Des manifestations préprintanières parisiennes, comme celle d'il y a une semaine, je rapporte en général une podalgie inflammatoire aiguë qui s'explique aisément par le piétinement prolongé dans des chaussures faites pour marcher que j'ai jadis achetées chez Triathlon (une sous-marque), et une crève carabinée qui se traduit par une trachéo-bronchite assez spectaculaire pour me doter momentanément d'une voix de crapaud mâle en rut, ce dont je profite éhontément pour tenter de séduire les jolies princesses de contes de fées de mon canton.
Je rapporte aussi beaucoup de tracts, que je n'ai jamais le temps de lire sur place à cause de l'exubérance de mon entourage qui n'encourage point la concentration...
L'un de ces tracts, signé du Comité de Soutien à Florence Cousin, commence par me faire tiquer:
Depuis près de 40 jours, la journaliste de Libération Florence Cousin poursuit une grève de la faim dans les locaux du journal fondé par Jean-Claude Vernier avec l'appui de Maurice Clavel puis de Jean-Paul Sartre.
(J'ai tenté de reproduire les choix graphiques des auteurs du tract...)
Ce qui me fait tiquer, c'est cette référence révérencieuse, et surtout incomplète, à des fondateurs dont la puissance symbolique devrait éclairer cette affaire...
Je veux dire rapidement que le quotidien Libération n'a été fondé ni par Jean-Claude Vernier, ni par Philippe Gavi, ni par Serge July, ni par Jean-René Huleu, ni par moi, mais par nous tous, des centaines ou des milliers, je ne sais, qui avons donné de notre temps pour le faire naître, l'alimenter et le diffuser... Et il est inutile de dire que ce Libération, que nous avons tous rêvé et créé, est mort. Très vite. Le fait qu'il y ait pu y avoir une période où ce journal a vécu de sa belle vie de journal est une très grande énigme...
Le quotidien ayant depuis une éternité coupé son cordon ombilical, le rappel "aux valeurs d'origine d'un titre" qui porte de "beau nom de Libération", me semble assez illusoire et peu éclairant.
Je suis allé, vieux réflexe, chercher un peu de lumière sur la page facebook du Comité de soutien, et j'y ai trouvé ce résumé:
Depuis le 10 février, une journaliste française, Florence Cousin, 48 ans, mère de famille, est en grève de la faim dans le hall d’entrée de son journal, Libération, 11 rue Béranger, à Paris (75003), place de la République.
Elle refuse le licenciement pour supposée “incompétence” qui vient de lui être signifié, après 25 ans de présence dans l’entreprise, plus de 20 ans de militantisme syndical (déléguée du personnel sur liste CGT, trésorière du Comité d’Entreprise...), et plus de 15 ans de harcèlement, constatés et dénoncés en courrier recommandé par l’Inspection du travail !
Pour en savoir plus, j'ai dû cliquer de manière un peu hasardeuse, en cherchant à ne pas trop m'égarer.
J'ai ainsi pris connaissance de la position de Florence Cousin par un entretien publié par le NouvelObs, qui a donné également la parole à Laurent Joffrin.
J'ai appris, par Acrimed, la censure (c'est comme cela que cela s'appelle) d'un billet de Pierre Marcelle, qui va finir par en prendre l'habitude (mais que voulez-vous, quand on écrit infiniment mieux que le patron...)
J'ai lu avec attention le récit que fait Michel Puech, en son blogue, de sa visite à Florence Cousin dans ce qu'il appelle "le hall de la honte" et de sa rencontre avec un monsieur Laurent Joffrin très très colère et fort peu courtois. Il a tiré un très beau portrait photographique de ce dernier, mais il insiste tellement sur son copyright que je le laisse admirer in situ.
J'ai suivi le blogue de Skorecki, entièrement consacré à la grève de la faim de Florence Cousin.
J'ai lu avec intérêt le communiqué de la rédaction qui, après le blocage de la sortie du quotidien, le 21 mars, exprime sa "stupeur" de "constater qu'une petite minorité syndicale extérieure à l'entreprise a bloqué par la force la parution du journal..."
J'ai appris que la direction avait décidé de faire transporter Florence Cousin et ses petites affaires, bouteilles d'eau, livres, affiches, dans un petit local à l'abri des regards, et que cette décision avait été exécutée par six vigiles le 21 mars.
A vrai dire, j'ai parfois eu le sentiment d'effleurer beaucoup de non-dit, de sous-entendu, d'à-mi-mot, comme si la profession d'informer avait grande réticence à informer sur elle-même et sur la manière dont on la dirige... Alors, je vous ai livré des liens qui ouvrent des pistes pour essayer d'y comprendre quelque chose.
J'ai bien failli laisser tomber en arrivant sur le site LeMondeReel.fr qui recueille les signatures du Comité de Soutien... Etrange impression, vraiment, devant cette mare aux crapauds antédiluviens (je veux parler du froid déluge "réaliste" des années 80, bien sûr) menée par un gréviste de la faim "historique" (sic)... Je n'ai pas signé.
S'il y a un texte de soutien que je contresignerais à deux mains, c'est celui-ci, rédigé par Gilles Tordjman, et relayé par Skorecki:
—« Répondre à l’insensé selon sa folie, afin qu’il ne s’imagine pas être sage ».
Florence Cousin est en grève de la faim depuis quarante jours dans le hall du journal « Libération » pour contester les conditions évidemment iniques et indignes de son licenciement après vingt-cinq ans de travail dans cette entreprise.
D’autres ont dit, mieux que moi, l’atroce comique qu’il y a dans le fait de découvrir au bout d’une si longue collaboration l’incompétence supposée d’une employée. D’autres, encore, ont cru devoir reproduire la version policière de l’histoire en disant que Florence n’était pas aimable, ou qu’elle était « spéciale », ou que c’était une folie de mettre sa vie en jeu pour un travail.
