Faire la promotion d'un livre que l'on vient de lancer sur le marché en traitant une partie des lecteurs potentiels, ceux qu'il s'agirait de convaincre, d'analphabètes irrationnels, est sans doute une nouvelle méthode de marquétigne, scientifiquement testée dans les laboratoires de mercatique universelle.
C'est celle qu'emploie monsieur Jean-Claude Jaillette, auteur chez Hachette Littératures (sic), de Sauvez les OGM (2009), dans un entretien qu'il a accordé à Sophie Verney-Caillat pour Echo89. L'article, accompagné d'une vidéo, est titré:
« Les anti-OGM, pas accessibles à des arguments rationnels »
Sophie Verney-Caillat nous présente l'auteur, rédacteur en chef du service Société de l'hebdomadaire Marianne, comme un spécialiste des questions agroalimentaires, et ajoute:
Lorsqu'il était à Libération en 1996, il avait participé au basculement des consciences dans l'irrationnel avec ce titre, « Alerte au soja fou ».
On suppose que, depuis, notre auteur a retrouvé la raison, et l'on s'en réjouit pour lui.
Le fait de savoir que Jean-Claude Jaillette est un converti à la cause, permet d'excuser le ton quelque peu excédé qu'il prend dans la vidéo postée sur Eco89. Quant au décousu de l'article, il n'en est pas responsable...
On peut trouver la quatrième de couverture sur le site de l'éditeur, et la présentation se fait plus apaisée:
(...) La production agricole plafonne depuis plusieurs années; la crise alimentaire provoque déjà des émeutes; le prix de l’énergie flambe, sans espoir réaliste de retour en arrière. Sans nouvelle révolution, l’agriculture ne pourra faire face aux besoins, au risque de graves tensions internationales. Passer à côté de ce que laissent espérer les OGM serait suicidaire, à défaut d’être criminel. (...)
Voilà quelques faits incontestables présentés de manière tout à fait rationnelle, nous menant à un tableau apocalyptique d'une très grande nouveauté, qui nous mène à son tour à une conclusion inéluctable: There is no alternative.
On comprend mieux le titre, pour sauver le monde de l'apocalypse agroalimentaire, il faut sauver les OGM.
Pour avoir une idée plus précise des arguments avancés dans ce livre, on dispose d'une note de lecture postée par Marcel Kuntz, directeur de recherche au CNRS, sur le site l'Association française pour l'information scientifique (Afis). On peut s'y convaincre de la nature éminemment rationnelle des développements de monsieur Jaillette.
Voici un balayage du livre, en trois parties:
La première partie du livre se termine sur la dénonciation d’une "imposture": pourquoi l’activisme contre les OGM de Greenpeace est-il quasi absent aux États-Unis (là où se concentrent 50 % des cultures OGM) et si virulent en Europe (où la culture des OGM est marginale) ? Réponse de l’auteur : une affaire de gros sous pour l’organisation "toujours à la recherche des meilleurs créneaux pour drainer des contributions financières".
La seconde partie dissèque l’accord passé entre Alain Juppé et les écologistes, pour les amener au Grenelle de l’environnement (les OGM contre le nucléaire), les manœuvres du gouvernement et du Sénateur Le Grand (pour aboutir à l’activation de la clause de sauvegarde contre le maïs MON810) et rappelle les insultes de Nicolas Hulot à l’encontre des scientifiques ("nervis des lobbies pro-OGM") opposés à cette interdiction.
J.-C. Jaillette n’est pas plus tendre avec ses confrères journalistes, notamment Paul Moreira, implicitement accusé d’"intox" (au sujet du reportage "OGM : l’étude qui accuse" diffusé par Canal+), et dans la troisième partie, la "grande prêtresse" Marie-Monique Robin, dont il rappelle le passé controversé (son reportage "les Voleurs d’yeux" sur un soi-disant trafic d’organes) et la similitude de méthode utilisée contre Monsanto : une "lecture partielle et partiale [pour] accréditer la thèse".
On voit que les arguments retenus par la lecture de Marcel Kuntz, qui dirige une équipe de recherche fondamentale sur la résistance des plantes aux conditions environnementales et est l’auteur du livre Les OGM, l’environnement et la santé (éd. Ellipses, coll. "Esprit des sciences", 2006), sont d'un indéniable caractère scientifique.
On appréciera l'allusion au "passé controversé" de Marie-Monique Robin, auteure de Le monde selon Monsanto et surtout l'insinuation à propos du reportage Les voleurs d'yeux, qui lui valut une accusation de bidonnage, et un prix Albert-Londres, maintenu par le jury après examen des faits (voir quelques détails ici et là).
J'ai beau relire cette note, je n'y trouve guère d'argumentation scientifique, à part peut-être dans cet extrait du dernier paragraphe:
On pardonnera à l’auteur quelques approximations (exemple : la transgenèse végétale utilise une bactérie passeuse naturelle de gènes dans les plantes, et non un virus) (...)
Ce qui me fait irrationnellement sourire.
A côté de ce livre, monument de rationalité, les remarques faites par Marc Lavielle, professeur, actuellement en détachement à l'INRIA Saclay comme Directeur de Recherche, membre du Haut Conseil des Biotechnologies, doivent paraître anecdotiques. Il se contente de rappeler que les analyses statistiques menées à la six-quatre-deux-et-je-calcule-la-moyenne ont peu de valeur scientifique. On peut trouver sur sa page ouaibe le diaporama d'une conférence (je suppose) sur ce sujet, où prenant des exemples d'études publiées sur les risques des OGM, il montre que les conclusions de ces études reposent sur des analyses statistiques trop légères.
(Ces remarques ont donné lieu à un article du Monde, et il revient lui-même sur la question sur le site des matheux du CNRS.)
Il n'est pas impossible qu'un vrai journaliste scientifique se trouve avoir assez de talent pour mettre tout cela à la portée de ses lecteurs.
Cela nous changerait des imprécations prétendument rationalistes.
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