dimanche 18 juillet 2010

Les grands airs de monsieur Besson

Il est drôlement marrant, monsieur Eric Besson.

Il est particulièrement irrésistible quand il prend ses grands airs prétentieux pour pleurnicher sur une prétendue atteinte à sa vie privée...

Impayable !

C'est tellement bien imité qu'on se demande si, des fois - quand par exemple il parle de consulter son avocat pour envisager de, peut-être, éventuellement, s'il est sûr de gagner, ou si le sens du vent est favorable, porter plainte -, ça ne serait pas du sérieux.

Mais on aurait tort de le prendre tout à fait au sérieux lorsqu'il se livre à son désopilant numéro de respectabilité offusquée. Ce serait oublier ses confidences sur le tangage de l'équipage conjugal, accordées à un Karl Zéro qui n'en attendait pas tant en lui posant une question anodine. Et ce serait surtout oublier que l'essentiel des révélations sur sa personne privée, et sur la vie qui va avec, ont été faites, sans opposition et prétendument sans filtrage de sa part, par son ex-épouse, madame Sylvie Brunel, dans son Manuel de Guérilla à l’Usage des Femmes, publié chez Grasset, l'éditeur de monsieur

Le portrait acidulé qu'elle fait de son ex-époux, en séducteur obsessionnel compulsif et, ce nonobstant, parfait goujat et père exemplaire, a obtenu un grand succès dans le monde médiatique.

Il est vrai qu'il semblait assez complet.

Il n'y manquait que le "catalogue", bien difficile à établir exhaustivement sans l'aide d'un documentaliste léporellien.



"Madamina, il catalogo è questo..."
Version de concert par Bryn Terfel, baryton-basse,
et Les Musiciens du Louvre-Grenoble
conduits par Marc Minkowski.

Monsieur Eric Besson est particulièrement sensible sur cette question du respect de "sa vie privée", et il manque rarement de rappeler à l'ordre les interlocuteurs qui oseraient faire la moindre allusion à ce qu'il peut bien faire en dehors des heures de bureau.

On se souvient peut-être que, dans la nuit du 20 au 21 octobre 2009, notre ministre des Expulsions avait fait charger à Roissy, dans un charter à destination de Kaboul, trois "adultes de sexe masculin", après avoir soigneusement entretenu l'incertitude sur ses intentions. Le Parisien, dans son édition du 22 octobre, révélait que monsieur Eric Besson avait passé cette soirée à Liverpool, "parmi les supporteurs lyonnais"...

Très heureux de ce "bon coup", le ministre, invité sur France-Info, a dû prendre son air pincé, mais pas trop:

A la question de savoir s'il a bien géré cette « affaire » depuis le stade de Liverpool, il répond :

« Non, pas depuis, parce qu'il y a des choses que se sont faites avant et après, mais puisque qu'un journal l'a dit - normalement ça relève de ma vie privée mais je ne vais pas le nier -, oui j'étais à Liverpool pour le match. C'était un beau match et puis, pour la première fois de ma vie, j'ai pu voir ce stade mythique d'Anfield Road. »

(Pendant ce temps-là, trois gamins d'une vingtaine d'années, devaient découvrir l'aéroport "mythique" de Roissy-CDG, avant d'être expédiés dans un pays en guerre.)

En libérant publiquement quelques bribes d'informations sans importance sur l'emploi du temps privé de monsieur Eric Besson et de sa jeune compagne, mademoiselle Yasmine Tordjman, et notamment sur leurs projets de vacances et de mariage, le même Parisien s'attire aujourd'hui les froncements de sourcils courroucés de notre pipole malgré lui. Il se déclare, dans un communiqué paru vendredi, "profondément choqué par la divulgation d’informations relatives à sa vie privée et partiellement inexactes".

Curieusement, les médias accompagnent souvent cette brève d'une photographie un peu floue des futurs heureux époux, prise au fond des tribunes du stade de France, bravant ainsi l'interdit posé, il me semble, par monsieur Besson.

Saurez-vous les trouver ?

Si le catalogue des affaires de cœur de monsieur Besson me laisse au fond indifférent, il en est un autre dont la lecture continue à me choquer profondément.

C'est celui des indignités commises en notre nom par le ministère qu'il dirige.

