jeudi 18 septembre 2008

Trois gardes à vue et deux communiqués

Se déclarer antifasciste, en 2008 (vous vous rendez compte!), ça semble terriblement dépassé, menfin quouâ ! Essayez d'en parler autour de vous. On vous citera volontiers, avec un amical clin d'œil culturel, "le ventre encore fécond d'où est sortie la bête immonde", en l'attribuant à André Malraux ou Romain Rolland, et l'on vous signalera, avec superbe, que l'histoire ne revient pas en arrière et que, depuis la chute du Mur, la démocratie a triomphé. Partout.

C'est un peu comme se déclarer féministe… C'est peut-être piquant, mais d'un désuet! (Là-dessus, allez lire Mademoiselle en ce billet, c'est parfait.)

Pour citer un communiqué récent, sur lequel je reviendrai, disons que "l’antifascisme est une lutte qui se mène sur deux fronts: contre les mouvements d’extrême droite et néofascistes, mais aussi contre l’Etat qui, même s’il n’est pas fasciste, ne s’est jamais privé d’instrumentaliser le fascisme ou d’emprunter ses techniques pour assurer la stabilité de l’ordre social."

Ces mouvements d'extrême droite, dont vous pourrez renifler les suaves fragrances ici ou ou encore (ces trois exemples devraient suffire…), aiment à commémorer, le 9 mai , la mort de Sébastien Deyzieu, un jeune militant proche de l’ancien Groupe union défense (GUD), qui, poursuivi par la police, avait accidentellement glissé d’un toit, lors d’une manifestation interdite «contre l’impérialisme américain» en 1994. Ce traditionnel défilé-parade, avec cagoules, manches de pioche, drapeaux noirs ornés de croix celtiques, chant des lansquenets, etc. a été interdit cette année par la préfecture de Paris. (Bertrand Delanoë, maire, avait adressé au préfet une lettre demandant l'interdiction de ce rassemblement.)

Une contre manifestation est organisée, à la même date, par les groupes antifascistes. Cette année, elle se proposait d'attirer l'attention sur les antifascistes russes (il y en a, vous pourrez trouver des renseignements sur leurs aventures ici)

Voici quelques images de cette réunion (attention, la musique est du punk russe, c'est comme la vodka, ça décape!)



Il va sans dire que celui (ou celle) qui voudrait distinguer ma silhouette floutée dans cette petite foule, ne la trouvera pas: je ne fréquente plus ces sympathiques réunions depuis que j'ai perdu, au cours du siècle dernier, la légendaire pointe de vitesse qui me permettait de compenser la ténuité des os de ma boite crânienne sous la matraque ou le manche de pioche... Mais je crois me souvenir qu'au temps jadis, il y a des lustres, on pouvait, exceptionnellement, trouver une certaine analogie entre les pratiques des représentants de l'ordre républicain et celles des partisans de l'ordre prétendu nouveau.

Photo de mai 68, trouvée sur ResistanceS.be


Or donc vouala, il se trouve que j'ai eu connaissance de ceci:

Le mardi 2 septembre à 6h20, quatre policiers entrent au domicile d'un étudiant de 19 ans, l'arrêtent devant sa famille, après avoir fouillé sa chambre, et le maintiennent 36 heures en garde à vue.

Le mercredi 3 septembre, une jeune étudiante est convoquée, interrogée,
puis convoquée à nouveau le lendemain.

Le même jour, à 19h00, huit policiers pénètrent chez un enseignant, l'arrêtent devant sa compagne et ses deux enfants, réalisent une perquisition du domicile, et l'embarquent pour une garde à vue de 24 heures qui lui fait rater la rentrée des classes.

Leur crime ? Etre soupçonnés d'avoir participé à des actions antifascistes (diffusion de tracts, graffitis…), en mai dernier, visant à l'annulation d'un meeting des Identitaires, groupe néo-fasciste connu pour sa violence et né sur les cendres d'Unité radicale, organisation interdite en 2002.

Ces arrestations ne sont que les dernières en date d'une trop longue série
: depuis quelques années, chaque mouvement social fait l'objet d'une répression féroce et toute tentative de désobéissance civile finit devant les tribunaux. Plus généralement, le traitement pénal, policier et carcéral des tensions sociales devient peu à peu la norme.

Il est temps que nous reconnaissions collectivement qu'il s'agit là d'une
dangereuse dérive, attentatoire aux libertés publiques et à l'Etat de droit, et que nous réagissions. La criminalisation de la contestation politique est inacceptable et incompatible avec le bon exercice de la démocratie.

Nous demandons donc l'arrêt immédiat des tentatives policières
d'intimidation des militants antifascistes, et la reconnaissance pleine et entière du droit à la résistance, à la contestation et à la revendication.

Les premiers signataires sont: SCALP-REFLEX, SRA (Solidarité Résistance Antifasciste), CNT (Confédération Nationale du Travail), CNT 87, OLP (Observatoire des Libertés Publiques), AL (Alternative Libertaire), Fédération Anarchiste, SCALP 87, Sud Education.

Vous pourrez trouver un autre communiqué, moins informatif et d'un ton plus politique, d'où j'ai extrait ma première citation sur l'antifascisme, sur le site du réseau No Pasaran.

