Récemment, j'ai recherché, et finalement retrouvé, dans ma bibliothèque, le livre que Prosper-Olivier Lissagaray a écrit sur l'Histoire de la Commune de 1871, dont la première version a été publiée à Bruxelles en 1876 (et fut, bien sûr, interdite en France). Je possède la réédition de la version de 1896 que firent les éditions François Maspéro dans la fameuse "petite collection", dont tant de volumes ont été dérobés sur les tables de la librairie La Joie de Lire.
Je n'ai pas relu Lissagaray, je me suis simplement promené dans ses pages, en recherchant des faits ou des proclamations, dont j'ai évidemment abandonné la quête en cours de route, allant un peu au hasard. Ce chemin aléatoire m'a conduit dans les annexes, où sont cités grand nombre de discours et d'articles. On y retrouve l'ancêtre de notre Figaro, par exemple, et l'on peut constater que ce Figaro-là n'est pas si éloigné de ce Figaro-ci (tant il est vrai que, si la Commune n'est pas morte, l'esprit versaillais non plus).
On y repère une belle unanimité, à gauche comme à droite, pour dénoncer les "excès de la Commune de 1871"...
J'aime beaucoup la justesse de cette expression, à condition de la détourner quelque peu en l'utilisant au singulier; car je me demande si, au lieu de toujours analyser l'histoire de la Commune à partir des "manques" qui l'aurait conduite à son échec, il ne serait pas plus intéressant de la penser comme "excès" historique radicalement non récupérable.
(D'une certaine manière, bien à lui, c'est sans doute ce que fait Alain Badiou dans la partie de son Hypothèse Communiste (éditions Lignes, 2009) qu'il consacre à la commune de 1871... Mais je ne suis pas suffisamment au fait de la philosophie développée par Badiou pour lire son texte jusqu'au bout... Chacun a ses limites à repousser...)
N'ayant pas la mémoire des dates, et peu de goût pour les fêtes, anniversaires et autres commémorations, je me suis muni d'un très élégant agenda à couverture toilée, qui impressionne grandement mes jeunes ami(e)s par l'irrésistible sérieux qu'il me confère. J'y avais noté la réunion commémorative devant le Mur des Fédérés, pilotée par l'association des Amis de la Commune de 1871. Rendez-vous à 14 h 30, entrée rue des Rondeaux, métro Gambetta.
Cette célébration est l'héritière des "montées au Mur" qui se faisaient jadis à partir de l'entrée principale du cimetière, sur le boulevard de Ménilmontant, à la date anniversaire de la fin de la Semaine Sanglante, le 28 mai. Ces montées, interdites ou tolérées, moments de recueillement ou d'émeute, ont une histoire qui a dû être étudiée, et dont je ne connais que des bribes. Elles sont nées de la volonté populaire d'honorer les morts de la Commune, à commencer par les fusillés du Père-Lachaise. Dès la Toussaint de 1871, on tenta de fleurir les abords de la fosse commune creusée au pied du Mur, et aux printemps suivants, malgré l'interdiction préfectorale, on commença à accrocher au mur des couronnes de fleurs rouges, qui furent saisies. Se mit ainsi en place une cérémonie qui empruntait beaucoup aux rituels funéraires, avec une dévotion quasi religieuse qui fait penser à la célèbre phrase de Karl Marx:
Le souvenir des martyrs de la Commune est conservé pieusement dans le grand cœur de la classe ouvrière.
(Cité par Alain Badiou, qui se demande si la classe ouvrière à un cœur. J'ai grasseyé l'adverbe marxien, qui semble si peu marxiste.)
Comme il n'y a rien de déshonorant à honorer les morts, je suis donc descendu jusqu'au lieu de mémoire en suivant une petite foule porteuse de drapeaux rouges (à l'entrée seuls les parapluies étaient noirs).
Le rassemblement entendait célébrer la "modernité" de la Commune de 1871, en mettant l'accent sur les idées avancées alors sur le rôle de l'école nouvelle, et sur ce qui se mit en place durant ces deux mois d'effervescence démocratique.
Tout cela est vrai, mais on ne gagne rien à penser les communards comme des "précurseurs" (le précurseur est peut-être un génie, mais c'est surtout quelqu'un qui a couru en avant, tout seul, pour rien). La Commune n'a pas légué à l'avenir un programme (de gauche) qu'il s'agirait de mettre en œuvre, et dont on pourrait pointer l'avancement au cours de l'histoire, en constatant, comme voulait me le faire remarquer un des participants à l'entrée du cimetière, qu'il y a encore des points qui n'ont pas été réalisés, et d'autres sur lesquels nous serions en recul.
Ce qui me fit penser, en descendant, à ce passage de Badiou:
Appelons "la gauche" l'ensemble du personnel politique parlementaire qui se déclare seul apte à porter les conséquences générales d'un mouvement politique populaire singulier. Ou, dans un lexique plus contemporain, seul apte à fournir aux "mouvements sociaux" un "débouché politique".
L'excès de la Commune a surtout été de rendre inexistante cette gauche-là, qui persiste à ne pas le comprendre.
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