Cette histoire de jeune couple, par exemple:

Un bébé de 8 mois emprisonné au centre de rétention de Lyon ! Son père a une hépatite C, sa mère, enceinte, est en train de faire une fausse couche. Pas de problème pour Besson : tout le monde en rétention en attendant l’expulsion !

En juin 2009 un jeune couple, Zinaida et David Odikadze, fuit la Géorgie, leurs familles respectives n'acceptant pas leur mariage.

Ils arrivent en Pologne, où les médecins détectent une hépatite C chez David, due à des transfusions faites après des sévices infligés par l'une des familles.

Malgré la maladie et bien que Zinaida soit enceinte, ils sont de nouveau obligé de fuir la violence du camp de réfugiés.

Ils arrivent à Grenoble, fin septembre 2009, croyant trouver refuge en France. Mais étant passés par la Pologne, leur demande d’asile est refusée (accords dits Dublin 2 qui imposent que l’asile soit demandé dans le pays par lequel le demandeur est entré dans l’Union européenne.)

Un petit garçon nait en octobre 2009. En novembre, à cause de sa maladie, David et sa famille ne peuvent se rendre à une convocation de la Préfecture.

Fin janvier 2010, il veut déposer une demande de séjour pour étranger malade, Zinaida comme accompagnante. Refusé ! Une 2ème tentative a lieu en juin 2010. Nouveau refus, la préfecture considérant les comme des Dublin 2 « en fuite » et donc à renvoyer le plus vite possible en Pologne. En fuite ??????? Tellement en fuite que c’est à leur domicile qu’elle les fait arrêter le 7 juillet. L’expulsion express prévue pour le lendemain a été bloquée par le dépôt d’un référé.

Mais, depuis lors, le juge administratif et le juge des libertés et de la détention se sont prononcés: ils ont estimé conforme à leur conception de la justice l’enfermement d’un enfant de 8 mois avec son père malade et sa mère enceinte. Hier, 15 juillet, Zinaida a été prise de malaise. Les médecins de l’hôpital où elle a été transportée ont diagnostiqué une fausse couche en cours. Pas de problème : elle a été ramenée au centre de rétention en attente de l’expulsion vers un pays qu’ils ont fui !

Il n'est pas toujours si marrant que cela, monsieur Eric Besson.


PS: Parfois, il faut le dire aussi, on peut lire des choses comme ceci:

Après tant d’années de précarité, Lassana et sa femme ont obtenu le statut de réfugiés. Ils vont enfin pouvoir se poser.

Merci à tous qui avez signé cette pétition.

Alors, champagne !



"Fin ch'han dal vino", dit Air du Champagne (Don Giovanni , W. A. Mozart),
chanté par Cedric Trenton Berry dans un arrangement de Frankie Blue.
Extrait du film
Jackson de J.F. Lawton.

(Avec des bises pour la marraine...)

5 commentaires:

La marraine a dit…

La marraine aurait aussi pu mentionner leurs trois enfants dans son message mais, en toute honnêteté et sans fausse modestie, elle doit aussi avouer que Lassana et sa femme se sont débrouillés sans elle dans la dernière ligne droite (mais c'est une longue histoire).
Bises, Monsieur Guy.

La marraine a dit…

C'est rigolo, ça, je viens de remarquer que l'arrangement de l'Air du champagne était signé Frankie Blue… que je connaissais dans une autre vie :-)

DoMi a dit…

Rue89 (ou plutôt certaine délinquante avérée) parle aussi de la famille Odikadze :
http://www.rue89.com/2010/07/18/au-centre-de-retention-de-lyon-le-calvaire-dune-famille-georgienne-159110

Guy M. a dit…

@ la marraine,

De toute façon, réjouissons-nous: voilà une famille que les chiffres ne comptabiliseront pas.

(J'avoue ne pas connaître du tout Frankie Blue, ni le film en question, d'ailleurs...)

@ Dorémi,

Le témoignage de Caro est précieux. Et implacable quand on pense que de tels récits composent tout un "catalogue".

La marraine a dit…

Oui Monsieur Guy, tu as raison : les chiffres ne comptabiliseront pas cette famille-là…
Tout de même, dix ans sans papiers pour lui, trois mises en rétention à Vincennes et au Mesnil-Amelot, plus quelques "petites" arrestations à l'issue desquelles il n'a (miraculeusement) pas été embêté ; quelle vie…