Malgré ce que l'on en peut dire, le ministre de la Culture et de la Communication, pressé de toutes parts, a fini par trancher la racine même de cette naissante polémique née de l'initiative crétine de monsieur Eric Raoult.
Mais il faut bien comprendre qu'il a su trancher avec un couteau sans lame, et en s'y prenant comme un manche.
"Je n'ai pas à arbitrer entre une personne privée qui dit ce qu'elle veut dire et un parlementaire qui dit ce qu'il a sur le cœur."
A-t-il dit.
Ce disant, monsieur Frédéric Mitterrand introduit entre Marie Ndiaye et monsieur Eric Raoult une bien intéressante dissymétrie. Il admet que la première a est bien voulu dire ce qu'elle a dit; et, en effet, elle le maintient (même si elle aurait préféré nuancer pour éviter qu'on lui attribue une posture d'écrivaine exilée). Mais il laisse entendre que la "question écrite" du second relève plus de l'impulsion irréfléchie de qui se libère d'un poids "sur le cœur" et se fait un devoir de sortir de sa réserve.
Avec son petit air de ne pas y toucher*, monsieur Frédéric Mitterrand a sans doute bien cerné le caractère profond de monsieur Raoult, écorché vif, infiniment sensible et, par suite, très excessif, qui, suivant sa pente professionnelle, ne trouve d'exutoire que dans l'expression de son besoin de réglementer et de légiférer.
On se souvient qu'en juin 2006, sans doute ému par les bouffées de chaleur provoquées par la vue des strings dépassant des djinnes des lycéennes du Raincy, il n'avait pu se retenir d'écrire au ministre de l'Education Nationale, et aux deux fédérations de parents d'élèves, pour les alerter: "Depuis quelques semaines de chaleur, il est devenu assez fréquent de voir dans les établissements scolaires, des jeunes filles vêtues de manière provocante, voire indécente, ce qui peut poser des malentendus, voire des incidents". Il réclamait que "des instructions soient rapidement données pour que les jeunes filles, collégiennes et lycéennes puissent respecter un habillement correct et décent, dans et aux abords de leurs établissements scolaires".
Alors que l'on peut supposer que les premiers émois de monsieur Eric Raoult devant la merveille multiforme des fesses de jeunes filles ne datent pas d'hier**, son intérêt pour les prix littéraires et leurs lauréats semble plus récent. Et de seconde main. Car il avoue, en toute naïveté, avoir été alerté par son épouse qui avait découvert les déclarations de Marie Ndiaye.
Il est à peu près certain qu'il n'a pas laissé le temps à sa très littéraire (et très méritante) compagne de lui expliquer un tantinet ce qu'est un prix littéraire comme le prix Goncourt. Il a dû se précipiter à sa table de travail pour rédiger sa "question écrite" au ministre de la Culture et de la Communication.
Pour parler de "personnalité qui défend les couleurs littéraires de la France", il faut avoir en tête une image assez "sportive" du prix Goncourt.
(Peut-être croyait-il que les lauréats Goncourt étaient sélectionnés pour représenter la France au Nobel de l'année suivante...)
Et pour interpeller le ministre de la Culture, il faut avoir une vision assez centralisée du monde de la création littéraire et/ou artistique.
(Peut-être croyait-il que l'Académie Goncourt était un service du ministère, chargé de la gestion de quelques bourses, subventions ou prix...)
On ne peut tout connaître...
Ce qui est plus curieux est de voir monsieur Raoult employer l'expression "devoir de réserve" et avouer, en nuançant son propos, n'avoir vérifié l'usage de cette expression qu'après l'avoir utilisée:
A la question de savoir s'il regrettait son expression "devoir de réserve" des écrivains, vigoureusement rejetée par des membres de l'Académie Goncourt, M. Raoult a répondu qu'il avait constaté après vérification qu'elle était "utilisée pour les préfets".
"Mme Marie NDiaye n'est pas préfet", a-t-il poursuivi avant de suggérer "un principe de modération", à la place du "devoir de réserve" qu'il avait suggéré dans un premier temps.