Bref, qu’elle méritait d’une certaine manière son sort, et qu’elle n’avait finalement qu’à s’en prendre à elle-même puisque, paraît-il, les humanistes patrons de « Libération » lui auraient fait, après négociation, des propositions « qu’on ne peut pas refuser », comme on dit.
Mais ces propositions-là, Florence Cousin les refuse. Comme elle refuse également d’être le jouet d’une guerre si pacifique que se mènent depuis toujours des patrons et des syndicats qui —de mon strict point de vue personnel — méritent les mêmes égards.
Faut-il mettre sa vie en jeu pour dénoncer cela ? Beaucoup de gens pensent que non, pour une seule raison : la grève de la faim serait un moyen ultime, qu’il conviendrait de sanctuariser, et qu’il serait indécent d’utiliser pour un simple conflit du travail. Victime d’une injustice, Florence Cousin serait donc doublement coupable parce qu’elle abuse de la victimisation en se mettant en danger.
On reconnaît bien là les traits les plus remarquables d’une société où tout le monde râle, manifeste, pétitionne, sans jamais rien détruire ce qui travaille à la détruire, sans jamais se défendre. Florence Cousin ne fait que se défendre, avec ses armes à elle : son corps, sa bonté, sa patience. Et elle se méfie bien des choses bizarres qu’on peut faire en se posant comme victime : c’est elle qui a décidé de la juste réplique à l’outrage qu’on lui fait.
Nous sommes quelques-uns à avoir décidé que le mieux que nous pouvions faire pour la soutenir, c’était d’aller la voir.
Or aujourd’hui, dimanche 22 mars, en allant voir Florence à « Libération » comme je le fais depuis plus d’un mois, je me suis fait refouler par un vigile très poli au motif que « la direction a décidé que Madame Cousin ne pouvait voir que son médecin, son mari ou ses enfants ».
Ce traitement de faveur était jusqu’à présent réservé à Louis Skorecki, un homme notoirement dangereux puisqu’il peut témoigner des qualités humaines de Florence, pour avoir travaillé de longues années avec elle, et qu’on a donc viré du hall de « Libération » manu millitari pour ces raisons mêmes.
On peut toujours dire que quelques vieilles inimitiés recuites justifient un tel comportement de boutiquiers alarmés, mais je crois que rien, jamais, en aucune occasion, ne justifie la brutalité, la bêtise ou le cynisme.
Après avoir attendu tranquillement que Florence Cousin fasse un malaise, la direction de « Libération » décide maintenant, en toute bonne conscience, de la priver de toute autre visite que celle approuvées par la Faculté et le Goupillon ; son médecin et son mari. Bref, on veut bien qu’elle meure, mais sans témoins.
En privant Florence Cousin de visites amicales (et, j’espère, légères), on la prive simplement de la dernière liberté qui lui reste.
Je m’étais jusqu’ici abstenu de stigmatiser les personnes à l’origine d’une si honteuse situation.
Et je répète que la chasse au « Rotschild », si facilement pratiquée par quelques staliniens attardés, me met extrêmement mal à l’aise.
Mais, face à une si grande violence faite à Florence, face à une si révoltante injustice menée par des cosaques sans conscience, ni culture, ni humanité, ni rien, je le dis très sereinement : Monsieur Joffrin, vous qui a avez si bien achevé le travail de sape d’un journal autrefois estimable, vous qui donnez des leçons de morale à la terre entière (mais plutôt à la radio ou à la télévision), vous aurez à répondre, devant moi, de m’avoir empêché de voir aujourd’hui Florence Cousin.
Je ne suis pas méchant, mais très sensible ; c’est pourquoi je n’aimerais pas être à votre place.
Et puisque vous avez eu le front d’accuser Florence Cousin d’être « illettrée », je vous offre ce vieil adage du Yi-King, que vous connaissez forcément, vous qui êtes si lettré : « le fort perd sa force ; le faible la gagne ».
Méditez-le, selon vos moyens. Il ne semble pas vous être très favorable.
Gilles Tordjman
Là, je me reconnais davantage, voyez-vous.
5 commentaires:
J'ai lu tous les liens , Joffrin ne sort pas grandi de cette triste histoire . N'avait- il pas pris un peu d'avance sur la première page de Libération concernant Tarnac ? Il semble qu'une solution honorable ait été trouvée pour que Florence Cousin arrête sa grève de la faim.
Bravo pour sa ténacité .
Je n'ai pas trouvé de confirmation de cette solution... Mais c'est nécessaire d'en trouver une et telle que Florence Cousin puisse sortir le tête haute (quant à Joffrin, il sait fort bien faire profil bas, pas de souci à se faire pour lui...)
"Etrange impression, vraiment, devant cette mare aux crapauds antédiluviens"
Clair. Ils en deviennent rigolos, tant ils en font trop sur le mode du pathos héroïque, à la poursuite de leurs vieilles lunes Mao à deux francs six sous. Préservez-moi de mes soutiens, comme disait je sais pas qui.
Par contre, tu as trouvé le ton juste. Mais ce n'est pas vraiment une surprise. :-)
[Pour Joffrin…->http://www.article11.info/graphisme/carre_a.jpg]
Merde. Désolé, j'ai raté le lien.
Finalement, Florence Cousin a bien cessé sa grève de la faim hier soir. Dans des conditions honorables d'après ses soutiens...
...dont le ton parfois, anéfé... J'ai essayé de garder le mien. (merci)
(Les liens sur blogger, c'est pas terrible, je maitrise mal, tu crois que je devrais apprendre à Spiper ?)
Enregistrer un commentaire