J'en copicolle ce morceau:

(...)

Les faits incriminés ne peuvent en rien expliquer ce déploiement de force policier.

Ils sont mineurs (diffusion de tracts, graffitis...), sans commune mesure avec la mise en l’œuvre de lourds moyens policiers (mobilisation de nombreux fonctionnaires, ainsi que de technologies de repérage des téléphones portables et d’Internet).

L’essentiel est ailleurs, comme dans la répression qui s’est abattue sur certains individus mobilisés aux côtés des sans-papiers : recueillir de l’information sur les milieux politisés, donc dangereux du point de vue policier, et intimider les individus engagés pour un changement social radical.

Cette vague de répression s’inscrit dans une politique globale, à l’œuvre dans tous les pays de l’Union européenne, aux Etats-Unis ou en Russie. Une politique de longue haleine à laquelle la droite comme la gauche françaises ont contribué ; une politique sécuritaire, où la moindre différence, sexuelle, culturelle, sociale ou politique, peut devenir a priori suspecte. Les lois sécuritaires qui donnent toujours plus de pouvoir aux forces de répression, l’assimilation absurde de toute lutte sociale à un terrorisme fantasmé qui sert de prétexte au renforcement d’un véritable terrorisme d’Etat, mais aussi les différentes mesures qui accroissent le pouvoir du patronat au détriment de travailleurs précarisés, toutes ces mesures ont le même but : insécuriser la population pour mieux sécuriser l’ordre social capitaliste et étatique. Cet événement nous rappelle que l’antifascisme est une lutte qui se mène sur deux fronts : contre les mouvements d’extrême droite et néofascistes,mais aussi contre l’Etat qui, même s’il n’est pas fasciste, ne s’est jamais privé d’instrumentaliser le fascisme ou d’emprunter ses techniques pour assurer la stabilité de l’ordre social.

Il nous rappelle que l’Etat de droit est, aujourd’hui comme toujours,subordonné à la raison d’Etat, que les promesses du libéralisme valent moins que les intérêts du capitalisme ou la stabilité de l’ordre social et étatique, que la police l’emporte encore et toujours sur la justice.

(...)

Ces communiqués ne seront guère répercutés, j'en ai peur, par des organisations médiatiquement plus visibles... Aux dires de certains, tant qu'il ne s'agit que de gardes à vue, n'est-ce pas, c'est pas grave.

Or concrètement, la garde à vue, est une machine juridique un peu compliquée qui peut, avec un minimum de talent être rendue intimidante, inquiétante, déstabilisante, humiliante, angoissante...

Beaucoup de "gardés à vue" vous le dirons...

Là-dessus, vous pourrez consulter le récit de R.G. Ma Gardavu, sur le blog de Mademoiselle (c'est son jour!), ou encore le petit livre de Christophe Mercier, écrivain, essayiste, et critique littéraire, pas vraiment-vraiment gauchiste ( il est l'exécuteur littéraire de Jacques Laurent), intitulé sobrement Garde à Vue (Phébus, 2007).

5 commentaires:

Anonyme a dit…

Pour ces 3 gardés à vue, ça fait combien de fichés (famille, amis, voisins...) ?

Guy M. a dit…

Je ne sais pas trop, mais on peut imaginer un effet "boule de neige", qui sera évidemment utilisé quand Edvige, ou peut-être Cristina, sera/seront opérationnel(s).

Anonyme a dit…

Cet "effet boule de neige" existe déjà, sans que EDVIGE ni CRISTINA ne soient nécessaires.
Avec le fichier STIC (Système de Traitement des Infractions Constatées), on fiche déjà pêle-mêle les personnes mises en causes (donc notamment les témoins... famille et amis dans le cadre d'une enquête) et les victimes. La CNIL a constaté un taux d'erreur de 25% dans le fichier STIC.

(Je sais pas, mais moi si j'ai 25% d'erreur dans n'importe quel exo de statistiques, je marque "résultat non significatif", non?)

De plus, il est possible de ficher aisément via les recoupements dans les répertoires de téléphone portable, les numéros fréquemment appelés par exemple dans le cadre militant.
Je n'ai pas d'infos précise sur ce mode de fichage, mais il est certain qu'il est utilisé lors des enquêtes. Ca serait intéressant d'avoir plus de renseignements là-dessus.

La géo-localisation (le fait de pouvoir te repérer via les bips émis régulièrement par un portable, même éteint) est de plus en plus utilisée lors de ce genre d'enquêtes.

Anonyme a dit…

J'annonce, en outre, pour les RARES personnes qui auraient apprécié le fond musical accompagnant la vidéo, que le groupe What We Feel, hardcore-antifasciste-russe (c'est ça qu'on dit), sera en concert le 23 Novembre à Paris (lieu à déterminer) et ensuite, pouf, en tournée dans toute la France.

Bon après, on aime ou on aime pas.

(Ce n'est que du rock'n'roll finalement)

Guy M. a dit…

"Ce n'est que du rock'n'roll finalement"

Anéfé, mais il vaut mieux préciser pour les gens qui, comme moi, font partie des derniers rockandrolleurs des caves de Saint Germain...