Le concert de jazz le plus extraordinaire auquel j'ai assisté eut lieu dans le dernier pavillon de Baltard à s'élever sur le site des Halles de Paris, que l'urbanistique gaullisto-pompidolienne s'employait à rayer des plans Taride, avec l'imagination qu'on lui connaissait et qui a fait les preuves que l'on connait.
Ce concert devait être littéralement "célébré" par l'Arkestra de Sun Ra, au lendemain des funérailles nationales du général de Gaulle. Une foule de deux ou trois milliers de personnes se présenta aux portes du concert, véritable antiphrase soixant-huitarde de la France en deuil de son général. Les autorités, mues par la crainte du désordre, ou le respect du glorieux décédé, ou le sens inné de la provocation, dépêchèrent sur place quelques escouades ou bataillons de policiers, de manière à limiter les entrées à 1200 auditeurs-spectateurs. Les cordons de CRS avaient pris le contrôle de la situation autour du pavillon Baltard, lorsque l'on vit Sun Ra, revêtu d'étoffes dorées et portant un ostensoir solaire, sortir du pavillon, rompre le cordon policier et venir chercher les spectateurs non encore dispersés.
Je n'ai, hélas, pas trouvé de photos de cet événement...
Le succès de ce concert était en grande partie dû aux articles de Delfeil de Ton, dans l'Hebdo Hara Kiri, qui venait tout juste d'être interdit.
Depuis qu'il détonne chaque semaine dans les pages du Nouvel Observateur, le magazine du prêt à penser de la gauche-un-peu-à-droite-de-l'extrême, je ne lis que très épisodiquement ses chroniques, généralement dans des salles d'attente, et donc avec retard.
Delfeil de Ton a quitté l'équipe du Charlie Hebdo historique (car il faut préciser) en 1975, sans trop donner d'explications, et c'était son droit. On a donc l'impression qu'il sort d'une réserve qu'il s'était imposée en s'intéressant de près aux affaires du soi-disant Charlie Hebdo (l'ersatz dirigé par Philippe Val). Cela donne un passionnant et instructif feuilleton de l'été, dont on peut retrouver les différents épisodes sur BiblioObs.
Le premier article est intitulé "Vive Siné !", est daté du 23/07/2008 et nous éclaire un peu sur la pensée du "petit monsieur Val":
«Dans notre monde libéral, les idées finissent toujours par appartenir à ceux qui ne les trouvent pas.» La sentence de M. Philippe Val, penseur contemporain, figurait donc en couverture du numéro 1 du nouveau «Charlie-Hebdo». En 2004, lorsque parut un livre, «Les Années Charlie, 1969-2004», qui prétendait retracer l'histoire du journal, cette couverture y fut republiée sur une pleine grande page mais la sentence n'y figurait plus. Le court texte, dans lequel elle se trouvait, avait été supprimé. C'est ainsi qu'on fait l'histoire, au nouveau «Charlie-Hebdo».
Le 28/07/08, dans un entretien, DDT signale ceci:
(...) La réalité est la suivante: Siné, comme tout bon chansonnier ou chroniqueur humoristique, commente l'actualité. Et l'actualité, c'était que Patrick Gaubert, président de la Licra, se réjouissait, dans les pages de «Libération» du 23 juin, que «le fils de Nicolas Sarkozy, Jean», vienne «de se fiancer avec une juive, héritière des fondateurs de Darty, et envisagerait de se convertir au judaïsme pour l'épouser». Siné ne dit rien de plus si ce n'est sa petite conclusion: «Il ira loin ce petit.» Or tout le monde pense que Jean Sarkozy, qui est, à 21 ans, président du groupe UMP au conseil général des Hauts-de-Seine, ira loin. (...)
Le 30/07/2008, le savoureux "Théorème de Joffrin" nous livre la réaction de DDT aux propos éditoriaux du journaliste le plus bête de France:
«Mon cher Laurent, ton article est immonde qui affecte de croire que Siné n'a pas précisé le sens de son propos, qui était pourtant déjà très clair, voir les innombrables témoignages. Quant aux "bataillons cacochymes", ils comprennent la fine fleur de l'humour d'aujourd'hui. Dont le dessinateur de ton journal! »
En plein délire médiatique, DDT fait une mise au point (qui aurait dû être inutile en des temps plus éclairés...) sur la mise à contribution de feu Pierre Desproges:
«Gorgé de vin rouge et boursouflé d'idées reçues, qui présente à nos yeux blasés (...) la particularité singulière d'être le seul gauchiste d'extrême-droite de France (...) masquant tant bien que mal un antisémitisme de garçon de bain poujadiste sous le masque ambigu de l'antisionisme propalestinien.»
