vendredi 23 janvier 2009

Une femme modèle

« La vieillesse est un naufrage. »
Charles de Gaulle,
quelque part dans son œuvre... mais je ne sais où... j'ai oublié...



Quand je traverse le jardin des Tuileries, je croise nécessairement, c'est mathématique, l'une des statues de Maillol qu'André Malraux eut la bonne idée de rendre au grand air et à la lumière naturelle en 1964...

Alors je ressasse, c'est automatique, ce ragot pitoyable mais évocateur qui circule sur la fin de la vie de Louis Aragon...

Cette anecdote, que je raconte à ma façon, ayant depuis longtemps oublié le premier récit que j'en ai entendu, la voici sous la plume de monsieur Angelo Rinaldi, désormais de l'Académie Française, tirée d'un article publié dans l'Express, le premier mai 1997:

Il était amusant, à la fin, de voir les membres du bureau politique [du Parti Communiste Français] - le BP - réactionnaires s'il en fut en matière de mœurs, se comporter telles des gouvernantes devant le vieil homme qui, émancipé de la tutelle de l'épouvantable Elsa, médiocre femme de lettres, rien moins que le genre nuisette La Perla, s'abandonnait aux fantaisies vestimentaires et garçonnières. L'un d'eux doit se rappeler la visite qu'il dut effectuer à l'aube dans un commissariat parisien, où l'on avait conduit Aragon surpris en train de caresser les fesses d'un nu de Maillol, en bordure des jardins du Louvre. «Mais qu'est-ce que vous fabriquez, grand-père? avait demandé le gradé de la patrouille. - C'est que je voudrais savoir comment on peut l'en...» Tard, trop tard, ressuscitait le sympathique dandy provocateur, complice du beau Crevel - il avait assez aimé celui-ci pour le trahir avant d'autres. Et qui fera jamais la part, chez ce caméléon, des troubles de l'âge et de la malice qui consiste à en jouer? (...)

Cet ultime hommage scabreux que ce prétentieux poète, alors en train de sombrer dans le grand naufrage de la sénilité, rendait à l'éternelle insolence de la jeunesse, m'a toujours laissé rêveur...

Aristide Maillol, Les Trois Grâces (1938).
Photographie Pierre Métivier.

Ces statues sont nées de la rencontre étonnante d'Aristide Maillol, vieux sculpteur de soixante-treize ans, avec Dina Vierny, très jeune femme de quinze ans.

Madame Dina Vierny est décédée le 20 janvier, à l'âge de 89 ans.

Je pense que tout naufrage lui a été épargné.

Dina Vierny et Aristide Maillol.

Dina Vierny est née en 1919, dans la province russe de Bessarabie, et est arrivée en France en 1925, avec ses parents, musiciens juifs, révolutionnaires de 1917, qui ont eu la bonne idée de quitter les terres où s'installait le stalinisme.

De cette très belle jeune fille qui fréquentait les milieux de l'avant-garde on disait qu'elle était un "Maillol" vivant. Et, en 1934, le sculpteur, désireux de la rencontrer lui écrit ces quelques mots: "Mademoiselle, il paraît que vous ressemblez à un Maillol et à un Renoir, je me contenterai d’un Renoir."

Après quelques hésitations et refus, Dina Vierny finit par rencontrer Maillol, mais ne l'ayant jamais vu, s'adresse d'abord à la barbe blanche la plus digne de l'assistance. C'est la barbe de Van Dongen... "Et c'est dans un éclat de rire général que je suis entrée dans la vie de Maillol...", racontait-elle avec dans la voix ce rire qu'elle devait encore entendre.

Elle est alors entrée dans la vie de Maillol, et Maillol est entré dans sa vie. Pour une dizaine d'années et pour l'éternité: "On se voyait tout le temps et c’était l’amusement au quotidien", dira-t-elle plus tard.

Elle pose pour lui pour des séances de trois heures, payées 10 francs de l'heure...

Au début, elle reste habillée, et c'est elle qui va proposer au vieux sculpteur timide de laisser tomber ses vêtements "parce que le nu est plus pur que tout". On peut entendre (un peu) Dina Vierny raconter cette belle histoire dans l'entretien que la radio en ligne NPR a diffusé le 29 décembre 2008, avec malheureusement une traduction un peu envahissante.

