vendredi 25 décembre 2009

Expérience de physique pas amusante

A ceux qui se posent parfois la question de savoir comment on peut survivre dans la rue par le froid de canard qu'il a fait ces derniers jours, je conseillerais volontiers de se reporter au protocole de l'expérience de physique amusante que propose Patrick Declerck dans son livre Le sang nouveau est arrivé: L'horreur SDF (Gallimard, 2005, réédité en Folio, 2007), à moins que ce ne soit dans Les naufragés. Avec les clochards de Paris ( Plon, 2001, réédité en Pocket-Terre Humaine, 2003).

(De toute façon, il faut lire les deux.)

Après avoir coupé le chauffage de votre appartement pendant une bonne demi-journée, il vous suffira de vous installer pour la nuit, dans un vieux duvet percé, sur un carton, juste un peu trop petit pour votre taille, étalé sur le carrelage de votre cuisine. Les fenêtres ouvertes, et si possible en courant d'air, vous apporteront le froid et l'humidité de la nuit, tout en atténuant les lumières et les bruits de la ville.

Et bonne nuit...

Les plus audacieux pourront s'inspirer de l'expérience que le prince William, deuxième dans l'ordre de succession au trône d'Angleterre, vient de mener, dans la nuit du 15 au 16 décembre, en compagnie de son secrétaire particulier, Jamie Lowther-Pinkerton et de Seyi Obakin, président de Centrepoint, une organisation d'aide aux SDF.

Le plus difficile à trouver est le secrétaire particulier, bien entendu.

Pour le reste, il suffit de trouver quelque chose qui ressemble plus ou moins à une ruelle londonienne descendant vers la Tamise aux alentours du pont de Blackfriars.

Les anglophones trouveront le récit de cette expérience en vrai grandeur sur le site de Contrepoint, ou dans les articles du Times ou du Guardian. La dépêche de l'AFP a été largement reprise par les médias pipoles et, trêve de Noël oblige, commence à arriver dans les autres.

Tout le monde cite la conclusion du prince héritier:

"Après une nuit, je ne peux même pas commencer à imaginer ce que cela doit être de dormir dans les rues de Londres nuit après nuit."

Seyi Obakin et William.

En France, grâce à Dieu et à quelques régicides obstinés, nous ne vivons plus dans un régime de monarchie héréditaire, et par conséquent, nous manquons cruellement de princes du sang pour se livrer à de telles opérations de soutien aux associations de solidarité avec les sans-logis.

On pourrait éventuellement attendre un beau geste de la part des innombrables "fils-de" qui nourrissent nos chroniques pipolitiques, mais, s'ils ont fait quelque chose, ce fut dans l'anonymat le plus absolu, et en oubliant de prendre une photo.

C'est ballot...

Madame Carla Bruni-Sarkozy, qui a un bon fond de "première dame", a accordé un entretien au magazine Macadam pour donner un "coup de pouce" à son numéro du 17 décembre.

Elle y parle, nous dit-on, de Denis, sans domicile fixe du XVIème arrondissement, qu'elle prend le temps "parfois" (j'adore ce "parfois" !) de saluer et avec qui elle parle de "lecture et de musique". Lequel Denis confirme la chose, et conclut:

Elle passe me voir de temps en temps et on discute musique, jamais de politique. On a les mêmes goûts musicaux. Elle m’a même proposé de chanter sur son album. Elle m’a offert un MP3, mais je l’ai perdu…C’est une grande dame vous savez, Carla, même si elle n’en a pas l’air.

On n'en doutait pas. D'ailleurs on voit bien, sur les photos, qu'elle est plus grande que son mari.

Madame Bruni-Sarkozy a dû offrir la photo de couverture.

Le mari de cette "grande dame" doit être, comme on dit dans ma campagne, un peu plus fier: il ne cause pas avec tout le monde.

Mardi dernier, une délégation d'une vingtaine de personnes représentant bon nombre d'associations d'aide aux mal logés, qui voulait se rendre à l'Elysée, a été bloquée par un barrage de CRS à quelques centaines de mètres des grilles du palais.

Ils voulaient déposer une liste de vingt immeubles parisiens vides, dont les associations réclament la réquisition par l'Etat. Les forces de l'ordre leur ont transmis un message du palais: ils n'avaient qu'à l'envoyer par courrier.

Il fallait y penser.

Albert Jacquard, qui faisait partie de cette délégation, a apprécié la courtoisie élyséenne:

"Nous voulons que tous les Français sachent qu'à l'Elysée il y a quelqu'un qui est bien claquemuré, qui est enfermé, qui ne veut pas savoir quel est le réel."

Il faut dire que le président avait eu sa dose de réel en début de matinée:

Nicolas Sarkozy avait reçu en début de matinée Xavier Emmanuelli et Stefania Parigi, respectivement président fondateur et directrice du Samu social de Paris, pour évoquer les projets de développement de l'association, notamment à l'international.

Xavier Emmanuelli a salué les efforts du gouvernement pour la prise en charge des sans-abri dans le cadre notamment du plan grand froid.

"On lui a dit que cette année, il y a, avec le ministre Benoist Apparu (secrétaire d'Etat au Logement-NDLR) un effort de régulation qui a été fait et, depuis quatre ou cinq jours, on a des bonnes performances", a-t-il dit.

On comprend qu'après cette annonce de "bonnes performances", le président ait désiré en rester là.

Sur une bonne impression...

Pourquoi s'embêter avec Josiane Balasko, Jean-Baptiste Eyrault,
Augustin Legrand ou Albert Jacquard ?

Je ne suis pas sûr de bien comprendre le langage de gestionnaire de monsieur Xavier Emmanuelli. "Effort de régulation" ? "Bonnes performances"? Mais de quoi parle-t-on ?

Le langage du collectif "Les Morts de la rue", dans son communiqué du début de semaine, est plus direct:

Trois cents trente huit personnes sans domicile fixe (SDF) sont mortes en France depuis le début de l'année 2009, dont douze au cours de la dernière semaine (...).

(...)

"De plus, d'autres personnes sont mortes directement du mal logement" ajoute l'association. "Nous ne les ajoutons pas au nombre des décès, mais dénonçons également leur mort due à la misère".

Le travail de ce collectif est de "dénoncer la mort prématurée des personnes vivant ou ayant vécu à la rue", en assurant aux "personnes décédées dans la rue et de la rue", "des funérailles dignes de la personne humaine". En publiant périodiquement le faire-part des décès des morts de la rue, le collectif entend honorer ces morts en rappelant leurs noms, pour autant qu'on les connaisse, afin qu'ils ne soient pas oubliés une seconde fois.

Il n'est donc pas d'établir des statistiques que politiques utiliseront ou contesteront...

Pourtant cette liste est là, et maintenant.

La tentation est grande de rappeler au locataire du palais présidentiel cette intervention de monsieur Nicolas Sarkozy, alors pré-candidat:

"Si je suis élu président de la république, d’ici à 2 ans, plus personne ne sera obligé de dormir sur le trottoir et d’y mourir de froid" . (18 décembre 2006)



Après tout, monsieur Sarkozy devait bien savoir que ce n'était pas à cause de cette promesse en forme de fleur de rhétorique qu'il allait être élu. Il a pourtant estimé devoir la faire...

C'est donc assez légitime de la lui rappeler.

Aucun commentaire: