mardi 13 juillet 2010

Un sénateur-maire sans états d'âme

"Une maison destinée à la démolition a été squattée (...). La justice a rendu un avis d'expulsion et donc ils seront expulsés dès que possible. Moi, je n'ai pas d'états d'âme : quand on squatte une maison, la sanction doit tomber."

C'est sur cette base axiomatique, par lui énoncée devant la presse le 28 juin 2010, que monsieur François Rebsamen, sénateur-maire de Dijon, a fait procéder, le 8 juillet, à l'expulsion des occupants de la "Villa" des Lentillères, et à la démolition de ladite "Villa". Il a ainsi montré à ses administrés qu'il avait l'âme suffisamment bien trempée pour faire partie de cette élite qui ne change pas d'avis.

Détruire, dit-il.

Cette "maison destinée à la destruction", et maintenant détruite, avait été récemment achetée par la ville de Dijon pour la somme rondelette de 500 000 euros. Et, afin d'empêcher son occupation par des squatters, la mairie avait, au départ des anciens propriétaires en janvier 2010, envoyé une équipe d'ouvriers pour en détruire minutieusement la toiture, tuile par tuile.

On peut juger que le procédé employé, qui consiste, sous prétexte de le mettre à l'abri d'une réutilisation illégale, à laisser les intempéries dégrader un bien que l'on vient d'acquérir, est d'une remarquable stupidité. Et quand on a la chance (car c'en est une) d'avoir, en toute conscience, des "états d'âme", on peut trouver que donner l'ordre de détruire un toit au nez de ceux qui n'en ont pas est proprement, et même salement, inqualifiable.

En février, un groupe de personnes à la rue a décidé de refaire la toiture endommagée, de réhabiliter l'habitation et de s'y installer pour y vivre.

Dès la fin du mois de février, la mairie de Dijon a poursuivi les occupant(e)s de la "Villa" en justice et demandé leur expulsion en urgence. Les représentants de la ville auraient alors déclaré que le bâti avait été incendié et était resté sans toiture depuis plus d’un an. Le jugement prononcé a accordé un délai de deux mois aux occupant(e)s avant d'avoir à quitter les lieux.

Un placard symbolique devant une pelleteuse.

Le quartier où s'élevait la "Villa" semble promis à un bel avenir dans les projets d'aménagements immobiliers de la ville de Dijon. Pour respecter la terminologie en vogue, il faudrait peut-être parler de la création, à terme (mais on ne sait pas lequel), d'un "eco-quartier", dans le cadre d'un projet éco-urbanistique à orientation éco-durable, ou ce genre d'éco-choses...

On connait, en périphérie de la plupart des villes de France, les conséquences de telles intentions: une partie des terrains est laissée à l'abandon par leurs propriétaires, en attendant que les prix montent, et une autre partie, déjà rachetée par la mairie, est "gelée" en attendant que le projet prenne forme.

Voir le texte de l'appel à manifester sur brassicanigra.org.

Le 28 mars dernier, "des citadins bêches à la main, des jardiniers en herbe ou des maraîchers en lutte ont libéré des terres potagères laissées en friche depuis des années, rue Philippe Guignard", non loin de la "Villa", et installé sur ces parcelles "un potager collectif large et ouvert à toutes celles et ceux qui souhaitent partager un bout de potager, apprendre, se réapproprier une partie de leur alimentation et apporter d’autres éclats de vies dans la ville et dans le quartier".

Le Potager Collectif des Lentillères (Pot'Col'Le) était né.



Cette vidéo a été diffusée par dijOnscOpe le 14 avril.

La "Villa", située dans la même rue, est devenue rapidement un lieu essentiel pour les activités du potager, en offrant assez d'espace pour y faire venir des plants, ranger les outils et tenir des réunions.

Le samedi 22 mai, le Pot'Col'Le pouvait organiser sa première fête de soutien.


Monsieur le sénateur-maire ne semble pas avoir grande estime pour le travail fourni par les jardiniers du potager des Lentillères. Le soir même où faisait part à la presse de sa résolution en forme de tête de pioche au sujet de l'occupation de la "Villa", il déclarait avec un évident mépris:

"Tout est pollué dans le coin mais enfin bon, ils mangent les légumes qu'ils veulent manger."

(Je suppose que cette information sera sous peu confirmée par un compte-rendu détaillé des analyses des sols effectuées par un laboratoire indépendant - comme il se doit.)

Dans le communiqué publié au soir du 8 juillet par le Pot'Col'Le et la Villa en exil, on peut lire:

Nous appelons aujourd’hui à renforcer la mobilisation autour du potager et engager diverses actions de protestation en réaction à cette expulsion. Nous allons pour notre part poursuivre la culture des terres autour de la "Villa".

Nous continuerons à refuser que des maisons restent vides à Dijon et que le quartier des Lentillères soit complètement bétonné. Nous lutterons pour que des terres y demeurent utilisées pour jardiner et se retrouver, loin des logiques urbanistiques et mercantiles mortifères. Nous n’oublierons pas !

Le jardin doit maintenant être en pleine production.

La mairie sera peut-être tentée de récolter au bulldozer...

On y songe ?
(François Rebsamen en méditation sans états d'âme,
photographie François Bouchon / Le Figaro.)


J'avoue que l'acharnement de monsieur François Rebsamen à réduire la "Villa" à un tas de décombres m'aurait moins étonné si je l'avais su membre de cette faction politicarde qui croit pouvoir régenter nos vies. Et je dois aussi avouer qu'ayant conservé une certaine fraîcheur d'âme, je suis un peu choqué de le savoir membre du Parti Socialiste.

Ça me passera, direz-vous, comme ça lui passera peut-être à lui aussi, un jour ou l'autre.

Ancien numéro deux du parti, derrière monsieur François Hollande, il a éminemment contribué à la théorie du socialisme en publiant, en 2007, un livre d’entretiens avec le journaliste Philippe Alexandre, intitulé sobrement De François à Ségolène, aux Editions Fayard.

On pourra trouver sur son site, "quelques élément biographiques", rédigés sans fausse modestie.

Et sans vraie non plus d'ailleurs.

On sourira peut-être de lire:

Il a été élu sénateur de Côte d'Or, le 21 septembre 2008, au cours d'une élection historique (...).

Et on se réjouira de voir que monsieur le sénateur est entré dans l'histoire...

Mais on pourra plus sérieusement s'interroger sur cette phrase:

Élu maire de Dijon en 2001, il met depuis, ses compétences et ses relations au service de la ville.

Car il me semble qu'on peut entendre dans cet alignement des "compétences" et des "relations" une étrange conception de la démocratie...

La démocratie des grosses légumes, comme on dit dans ma campagne.

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