mercredi 18 novembre 2009

Garde à vue à la française

Depuis que j'ai appris qu'en 2008, 1% de la population française avait bénéficié d'une garde à vue pour faire la preuve de sa présumée culpabilité, je ne me rends plus aux convocations dans un commissariat sans emporter avec moi, en plus de mes papiers d'identité nationale, une brosse à dents.

Et un échantillon de dentifrice que j'ai extorqué de ma pharmacienne en lui faisant mon plus laid sourire, qu'elle a donc décidé d'embellir.

Parce que ça m'étonnerait qu'on me donne un peu de pâte dentifrice au commico, à la fin de ma garde à vue...

Évolution du nombre de gardes à vue au XXIème siècle,
d'après un article du fidèle Figaro.

On sait que certaines gardes à vue ont une issue dramatique.

De cela, j'ai déjà amplement parlé...

Et des récits qui émergent dans la presse, on devine que beaucoup se déroulent dans des conditions qui n'honorent ni la justice ni la police, les célèbres duettistes de l'ordre sécuritaire.

Un exemple, pour mémoire:

29/11/2008, Pascal Riché dans Rue89:

(...) Vendredi matin, Vittorio de Filippis, journaliste à Libération, est réveillé à 6h40 par des coups frappés à la porte de sa maison. Trois policiers lui disent qu'ils ont un mandat d'amener au TGI de Paris contre lui. « Habillez-vous, on vous emmène. » Il proteste. « Vous, vous êtes pire que la racaille ! », disent les policiers, devant son fils de 14 ans.

Il est emmené au commissariat du Raincy. Quel est le crime commis par le journaliste ? On lui parle d'une affaire de diffamation à l'encontre de Xavier Niel, fondateur de Free, le fournisseur d'accès à Internet… (...)


Vittorio de Filippis demande la présence des avocats du journal. Réponse : « Ils ne seront pas là. » Il doit vider ses poches, il est menotté dans le dos, direction Paris. Là, à la PJ, il doit de nouveau vider ses poches, et se déshabiller. On lui demande de baisser son slip, de se tourner et de tousser trois fois. La procédure… Il se rhabille. On lui a retiré ses lacets, sa ceinture, la batterie de son portable, ses papiers…


Il est poussé dans une cellule avec cafards et mites.


Deux heures plus tard, on lui redemande de se déshabiller complètement. Il baisse son slip, se tourne, tousse. Toujours menotté, il est escorté vers la juge Muriel Josié, vice-présidente du tribunal de grande instance de Paris. (...)

Le journaliste refuse de répondre à ses questions. Il est alors mis en examen pour diffamation, avant d'être relâché.


Si mes souvenirs sont bons, cette affaire orienta les professionnels de le profession à émettre surtout un grand cri médiatique en faveur de la liberté de la presse.

Enfin, "leur" presse.

Car la presse libre, elle manque de bras.

La garde à vue du jour a été dénoncée par le bâtonnier de l'ordre des avocats de Paris, Christian Charrière-Bournazel.

"Elle a été menottée, elle a été mise nue, on lui a mis un doigt dans l'anus. On la traite comme la dernière des dernières des dernières au mépris du respect de la personne humaine le plus élémentaire."

C'est Caroline Wassermann, avocate du barreau de Paris, qui a été soumis à cette "procédure" courante, lors d'une garde à vue bien de chez nous, que le bâtonnier nomme "la garde à vue à la française".

Je regrette qu'il laisse croire que ce traitement pourrait être, de quelque façon que ce soit, légitime dans le cas de "la dernière des dernières", car celle-ci a droit à autant d'égards et de respect que la première des premières.

De plus, il serait temps que le bâtonnier prenne conscience que, dans la "garde à vue à la française", n'importe qui devient, pour un temps, le dernier des derniers ou la dernière des dernières et que c'est cela qui lui est démontré, notamment, par la mise à nu et la fouille complète.

Le Commissaire principal honoraire de la Police Nationale, Georges Moréas, dans son blogue-LeMonde.fr, trouve que "On peut penser qu’il exagère, le bâtonnier." et détaille les procédures dénoncées et indique sous quelles conditions elles le sont:

Pour déshabiller entièrement un gardé à vue, il faut que cette décision soit expressément motivée par son état de dangerosité. Appliquée systématiquement, cette pratique est donc condamnable.

Mais il ajoute:

Il y a pourtant un petit problème pratique : à ma connaissance, aucune circulaire ne dégage la responsabilité du policier en cas de pépin. Ainsi, par exemple, si une personne en garde à vue tente de mettre fin à ses jours à l’aide d’un instrument dissimulé sur elle, on risque fort de demander des comptes à l’OPJ. C’est comme si on disait aux policiers : Ne faites pas ça, mais s’il y a un incident, il faudra nous expliquer pourquoi vous ne l’avez pas fait…

On peut penser qu'il blague, le commissaire (mais je ne connais pas bien le niveau d'humour des commissaires principaux...) : dans notre bonne France, avant d'obtenir "des comptes" d'un officier de police judiciaire, vous devez avoir le temps de vous suicider une douzaine de fois.

Avec succès.

Détendons-nous avec un peu d'humour de base.

La victime de cette garde à vue, et des pratiques volontairement humiliantes qui vont avec, étant une avocate, les commentateurs et analystes de l'actualité vont probablement, à partir du motif de la convocation de Me Wassermann, dériver vers la question du droit des avocats, et toute ces sortes de choses.

L'indignation a le souffle court dans les médias.

Le bâtonnier Charrière-Bournazel, cependant, pose publiquement un problème de taille: en s'appuyant sur un arrêt de la Cour européennes des Droits de l’homme du 13 octobre 2009, qui estime que, dès qu’il est privé de liberté, un accusé doit bénéficier d’un avocat pour organiser sa défense et préparer les interrogatoires, il n'hésite pas à déclarer les gardes à vue à la française tout simplement illégales, au regard du droit européen, et à appeler ses confrères et consœurs à en tirer les conséquences pour les affaires en cours.

On sait que la loi française autorise seulement une courte visite d'une demi-heure de l’avocat, pour vérifier que son client n’est pas maltraité, mais sans accès au dossier de son client.

Quant aux conséquences, elle paraissent considérables:

(...) le bâtonnier de Paris entend "être le premier à encourager [ses] confrères pour soutenir la nullité des procédures qui sont conduites avec des gardes à vues."

Mais peut-on penser qu'il plaisante, le bâtonnier ?

La réponse du ministère de la Justice est sans surprise:

Plus légales que nos gardes à vue bien de chez nous, tu meurs !

Cela arrive parfois, en effet.

4 commentaires:

marianne68 a dit…

Que dire de l'augmentation du budget des doigtiers en latex du ministère de l'intérieur proportionnel à l'augmentation des gardes à vue . Oui je sais c'est nul mais ce qui se passe en France actuellement dans certains domaines ( justice, immigration, culture) aussi.

Guy M. a dit…

Ce qui se passe est encore plus nul (et infiniment plus dangereux).

JBB a dit…

J'adore la fin de ton billet (le reste aussi, hein)

Et puis, c'est assez rigolo, cette tendance lourde chez nombre de professions dites privilégiées à se mobiliser une fois que l'un des leurs est atteint. Pour que les choses s'améliorent vraiment, en fait, il faudrait sans doute qu'un juge de renom se tape le même type de garde à vue.

Guy M. a dit…

Un juge ? On doit lui proposer une garde à vue sur rendez-vous.