(Dépêche AFP)
Il est curieux de constater que cet obsédé de la règlementation et de la législation ait besoin d'une telle "vérification" sur une notion qui, en première approximation, manque de consistance juridique.
Il y a au moins, dans les propos de monsieur Frédéric Mitterrand, un effort de pédagogie pour faire comprendre à monsieur Raoult ce qu'est le prix Goncourt :
"Le prix Goncourt est une entreprise privée, tout à fait remarquable." (et slurp, au cas où)
Je suppose que monsieur Eric Raoult, comme tout respectable membre de l'UMP, est sensible à l'esprit entrepreneurial et qu'il a enfin compris que ce n'était pas le ministre de la Culture qui décernait le prix.
Mais, cela risque d'inciter notre parlementaire éminent à entreprendre de créer, lui-même, le prix littéraire qu'il rêve.
Il lui suffirait de reprendre, mais en le remettant sur ses pieds comme on fait parfois de la dialectique, le méchant persiflage de Patrick Rambaud, membre de l'académie Goncourt:
"Eric Raoult confond le prix Goncourt avec Miss France."
Ce prix ne serait remis qu'à des écrivains sûrs, à la moralité irréprochable et à la prose consensuelle, qui auraient à faire pendant un an, autour du monde, la promotion de "la cohésion nationale et l'image de notre pays".
En faisant un petit effort d'ouverture, monsieur Raoult pourrait envisager de travailler en partenariat avec madame Geneviève de Fontenay qui, malgré ses convictions politiques assez étranges, n'aime pas plus que lui tout ce qui dépasse...
* Il s'agit peut-être encore d'un régionalisme. (Précaution destinée au merle moqueur)
** Et on lui souhaite bien volontiers, on n'est pas des monstres...
10 commentaires:
Eric Raoult doit avoir un sacré coup de chaud, il veut mettre des labels "France" partout. Après les écrivains, voilà le tampon réservé aux pays indignes avec qui on commerce : http://www.marianne2.fr/Eric-Raoult-invente-le-label-Pays-amis-de-la-France_a182764.html
Au moins, il faut lui reconnaître une certaine constance. Quand il se pique de labelliser, Raoult ne fait pas les choses à moitié.
Ah oui, il est en pleine forme.
Je dirais même que ça déborde de partout.
Qu'est-ce qui serait un régionalisme, monsieur le Haut-Normand, hmmm ? (Aucun politicien n'inclut dans son programme de redonner la Normandie aux Anglais ?)
Depuis votre visite, je suis littéralement trau-ma-ti-sé ! Je me demande si les expressions courantes qui me viennent, comme "son air de ne pas y toucher", ne me viennent pas de cette cour de récré où nous parlions si mal...
D'où ces scrupules excessifs...
(Il faudrait plutôt envisager de rendre l'Angleterre aux Normands, non ?)
Guy M: j'adore traumatiser les zinternautes ! Non, sérieusement, je ne sais pas, pour "sur la cour" ou "dans la cour", peut-être les deux se disent-ils ? (on dit "jouer dans la cour des grands", quand même. Faudrait demander à un professeur de français.)
Y a-t-il un(e) professeur(e) de français dans la salle ?
(Sont encore à corriger leurs copies, probab')
Bon, allez, une petite dose de Grevisse (Le bon usage, § 1001, a, 2°), d'après qui sur la cour «se dit [...] en Belgique pour dans la cour».
Dans plusieurs régions à la ruralité très très affirmée, on dit couramment «sortir sur la rue».
Ne me remerciez pas, c'est donnant-donnant : qui m'expliquera pourquoi les pieds sont dans le plat, mais les œufs sur ?
Tu confirmes donc que le village a bien été fondé par un Viking belge qui avait cru y retrouver les horizons de son plat pays.
A propos de plat, par ici, nous disons plutôt "se faire cuire un neufauplat" (oui, un seul, l'autre, nous préférons le vendre).
Mais nous disons bien "mettre les pieds dans le plat" (une expression d'importation, sans doute).
Merci pour cette petite balade linguistique, pièce détachée et Guy.
Parlons joyeusement mal!
Et merci d'avoir mis un orteil dans le plat de mes barbarismes...
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