samedi 7 mars 2009

Le démon du renoncement

Puisque j'ai déjà affiché avoir abandonné l'art du saxophone, je puis bien encore avouer que beaucoup de mes décisions vitales m'ont été soufflée à l'oreille intérieure, que j'ai particulièrement sensible, par ce petit démon familier que l'on peut nommer, à la suite de Jacques Roubaud*, grand spécialiste ès démonologie familière, le démon du renoncement.

La petite musique aquoiboniste de ce peu sympathique personnage, passablement polymorphe et durablement pervers, m'accompagne depuis tant d'années que je ne saurais dater l'époque de notre première rencontre, qui est aussi celle de ces premiers méfaits. En revanche, j'ai gardé un souvenir assez précis de notre dernière grande dispute, et de sa dernière grande victoire. Heureusement passagère.

Non content de m'avoir suggéré, en prenant les traits et les mots de l'ange de la lucidité, qu'il était de peu d'importance d'être ceci ou cela, il s'était attaqué à la tâche plus ambitieuse de me convaincre de l'inanité d'être: pourquoi faudrait-il être plutôt que n'être pas ?

Après quelques errances et errements, je finis par prendre l'habitude de m'effondrer dans un accueillant fauteuil, dont les coussins effondrés avaient probablement déjà accueilli des centaines de fessiers effondrés de déprimés authentiques... En face de moi se tenaient, allongés en travers de son fauteuil attitré, monsieur J. S. et ses quatre-vingt-dix kilogrammes de neutralité bienveillante, d'écoute attentive et de délicatesse.

Je sais que je dois à ces conversations l'idée de tenir un blogue... mais je ne saurais dire précisément d'où est venue l'impulsion et comment je m'y décidai, car J. S. ne me donna jamais de ces insupportables "conseils de vie" que certain(e)s de ses confrères et sœurs se croient autorisé(e)s à dispenser.

Deux semaines après avoir commencé pour de vrai à bibliothèquer dans l'escalier, je devais le revoir.

J'appris que son "chien de cœur" avait renoncé à l'accompagner plus avant.

On comprendra peut-être un peu pourquoi je me pose cette question stupide mais lucide: A quoi bon renoncer ?

Photographie de Sophie Ristelhueber, extraite de sa série WB**.


Je doute que monsieur Sarkozy prête sa bonne oreille à un quelconque démon du renoncement. Et c'est bien dommage.

Faut-il croire au recul dont le Canard Enchaîné faisait état dans son édition du 4 mars:

"Je ne veux plus voir les enseignants, les chercheurs et les étudiants dans la rue ! a-t-il écumé. Fini le projet de décret (sur les enseignants-chercheurs). Fini aussi la suppression des IUFM (Instituts universitaires de formation des maîtres). Vous me réglez tout ça. Vous vous couchez. Je m'en fous de ce que racontent les cons du ministère ! S'il le faut, vous n'avez qu'à faire rédiger les textes par les syndicats, mais qu'on passe à autre chose ! On a bien assez de problèmes comme ça. De toute façon, ce n'étaient que des projets de merde."

La patte du volatile.

J'ai depuis longtemps perdu la foi dans les informations du Canard... et celles-ci ne se confirment guère, malgré les nouvelles de "compromis" boiteux, et sans "sortie de crise", sur le statut des enseignants-chercheurs.

Car monsieur Darcos, lui, campe sur ses positions: pas question de renoncer à la réforme sur la formation des maîtres !

Face à lui, des actions diverses qui ne semblent pas prendre non plus la voie du renoncement.

Ainsi, ces courageux "symbolistes" qui s'échinent à lancer une occupation de la Sorbonne. Voici quelques images du blocage du 4 mars. On pourra y étudier de près le maniement du tonfa en style libre:




Vendredi matin, c'est le quartier tout entier qui était comme occupé par une soldatesque à l'impressionnante masse musculaire.

Place de la Sorbonne, place piétonne, vendredi 6 mars.


* Voir, par exemple, La Dissolution, aux éditions Nous.

** "En novembre 2003, puis de février à mars 2004, Sophie Ristelhueber a effectué deux séjours en Cisjordanie (West Bank/WB) et a photographié les routes coupées comme autant de ruptures, d’obstacles qui symbolisent la séparation entre les hommes. (...)

L’acronyme WB se veut le logo d’un lieu qui n’existe pas, c’est le titre choisi par l’auteur pour cet ouvrage qui livre une puissante métaphore de la tragédie de cette région. Ni militante, ni photo-reporteur, Sophie Ristelhueber est une artiste qui nous donne à voir une terre déchirée par les hommes."
(Extrait de la présentation du livre WB,Thames & Hudson ed.)

2 commentaires:

Anonyme a dit…

Bon, si j'ai bien tout compris, tu renonces à renoncer ? Mézalors, aussi alambiquée soit-elle, c'est une bonne nouvelle !

Bises !

PS : en décodé, ça donne quelque chose comme "Je me réjouis de votre retour sur le ouaibe, cher monsieur" :-)

Guy M. a dit…

Tu peux dire aussi que ce n'est pas clair... ou bien tu veux faire de la surenchère côté alambic...

(C'est très dur, avec un normand, fils de bouilleur de cru!)