Bon.
Figurez-vous, bonnes gens, qu'en ce temps-là, Desproges et Siné travaillaient dans le même journal. Lequel s'appelait «Charlie-Hebdo». Années 1970. Le vrai «Charlie-Hebdo». Pas le Charlie-Ersatz d'aujourd'hui.
Bref, les accusations portées par Desproges contre Siné et pieusement rapportées par des «philosophes», des «journalistes», c'était DE L'HUMOUR. Comme je vous le dis. C'était pas pour de vrai. C'était une blague entre copains.
L'épisode le plus instructif est celui du 13/08/2008, intitulé "Cabu et Val, duettistes", que je vous conseille de lire en totalité pour bien connaître l'histoire de l'ersatz "Charlie Hebdo".
En 1992, Cabu et Val forment une société pour éditer un hebdo. Ils n'ont pas de titre. Je le sais d'autant mieux que pendant deux jours j'ai passé des heures au téléphone avec Val à en chercher un. A la veille de paraître, Wolinski dit: «Pourquoi pas Charlie-Hebdo?» (...)
(...)
Pendant ce temps, c'était la société fondée par Cabu et Val, pour un journal sans titre, qui gérait «Charlie-Hebdo». Il fallait donc régler ça. Cavanna souhaite partager sa propriété toute neuve. Un jour, Cavanna, Val et moi, on se retrouve chez Malka. Pour Cavanna et moi, il était notre avocat à tous. En fait, il était l'avocat de Cabu et Val. Nous lui demandons de préparer des statuts à la manière de ce que nous pensions être ceux du «Canard enchaîné»: les sept (dont Cabu) fondateurs encore vivants de «Hara-Kiri hebdo» (notre premier titre), puis de «Charlie-Hebdo», plus Val, seraient propriétaires temporaires à parts égales. Chaque part reviendrait à un collaborateur du journal choisi par les survivants après chaque décès. Cavanna, que «ça faisait chier» (et moi donc!) me confie le soin de suivre l'affaire.
Les semaines succèdent aux semaines et rien ne vient. Je fais irruption chez Malka. Je lui demande où il en est de ces statuts pour une société. Il me sort un brouillon de charte. J'ai compris qu'on se foutait de nous. Comme, déjà, l'autoritarisme de Val m'était insupportable, sa morgue, sa prétention, à quoi s'ajoutait l'ennui qui régnait dans la salle de rédaction, j'ai foutu le camp sans phrase, après cinq mois de collaboration, me contentant un dimanche de bouclage de ne pas envoyer mon article. Le mardi je recevais par la poste, sans un mot d'accompagnement, un «pour solde de tous comptes». C'était en mars 1993.
La suite, je ne la connais pas. Je constate que quinze ans plus tard, Cabu et Val se partagent, avec chacun 40% des parts, la société éditrice et une société immobilière, auxquelles sont seuls associés Bernard Maris et leur comptable. Je n'en ai jamais parlé avec Cavanna.
(Je dois dire que j'aime beaucoup-beaucoup le rôle de "l'autre économiste" de France Inter et du comptable !)Enfin, dans son articulet du 27/08/2008, DDT nous révèle la couverture du numéro zéro du futur "Siné Hebdo".
PS: Bien que notre bien utile Deezer.com se soit enrichi notablement en jazz, ces derniers temps, il est toujours aussi peu documenté sur les plages proposées. En recourant à la discographie de Sun Ra (qui est aussi touffue que sa musique), j'ai trouvé pour le morceau ci-dessus:
Sun Ra-p; Akh Tal Ebah-tp; Marshall Allen-as, fl, ob; Danny Davis-as, fl; John Gilmore-ts, perc; prob. James Jacson-fl, bsn; Eloe Omoe-bcl, fl; Richard Williams-b; Luqman Ali (Edward Skinner)-d; Atakatune-cga. Live, possibly Philadelphia, 10/14/1977
2 commentaires:
Je me demandais, juste comme ça : Sun Ra ne serait pas, lui aussi, un salopard d'antisémite ? Hein ?
:-)
Sa fascination pour l'Egypte et toute cette sorte de choses est très douteuse, c'est vrai...
Brulons ses vinyles!
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