Aristide Maillol, Dina au foulard (1941)

Si ces séances de pose nourrissent substantiellement l'œuvre du sculpteur, qui revient au dessin et à la peinture, il ne faut pas voir en Dina le modèle potiche idéal à l'intemporel sourire crispé. La jeune femme ne se départit en rien de ce qu'elle est et de ce qu'elle devient. Elle s'engage aux côtés du Front Populaire, avec le groupe Octobre des frères Prévert, et si le modèle regarde le sol, c'est qu'en posant pour Maillol, elle lit un livre ou repasse ses notes de cours.

Pendant la guerre et l'occupation, sa prise de position est évidente. Un peu trop, puisqu'elle sera arrêtée deux fois et libérée deux fois par l'entremise de Maillol, et sans doute aussi d'Arno Breker, l'artiste officiel du Troisième Reich, ami de Maillol.

En 1940, à partir de Banyuls-sur-Mer où Maillol s'est réfugié, elle devient la femme à la robe rouge qui conduit, par les chemins de la contrebande, les indésirables qui veulent fuir le territoire français.

Aristide Maillol, Portrait de Dina (1940).

Après la mort de Maillol, Diana Vierny ouvre une galerie au 36 de la rue Jacob, encouragée par Henri Matisse.

En 1995, cette femme intraitable et irrésistible réalise son grand rêve: l'ouverture d'un musée consacré à l'œuvre de celui qu'elle a toujours appelé "le patron". Dans un hôtel particulier, au 61 rue de Grenelle, elle crée le Musée Maillol où il fait bon, depuis cette date, aller flâner.

Actuellement, le Musée présente "L'avant-garde russe dans la collection Costakis", ce qui est une bonne occasion d'aller saluer madame Dina Vierny.



PS: La disparition de Dina Vierny n'a pas bouleversé les programmes télévisés... On aurait pu retrouver le film qu'Alain et Marie-José Jaubert lui ont consacré en 2006.

Les médias généralistes commencent à réagir... Ne parlons pas de l'article de Libération, signé B. et intitulé "Maillol perd sa muse" qui est d'une nullité affligeante; mais conseillons plutôt le bel article de Harry Bellet, dans le Monde.

Un émouvant hommage a été rendu à Dina Vierny par Aurélie Charron dans l'émission Esprit Critique de Vincent Josse du 22 janvier. Vous pouvez le réécouter ici.

7 commentaires:

Anonyme a dit…

"Un émouvant hommage a été rendu à Dina Vierny"

Tu viens de faire la même chose. Merci pour ce beau très billet.

Guy M. a dit…

Ben non, il manque le son...

Il faut entendre Dina Vierny chanter les "Chants du Goulag", mais ce n'est pas sur Deezer, hélas.

(Je suis rouge comme sa robe...)

Anonyme a dit…

Pas grave, tu me feras une cassette. Ça sera sans doute plus adapté à la classe de la dame que de se retrouver en open service sur Deezer. Bon we.

Guy M. a dit…

Je vais me mettre en quête du disque, s'il existe...

L'extrait sur France Inter m'a donné envie d'en entendre plus.

Anonyme a dit…

Au revoir Dina.
Baruch

Marianne a dit…

La phrase de de Gaulle "la vieillesse est un naufrage " a été dite par De Gaulle à propos de Pétain qui avait été son mentor au début de sa carrière militaire et dont il désapprouvait l'attitude lors de la deuxième guerre mondiale .

Vous avez associé votre bel hommage à Dina Vierny en reprenant un ragot sur l'attitude d'Aragon devant les statues de Maillol du jardin des Tuileries , je fais également un lien sur le fait que la disparition de cette grande mécène le 20 janvier a fait moins de bruit dans les médias qu'aujourd'hui , "l'aveu " (mot utilisé par le journaleux de France inter) sur la préférence sexuelle de Karoutchi .

Guy M. a dit…

@ Baruch,
Je crois que la présence de Dina se fera encore longtemps sentir dans "son" musée.

@ Marianne,
Merci pour la précision (c'est vrai, j'avais oublié... et je n'ai pas trop recherché non plus.)

J'ai été très étonné que l'on ne parle pas davantage de sa disparition. Nous perdons la mémoire!