«Les livres n'empêchent pas la barbarie, mais aident à vivre. Quand j'étais soldat, j'ai jeté mon masque à gaz de ma musette pour ne garder que mes grenades et La Divine Comédie. Je l'ai emmenée sur tous les fronts. Je l'ai perdue à Stalingrad...»
Mario Rigoni Stern- Entretien avec Martine Laval, Télérama, 2004
Cela fait un bout de temps que j'ai le projet, un jour, d'aller passer le début de l'été à Asiago, dans la province de Vicence, équipé de bonnes chaussures, de mon bâton de marche, d'une carte et d'une boussole. Avec pour tout guide quelques livres de Mario Rigoni Stern, il me plairait de parcourir certains des chemins par lui décrits, en flânant sur ses territoires, aux abords de ses montagnes.
Si cela doit être, cela sera, mais je n'y aurait aucune chance de croiser au matin sur l'un des sentiers qui montent aux alpages la silhouette de Mario Rigoni Stern.
Le 16 juin, les pas de Mario Rigoni Stern ont définitivement cessé d'arpenter l'altipiano d'Asiago.
On ne peut pas dire que la nouvelle ait fait la une des journaux, et, comme je suis distrait de nature et inattentif par goût, il m'a fallu attendre d'ouvrir la dernière livraison du Matricule des Anges, pour l'apprendre.
Je me souviens avoir acheté mon premier livre de Rigoni Stern, Histoire de Tönle, à cause de l'image illustrant la couverture. Il s'agissait d'un détail de cette photographie de Fulvio Roiter.
La lecture de cette histoire de montagnards frontaliers, écrite avec une grande sobriété et une grande maîtrise, m'a révélé un écrivain que j'ai classé très vite parmi ceux dont j'achète les livres dès leur parution, en me les réservant pour les jours de cafard…
Il ne m'est pas toujours indifférent, je l'avoue, de savoir que l'espèce humaine a produit un être qui a fait le parcours de Mario Rigoni Stern. Du gamin exalté de 17 ans rêvant de devenir officier des chasseurs alpins au vieillard surveillant les traces des chevreuils et la production de ses ruches, en passant par le combattant floué de la campagne de Grèce, le militaire expédié sur le front russe, le sergent trahi perdu dans la neige de la plaine du Don, le vaincu prisonnier en Prusse orientale, le squelette de 45 kilos rentrant à pied dans son village, l'employé du cadastre, et enfin l'écrivain reconnu, le trajet est long, douloureux, mais dominé par la volonté de devenir et rester vivant.
Tout ce chemin, en somme, pour comprendre que les montagnes, ces frontières primitives, ne sont pas faites pour séparer, mais pour relier les hommes... et pour dire que si les crêtes infranchissables sont belles, plus beaux encore sont les cols où nous pouvons nous retrouver.
Mario Rigoni Stern au col du Petit-Saint-Bernard en 2001
(photo Pascal Lemaître)
(photo Pascal Lemaître)
PS1: Sur le site de Télérama, on trouve la transcription d'un entretien que Martine Laval a eu avec l'écrivain en 2004, j'en extrais ces deux réponses:
Vous pensiez alors faire une carrière militaire chez les chasseurs alpins.
Oui, et passer des examens pour devenir officier. Le 10 juin 1940, l'Italie entre en guerre contre la France et l'Angleterre. J'ai écouté le discours de Mussolini à la radio. J'étais tétanisé. J'avais peur. Et pourtant, j'obéissais. Je songeais toujours à devenir officier. Comme disait Napoléon, chaque soldat a un bâton de maréchal dans sa besace. J'ai combattu en Albanie, en Russie [de 1941 à 1943]. Mes chefs m'ont décoré de la "valeur militaire", le summum de ce que je pouvais prétendre avec mon peu d'éducation. J'ai refusé cette distinction. Dans l'armée, il faut s'assujettir. Dire oui à son supérieur. Mais pour la première fois, j'ai appris à dire non. Lors de la retraite de Russie, tant de mes camarades sont morts, pour de fausses raisons. Ils ont été trahis. En leur mémoire, je ne pouvais pas accepter cette médaille.
(…)
La guerre a fait de vous un pacifiste ?
Je suis pacifiste jusqu'à un certain point! J'ai les pieds sur terre. Si un voleur veut me voler, je me défends. Si quelqu'un veut me tuer, j'essaie de tirer en premier. Quand Bush veut diriger la planète, quand il prétend défendre la liberté et écrase l'Irak, là, évidemment, je suis pacifiste. Comme des millions de personnes en Italie, en Europe...
PS2: Pour ceux qui entendent l'italien, voici une émission du 3 décembre 2006. Pour ceux qui, comme moi, n'entendent pas la langue, restent le timbre d'une voix et l'expression d'un visage.
PS3: Sur Bibliobs.com, vous pourrez trouver un très bel hommage d'une "biblionaute" (Élisabeth Groelly), Mario Rigoni Stern: l'ultimo cammino, qui commence par cette citation:
«Hier fut une journée de printemps resplendissante et je pleurais parce que tu étais parti. Aujourd'hui, le ciel est voilé....Pourtant je ne pleure plus parce que je garde dans mon cœur le trésor que tu m'as laissé et qui m'aide à être moins stupide et moins mauvais.»
Mario Rigoni Stern- Pour Primo Levi. 1987.
PS 4: La plupart des œuvres de Mario Rigoni Stern sont publiées par les éditions 10/18 et les éditions La Fosse aux Ours.
Histoire de Tönle, qui me semble épuisé en 10/18, a été réédité par les éditions Verdier.
2 commentaires:
Merci.
Oui, merci à Mario Rigoni Stern...
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