étranglement présentée comme banale "opération de régulation phonique" présente une photo fléchée sur cette "zone sensible : la gorge" - c'est le titre, en majuscules et encadré -, accompagnée d'intéressants "commentaires techniques" :
- Les effets de cette technique sur l'individu reconduit :
- Ils le déstabilisent physiquement (le contrôle de la tête modifie les repères sensoriels)
- Ils diminuent sa résistance (l'équilibre des forces de l'escorteur exercées sur la tête et le cou)
- Ils diminuent ses capacités à crier (régulation phonique)
- détresse ventilatoire et/ou circulatoire
- défaillance de l'organisme
- risque vital
A moins que l'on ne se contente, dans cette formation, des trois schémas simplistes que l'on peut trouver aux pages 57, 58 et 59, regroupés sous le titre pompeux d'Appendice Médical.
dans le "Manuel de l'escorteur".
On a beaucoup parlé de ces techniques de "contrôle" qui seraient enseignées dans les écoles durant le procès qui vient de se dérouler au tribunal correctionnel de Grasse. Y étaient convoqués sept membres des forces de l'ordre, afin d'examiner leur rôle dans la mort d'Hakim Ajimi, survenue à la suite, ou au cours, de son "interpellation mouvementée" le 9 mai 2008. Ces "sept policiers, dont deux femmes" - comme le dit Le-Monde-avec-AFP -, comparaissaient pour "homicide involontaire" - deux d'entre eux - et pour "non-assistance à personne en danger" - les cinq autres, dont un policier municipal.
Les deux principaux accusés, les deux policiers de la BAC ayant pratiqué sur le jeune homme une "clé d’étranglement" et une "compression thoracique" après menottage, avaient adopté une ligne de défense assez minable consistant à dire et répéter qu'ils n'avaient fait qu'utiliser les gestes techniques enseignés à l'école de police. Cette posture de bons élèves injustement accusés a conduit le tribunal à discuter de ces gestes...
Cette discussion ne manque pas d'intérêt - et ce procès des méthodes policières devrait être instruit en urgence -, mais elle ne doit pas masquer le fait que cette cour était d'abord réunie pour juger de la responsabilité, et de l'éventuelle culpabilité, d'hommes dans le décès d'un jeune homme. Jeune homme dont monsieur de La Palisse, qui n'était pas mauvais observateur, aurait pu dire que, sans l'intervention de ces hommes, il serait encore en vie...
Une deuxième ligne de défense, plus classique, a consisté en la mise au point et la récitation d'un scénario minuté de l'intervention. Très professionnel, le policier qui a pratiqué la clé d'étranglement sur le jeune homme à terre, a ainsi déclaré, pour éviter le reproche d'avoir abusé de la force : "Je n'ai ressenti aucun élément de détresse jusqu'à son acheminent vers la voiture", et insiste sur le fait que "la rébellion d'Hakim Ajimi n'a jamais cessé", "contraignant" les policiers "à appliquer la force nécessaire pour le maîtriser".
Deux experts médicaux sont venus confirmer que le rebelle - dont on évaluera l'ampleur de la rébellion en se souvenant qu'il était entravé aux mains et aux pieds -, est bien mort par "asphyxie mécanique lente". Des témoins sont venus dire qu'il l'ont vu être traîné "inconscient", le visage "violacé", vers le véhicule de police-secours où il a été balancé comme un paquet.
Mais notre professionnel dit, dans son langage d'école, qu'il n'a "ressenti aucun élément de détresse"...
(Et maître Joël Blumenkranz, avocat des policiers de la BAC, croit bon d'en rajouter, en jargon de plaidoirie : "Il aurait fallu que les prévenus se rendent compte de l'état d'inconscience dans lequel se trouvait la victime pour que le délit soit constitué.")
En bon français, cela s'appelle du manque de discernement.
Le discernement est une faculté qui ne s'apprend pas à l'école de police, peut-être, mais on peut penser qu'en manquer, lorsqu'on est dépositaire du droit d'exercer la force, est tout à fait condamnable.
PS : Dans son réquisitoire de mercredi, le procureur Jean-Louis Moreau a estimé que les policiers devaient tous être condamnés, mais n'a réclamé que des peines de prison avec sursis.
Lors de la séance du lendemain :
Après dix minutes de présence, Ekram, la sœur de la victime, se lève brusquement et quitte la salle, suivie silencieusement par toute la famille et leurs sympathisants présents dans le public.
Le jugement sera rendu le 24 février.
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