C'était au petit matin, j'avais six ans et j'étais dans mon lit lorsque j'ai été réveillé par des bruits dans la maison. Il y avait beaucoup de soldats dans le couloir. J'étais frappé par cette présence de soldats et d'officiers - et surtout de policiers français en civil, avec leurs lunettes noires, leurs chapeaux et leurs revolvers -, je trouvais absurde qu'ils aient des lunettes noires en pleine nuit. En définitive, les revolvers ne me faisaient pas peur, mais porter des lunettes noires la nuit, ça m'intriguait. Je pensais que les adultes n'étaient pas des gens sérieux - je n'ai d'ailleurs pas changé d'avis depuis ! - et dans le couloir, il y avait aussi des soldats allemands en armes, qui semblaient gênés puisqu'ils regardaient le plafond. Ils regardaient en l'air, peut-être - j'espère - parce qu'ils avaient honte d'arrêter un enfant de 6 ans et demi. J'espère que c'est ça, mais je n'en suis pas sûr !
Boris Cyrulnik, Je me souviens, L'esprit du temps, 2009.
Où donc était le petit Boris Cyrulnik, qui allait sur ses huit ans, le 8 mai 1945 ?
Etait-il encore garçon de ferme, enfant de l'assistance publique, "enfant sans valeur", caché là après avoir échappé à une rafle à Bordeaux ?
Il était encore vivant, riche de sa vie épargnée et riche de tous les encore possibles qu'il lui fallait découvrir, inventer.
Aujourd'hui, Boris Cyrulnik fait partie des 144 premiers signataires de ce texte:
QUI CRIMINALISE L’ENTRAIDE
Nous, signataires de ce texte, affirmons avoir aidé des sans-papiers ou être prêts à le faire. Considérant que ceux qui défendent cette loi justifient son maintien en expliquant qu’elle n’est jamais appliquée, nous demandons purement et simplement son abrogation.
L'article du Monde qui présente cet appel des 144 reprend quelques unes des déclarations que Boris Cyrulnik à ce propos.
Celle-ci, simple, directe, qui prend d'autant plus de poids que Boris Cyrulnik est un homme qui pèse ses mots:
"Si les gens avaient respecté la loi, je serais probablement mort. Je dois ma vie a des gens qui n'ont pas respecté la loi de Vichy."
Ou cette autre, où en parlant de la "pathologie de l'obéissance" qui a rendu possible quelques horreurs de l'histoire, il nous livre, mine de rien, un profond sujet de réflexion.
L'expulsion, le 3 avril, du futur époux a rendu impossible le mariage de M'hamed Naïmi et Jennifer Chary, prévu à Dijon huit jours plus tard.
M'hamed n'avait pas de titre de séjour.
En déposant un dossier de mariage à la mairie, ils sont tombés aux mains d'un réseau d'obéissants bien formatés. De soupçons en vérifications, l'affaire s'est terminée par l'expulsion de M'hamed.
En toute légalité, et en toute immoralité.
A cela s'ajoute, car l'obéissance à la loi est perfectionniste, la convocation de Jennifer au tribunal correctionnel de Dijon, le 11 mai, pour pour avoir "aidé au séjour en France d'une personne en situation irrégulière", c'est-à-dire pour avoir contrevenu à ce fameux article L 622-1.
La Cimade et le collectif des Amoureux au Ban Public, qui soutiennent Jennifer, ont appelé à un rassemblement lundi, à partir de 8 h 45, devant le tribunal correctionnel de Dijon.
Une pétition est disponible à cette adresse.
2 commentaires:
"Si les gens avaient respecté la loi, je serais probablement mort. Je dois ma vie a des gens qui n'ont pas respecté la loi de Vichy."
ça justifie (quoique, avons-nous besoin de justifier?) toutes les actions menées au nom de la liberté, de l'égalité et de la fraternité...
Je crois que la justification va de soi, au regard du passé.
C'est probablement ce qui rend si hargneux les partisans de l'ordre et de l'obéissance.
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