mardi 27 juillet 2010

Loués soient les poulets

Il est sans doute inutile d'humilier une fois de plus le surréalisme, mais certains ont cru pouvoir y faire une allusion en apprenant que monsieur Brice Hortefeux, ministre de l'Intérieur, de l'Outre-mer et des Collectivités territoriales, a "saisi" les responsables de deux entreprises françaises, au prétexte que de récentes campagnes de publicité pour ces sociétés faisaient référence à l'acception argotique du mot "poulet".

Mais il faut être raisonnable: pour saisissantes qu'elles soient, ces interventions sont plus ridicules que surréalistes...


Un placard publicitaire mis en perspective par lematin.ch.
(Photo Keystone.)

On avait déjà appris que monsieur Nicolas Comte, secrétaire général de SGP-FO, le plus grand syndicat des forces de l'ordre, avait, le 22 juillet, adressé à monsieur Denis Lambert, président du directoire L.D.C., le courrier suivant:

Monsieur le Président,

Une campagne de publicité de votre groupe volailler est affichée actuellement dans de nombreuses villes de notre pays. Cette annonce indique selon ses termes "un bon poulet est un poulet libre" avec une photo de policiers en uniforme encagés comme des volailles.


En tant que Secrétaire Général de l'Unité SGP Police, premier syndicat de la Police nationale, je tiens à vous exprimer le mécontentement de nos collègues qui sont dénigrés d'une manière les plus vulgaires. Il me semble qu'un groupe avicole aussi important que le vôtre n'a pas besoin d'une publicité aussi simpliste.

En ces périodes où les policiers sont particulièrement exposés dans l'exercice de leur profession, et décriés par de nombreux contradicteurs, il est inutile de notre point de vue que la Police Nationale soit ridiculisée de la sorte.

Je vous prie d'agréer, Monsieur le Président, l'expression de mes sentiments distingués.

(Le courrier comportait en annexe une photo du panneau publicitaire.)

Cette "réaction particulièrement maladroite", pour reprendre l'expression de lematin.ch, méritait-elle une autre réponse qu'un cordial éclat de rire, accompagné d'éventuels "sentiments distingués" ? Monsieur Yves de la Fouchardière, directeur général des Fermiers de Loué, en a jugé autrement et s'est même très sérieusement livré à un délicat exercice d'explication de texte:

«Je ne voulais pas de visuel qui puisse être désobligeant (...). Si ça a été reçu comme ça, j'en suis vraiment désolé», a-t-il déclaré, en soulignant que «les personnages sur l'affiche portent des uniformes qui ne sont des uniformes ni de policiers ni de gendarmes», a rapporté hier le site Internet de TF1. Selon lui, l'objet de la campagne est d'interpeller les consommateurs sur la différence entre un poulet élevé en plein air et un poulet élevé en batterie...

Le "visuel" en détail.
Et vous, faites-vous la différence ?

Monsieur Hortefeux, qui possédait autrefois un beau sens de l'humour, parfois mal compris, semble sur le point de le perdre... Il a donc tenu à faire savoir que

Ces campagnes de publicité "n'ont pas forcément la volonté de blesser", (...) "mais aussi anodines qu'elles soient, elles participent à une forme d'irrespect qui peut conduire à des dérives".

Si le ministère de l'Intérieur part en chasse de "cette forme d'irrespect qui peut conduire à des dérives", il va falloir créer une nouvelle section spéciale de fins limiers capables de bien faire la différence entre des slogans tels que "Du blé pour les poulets", "Brice, tes poulets ne sont pas des moutons", ou "On est des poulets, pas des bœufs", ou encore "Ras le bol des salades, les poulets veulent du blé", lus dans certaines manifestations de policiers, et qui relèvent de la plus délicate autodérision, et des réclames comme "Un bon poulet est un poulet libre", où les policiers "sont dénigrés d'une manière les plus vulgaires".


Ceux qui ne seront pas, statutairement, en mesure de faire de l'autodérision seront, je pense, assez sages pour pratiquer l'autocensure.

Les livres et les sites de cuisine seront les premiers à prendre garde de ne pas tomber dans les dérives de l'irrespect, et je crains fort que cela ne nous prive de recettes de poulets accommodés de manières incomparables, mais qui risqueraient de n'être pas au goût des "collègues" de monsieur Comte.

2 commentaires:

Chomp' a dit…

Quand-même,
moi qui fait un public exécrable de la pub depuis que je sais que ça existe (et ça date de la Boldoflorine et des enzymes gloutons qui luttent contre le jaunard, alors tu penses ...)
je la trouve hilarante, cette pub.
Que machin essaie de lui foncer dans le lard, j'espère que ça en triplera l'audience ...
:-)

Guy M. a dit…

Si les fermiers de Loué triplent leurs ventes, il va falloir qu'ils renoncent à élever leurs poulets en liberté...

Triste conséquence d'une pub "trop mignonne" !

(Mais en matière de réclame, quand on a connu "Dubo, Dubon, Dubonnet", tout semble un peu terne, forcément.)