mercredi 25 juin 2008

Confort des médicaments

Un des mérites incontestables du sarkozisme est d'avoir réellement décomplexé la pensée: au nom de sainte Réforme toute brève idée de comptoir, c'est-à-dire tout borborygme ou rototo plus ou moins articulé, a sa chance. Elle peut tenir la vedette au moins vingt-quatre heures, et dans le meilleur des cas être appliquée sans trop de discussions.

Ainsi en fut-il pour cette curieuse idée de "franchise médicale", ainsi en sera-t-il peut-être pour le "déremboursement" des médicaments "de confort" ou "à service médical insuffisant" pour les "maladies de longue durée".

Si vous remarquez un abus de guillemets, c'est que vous avez l'œil bien critique pour un lecteur normal, mais ils sont à leur place, car pour aborder les questions de santé publique, il semble que leur usage (non ironique) soit requis.

J'ai bien du mal à saisir cette notion de "médicament de confort", que certaines associations de patients nomment "médicaments d'accompagnement" pour certaines "affections de longue durée"…

Il serait à mon avis beaucoup plus simple de dire que, en bon gestionnaire des vies rentables, la Sécurité Sociale ne remboursera désormais que les médicaments permettant de renvoyer le patient à une activité utile pour la société dans un temps raisonnable. Au train où évoluent les mentalités, ce "concept" ne devrait pas tarder à naître dans le fécond cerveau d'un de ces politiques qui se croient élus du peuple (un statisticien titulaire d'un doctorat en médecine ou un généraliste titulaire d'un master de mercatique, par exemple).

Ainsi pourrait on dire que cette très vieille dame que j'ai vu, allongée sur son lit trembleur, dans cet asile pour vieux, situé nulle part, commencer une agonie à l'ancienne (avec cris, terreur, hurlements, effroi et invectives contre tous et tout) a reçu dans son chemin vers la mort un traitement de confort et d'accompagnement, socialement inutile.

Les cris essentiels, que ce soient les cris de l'amour, ceux de l'accouchement ou ceux de l'agonie ne sont plus admissibles par la bienséance; seuls sont admis socialement les cris des supporters sportifs ou des fêtards à dates fixes.

Aussi, pour la calmer et la faire taire, lui donna-t-on de la morphine, par voie transcutanée.

Je me souviens de l'infirmière, habituée à parler fort en articulant bien chaque syllabe, claironnant à la famille que l'on cherchait par là à accorder à la mourante un départ dans la sérénité… et, d'un ton moins haut, que l'on pouvait espérer que l'effet de dépression respiratoire de la morphine pourrait raccourcir le délai de ce "départ" serein…

Cette morphine compassionnelle avait tout de la prescription "d'accompagnement" vers la sortie pour la malade, et "de confort" pour l'établissement (en étouffant les cris) et la famille (en promettant une fin sereine et plus rapide). Mais était-elle bien utile ? Etait-elle socialement bien utile ?

Alors ?

Alors, rien.

Cette vieille dame, on l'aura compris, était ma mère.

Et sous mes lèvres, pour le dernier baiser, la sérénité de son front avait la froideur du marbre.



PS: Les chemins des associations mentales étant bien tordus, en parlant de "sérénité", l'infirmière avait activé en moi le souvenir de cette prestation célèbrissime de Pierre Dac et Francis Blanche…

boomp3.com

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