Comme tout le monde, si j'ose dire, je dois beaucoup à la famille Bettencourt.
Je ne parlerai pas aujourd'hui des plaisirs émerveillés que je dois à l'artiste délicat que fut Pierre Bettencourt (1917-2006)...
Il ne faut pas mélanger les torchons avec les serviettes, surtout lorsque le coffre de linge sale familial déborde avec profusion.
Pierre Bettencourt, 1969.
Poissons contemplant l'œil du monde passant en barque à l'horizon.
Tableau d'ailes de papillon.
(Image empruntée au blogue "Pierre Bettencourt - A tire d'aile".)
Poissons contemplant l'œil du monde passant en barque à l'horizon.
Tableau d'ailes de papillon.
(Image empruntée au blogue "Pierre Bettencourt - A tire d'aile".)
A son petit frère, monsieur André Bettencourt (1919-2007), je dois une belle leçon illustrée sur l'exercice du pouvoir.
C'était au temps de la première cohabitation, à la fin des années 1980, et monsieur André Bettencourt était alors sénateur de la Seine-Maritime. A ce titre ou à un autre, je ne sais plus, il était membre de droit du conseil d'administration du lycée où j'exerçais mes talents. Un membre de droit de cette envergure est en général "absent excusé", mais notre bon sénateur fit un effort cette année-là, et tint à honorer de sa présence l'une de nos réunions.
J'étais, moi aussi, membre de ce conseil, ayant accepté, par mégarde, de figurer en position éligible sur la liste des représentants des enseignants.
Installé à la droite du proviseur, qu'à cause de son paternalisme omniscient nous surnommions "Dieu le Père", monsieur le sénateur, et néanmoins ancien ministre, afficha, durant toute la durée de la réunion, un ennui considérable. Nous le prîmes d'ailleurs en très haute considération, abrégeant nos interventions et écourtant nos discussions, car cet ennui allait jusqu'à s'alanguir dans une certaine somnolence. Et l'on sait qu'un enseignant se trouve bien vite déstabilisé en décelant chez son auditeur une respiration trop régulièrement stabilisée.
Mais nous avions tort de redouter un ronflement sénatorial intempestif. Notre invité d'office savait se tenir en réunion, et, malgré sa grande fatigue affichée, intervenait régulièrement à la fin de l'examen de chaque point mis à l'ordre du jour.
Ses interventions étaient d'un laconisme tout à fait admirable. Il relevait imperceptiblement la tête et la tournait tout aussi imperceptiblement vers le proviseur-président de séance, pour lui demander ce que, dans cette affaire, il "pouvait faire" pour lui, ou pour lui dire que, sur ce point, il ne pouvait rien faire. Dans le premier cas, il ôtait le capuchon de son Mont-Blanc pour noter quelques éléments de la réponse qu'on lui faisait, puis assurait qu'il en parlerait à Trucmuche, ou réglerait la question avec Machinchose. Dans le second, il reprenait rapidement sa position de repos.
(A ma connaissance, nous n'avons jamais eu de nouvelles ni de Trucmuche, ni de Machinchose...)
Je sortis de cette réunion avec un tenace sentiment de malaise, saluant au passage le chauffeur de "Monsieur" qui attendait patiemment en écoutant le programme de France-Culture.
Ce malaise, je ne saurais mieux le préciser ou l'analyser maintenant, mais je crois qu'il tient pour beaucoup au contre-emploi de cette question de larbin prestataire de services: "que puis-je faire pour vous ?"
Mais finalement, je ne dois pas grand chose à monsieur Bettencourt cadet...
Car cette phrase, je l'ai assez entendue depuis, avec le même malaise, et prononcée à différents niveaux... J'aurais bien fini par savoir qu'elle résume un geste très commun de pouvoir, invitant le vulgaire d'en bas à se soumettre au parrainage de l'un de ses maîtres, et à s'en trouver, en quelque obscure façon, le débiteur.
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