mercredi 7 juillet 2010

Leçons de politesse

Le marché de la leçon de dignité est en pleine expansion ces temps-ci.

Après le manifeste pour la dignité du débat démocratique lancé par le très privé Club Vauban, et présenté dans les colonnes du Monde sous la double signature de madame Simone Veil et de monsieur Michel Rocard, voici que le même quotidien publie un "point de vue", intitulé Les "malpolis n'ont pas leur place sur France Inter, qui se veut, à n'en pas douter, une grande leçon de dignité à l'attention de ceux qui ont la mission de "causer dans le poste".

Ce qui prouve que tout le monde peut s'y mettre, c'est que cette tribune n'est pas signée d'un ancien premier ministre ou d'une académicienne de la Française, mais de monsieur Ivan Levaï, qui se présente simplement comme "journaliste" - mais pas forcément en toute modestie.

Signalons aux jeunes générations, peu soucieuses des gloires médiatiques d'antan, que l'on peut encore entendre monsieur Ivan Levaï se livrer au difficile exercice de la revue de presse radiophonique chaque samedi et dimanche matin, hors grandes vacances, sur les ondes de France Inter. Il est difficile de dire qu'il anime cette tranche horaire, localisée de 8h 30 à 8h 40, tant est sensible la difficulté du chroniqueur à se retrouver dans ses journaux et bouts de papiers. Une ou deux écoutes devraient suffire pour repérer son goût immodéré pour les citations, et sa désastreuse propension à rire tout seul de ses supposés bons mots.

Ivan Levaï, journaliste.

Les amateurs de références ne seront pas déçus par le papier qu'il a donné au journal Le Monde. Ils pourront y récolter d'utiles citations de Léopold Sédar Senghor, Coluche, Pierre Desproges, Paul Morand, Pierre Bouteiller, Charles de Gaulle et François Mauriac. De quoi briller en société...

La citation de Léopold Sédar Senghor est utilisée pour introduire la grande leçon de dignité journalistique que monsieur Levaï entend donner et qui n'est, on l'aura compris, qu'un bel exercice de fayotage en règle destiné à messieurs Jean-Luc Hees et Philippe Val :

On n'a jamais reproché à Léopold Sédar Senghor de vouloir déchirer "les rires Banania" affichés sur tous les murs de France. Faudrait-il interdire à Jean-Luc Hees et Philippe Val de procéder de la même manière à France Inter, radio de service public dont ils ont désormais l'entière responsabilité ?

Que monsieur Ivan Levaï lise le poésie de Senghor, cela ne peut pas lui faire de mal. Mais qu'il l'utilise de cette manière, c'est-à-dire dans la plus bancale des analogies, c'est assez inquiétant.

(Enfin, si j'étais de la famille, je m'inquiéterais...)

Pour vous permettre d'en juger, voici le début du Poème liminaire, écrit à Paris et daté d'avril 1940, qui se trouve dans Hosties noires:

Vous Tirailleurs Sénégalais, mes frères noirs à la main chaude sous la glace et la mort
Qui pourra vous chanter si ce n’est votre frère d’armes, votre frère de sang ?


Je ne laisserai pas la parole aux ministres, et pas aux généraux

Je ne laisserai pas — non ! — les louanges de mépris vous enterrer furtivement.
Vous n’êtes pas des pauvres aux poches vides sans honneur
Mais je déchirerai les rires banania sur tous les murs de France.

Sachant que la cohérence d'une analogie peut se jauger en tentant d'établir les correspondances terme à terme qui la soutiennent, il est inutile, je suppose, de vous faire un schéma.

Quant au fond, le parallèle entre la colère du jeune Senghor au nom de la mémoire insultée de ses frères et les basses manœuvres revanchardes de messieurs les patrons de la radio de service public a quelque chose d'indécent.

Je n'ai pas trouvé d'images avec les visages de
Stéphane Guillon et Didier Porte,
alors j'ai pris un malpoli au hasard.

Cette copie de bon fayot qui a planqué son dictionnaire de citations n'étant pas d'un intérêt extraordinaire, je passe...

Et j'en arrive à cette dernière perle:

(...) c'est François Mauriac qui avait raison d'affirmer que le bon journalisme relevait du dialogue. Que la chronique ne devait être ni soliloque ni ruminement de ses propres idées. Encore devait-on, selon l'écrivain, veiller à l'expression la plus claire de son opinion. "Il faut, conseillait-il, que le journaliste tienne par le bouton de sa veste son interlocuteur invisible et s'efforce de le convaincre."

Putain !

Merci pour la leçon !

Tenir son interlocuteur par le bouton de sa veste, ou le revers de son veston, ou par la manche de son gilet, en lui crachant ses postillons dans la gueule, sous prétexte de le convaincre, voilà bien l'idéal de la dignité des gens de médias !

Mais ce comportement est-il bien d'une grande politesse ?

2 commentaires:

Chompitiarve a dit…

"... il est inutile, je suppose, de vous faire un schéma."

Mais ça va mieux en le disant !

Enfin, mieux ...
Pas pour tout le monde, si on en juge par toutes ces fragrances qui débordent de certains cabinets ...

:-)

Guy M. a dit…

Certains cabinets, en effet, ne manquent pas d'aisance.