samedi 24 janvier 2009

Aux marches du Palais




Depuis que je vais régulièrement solder ma force de travail dans la bonne ville de Rouen, je passe d'assez bons moments et de sacrés quarts d'heure. C'est que ce n'est pas toujours aisé de retrouver la vraie vie.

Jeudi dernier, je faisais ma pause post-prandiale en faisant durer un café-clopes, à l'abri d'un auvent, sur une terrasse d'un café-hôtel-restaurant, donnant vue sur la cour intérieure du beau Palais de Justice que nous avons, nous les normands d'en haut, depuis au moins l'âge gothique.

Flamboyant, notre gothique, et comme flambant neuf.

Je ne comptais guère m'attarder, car les terrasses rouennaises ne sont que rarement chauffées. Et j'avais assez observé le ballet harmonieux des fliqueux et des fliquettes qui contrôlent l'entrée piétonne et le portail voiturier. Je me préparais psychologiquement à allumer ma dernière cigarette lorsque la baie coulissante qui permettait au patron de me surveiller s'ouvrit. Un individu de sexe masculin, bien pâlot, avec des cheveux fillasses, passa à côté de moi en s'excusant deux ou trois fois, comme si le fait de passer à moins de deux mètres de mon centre de gravité naturel constituait un cas flagrant de violation de mes eaux territoriales...

A le voir chercher à suivre mon regard, je me résignai à faire gratuitement les frais de sa conversation... Il suffisait d'attendre qu'il trouve un angle d'attaque.

Je l'aidai un peu en continuant d'observer les entrées et sorties du Palais de Justice et, soudain inspiré, il me demanda si c'était jour de visite. Je lui répondis, non que je m'en foutais, ce qui était vrai, mais que je n'en savais rien, ce qui était vrai aussi.

Sur cette base, et avec quelques grognements encourageants de ma part, mon nouvel ami brossa un vertigineux panorama des beautés visitables de la ville, en s'attardant aux dégâts provoqués sur icelles par les alliés à la fin de la deuxième guerre mondiale. Il s'attardait tant que je m'attendais à une péroraison du type normalisé "Ach, la guerre ! grosse malheûheûr, ja !"

Mais non, il me surprit d'un redoutable "c'est comme...", figure de style oratoire bien connue dans les poulaillers sous le nom de coq-à-l'âne.

"C'est comme ceux qu'on a mis en prison, y a pas longtemps, ceux qui ont fait sauter les trains sur les lignes sncf... S'y veulent pas d'la société..."

Le temps de m'assurer qu'il parlait bien des inculpés du 11 novembre... et je me fondis dans la pluie rouennaise et devins à ses yeux une cellule invisible à moi tout seul...

C'est ainsi qu'il sauva sa pauvre vie de crétin.

Autoportrait mental aux marches du Palais.

Le lendemain, j'ai appris avec plaisir qu'Yldune Lévy ne retournerait pas en prison, puisque la chambre de l'instruction de la Cour d'Appel de Paris, qui avait déjà estimé que la procédure d'urgence du Parquet n'était pas fondée, a confirmé sa libération sous contrôle judiciaire.

Mon crétin de terrasse n'en saura probablement jamais rien: il faudrait qu'il puisse remettre à jour ses connaissance sur les événements, et j'ai bien peur qu'il ne s'égare.

Puisque seul Julien Coupat reste incarcéré, on parlera désormais, je pense, de "l'affaire Coupat".

Dans son bloggue Chroniques Judiciaires, la journaliste Sylvie Véran fait le point sur le début d'une polémique sur cette affaire qui commencerait à atteindre les milieux politiques. Mais il est bien évident qu'il ne faut pas attendre de ce côté une réaction à grande vitesse.

La presse reprend, quant à elle, le scoupe du "journal d'information numérique, indépendant et participatif" Médiapart, qui aurait retrouvé le témoin sous X, qui au début de l'affaire semblait un irréfutable élément clé.

J'emploie le conditionnel, car je n'irais pas spontanément acheter une quatrelle d'occasion à l'un des fondateurs de Médiapart...

Mézenfin, il est amusant de lire que ce fameux témoin serait sous le coup d'une condamnation pour «dénonciation de délits imaginaires» et de vérifier à quel point ce témoignage concordait, à la virgule près, avec les fantasmes policiers:

Pour les policiers, ce témoignage «corroborait» leurs conclusions, à savoir qu'il existait «un groupe», formé «depuis 2002», «autour d'un leader charismatique», Julien Coupat, et ayant pris la dénomination de «Comité invisible, sous-section du parti imaginaire».

Quant à la maxime, attribuée par ce témoin X, selon laquelle la "vie humaine a une valeur inférieure au pouvoir politique", elle peut être tout et n'importe quoi, selon le contexte.

Prise comme un constat, il me semble que nous vérifions cela tous les jours: que vaut une vie de sans-papier pour un homme au pouvoir ?

Vous trouverez bien d'autres exemples, je vous fais confiance.

En revanche, je me demande bien quelle confiance on peut accorder à un crétin qui vient témoigner sous X...

6 commentaires:

Anonyme a dit…

Ton cafetier va être content, ça a raflé sec : http://www.rue89.com/2009/01/24/antiterrorisme-une-centaine-de-manifestants-interpelles-a-paris

Ils voudraient déclencher une noire merde pour jeudi et samedi prochains qu'ils ne s'y prendraient pas autrement.

Guy M. a dit…

Tu sens pas comme une odeur ?

Marianne a dit…

A l'imaginaire du bon peuple dont je vais partie , il est plus facile de vendre l'image d'un train qui déraille puisque déjà vécu dans la réalité comme au cinéma que les excuses d' un ministre de l'intérieur qui fantasme pour pouvoir exister. La demande sécuritaire est forte dans tous les domaines et facile à mettre en œuvre d'une façon illusoire , quelques caméras dans la ville , l'armée dans toutes les gares , les incarcérations en nombre et le peuple respire à pleins poumons .Votre crétin de terrasse est dans mon café aussi , je crains qu'ils soient nombreux . "Morts aux cons " vaste programme disait De Gaulle .

Guy M. a dit…

C'est bien vu: J'avais pensé faire une allusion au "vaste programme" de de Gaulle en exergue...

Anonyme a dit…

"Tu sens pas comme une odeur ?"

Rhôôôô… quelle idée…

Guy M. a dit…

Nono, ça sent le lacrymo, mais pas que...