lundi 5 juillet 2010

De grandes ambitions décomposées

Quand on s'adresse à lui, on lui donne du "Monsieur le Premier Ministre", avec plein de majuscules dans la voix, et monsieur Michel Rocard doit trouver que ça fait du bien par où ça passe.

Même si l'on ne sait pas très bien par où justement passe ce genre de satisfaction...

Premier ministre, il le fut, en effet, pour une période de trois ans, de mai 1988 à mai 1991. Et l'on se souvient qu'il dut démissionner pour avoir insolemment fait un peu d'ombre aux revers des pantalons du président François Mitterrand.

C'est probablement au cours de cette excursion
qu'apparut le différend entre nos deux gais lurons:
Qui avait oublié le panier pour mettre les champignons ?
Le président ou le premier ministre ?

Depuis cette démission à main forcée, monsieur Michel Rocard a développé de manière exemplaire le complexe de celui qui avait tout compris et que l'on a empêché d'agir pour le bien commun. Cette affection, si elle est accompagnée d'une tendance psychotique, produit d'indécramponnables vieux gâteux qui, dans les couloirs des maisons de retraite, passent leur temps à emmerder le monde en racontant leurs histoires ou en réécrivant l'histoire.

Monsieur Michel Rocard n'en est pas encore arrivé là, mais on sent qu'il s'en approche.

Pour s'en convaincre, il suffit de lire les propos qu'il a tenus lors de l'entrevue qu'il a accordée à Dominique de Montvalon et Christine Ollivier, et qui ont été reproduits dans France-Soir (24 juin 2010). Il y revient, avec une délectation sensible, sur le fameux Livre blanc sur les retraites qu'il avait commandé à l'INSEE et qui fut livré en 1990.

Cela commence par une véritable révélation traumatique:

Je suis alors Premier ministre et je m’aperçois, s’agissant des retraites, que les enjeux sont terrifiants. Il était déjà évident que le coût du système était en augmentation vertigineuse et qu’on ne pouvait pas en rester là.

C'est la scène primitive, terreur et vertige...

Là-dessus s'est mis en place dans l'esprit fécond de notre ancien premier ministre, et néanmoins soi-disant présidentiable, "la" stratégie imparable qui aurait dû tout régler, n'eût été la mauvaise volonté de Dieu le père François.

Première étape:

J’appelle le patronat, la CFDT et Force ouvrière pour leur demander s’ils seraient d’accord pour établir un diagnostic commun, complété d’une boîte à outils. Ils répondent positivement.

(Apparemment la CGT n'avait pas encore le téléphone...)

Et il obtient "leur accord sur le diagnostic et sur la boîte à outils" à la parution de Livre blanc...


Quelques outils rocardiens encore en état d'usage.

Las ! notre visionnaire eut à peine le temps de passer à l'étape suivante avant de poser sa démission:

La deuxième étape a été le lancement d’une mission de dialogue sur les retraites, confiée au secrétaire général des cadres de Force ouvrière, Robert Cottave, flanqué de trois hauts fonctionnaires. Leur mission : organiser partout en France des débats sur l’avenir du système de retraite. Je leur ai dit : « Je vous donne deux ans pour qu’il n’y ait plus en France un seul syndicaliste qui ose nier les chiffres. »

Il n'eut pas le temps de conduire la troisième étape ("ouverture des négociations entre le patronat, les syndicats et l’Etat"), ni la quatrième et dernière ("ratification de cette négociation par la loi").

La mission a admirablement travaillé. Mais j’ai dû démissionner le 15 mai 1991. J’ai alors été remplacé par Mme Cresson, dont le principe était simple : « Rocard a mal gouverné, donc il faut faire le contraire de ce qu’il a fait. » Elle a donc mis fin au travail de la mission, puis n’a plus rien fait sur le sujet.

Monsieur Michel Rocard en 2008,
encore hanté par le souvenir de madame Edith Cresson.


Monsieur Michel Rocard demeure très fier du "boulot" accompli pour faire changer l'opinion.

Ou pour la manipuler.

Et il a bien raison de nous rappeler quel genre de technocrate fut, au pouvoir, l'homme du prétendu "parler vrai" qui donnait à ses chargés de mission "deux ans pour qu’il n’y ait plus en France un seul syndicaliste qui ose nier les chiffres". Beaucoup plus habile à faire parler les statistiques qu'à entendre une opinion non façonnée par lui, il fut l'un des précurseurs de la politique de soumission aux résultats comptables, autrement dit de la politique du non-choix, de la politique du "there is no alternative" (TINA). Saluons en lui le pionnier de la fabrication du consensus à base chiffrée, cet outil de "gouvernance" visant à faire accepter par l'opinion non les constats bruts d'une situation, mais les extrapolations et anticipations, "terrifiantes", construites par les décideurs.

Et ne nous étonnons pas si,depuis 2007, notre "social-démocrate" (mot-valise-fourre-tout-à-roulettes qu'il confond de plus en plus avec le mot "socialiste") est l'un des plus consultés, par l'élite sarkozyste, des anciens premiers ministres de l'ère Mitterrand:

Les deux ministres du Travail successifs, Xavier Darcos puis Eric Woerth, m’ont convié à venir leur parler. Comme je suis démocrate, j’accepte les invitations.

On ne peut que regretter que les "deux ministres du Travail successifs" n'aient pas demandé à cet expert en expertises, donneur universel de leçons, de prendre en charge cette mission de "sauvetage" des régimes de retraites.

Son scénario était prêt.

Par ailleurs, il aime bien la position de missionnaire, voire même de commissionnaire.


Monsieur Michel Rocard,
ambassadeur de France chargé des négociations internationales
relatives aux pôles Arctique et Antarctique,
au cours d'une mission en Antartique.


Ça fait du bien par où ça passe.

6 commentaires:

JBB a dit…

Un Rocard, sinon rien !

(Ah non, merde : ça colle pas…)

((Ce mec passe son temps à se revendiquer "démocrate" pour expliquer qu'il soit prêt à travailler avec tout le monde et n'importe qui. Il le dit dans l'interview que tu as salutairement dénichée, il le répète ICI, en une tribune inepte et ridicule.

Flo Py a dit…

Rocard, t'es tricard !

Sauf ton respect, cher Jbb... Le lien que tu donnes est sur le mot "commissionnaire", à la fin du billet :-))

Guy M. a dit…

@ Jbb,

Alors, résolument: rien !

(Ne l'ébruite pas: je suis en train d'intriguer pour entrer au Club Vauban. Je suis très curieux que voir quels échanges on y pratique.)

@ Flo Py,

Je suis bien content d'avoir encore des lectrices qui savent lire.

Merci, du fond du cœur, merci.

Marianne a dit…
Ce commentaire a été supprimé par l'auteur.
Marianne a dit…

Avant de se retrouver aux pôles , il était président de la société de conseils et d'expertises "Afrique-initiatives " . A cet âge et dans cet état passer du chaud au froid peut avoir des conséquences dramatiques .

Guy M. a dit…

Pour lui, la médecine est capable de faire des miracles...