Malgré les soins attentifs que je lui ai prodigués durant toutes ces années où il m'a rendu quelques services, mon téléphone portable vient de s'éteindre à jamais. Une grande fatigue existentielle a eu raison de lui, irrémédiable. Au bout d'une poignée de minutes de conversation, il me prévenait, en me lançant un signal exténué : il était à plat. Ensuite, la communication s'interrompait subitement, me laissant désemparé, ainsi que mes correspondant(e)s qui n'avaient eu que le temps d'énoncer de vagues formules de courtoisie s'entrelaçant aux miennes.
Il m'a donc fallu me résoudre à entrer dans la boutique couleur mandarine de mon "opérateur".
Après une attente de durée raisonnable, je pus expliquer mon cas à une avenante jeune dame brune qui confirma qu'il était désespéré. Il me fallait acquérir un autre appareil de téléphonie nomade. Et comme je voulais "le même", mon hôtesse me révéla que cela n'était pas possible, ce modèle n'étant plus commercialisé depuis belle lurette, ajoutant avec tact qu'il fallait vivre avec son temps et toussa et toussa - en fait, c'est moi qui ai toussé, car, tout de même, j'avais vécu avec mon temps au moins deux fois plus longtemps qu'elle !
Je finis par me trouver, dans les petits prix, un modèle acceptable muni d'un clapet, accessoire dont je n'étais pas prêt à me passer : au téléphone, j'adore fermer mon clapet.
(Rotary Mechanical Smartphone, Richard Clarkson, 2011.)
Très aimablement, ma vendeuse procéda à divers réglages, qui ne sont pas nommés "réglages" dans le "menu" de l'appareil, car cela ne serait probablement pas assez "intuitif" pour l'utilisateur. Évidemment, puisque derrière moi le délai d'attente dépassait le temps nécessaire à la confection d'une pizza à emporter dans la boutique d'à côté, tout ceci, paiement compris, fut expédié assez rapidement.
Trop.
Lorsqu'en quittant l'officine, j'ouvris le clapet de mon nouvel appareil, une intempestive et épouvantable "mélodie" - il paraît que cela s'appelle ainsi - envahit l'espace environnant. Probablement surpris, voire médusé, par cette stridence si inopinément déclenchée, le conducteur d'un véhicule automobile qui passait par là en perdit le contrôle et fit une embardée, manquant de peu un piéton tétanisé. Lorsque je refermai le clapet, le même phénomène sonore se reproduisit - mais cette fois la rue était vide de voitures et tous les piétons aux abris.
Convaincu de sa dangerosité, je résolus de faire taire au plus vite cette effroyable cacophonie. Mais mon exploration du "menu", assortie de quelques tentatives de personnalisation de l'outil, se révéla tout à fait inopérante.
Croyant y trouver l'amorce d'une solution, je me penchais très sérieusement sur la notice d'utilisation.
Inutile de préciser que je ne sais pas lire ce genre de littérature...
Je n'y trouvai donc pas le moyen de faire taire l'inutile avertisseur sonore d'ouverture/fermeture du clapet - j'avoue avoir été, pour cela, contraint de recourir à une aide gracieuse et compétente...
Mais j'y découvris que mon tout nouvel et tout bel appareil de téléphonie mobile possédait une fonctionnalité très étonnante, nommée "appel fictif" :
Ce programme vous permet de simuler l'appel entrant d'un faux appelant pour lequel vous aurez défini un numéro, un nom et une photo ainsi qu'une sonnerie d'appel. L'appel est préprogrammé à une heure précise. Cette application vous permet d'échapper en toute politesse aux situations les plus embarrassantes chaque fois que vous le souhaitez. Cet appel peut être rejeté en appuyant sur la touche [***].
C'est un grand plaisir pour moi, désormais, de rejeter résolument l'appel fictif annoncé par quelques notes répétées de la Marseillaise, pendant que s'affiche la photo du président.
[***] Cette touche ressemble à un vrai faux Q.
6 commentaires:
Ah c’est beau le progrès quand même quand il invente des fonctions pour fuir les inconvénients qu'il génère.
Et c'est démocratique : plus besoin d'avoir une secrétaire pour se faire appeler pendant un rendez-vous...
Ah !le changement de téléphone portable , un moment d'anthologie .
Et, en plus, il prend des photos !
Mais pourquoi cette fonction "appel fictif", alors qu'il suffit que tu lui ouvres le clapet pour déclencher la mélodie-qui-tue ? («Oh excusez-moi je vous rappelle plus tard, là y a encore un piéton qui vient de se faire écraser.»)
En plus de prendre des photos et se faire envoyer plein d'appels fictifs pour se la jouer trader surbooké, est-ce qu'au moins ça fait téléphone pour de vrai ?
Vraiment, un rien t'amuse.
Oui, ça fait vraiment téléphone. J'ai cru que c'était une option qu'on ne m'avait pas fournie, parce qu'il m'a fallu trois jours pour la trouver dans le "menu".
Mais ça fonctionne bien.
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