dimanche 20 juillet 2008

"Régalez-vous."

Je connais de très près un encore jeune vieillard qui entreprit, il y a huit mois, un voyage à Barcelone, sans avoir jamais lu une seule ligne de Manuel Vásquez Montalbán.

Honte à moi!

Avec l'insouciance de ma persistante jeunesse, je survécus à Barcelone en me nourrissant du copieux petit déjeuner (breakfast en espagnol), complété dans la journée de quelques cafés avec des croissants sucrés revêtus d'un glaçage attrape-mouche, et de quelques tapas ou sandwiches dans la soirée...

La dernière nourriture que j'absorbai avant de remonter dans le train à la gare de France, fut une calamiteuse tartine dont la garniture aurait ravi un dégustateur spécialisé dans le beaujolais nouveau: cela avait un goût de banane, en attaque ET arrière-bouche.

Toutes ces vicissitudes m'eussent été épargnées si j'avais été alors le lecteur admiratif de Manuel Vásquez Montalbán que je suis devenu.

Mais j'ai gagné un projet supplémentaire: reprendre le train pour Barcelone pour un voyage d'étude et de recherche de ce qui subsiste des restaurants décrits par Manuel Vásquez Montalbán avec tant de gourmandise.


En attendant, mon esprit citoyen solidaire me commande de venir en aide à ces cohortes de vacanciers que l'on voit, en troupes débandées, envahir nos villes côtières, avec leurs bobs détrempés, leurs kahoués godaillants, leurs tongs glissantes et leurs mômes braillards. On les voit délibérer indéfiniment entre la douzième visite à l'aquarium municipal et la cinquantième séance de cinéma, en se goinfrant de prétendus chouros à l'huile de vidange et de soi disant gaufres au sucre glace liquéfié.

Sur la voie de la désespérance, camarades, réagissez: entrez chez le marchand de presse, celui-là même qui vous a vendu l'épuisette du petit pour le prix d'un chalutier en solde, et allez regarder derrière les tourniquets à cartes postales de bon goût: il y range quelques bouquins. Si vous trouvez un Manuel Vásquez Montalbán, avec en sous-titre Une enquête de Pepe Carvalho, dans le rayon polar, vous êtes sauvés.

Pepe Carvalho devrait vous plaire: c'est un personnage fascinant, au sens où il inspire autant d'attirance que de détestation.

Ancien détenu des prisons franquistes, il a reçu une solide formation d'agent de la CIA et est devenu, un temps, garde du corps de J.F. Kennedy. Qu'il dit. En voulant se ranger de l'Histoire, il s'installe à Barcelone, sur les Ramblas, comme détective privé. Il exerce son art et, comme tout le monde, vieillit, dans le monde de l'après-franquisme et de la globalisation, entouré d'une petite cour des miracles personnelle: Charo, son amie, prostituée indépendante au grand coeur; Biscuter, ancien petit voleur de voiture, cuisinier inventif; Bromure, cireur de chaussures, pré-écologiste halluciné; Fuster, conseiller fiscal, gastronome cultivé...

Avec son égotisme assumé et sans borne, Pepe bouscule ce petit monde de vaincus de l'Histoire, incapable de ressentir son attachement, son affection ou son amour autrement que sous la forme de regrets impossibles à exprimer, et dont il se débarrasse d'un haussement d'épaule en allumant un cigare.

De son amour passionné pour la littérature, il a fait une vantardise suicidaire et flamboyante: il brûle les livres qu'il a trop aimés et qui ne lui ont pas appris à vivre. Non sans en relire quelques pages au préalable (préalable qui le conduit parfois à reporter la combustion littéraire).


Peut-être aurez-vous la chance de trouver, chez le commerçant chafoin qui vend de tout sauf justement des parapluies, le dernier livre que Vásquez Montalbán a consacré aux aventures de Pepe: Milenio Carvalho, qui a été publié après sa mort en 2003. 800 pages environ, en poche, ça devrait vous tenir au corps pour les vacances...

Pepe carvalho, accusé du meurtre d'un sale type, décide de prendre la fuite, en compagnie de Biscuter, et de faire un tour du monde. Munis de faux passeports bricolés aux noms de Bouvard et Pécuchet, ils s'embarquent pour une équipée abracadabrante et récapitulative autour de la planète d'après le big bang des twin towers... Au cours du voyage on verra Biscuter, l'avorton à l'âme humaine, devenir un humain à tête d'avorton et dominer un Carvalho qui retrouve mélancoliquement les traces de ses propres aventures et la réalité du monde...

Vrai testament d'un communiste sentimental et romantique travesti en faux roman policier, Milenio Carvalho se termine par la rédition de Pepe aux autorités à son retour à Barcelone.

Retour à la case départ, retour en prison:

« -Vous avez l'air content. Il y a des raisons?
-Je crois que oui. »

Il fut tenté de lui dire: « C'est Noël et tel que je suis, tel qu'est le monde, ce monde dont je viens de faire un tour d'inspection scandalisé, le seul endroit qui me convienne est la prison. Je n'aurais jamais dû en sortir. Le monde de Lifante [le policier], dans lequel il maintient le désordre, ce qui est sa fonction, se divise en victimes et bourreaux, aussi appelés prisonniers et geôliers, bombardés et bombardeurs, globalisés et globalisateurs. » Mais Carvalho garda pour lui son monologue intérieur et se contenta de montrer à l'inspecteur la réalité qui se trouvait autour du fourgon en partance.

- Régalez-vous .»

4 commentaires:

Anonyme a dit…

Ah ! Cela a l'air d'être savoureux, donc à savourer. Et puis, 800 pages, c'est au moins cinq jours de lecture. C'est parfait.

Merci du "tuyau".

Guy M. a dit…

Cinq jours! Mais il faut dormir de temps en temps...

En tout cas, bonne lecture...

Anonyme a dit…

Pas de soucis, je dors, je dors... mais pas en lisant. Je lis vite, et quand ça m'accroche je dévore.

Bonne journée.

Guy M. a dit…

Merci et bonne journée itou.