vendredi 16 janvier 2009

La guerre et ses "pépins"

Quand on fait la guerre, il faut bien s'attendre à des pépins.

Cette idée, je l'ai entendue énoncer, il y a une semaine, par un porte-parole officiel du gouvernement israélien. Je n'ai pas réécouté l'émission, je n'en avais pas le goût; et je n'ai pas recherché le nom de celui qui parlait, je n'en avais pas l'intention.

Car son nom mérite d'être oublié.

Quand Nicolas Demorand le reprit doucettement sur ce mot de "pépins", ce monsieur (que son nom soit oublié) prétendit qu'il ne parlait que des soldats israéliens victimes des tirs de leur propre armée, et non des civils palestiniens écrasés dans une école.

On aura compris que cet entretien date d'avant la montée en puissance de la fiction des terroristes se cachant derrière les civils, et surtout les bébés qui ont les épaules larges.

Mais ce mot de "pépins" m'est resté en travers de la gorge...

Et pourtant, je suis comme tout normand pommologue de naissance, ce ne sont pas les pépins qui me font peur...

La preuve...

Il y a dans la classification pommologique internationale normande une distinction très subtile entre le gros pépin et le petit pépin.

Comme ce pépin guerrier n'a pas fait la Une des quotidiens, je suppose que le bombardement d'un hôpital est un petit pépin.

Et que c'est la faute à pas de chance.

Hier, à 16h 58, l'AFP annonçait:

Une centaine de patients et de personnel médical sont en danger dans l'hôpital Al-Quds de Gaza, en feu jeudi après un bombardement de l'armée israélienne, a déclaré dans un communiqué le Comité international de la Croix-Rouge (CICR).

Avec les précisions suivantes:

"L'hôpital a essuyé au moins un tir direct ce (jeudi) matin (...). Le second étage a pris feu immédiatement", a précisé Bashar Morad, directeur des services d'urgence du Croissant-Rouge palestinien.

"Tous les patients ont été transportés dans la panique au rez-de-chaussée", a-t-il expliqué. La pharmacie de l'hôpital a également été endommagée tandis que des camions de pompiers se précipitaient sur les lieux pour tenter de contenir l'incendie provoqué par des "obus au phosphore", selon des responsables de l'hôpital.

A 23h 43, hier soir, l'équipe de Helpdoctors publiait un communiqué, accompagné de photos, donnant des détails sur la suite des événements:

Après avoir déjà essuyé des bombardements ce matin, l'hôpital Al Quds, a de nouveau été la cible de bombardements ce soir.

Alors que les tirs avaient cessé depuis 1 à 2 heures et que l'équipe Help Doctors décompressait un peu, une énorme explosion a été entendue, suivie d'autres déflagrations, peu avant 22 heures heure locale ce soir. L'hôpital, en flamme, a contraint les 200 personnes qui y résidaient - dont 50 patients et 30 personnes en chaises roulantes - à fuir le bâtiment. Une longue procession s'est formée dans la rue en direction de l'hôpital Al Shiffa. Par chance, aucune victime n'est à déplorer.

Les 200 personnes sont arrivées saines et sauves à l'hôpital d'Al Shiffa, transportées pour certaines par ambulance.

Ceci s'ajoute à une liste déjà longue...

Et déjà pesante.

Eric Hazan, qui est un homme qui ne dérape pas sur les mots, mais qui les choisit avec beaucoup d'intelligence et de sensibilité, nous fait sentir ce poids dans son article La deuxième mort du judaïsme publié sur le site [Protection Palestine].

Je relaye simplement ici cet article. Je suppose qu'Eric Hazan ne m'en voudra pas.

Les millions de juifs qui ont été exterminés par les nazis dans les plaines de Pologne avaient des traits communs qui permettent de parler d¹un judaïsme européen. Ce n’était pas tant le sentiment d’appartenance à un peuple mythique, ni la religion car beaucoup d’entre eux s’en étaient détachés : c’étaient des éléments de culture commune. Elle ne se réduisait pas à des recettes de cuisine, ni à des histoires véhiculant le fameux humour juif, ni à une langue, car tous ne parlaient pas le yiddish. C’était quelque chose de plus profond, commun sous des formes diverses aux ouvriers des usines textiles de Lodz et aux polisseurs de diamants d’Anvers, aux talmudistes de Vilna, aux marchands de légumes d’Odessa et jusqu’à certaines familles de banquiers comme celle d’Aby Warburg. Ces gens-là n’étaient pas meilleurs que d’autres, mais ils n’avaient jamais exercé de souveraineté étatique et leurs conditions d’existence ne leur offraient comme issues que l’argent et l’étude.

