mercredi 30 juillet 2008

Des sous-hommes comme tout le monde

A la suite du billet Egalité des droits pour les handicapés, où était évoqué un épisode peu glorieux de la Sarkozie, le commentaire de Kiki évoquait ce bout de conversation entre les Posuti:

RV me dit : "réveille-toi, ils ont voté Sarkozy, ils pensent tout ça que les handicapés, les chômeurs, les émigrants c'est des sous-hommes !"

D'une marche à l'autre, "l'esprit de l'escalier" m'a mené à prendre sur le rayonnage du haut de ma bibliothèque le livre de Robert Antelme, L'espèce humaine, paru en 1947, où il rapporte ce qu'il a vécu au camp de Gandersheim.

Zoran Mušič, Le fauteuil gris.

Je l'ai ouvert un peu au hasard (je n'ai évidemment pas eu le temps de le relire…), et je suis tombé, vers la page 57, sur ce passage:


Je suis sorti du bureau et j'ai remis mon calot. Dans l'escalier, j'ai croisé un civil de trop près. Il portait une blouse grise, des bottes, un petit chapeau vert.

- Weg! (fous le camp!), m'a-t-il dit d'une voix rauque.

Ça a glissé. Ça n'avait peut-être pas grande importance ici. Mais c'était le mouvement même du mépris - la plaie du monde -, tel qu'il règne encore partout plus ou moins camouflé dans les rapports humains. Tel qu'il règne encore dans le monde dont on nous a retirés. Mais ici c'était plus net. Nous donnions à l'humanité méprisante le moyen de se dévoiler complètement.

Le civil m'avait dit très vite: Weg! Il ne s'était pas attardé, il avait dit cela en passant et le mot l'avait calmé. Mais il aurait pu faire éclore sa vérité: "Je ne veux pas que tu sois."

Mais j'étais encore. Et ça glissait.

Au prolétaire le plus méprisé la raison est offerte. Il est moins seul que celui qui le méprise, dont la place deviendra de plus en plus exiguë et qui sera inéluctablement de plus en plus solitaire, de plus en plus impuissant. Leur injure ne peut pas nous atteindre, pas plus qu'ils ne peuvent saisir le cauchemar que nous sommes dans leur tête: sans cesse nié, on est encore là.



PS: Le livre de Robert Antelme est disponible en collection de poche Tel, chez Gallimard. Vous pourrez en lire ici l'avant-propos.

7 commentaires:

myriam a dit…

Elle est trop belle la peinture que tu as posté avec ce message.
C'est quoi?
C'est (de) qui?

Anonyme a dit…

@ Myrage : c'est Le fauteuil gris, une huile sur toile de 1998, de zoran music (c'est écrit en tout petit, en dessous. A croire que Monsieur Guy est de mèche avec un zyeutiste ou un truc comme ça...).

Bises et bonne soirée !

Anonyme a dit…

Pardon, j'ai réussi à insérer le lien, mais j'ai oublié les majuscules !
Je la refais : Zoran Music

Re-bises !

Guy M. a dit…

C'est parfait: vous arrivez à vous débrouiller toutes seules.

Je précise que je n'ai aucun contrat avec A****l, les opticiens!

Bises et bonne journée...

Anonyme a dit…

S'il y a quelque chose que je ne supporte pas c'est bien le mépris des puissants (et des "larves" qui s'estiment supérieures) à l'égard des "petits"... La même colère que si l'on me méprise (mais je sais ce que je vaux et cela glisse plus facilement) en nettement plus fort. Cela avait d'ailleurs surpris une copine qui m'avait dit : on croirait que cela t'atteint personnellement ! C'est tout comme. Je sens monter la colère (certains parlent d'adrénaline, pour ma part, je serais bien incapable d'identifier la substance neuro-transmettrice) et c'est, parmi d'autres, une de mes sources d'inspiration pour réagir.

Guy M. a dit…

Nous retrouvons la "saine colère", à cultiver pour rester le "cauchemar que nous sommes dans leur tête"...

myriam a dit…

Merki Flo...
Je m'en vais de ce clic sur le lien.
:)

Bises.