Ils méprisaient en tout cas la force brutale, dont ils avaient souvent eu l’occasion de sentir les effets. Beaucoup d’entre eux se sont rangés du côté des opprimés et ont participé aux mouvements de résistance et d’émancipation de la première moitié du siècle dernier : c’est cette culture qui a fourni son terreau au mouvement ouvrier juif, depuis le Bund polonais, fer de lance des révolutions de 1905 et 1917 dans l’empire tsariste, jusqu’aux syndicats parisiens des fourreurs et des casquettiers, dont les drapeaux portaient des devises en yiddish et qui ont donné, dans la M.O.I., bien des combattants contre l’occupant. Et c’est sur ce terrain qu’ont grandi les figures emblématiques du judaïsme européen, Rosa Luxembourg, Franz Kafka, Hannah Arendt, Albert Einstein. Après guerre, nombre des survivants et de leurs enfants soutiendront les luttes d’émancipation dans le monde, les Noirs américains, l’ANC en Afrique du Sud, les Algériens dans leur guerre de libération.

Tous ces gens sont morts et on ne les ressuscitera pas. Mais ce qui se passe en ce moment à Gaza les tue une seconde fois. On dira que ce n’est pas la peine de s’énerver, qu’il y a tant de précédents, de Deir Yassin à Sabra et Chatila. Je pense au contraire que l’entrée de l’armée israélienne dans le ghetto de Gaza marque un tournant fatal. D’abord par le degré de brutalité, le nombre d’enfants morts brûlés ou écrasés sous les décombres de leur maison : un cap est franchi, qui doit amener, qui amènera un jour le Premier ministre israélien, le ministre de la Défense et le chef d’État-major sur le banc des accusés de la Cour de justice internationale.

Mais le tournant n’est pas seulement celui de l’horreur et du massacre de masse des Palestiniens. Il y a deux points qui font des événements actuels ce qui est advenu de plus grave pour les juifs depuis Auschwitz. Le premier, c’est le cynisme, la manière ouverte de traiter les Palestiniens comme des sous-hommes, les tracts lâchés par des avions annonçant que les bombardements vont être encore plus meurtriers, alors que la population de Gaza ne peut pas s’enfuir, que toutes les issues sont fermées, qu’il n’y a plus qu’à attendre la mort dans le noir.

Ce genre de plaisanterie rappelle de façon glaçante le traitement réservé aux juifs en Europe de l’Est pendant la guerre, et sur ce point j’attends sans crainte les hauts cris des belles âmes stipendiées. L’autre nouveauté, c’est le silence de la majorité des juifs. En Israël, malgré le courage d’une poignée d’irréductibles, les manifestations de masse sont menées par des Palestiniens. En France, dans les manifestations du 3 et du 10 janvier, le prolétariat des quartiers populaires était là, mais des hurlements de colère d’intellectuels juifs, de syndicalistes, de politiciens juifs, je n’en ai pas entendu assez.

Au lieu de se satisfaire des âneries du gouvernement et du CRIF (« ne pas importer le conflit »), il est temps que les juifs viennent en masse manifester avec les « arabo-musulmans » contre l’inacceptable. Sinon, leurs enfants leur demanderont un jour « ce qu’ils faisaient pendant ce temps-là » et je n’aimerais pas être à leur place quand il leur faudra répondre.

Eric Hazan

8 commentaires:

Anonyme a dit…

Alors même que je lis ces mots lumineux d'Eric Hazan - "Au lieu de se satisfaire des âneries du gouvernement et du CRIF ('ne pas importer le conflit'), il est temps que les juifs viennent en masse manifester avec les 'arabo-musulmans' contre l’inacceptable. Sinon, leurs enfants leur demanderont un jour 'ce qu’ils faisaient pendant ce temps-là' et je n’aimerais pas être à leur place quand il leur faudra répondre." - j'écoute [la désastreuse dialectique partisane de Richard Prasquier sur Rue89->http://www.rue89.com/2009/01/16/richard-prasquier-a-parlons-net-le-grand-ecart-du-crif]. Pas vraiment la même stature…

Guy M. a dit…

Tu as tout à fait raison, c'est un problème de stature intellectuelle.

Et c'est ainsi qu'Hazan est grand...

Anonyme a dit…

Les pépins...je crois qu'on (ils) appelle aussi cela des "dégâts collatéraux".

Guy M. a dit…

Oui, c'est ça, quand on contrôle son vocabulaire...

Marianne a dit…

Aussi beaux soient les écrits et ceux d'Eric Hazan le sont , le massacre continue .Lorsque les enfants juifs poseront la question à leurs parents , il sera trop tard , il est déjà trop tard pour bon nombre d'enfants palestiniens . Que faire ?

Guy M. a dit…

Je crois, oui, qu'Eric Hazan est bien conscient du fait qu'il est déjà bien tard. Mais la conscience doit rester éveillée, non ?

Anonyme a dit…

je ne suis pas juive,
mais je ne suis pas certaine
d'etre confortable
en face de la question " où étais tu pendant ce temps là?"
, que ce soit mes enfants qui me la pose,
ou moi-même...;

Guy M. a dit…

C'est une question que tout le monde peut redouter, vraiment. Alors on fait au mieux pour pouvoir répondre "j'étais ici ou là" en continuant à regarder en face celui ou celle qui l'a posée...